jeudi 22 septembre 2016

Dans le Polar, il y a des méchants !


 Article paru dans l'indispensable revue "L'indic"(revu et corrigé)                          

Les tueurs ont tous une bonne raison



"Des hommes meurent avec le désespoir dans le coeur et des convulsions dans le gosier à cause de l'horreur des mystères qui ne veulent pas être révélés."
Edgard Allan Poe (L'homme des foules).

Qui d’autre qu’Edgard Poe, véritable père fondateur de notre littérature préférée, pour ouvrir cet article consacré aux tueurs ? Poe qui n’a cessé dans ses écrits de mettre en scène les dérives meurtrières des humains. Voyons donc ensemble ces horribles mystères.
Dans le roman noir, le personnage du tueur est devenu un archétype, comme le flic divorcé qui avale plusieurs bouteilles de gnôle par jour ou la blonde incendiaire spécialement chargée de coller le plus grand nombre de types dans le pétrin. Mais, pour l’auteur de romans noir, le tueur est surtout un véritable révélateur de l’horreur des mystères que les hommes conservent tous dans leur esprit. Il est celui qui transgresse, qui passe à l’acte. Pour composer son personnage un écrivain se sert bien évidemment de la réalité mais, il se doit de compléter aussi sa biographie de détails importants qui vont rendre sa création crédible (tout du moins dans la fiction). Etudions par exemple le cas de Martin Terrier, le tueur à gages de La position du tireur couché de Jean-Patrick Manchette. L’auteur a fait naître son personnage dans une sous-préfecture de moyenne importance clairement divisée en deux castes ; les ouvriers et les bourgeois. Terrier vit une adolescence compliquée, élevé par un père autoritaire, simple serveur dans une brasserie. Un homme, devenu alcoolique à la suite d’échecs lamentables et répétés qui finira ivre-mort « dans le ruisseau. » (1) Le jeune Terrier est Humilié par la bonne société de la ville (en visite chez les parents de la fille dont il est amoureux, il ressortira par l’escalier de service). Il n’a donc pour seule issue que la fuite. Ceci est son histoire personnelle qui va évidemment compter dans le « jugement dernier ». Pour le reste, Terrier se borne à suivre d’après ses propres mots ce qu’il appelle « un plan de vie ». Il reviendra dans la ville de l’humiliation pour enlever sa belle. Si cette face du personnage de tueur est assez proche de la réalité (on peut s’en rendre compte en étudiant les différentes affaires criminelles) l’auteur veille à ce que cette « caractérisation » s’accompagne d’une somme de détails importants. Nous apprenons donc par exemple ce qu’il boit, ce qu’il mange, sa façon de se vêtir et surtout nous découvrons son environnement. Autres détails, plus poétiques, qui viennent couronner ce travail, le tueur professionnel qu’il est devenu est fasciné par la voix de Maria Callas et collectionne les disques de la Diva. Et, il devient aphone à la suite d’une grande émotion (tromperie de sa dulcinée) (2). Sa chute sera, elle aussi, plus allégorique que dans la triste réalité. Il finira seul et raillé par les habitués du café où il travaille, comme son père avant lui, montrant à l’évidence qu’on ne sort jamais de sa condition. Dans la réalité, le tueur est pris en charge par un bataillon d’experts psychiatres avant un procès aux assises où il ne révèlera jamais aux familles des victimes présentes l’explication de ses crimes.
Bien entendu, les pathologies des personnages de tueurs sont différentes mais évidemment toutes d’une gravité extrême. Voyez, par exemple, la grande famille des tueurs de cinéma dont certains ont un sérieux problème avec leur maman, cette fois-ci. Citons, Psycho d’Alfred Hitchcock ; son jeune homme si fusionnel et sa fâcheuse tendance à porter perruque et robe. Le lipstick-killer de While the City Sleeps de Fritz Lang, si féroce et déterminé face aux jolies blondes et qui redevient petit garçon lorsque sa maman lui demande de ranger sa chambre. N’oublions pas le merveilleux White heat de Raoul Walsh, avec le grand James Cagney et cette très célèbre scène d’hystérie lorsqu’on lui apprend la mort de sa mère bien-aimée.
On l’aura compris, un bon auteur de polar se doit d’exposer les raisons profondes de son tueur, de dévoiler ces fameux mystères en veillant à ne pas l’abandonner trop longtemps sur le divan du barbu viennois. J’oserai même écrire que c’est probablement ce travail essentiel qui imprime à jamais la différence entre une oeuvrette bon marché et un vrai roman noir. Ces raisons profondes ne visant pas à « excuser » le tueur mais plutôt à mieux le situer dans la société des humains. La société justement, avec ces honnêtes gens qui se demandent toujours pourquoi un garçon si gentil, si « bien de sa personne », a trucidé, un soir, la totalité des membres de sa famille, en épargnant simplement le chien.
Pour finir, laissez- moi vous raconter cette histoire bien réelle glanée lors de mes très nombreux visionnages d’émissions télévisées spécialisées dans les affaires criminelles. L’affaire concerne une jeune femme qui a froidement assassiné son patron de trois balles dans le dos à l’orée d’un petit bois charmant avant de l’enterrer. Pour expliquer son geste insensé, les enquêteurs de la gendarmerie ont avancé l’hypothèse d’une jalousie maladive et du harcèlement dont elle était victime. Si le patron abusait bien de sa dévouée secrétaire, est-ce vraiment suffisant pour en conclure qu’elle n’avait pas d’autre moyen de se venger ? Interrogé par la télévision, le père de la tueuse, finit par révéler qu’à l’âge de 12 ans, sa fille a bien été violée plusieurs fois par un couple « d’amis » qui l’avait emmené en vacances. Personne n’a jamais porté plainte et l’affaire ne s’est pas ébruitée. Lorsque le journaliste lui demande pourquoi, le bon père de répondre :« Voyez-vous monsieur, dans notre pays on garde ces choses-là pour soi ».
Si après cela, vous pensez que la civilisation s’enfonce lentement dans la barbarie, vous n’y êtes pas du tout. Nous sommes déjà entrés dans le dernier cercle de l’Enfer.

Julius Marx
(
1)   Tout comme Edgard Poe, d’ailleurs.

(2)    Ce merveilleux rebondissement que Manchette a probablement « piqué » dans le Sérénade de James Cain.

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