mardi 13 septembre 2016

Une antique photographie



Si la plupart des écrivains qui ont visité l’Egypte, de Loti à Cocteau et Morand, ont joliment mis à jour les problèmes et les contradictions de ce pays, il leur manquait pourtant un élément essentiel qui aide à mieux comprendre ce peuple, c’est le temps.
Si Le Caire est une ville digne de l’Enfer de Dante, sa vie anecdotique demeure une des plus singulière qui soit. Il faut pourtant ne jamais faire l’erreur d’interpréter sur le champ les événements qui nous sont offerts par la rue. De leur trouver immédiatement, un contenu, une signification. Voici un exemple qui illustre bien ma pensée.
Tous les quinze jours, je me rends à la bibliothèque du centre culturel français, dans le but de satisfaire ma boulimie chronique de livres (pathologie qui s’est déclarée très tardivement et dont les symptômes sont bien connus des lecteurs de ce blog). J’ai pris l’habitude de toujours achever ce long trajet par une petite marche qui me fait invariablement passer devant la boutique d’un vendeur de meubles. A chacun de mes passages matinaux, le patron se tient assis sur une chaise branlante devant sa boutique. Il feuillette le journal du jour en sirotant son thé. A notre toute première rencontre, je remarquai que le vieil homme avait ôté ses chaussures. Pour protéger ses chaussettes, il avait découpé un petit morceau de carton et l’avait placé sur le trottoir sale. Alors jeune novice de la rue j’interprétai ce jour-là son geste singulier comme une manifestation de cette délicatesse orientale, justement décrite des années avant moi par les écrivains cités dans les premières lignes de ce récit.

Deux ans plus tard, mon dernier voyage vers le centre culturel, donna à cette anecdote une fin bien différente. Si mon vendeur était toujours fidèle au poste, son morceau de carton aussi. Le protège-chaussettes était devenu encore plus noir et crasseux que le trottoir de la rue.

Si le temps efface nos certitudes, il a aussi le pouvoir, à la manière d’une antique photographie plongée dans un bain révélateur, de faire apparaître au grand jour toutes ces vérités dissimulées au voyageur impatient.  

Julius Marx

Image : August Macke et Paul Klee in Tunisia (1914)

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