Maintenant,
il entendait distinctement les rumeurs de la ville. Elles s’engouffraient par
la fenêtre ouverte de la chambre. Coups de klaxon. Crissements de freins.
Sirènes de police. Voix humaines. Battements d’ailes de pigeons, parfois. La
même rumeur que dans tous les ports du monde, qui vous envahit après avoir
couché avec une fille inconnue, qu’on ne reverra jamais. La rumeur de la
nostalgie. Et qui rappelle que vous n’êtes pas d’ici. Seulement un étranger qui
passe. Un marin perdu.
Stella s’était tournée vers lui. Elle lui caressait la queue
avec habilité plus qu’avec tendresse.
-Ca sert à
rien de penser, elle dit. On est là, et le reste du monde n’existe pas. Tu
crois pas ?
-Tu crois ça ?
Son sexe
gonflait entre les doigts de Stella.
-Je crois qu’un
est là pour oublier.
Il repensa à
Diouf.
-Oublier,
lui avait-il dit, je ne crois pas que ce soit nécessaire dans la vie. Je ne
crois pas qu’on puisse, d’ailleurs.
-Quel
conseil me donnez-vous alors ?
-Je n’ai pas
de conseil à vous donner. Ni de destin à prédire.
-Je vous
paye pour rien ?
-Quand on
paye, ce n’est jamais pour rien.
Comme avec
Stella.
Oublier, oui,
il savait qu’il ne pourrait pas. Mais il sentait qu’un certain nombre de
choses, logées au tréfonds de lui, des choses qu’il n’avait jamais osé se
formuler, qui lui collaient à la peau depuis des années, se détachaient peu à
peu de lui, et s’en échappaient.
Il regarda
Stella. Ses doigts s’activaient sur sa queue avec une lenteur excitante.
-Tu aimes ?
Il n’avait
pas attendu que Stella se réveille. D’ailleurs, peut-être ne dormait-elle pas.
Qu’importe. Il l’avait payé. Il l’avait écoutée. Il l’avait baisée. Il ne lui
devait rien. Même pas un au revoir.
Il s’était
habillé en silence. Il avait jeté un dernier regard sur son corps. Comme on
regarde un mort avant que le cercueil ne se ferme. C’était ça. Il fermait le
couvercle sur sa vie passée. Il laissait à côté de Stella, là, dans les plis
des draps encore humides de sa transpiration, sa vieille peau, son cadavre.
Tout pouvait
bien lui arriver maintenant, cela n’avait plus aucune importance. Il descendit
le cours Julien jusqu’à la Canebière. « Il ne faut pas désespérer, lui
avait encore dit Diouf. L’avenir est un monde qui contient tout. »
Jean-Claude
Izzo
Les
marins perdus
(Flammarion-2003)
Très joli
livre d’Izzo. Magnifique et terrible histoire de ces marins échoués dans
le port de Marseille. Marseille et ses rues épicées, ses femmes savoureuses,
son odeur d’œillet poivré, ses chansons populaires et ses coups de savates dans
la tronche.
ps: si vous pouvez trouver le livre dont la couverture illustre cet extrait, ne vous privez surtout pas.
ps: si vous pouvez trouver le livre dont la couverture illustre cet extrait, ne vous privez surtout pas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire