lundi 20 février 2012

Petit cours de Marxisme

L'actualité, toujours l'actualité!
La campagne électorale, les phrases assassines.
Pouvons nous apporter une réponse cohérente à toute cette agitation?


Et les meetings, il semble que certaines idées soient échangées ?

Bon,  les valises sont prêtes, Julius change un peu d'horizon... A très bientôt.

vendredi 17 février 2012

Instantanés


Celui qui voyage par le train en Tunisie ne manquera pas d'observer attentivement paysages et habitants en traversant les nombreux villages blottis contre la voix ferrée. Mais, à coups sûrs, il n'aura qu'une vision imagée de la réalité, une succession d'instantanés plus ou moins scintillants, en vrac.
Devra-t-il se contenter de ces images? Aura-t-il assez d'éléments pour confirmer ou infirmer toutes les informations qui virevoltent dans le ciel d'hiver?
De la fenêtre de mon compartiment chauffé, je vois que la visite d'un membre du SPD(1) venu d'Egypte pour  prôner  le retour aux bonnes vieilles méthodes de l'inquisition a fait grand bruit. En tendant l'oreille près de  la porte, j'apprend également qu'il veut interdire aux jeunes l'entrée des  stades de foot, prétextant que ce spectacle satanique(2) leur ferait perdre l'énergie nécessaire réservée à une autre lutte.
Le contrôleur pourrait ( s'il se décidait à passer)  me raconter que le ministre de la Culture vient d'interdire l'entrée sur le territoire d'une chanteuse  libanaise jugée trop vulgaire.
Sur la banquette, un journal du soir. Des journalistes s'indignent que deux des leurs soient incarcérés suite à la parution d'une photo  de jeune personne, jugée outrageante. A l'heure ou je vous parle, la  jeune femme s'est probablement rhabillée.
Je vous abandonne, nous venons d'entrer dans un tunnel.
Julius Marx
(1) Système pileux développé ( je le répète seulement pour les nouveaux venus)
(2) A l'intérieur de mon wagon, j'ai tout à fait le droit d'utiliser des termes bien à nous!
(Photo LRC)

jeudi 16 février 2012

Ciné-roman


Avril 2008. Dans un vieil immeuble de la Médina de Tunis, nous tournions "7 Avenue Bourguiba".
Lorsqu'on me demandait des explications à propos du titre  de ce long-métrage (toutes les deux heures environ)  je répondais que le  chiffre "7"( que nous ne connaissions  que trop cette année là) marquait, bien entendu, la date d'investiture de B.A. Quant à  Bourguiba, son seul nom suffisait  largement  à résumer la marche en avant du pays depuis l'indépendance. Sans être un jeu de mots ni un rébus, mon titre (j'étais  le scénariste du film ) me plaisait bien car avec ce chiffre et ce nom, je pensai résumer de façon simple le propos du film. Le script avait pour point de départ la Tunisie et  ses habitants, c'est tout.
Plus tard, le titre a été supprimé au profit de "Cinecitta" et je me demande encore pourquoi..
Mais, pour l'instant, revenons à notre tournage. Nous sommes dans un immeuble qui menace à chaque instant de s'écrouler. Pourtant, dans les deux pièces principales du décor, tout semble bien solide , non?



 Mais, jetons un oeil à l'extérieur


Ah ! La magie du cinéma !
(A suivre )
Julius Marx
(Photos LRC)

mercredi 15 février 2012

Métaphore(s)


L'atmosphère d'une pièce peut changer, subir des transformations les plus imprévues en l'espace de quelques heures, quelques minutes. Tout comme une rade, soumise aux humeurs des vents instables, mais fidèles à ces lieux, voit d'heure en heure, de minute en minute, changer la couleur des vagues, et la mer, qui la léchait peu de temps auparavant, limpide et bleue, se transformer en une foule de serpents verts vénéneux, gonflés de colère et qui soufflent ; puis elle voit ces mêmes serpents se coucher, se calmer,cacher leurs têtes fines dans un vaste tapis d'or ( effet naturel et pourtant magique des rayons qui tombent obliquement des nuages bas) si bien que la plage, encore humiliée par les coups de fouet et par l'horreur récente, se couche elle aussi, dans une paix trouble; et, entre temps, les rochers qui l'environnent ont acquis la majesté aérienne des nuages et peut-être des remparts de châteaux prodigieux ; et enfin, continuellement, la mer, soulevée et animée par le vent, changeant de couleur et de voix, compose et décompose des images très différentes, dans lesquelles la rade tantôt s'élargit, tantôt se resserre, s'écroule, s'élève, se dissipe et reparaît ; et c'est chaque fois un lieu toujours nouveau, tout comme peuvent l'être, à la suite de quelque chose de léger et d'agité, le bonheur, la douleur, ou la simple espérance et le chagrin.
Anna Maria Ortese
(Les Ombra) Actes-Sud




Le gendarme qui venait de prendre sa faction au carrefour le plus distingué de la ville eut soudain l'impression d'être la victime d'un mirage. Il sortit alors de sa poche un mouchoir à carreaux rouges et blancs, fait d'une étoffe grossière  et aussi sale qu'un torchon, et s'épongea le visage avec énergie. Ayant ainsi éclairci (pour un bref moment) sa vision du monde, il reporta son regard en direction du mirage et il en résulta pour lui un choc. Car ce qu'il voyait -à mesure que les éléments du mirage se précisaient à sa vue- c'était un mendiant, le plus beau qu'il eût aperçu depuis longtemps, confortablement installé à l'angle d'un immeuble cossu, de construction récente. Pour comble, cet immeuble abritait une banque et une joaillerie, c'est à dire deux aspects d'une métaphysique universelle qui exigeaient qu'on les protégeât sans délai de la canaille. Remettant le mouchoir dans sa poche , et clignant toujours des yeux pour ne pas le bénéfice de sa nouvelle vision, le gendarme chargea droit sur l'impudent, mû par des instincts homicides. Depuis un mois, les ordres étaient formels : il fallait débarrasser la ville de cette maudite engeance qui proliférait dans les artères les plus respectables comme des fourmis sur un gâteau de miel.
L'ambition du nouveau gouverneur était d'assainir les rues et de les préserver  de tout ce qui pouvait entacher leur honneur; il parlait des rues comme de personnes morales. Aussi, après les prostituées , les vendeurs aux terrasses des cafés, les ramasseurs de mégots et autres coquins de moindre importance, il s'était attaqué aux mendiants, cette race pacifique mais si fortement enraciné dans le sol, qu'aucun conquérant  avant lui n'avait réussi à exterminer. C'était comme s'il eût voulu débarrasser le désert de son sable.
Albert Cossery ( La violence et la dérision)
Ed Joelle Losfeld

L'humiliation, l'horreur récente. Et puis, un monde "qui change de couleur".
L'espérance finit par devenir chagrin.
Un nouveau gouverneur qui interdit, bref qui gouverne...
Heureusement, tout ceci n'est que fiction.
Julius Marx 

mardi 14 février 2012

In mémoriam


Pour mon ami, mon frère, fils de Bologne la Rouge,
rencontré un matin  du cruel  avril.
Une salutaire alerte à la bombe avait jeté la totalité du personnel sur le trottoir.
Nous étions les seuls à sourire, à espérer secrètement que  les quatre étages de paperasses
s'envolent en fumée.
Nous avons soupiré devant le geste insensé de la vieille secrétaire dévouée qui, 
faisant fi de l'interdiction des flics, était remonté boucler le coffre-fort.
Aujourd'hui encore, mon ami, mon frère, que de soupirs à partager,
la Grèce flambe, et même en dehors de sa boite, le pantin chante encore.
Nos querelles me manquent.
Pour mon ami, mon frère, fils de Bologne la Rouge,
perdu un soir de juin, après une nuit de pétarade, en écoutant Johnny Cash
"San-Quentin, je déteste chaque centimètre de toi".
Je rêve d'un cadran solaire sur  ta pierre tombale, avec l'inscription
"Je n'illumine que les heures claires."
Pour toi, mon ami, mon frère, fils de Bologne la Rouge,
ce poème de Pasolini, ton maître.

"Je suis une force du passé.
A la tradition seule va mon amour.
Je vis des ruines, des églises, des rétables, des bourgs abandonnés
sur les Appennins ou les Préalpes, là où ont vécu mes frères.
J'erre sur la Tuscolane comme un fou,
sur l'Appienne comme un chien sans maître.
Ou je regarde les crépuscules, les matins sur Rome, 
la Ciociaria, l'univers, tel les premiers actes de l'Après-Histoire
auxquels j'assiste, par privilège d'état-civil,
du bord extrême d'un âge enseveli.
Monstrueux est l'homme né des entrailles d'une femme morte.
Et moi, foetus adulte, plus moderne que tous les modernes,
je rôde en quête de frères qui ne sont plus."

Pour mon ami, mon frère, fils de Bologne la Rouge,
Enfer ou Paradis, j'en déteste le moindre centimètre.
Julius


samedi 11 février 2012

Brasier



Naples brûle.
Après une sévère douce glacée, je  m'écroule sur le lit.
Le dos, le ventre, les côtés... finalement, le dos.
La fenêtre... le soleil a fini de se consumer, enfin.
Voici un quart de lune, presque horizontal. Dingue ! La belle se croit sous les tropiques!
La voûte du grand théâtre avec son rideau damasquiné d'étoiles, trop d'étoiles!
Avec cette brume, on ne devrait pas en voir autant.
Mais, un Napolitain est capable de repérer des étoiles là ou personne n'en voit,
et inversement, d'oublier le beau, le sublime, au profit du vulgaire.
Une autre douche.
J'abandonne la chambre et remonte le couloir.
Dans ce monastère de l'ordre de Don Calabria réservé aux sans-abris, les chambres cellules sont toutes désertées.Certains ont poussé les lits sur la grande terrasse, pour mieux entendre les chanteurs  sans doute.
 La ville palpite, claironne, pétarade, rugit et s'embrase de mille feux follets, encore l'Afrique!
Le long des murs, empilés, des tableaux des meubles et même, une grande cage avec un perroquet.
Quelle heure peut-il bien être? Pourquoi vouloir à tout prix marquer le temps? Ici, il s'échappe et personne ne songe à le retenir.
L'aube.. les radios hurlantes, les télés berlusconiennes, toutes les musiques de la terre crachées par d'invisibles haut-parleurs.
Les voilà qui sortent de leurs maisons de courants d'air, de leurs  cubes aux toits biscornus, ratatinés.
Drôles de girouettes en maillots de corps ou robes de chambre bigarrées. Ils se croisent, se frappent dans les mains. Comme après une explosion, on compte les survivants.
D'autres s'installent sur leurs balcons, profitant du moindre souffle du vent. Pour sortir, il faut avoir quelque chose à faire, non?
Les fenêtres s'ouvrent une à une. Les ruelles s'agitent de tremblements nerveux.
Grondements de ferraille et hennissements plaintifs, le camion des éboueurs lâche ses pets puants. Le niveau des ordures ne baisse pas, jamais.
La cheminée du boulanger toute proche crache en sifflant un énorme magma de vapeur molle  qui se traîne jusqu'aux nuages devenus sanglants.
Le ventre blanc de poisson d'un Boeing 737 transperce les nuages. La tempête nocturne s'achève, Naples se réveille encore.
Sous la dernière douche, je pense : pour sortir, il faut  avoir quelque chose à faire, non?
Alexandre Outis (Naples 2003- Instantanés scintillants en vrac.)

