mardi 22 avril 2014

...Les souvenirs aussi




Revu sur Youtoube  Le Capitan. L'occasion de relancer cet article de la série Histoires comme-ci, comme-çà.
Comment j'ai rencontré le Capitan
Val d'Oise, 1963.
Ma grand-mère travaille comme femme de ménage  dans un château de la région parisienne.
Cette agréable demeure d'une cinquantaine de chambres avec parc ombragé et courts de tennis était située en lisière de forêt.
Le gamin que je suis préfère courir dans les bois avec ses copains, construire des cabanes au pied des arbres. Notre journée du jeudi s'étirait mollement, enveloppée dans  la  fumée des lianes ou des P4,  à l'abri des regards indiscrets. Ce jour-là j'avais décidé d'abandonner mes camarades pour rejoindre le château. Dans le grand parc, une équipe de cinéma au grand complet tournait  l'adaptation de"Patate", la pièce de Marcel Achard, au cinéma.
Si j'avais fait ce choix, c'est essentiellement parce qu'on m'avait dit que la belle Sylvie Vartan, la femme du grand Johnny, faisait partie de la distribution. Si je réussissais à l'apercevoir, ou même à lui soutirer un petit autographe, j'allais devenir  sans aucun doute possible le phénix de ma cour d'école primaire. En découvrant l'équipe au travail, tout ce matériel, ces gens qui courraient dans tous les sens comme des hannetons affolés, je pensais que l'affaire s'annonçait beaucoup plus compliquée que prévue. Comment se faufiler dans cette jungle humaine? Des types en salopette, clope au bec poussaient d'énormes caméras sur des rails qui ressemblaient à des voies de chemin de fer. Le réalisateur, un chapeau de paille sur la tête, était assis sur une chaise pliante. C'était à peu près le seul type silencieux et calme de ce sacré chantier. Les deux filles assises à côté de lui sur de petits tabourets feuilletaient de gros dossiers.
Tout d'un coup, quelqu'un cria "Silence!"
Un autre répéta la même chose, puis un troisième, un quatrième et l'on n'entendit plus rien.Tous regardaient  le petit escalier en marches de pierres blanches comme si leur vie future ne dépendait que de ce qui allait se passer sur cet escalier. D'une voix forte, le réalisateur cria "Moteur!"
L’homme au clap se présenta devant l'escalier,  présenta  son ardoise devant l’objectif de la caméra en criant à son tour : « Patate, scène 56, troisième ». Son annonce, fût  Immédiatement suivie par la voix du réalisateur : « Jean ! A toi. »
Alors, un homme sortit de la maison et descendit les petites marches une à une, tranquillement, en sifflotant, comme un homme qui avait descendu des petites marches pendant toute sa vie. Mais, cet homme n'était pas le commun des mortels, c'était le Capitan ! J'étais tétanisé.  Même s'il avait remplacé sa tenue par un petit costume clair, un de mes héros préférés se tenait à quelques pas seulement de moi. Je revis en un éclair la scène des poignards, les combats à l'épée et les chevauchées fantastiques.
Quelqu'un venait de  crier "coupez!" Je redescendis sur terre, parmi les vivants.
Le Capitan s'approcha du réalisateur en souriant. Son sourire me fit comprendre que l'ambiance était plutôt au beau fixe. Le réalisateur lui donna une accolade. Puis, les hannetons se mirent à courir de nouveau dans tous les sens. Un quart d'heure plus tard, le même cérémonial se déroula. Le Capitan descendit les marches de nouveau. Mais, cette fois-ci, il le fit en sautillant légèrement. Puis, encore une fois, mais, plié en deux, le buste penché vers l'avant. Cette version déclencha les rires dans l'équipe. Tout le monde avait reconnu l'imitation de son personnage du Bossu. Les versions s'enchaînèrent à un rythme fou. Des applaudissements chaleureux saluèrent la fin de la représentation, le réalisateur attrapa mon héros par le bras et le Capitan disparut à jamais.Le soir, dans ma chambre, sur le mur au-dessus de mon lit, je décollais la photo de la belle Sylvie et la remplaçais par celle du Capitan sautant de la fenêtre du château sur le dos de son fidèle  destrier.
La nuit fût très courte et agitée.
 Elle l'est toujours pour ceux qui aiment à rêver
Julius Marx

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire