Si la plupart des écrivains qui ont visité l’Egypte,
de Loti à Cocteau et Morand, ont joliment mis à jour les problèmes et les
contradictions de ce pays, il leur manquait pourtant un élément essentiel qui
aide à mieux comprendre ce peuple, c’est le temps.
Si Le Caire est
une ville digne de l’Enfer de Dante, sa
vie anecdotique demeure une des plus singulière qui soit. Il faut pourtant ne
jamais faire l’erreur d’interpréter sur le champ les événements qui nous sont
offerts par la rue. De leur trouver immédiatement, un contenu, une
signification. Voici un exemple qui illustre bien ma pensée.
Tous les
quinze jours, je me rends à la bibliothèque du centre culturel français, dans
le but de satisfaire ma boulimie chronique de livres (pathologie qui s’est
déclarée très tardivement et dont les symptômes sont bien connus des lecteurs
de ce blog). J’ai pris l’habitude de toujours achever ce long trajet par une
petite marche qui me fait invariablement passer devant la boutique d’un vendeur
de meubles. A chacun de mes passages matinaux, le patron se tient assis sur une
chaise branlante devant sa boutique. Il feuillette le journal du jour en
sirotant son thé. A notre toute première rencontre, je remarquai que le vieil homme
avait ôté ses chaussures. Pour protéger ses chaussettes, il avait découpé un
petit morceau de carton et l’avait placé sur le trottoir sale. Alors jeune novice de la rue j’interprétai ce
jour-là son geste singulier comme une manifestation de cette délicatesse orientale,
justement décrite des années avant moi par les écrivains cités dans les
premières lignes de ce récit.
Deux ans
plus tard, mon dernier voyage vers le centre culturel, donna à cette anecdote
une fin bien différente. Si mon vendeur était toujours fidèle au poste, son
morceau de carton aussi. Le protège-chaussettes
était devenu encore plus noir et crasseux que le trottoir de la rue.
Si le temps efface
nos certitudes, il a aussi le pouvoir, à la manière d’une antique photographie
plongée dans un bain révélateur, de faire apparaître au grand jour toutes ces
vérités dissimulées au voyageur impatient.
Julius Marx
Image : August Macke et Paul Klee in Tunisia (1914)
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