jeudi 9 février 2012

Apartheid


Quel phénomène inconnu, quelle anormalité, quel processus dynamique, nous pousse à classer invariablement nos romans noirs sur une étagère différente des autres bouquins?
Est-ce  des titres comme : Embûche de Noël , Sois belle et tue-toi, La rousse rafle tout, Les enfants du père Eddy, Une collection de timbrés, La chatte sur un toit glissant , Du sang dans les voiles, La ribouldingue, qui nous embarrassent?
Est-ce les couvertures sexy réservées aux vrais mâles qui lisent ces romans, aux machos poilus, fervents consommateurs d'après-rasage musqués, qui nous embarrassent encore plus?
Est-ce une culpabilité latente  qui commande notre geste, une névrose obsessionnelle ?
Oui, je sais, il est préférable de répondre par l'affirmative à la maîtresse de votre fils que vous avez invité pour la première fois à dîner et qui vous demande entre le rôti et le tiramisu en fixant votre bibliothèque :  "... vous avez lu  Belles du  Seigneur?"
Nous savons tous que cette charmante employée de l'éducation nationale ne se hasarderait jamais à poser la même question à propos de  Si jamais tu m'entubes ou Pas d'ortolans pour la Cloducque de l'immense Pierre Siniac.
Alors, peut-on parler d'une certaine honte?
Pourtant quel plaisir de se glisser au lit avec un Westlake que l'on a pas encore dévoré, un Himes inédit!
Il est certain que se glisser au lit avec la jeune personne sus-nommée est une autre forme de plaisir, mais, ceci est une autre histoire.
Je sais aussi qu'un bon nombre de lecteurs assidus de Noirs (je l'ai  souvent constaté en attendant la crème brûlée ou la tarte aux pommes) ont rangé les oeuvres de Chandler ou Hammett  (en éditions de luxe) à côté de Hem ou Dos Passos.
Est-ce  un premier pas vers l'émancipation totale des romans violents et réalistes? L'avenir nous le dira.
En attendant, et dans le soucis de libérer  l'espace, je propose de descendre illico à la cave des auteurs comme Daphné Du Maurier, Agatha Christie, les romans psychotiques suédois et norvégiens, la biographie de Patrick Bruel  et J'attend un enfant de Laurence Pernoud. Alors, vous voyez bien qu'il reste encore de la place!



Et puis, la prochaine fois que la demoiselle vient dîner chez vous et qu'elle vous demande, entre la choucroute et la mousse aux deux chocolats : "La reine des pommes, qu'est-ce que c'est, un livre de cuisine?" vous aurez le droit et le devoir de lui répondre "attends, je vais t'expliquer" avant de passer dans la chambre, mais ceci est une autre histoire.
Julius Marx

mardi 7 février 2012

Adieu Cosmo


En 1976, John Cassavetes écrit et réalise "Meurtre d'un bookmaker chinois" avec Ben Gazzara.
En 2011, Nicolas Winding Refn réalise "Drive" d'après un court roman de James Sallis.
Dans le film de Cassavetes, Ben Gazzara (Cosmo Vitelli)  est le patron d'une boite de strip-tease à Los Angeles. Le boss aime beaucoup son job et les membres de son personnel : filles, animateurs, serveurs et portiers. John Cassavetes aime aussi  ses personnages. Il prend donc le temps nécessaire de nous parler d'eux. Ensuite, il s'occupe de son personnage principal en lui collant une caméra sur l'épaule. Puis, les ennuis débutent car les méchants trouvent inimaginable et pour tout dire totalement incohérent que l'on puisse s'aimer comme ça. Le boss rassure son personnel : il va s'occuper personnellement du problème. Mais,il comprend assez vite que le but du jeu n'est pas seulement la survie d'une petite boite de strip, c'est de la survie d'un monde,de leur monde dont il s'agit. La lutte est inégale mais Cosmo n'a pas le choix. Cassavetes film l'affrontement en laissant clairement deviner de quel côté il se positionne. John Cassavetes est un auteur. Les scènes sont donc toutes construites (écrites et jouées) en prévision du duel final qui aura bien lieu. Le spectateur participe au combat car  il aime les filles de Cosmo et le monde qu'elles représentent autant que Cosmo lui même. Le résultat est un film élégant, intelligent et bougrement rempli d'émotion.
Dans le film de Winding Refn, le chauffeur (personnage principal) n'a rien à sauver. Des personnages qui l'entourent nous ne savons pratiquement rien. Winding Refn a confié la réalisation de son film à son chef opérateur, le montage et les effets spéciaux à un spécialiste de la maison Hal et l'écriture du scénario à son petit neveu de 11 ans. Winding Refn se sent probablement très bien dans son époque, il pense qu'un acteur qui ne parle pas, une caméra qui ne trouve jamais véritablement sa place, des second rôles au physique ingrat et une musique trop présente suffisent largement  pour remplir victorieusement son contrat.
Winding Refn a raison. Qui se soucie encore aujourd'hui d'émotion? Le monde de Cosmo Vitelli est bel et bien mort.
Adieu Cosmo.
Julius Marx

