jeudi 27 novembre 2014

Le Polar Est Amour (21)



Martagon tient en main son rasoir fabriqué à Solingen, Germanie, un coupe-chou câlin, caresse de feu. Il a envie de se couper les deux oreilles, double Vincent, il les mettrait sous son oreiller, c’est fait pour ça comme son nom l’indique, et il dormirait enfin sur ses deux oreilles. Il vomit dans le lavabo. Bientôt cinquante piges. Il y a un âge pour manger, un autre pour vomir. Son petit pagne se dénoue, il se retrouve à poil, devant le miroir, avec sa queue qui pend, faudra songer à la couper, elle aussi. Tout ce qui dépasse. Il a envie de lisse, d’absolu silencieux, de douceur du ciel, d’un signal lumineux, quelque part, dans le futur, pour que son fils avance, encore un peu, après qu’il lui aura lâché la main. Il a envie de son gamin, là dans la chambre, il a envie de sangloter, mais ne le fait pas. Il va au mini-bar, sèche une mignonette de bourbon Jack Daniels. Une seconde. Il met la télé, M6, des clips, à fond, il voit les images, qui doivent exprimer la musique, qu’il n’entend pas, il danse, comme un ours, il veut téléphoner à son gamin, il n’a pas la tonalité, peut-être n’entend pas, qui sait ? il va dans le couloir, chercher un employé il voit une femme nue. Elle tient une arme noire, un pistolet automatique. Il reconnaît Virginie, son ex, la mère de son garçon. Il sourit. Elle semble articuler quelque chose, il a des mouches dans les oreilles, il attend que les mouches s’en aillent. Virginie dit :
-Tu te souviens de mon désir ?
-Quoi ? Lequel ?
-Mon désir d’enfant.
-Mais putain Virginie, qu’est-ce que tu fais à poil dans le couloir ?
-Et toi ?
-Le téléphone ne marche pas.
-J’ai voulu cet enfant, et quand il a été là, c’était fini. Je n’aime pas te voir. Tu me rappelles de ces choses. Comment on appelle ça ? Le passé. Voilà, tu me rappelles le passé. Tout ce que je ne veux pas. Plus de charme, plus de fantaisie, plus d’insouciance, plus de jeu, tu es lourd. Tu as grossi, en plus.
-T’ es toujours avec ton gangster ?
-Il est là, je dois le réveiller dans trois minutes.
-Trois minutes. Tu as le temps d’aller te faire cuire un œuf.

Hervé Prudon
Vinyle Rondelle ne fait pas le Printemps
Série Noire N° 2418
Image : Christine Boisson et André Dusollier dans le Exterieur Nuit de Jacques Bral-1980

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