dimanche 5 juin 2016

Amour



A la tombée du jour, je me suis promené seul dans les bois pendant une heure. J’allais, me répétant tout bas le mot « amour »- dans l’espoir où j’étais qu’une réflexion profonde, originale ou drôle me viendrait à l’esprit.
Je disais : « L’amour…quand l’amour…si l’amour…l’amour…l’amour… » et c’était malgré moi des refrains de chanson qui me venaient à la mémoire.
De tout ce que j’avais entendu, de tout ce que j’avais lu, de tout ce que j’avais dit moi-même, il ne restait que des refrains – des refrains qui, liés les uns aux autres, ne formaient plus qu’un grand refrain berceur, doux et mélancolique.
J’avais beau faire un grand effort pour évoquer l’amour sous une forme plus haute, je ne parvenais pas à lui donner les ailes immenses dont souvent on le pare. J’avais beau me répéter qu’il est plus fort que tout, qu’on se ruine pour lui, qu’on vole et qu’on se tue, j’avais beau me souvenir et me battre les flancs- c’était en vain. Dans le silence de cette allée que j’arpentais, les mots qui me venaient étaient toujours les mêmes.
Alors, j’allais dans le passé. Je réveillais tous les amants héroïques d’autrefois afin d’en tirer quelque chose.
Hélas !
Des serments éternels, des promesses infinies, des sanglots prolongés, de tout ce passé dans lequel je plongeais mes regards et mes mains, il ne restait plus que des petites mèches de cheveux…quelques fleurs fanées… des bijoux bon marché…des fins de lettres…des commencements de phrases…des points de suspension, des petites tâches, un peu de sang…des points d’exclamation…des « oh ! »…des « ah ! »...des cris…des baisers…des baisers très longs…des baisers très courts volés à quelqu’un…des silences, des silences interminables…des murmures, des plaintes étouffées…des soupirs…d’autres cris…des silences différents…et puis, des mots…des mots…des mots méchants...des mots cruels…des mots incompréhensibles…des sobriquets…de petits mots… des mots moyens… et de grands mots, le mot « toujours »…le mot « jamais »…et le mot « adieu » qui revient tout le temps, tout le temps…et puis des vers…des vers…beaucoup de vers… des vers très longs, mais très fragiles et qui se cassent en morceaux pour qu’on puisse facilement les mettre en musique- et les refrains de chansonnette recommençaient dans ma mémoire leur danse nostalgique et triste et souriante…
Sacha Guitry

(Toutes réflexions faites)
Photo : La belle et enivrante Hedy, bien sûr.

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