vendredi 3 février 2012

Invitation au voyage


Si vous aimez l'Ouest américain, sa faune, sa flore. Si vous aimez les états de l'Utah, du Colorado et du Nouveau- Mexique. Si vous ne croyez pas en l'existence d'un être suprême mais seulement au rocher sous vos pieds. Si vous aimez dormir sous les étoiles, manger des guimauves grillées au bois de genévrier et boire de la bière et du whisky. Si vous vous enivrez de phrases comme celles-ci :
"Pendant ce temps, l'unique vautour en vue tournoie paresseusement de plus en plus haut, contemplant la scène paisible sous lui. Il regarde le barrage, ouvrage parfait. Il voit en aval le fleuve vivant et en amont la retenue bleue, réservoir tranquille, où, pareilles à des dauphins s'égayent des vedettes. Il voit à  cet instant précis un couple de skieurs nautiques, tirés par des câbles tendus mais sur le point de sombrer. Il voit les reflets du métal et des vitres des voitures fumantes agglutinées en longue file sur le ruban d'asphalte vers Page, Tuba City, Kanab, Panguitch et au-delà. Il note, en passant, la gorge sombre du canyon principal, les chicots brisés du pont, la grande colonne de poussière jaune montant lentement des profondeurs du gouffre.
Comme un signal de fumée solitaire, comme le symbole silencieux d'un naufrage, comme un immense, muet et stupéfiant point d'exclamation révélant la surprise, le panache est suspendu au-dessus de la terre stérile, désignant en haut le ciel et en bas le théâtre de la cassure primale, la perte du lien, l'endroit où non seulement l'espace mais le temps se sont englués, se sont niés, reniés et finalement anéantis.
Sous l'oeil du vautour, néant, stérilité, sous cette oeillade ultime et lointaine, la brillance du plasma vers l'ouest, bien au-delà de toutes les contingences matérielles ou autres, la permanence..."
Si vos pensées à propos de la solitude s'approchent de celle-ci :
"Ainsi pensait-il, ainsi se voyait-il. La sensation de liberté était enivrante, quoique teintée d'une ombre de solitude, d'une touche de tristesse. Le vieux rêve de totale indépendance, qu'aucun humain ne caresse vraiment, flottait sur ses jours comme une fumée d'opium, comme du beau temps annonciateur de pluie.Hayduke savait bien , lorsqu'il regardait la réalité en face, que le solitaire parfait deviendrait fou. Quelque part dans les profondeurs de la solitude, au-delà de la vie sauvage et de la liberté, se cache le piège de la folie.Même le vautour, l'anarchiste au cou rouge et aux ailes noires, la plus indolente et arrogante des créatures du désert, aime, le soir venu,  retrouver sa famille pour tailler une bavette. Perchés sur les plus hautes branches d'un arbre dix fois mort, recroquevillés et drapés ans la robe noire de leurs ailes, ils caquettent comme une assemblée de prêtres intrigants. Même le vautour -fantastique pensée- construit son nid, s'accouple, couve ses oeufs et met au monde des petits ."
Si vous fréquentez des poètes, des révolutionnaires, des esprits indépendants, qui pensent comme vous que Ned Ludd (1) n'était pas un fou, et si vous êtes très fiers d'avoir lu jusqu'à la dernière ligne "La vie dans les bois" de  Henry David Thoreau. Si vous n'aimez ni la rhétorique politicienne ni celle des trusts technico-industriels démolisseurs de rêves. Si vous haïssez la musique qui marche au pas, les drapeaux et bannières, les insignes, les matraques, les badges et les casques qui brillent au soleil . Si vous êtes prêts à lire un grand roman où la nature occupe la place du personnage principal , alors, vous aimerez le  western épique d'Edward Abbey  " Le Gang de la clé à molette" (Gallmeister)
Bon voyage.
Julius Marx
(1) Homme qui, vers 1779, pris d'un accès de rage, mit en pièce deux métiers à tisser appartenant à un marchand de coton du Leicestershire.

