vendredi 17 juin 2011

Une femme qui se couche


Subitement, là, juste devant moi, une femme s'arrête.
Elle pose son grand cabas sur la chaussée et s'allonge devant la porte d'une maison.
La maison est en construction et le maçon jette à peine un oeil sur cette femme couchée. Il poursuit son travail, les briques s'empilent, le ciment frais dégringole sur le sol quelques mètres plus bas.
Derrière moi, un grand cri. C'est le réparateur de frigos et de congélateurs, debout devant son échoppe.
Il a posé son petit verre de café sur la carcasse rouillée d'un de ses frigos et invective la femme qui vient de se coucher.Le ton de sa voix, ses gestes, sont ceux que l'on emploient généralement pour chasser un animal trop entreprenant. Il siffle. La femme lève lentement la tête, esquisse un sourire mais ne bouge pas. L'homme pousse un juron, reprend sa tasse et disparaît dans la pénombre de sa boutique.
Une vieille femme traînant une bouteille de gaz dans une poussette pour bébé spécialement aménagée s'arrête à son tour. Elle s'agenouille, parle doucement à la femme couchée d'une voix douce. Elle lui prend la main. La femme couchée sourit une nouvelle fois. Plus près, je comprend que cette femme fait partie de ceux que l'on appelle des attardés. Ici, ils vivent au beau milieu de la communauté. Ils sont tolérés, un peu comme les  bandes de matous qui rôdent autour des poubelles : les modérés les nourrissent, les radicaux leur jettent des pierres.
La vieille femme est partie. Un grincement sur-aiguë.(1) L'apprenti maçon, un gamin efflanqué avec un short trop grand et une casquette crasseuse pousse sa brouette de chantier remplie de sable. Il s'arrête net, regarde la femme couchée avec une expression totalement ahurie. Il se gratte la tête et se permet même un rire niais.
Là-haut sur le toit de la maison en construction, le maçon l'apostrophe. Il lui demande probablement s'il compte rester là longtemps à se tourner les pouces. Le gamin répond, geste à l'appui, qu'une femme est couchée devant la porte.
Le chef grogne et balance sa truelle. Je ne comprend pas tout de suite ce qu'il vient de commander à son apprenti mais, je vois le gamin  faire marche arrière. Il fait le tour de la maison et entre par la porte du jardin.
Quand je quitte la rue, la femme est toujours allongée.
Alexandre Outis
(1) Ici, les brouettes grincent et grinceront toujours.

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