dimanche 19 avril 2015

La chute des anges




La chute des anges peut aussi se traduire : chute des angles. La sphère est faite d’un amalgame d’angles. Par les angles, par les pointes, s’échappe la force. C’est la raison de l’architecture des pyramides. Chute des angles signifie donc : sphère idéale, disparition de la force divine, apparition du conventionnel, de l’humain.
Toutes ces données n’inspirent pas un poète, mais le stimulent. Aussi, lorsque vous l’entendez  dire d’un artiste, d’une femme qu’ils sont angéliques, n’y cherchez pas l’ange de vos images de première communion.
Désintéressement, égoïsme, tendre pitié, cruauté, souffrance des contacts, pureté dans la débauche, mélange d’un goût violent pour les plaisirs de la terre et de mépris pour eux, amoralité naïve, ne vous y trompez pas :  voilà les signes de ce que nous nommons l’angélisme et que possède tout vrai poète, qu’il écrive, peigne, sculpte ou chante. Peu de personnes l’admettent car peu de personnes ressentent la poésie.
Jusqu’à nouvel ordre, Arthur Rimbaud reste le type de l’ange sur terre. Nous sommes quelques-uns à posséder une de ses photographies. On l’y voit, de face, en veste de collégien, une petite cravate nouée autour du cou. Le temps a effacé les traits principaux. Ce qui reste est un visage phosphorescent. Si on regarde trop ce portrait, si on le retourne, l’éloigne, le rapproche, il ressemble vite à une sorte de météore, de voie lactée.
Jean Cocteau
Le secret professionnel

(1925)

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