mercredi 1 février 2012

Mister Cain


C'était l'époque des vestes de tweed avec des pièces aux manches. La veste de tweed était très chic!  Du moins, on pensaient tous que cela faisait chic et  intellectuel. Dans le hall de la cinémathèque de Chaillot il était très important de passer pour un intellectuel, un  vrai penseur du cinéma. Le genre de type qui connait la totalité des plans d'un film majeur et qui se sent capable d'en discuter de longues heures avec un autre type très chic vêtu d'une autre veste de tweed avec des pièces aux manches.
On pouvait croiser également les porteurs de bouquins. Des boutonneux aux cheveux gras, avec sous leurs bras les ouvrages  spécialisés racontant la vie et les films de Kurosawa, Welles ou Lang. Le porteur quadrillait le hall en fixant les chics types en veste de tweed, à travers les carreaux de ses épaisses lunettes, avec une expression qui voulait dire : "j'ai abandonné mes lectures juste le temps du film, ensuite, je repars dans ma chambre de bonne."
 Les porteurs et les vestes de tweed étaient tous d'accord sur un seul  point : rosser immédiatement les raconteurs si on en rencontrait dans la file d'attente.
Le raconteur était celui qui la ramenait toujours en prétendant que la version projetée cet après-midi là était nulle. Bien entendu, lui avait eut la chance de visionner la vraie version et il était prêt  à vous la raconter sur le champ,ainsi que les relations tendues entre le couple vedette du film et le réa (en ce temps là, on disait déjà réa, c'était aussi très chic.)
Enfin, il y avait ceux que l'on appelait les clodos (et ça, c'était pas très chic de notre part.) Homme ou femme déjà âgés portant des vêtements élimés et qui n'étaient attirés dans ce lieu ni par le nom du réa ni par celui de sa vedette mais plutôt par le prix modique de l'entrée et le chauffage de la salle.
C'est là, assis dans un fauteuil défoncé entre un clodo qui n'avait pas changé de chaussettes depuis des mois et un porteur qui s'est mis à ronfler dès les premiers plans du film, que j'ai vu pour la première fois The postman always rings twice (Le Facteur sonne toujours deux fois) de Tay Garnett (le vrai , celui de 1945) d'après James M.Cain.
En sortant de la salle, les différents groupes avaient l'habitude de se réunir pour se plaindre du projectionniste, du chef-opérateur du film, du scénariste ou du programmateur coupable d'ignorer le premier court-métrage de X ou Y. Moi, j'ai tout de suite filé chez un bouquiniste pour acheter "le Facteur ".
Cain fait partie des auteurs de romans noirs que Manchette a appelé les petits maîtres. Avec lui, on peut citer Burnett , Himes ou Thompson.
A propos de Cain, on sait que la plupart de ses romans sont articulés autour du personnage de la femme fatale. Il exploite ce thème avec de nombreuses variantes mais la finalité est toujours la même : la passion mène à la destruction. Pourtant il serait stupide de limiter l'auteur à cette seule diégèse. Cain a été aussi un des premiers a placer son récit du point de vue du coupable. Son personnage porte souvent le deuil d'un rêve américain et le récit de son voyage  n'a rien à envier à un écrivain comme Steinbeck, par exemple.
Citons aussi "Double Indemnity" (Assurance sur la mort) adapté par Billy Wilder.


Mon préféré reste "Sérénade". Encore une histoire de passion autour du chant et de l'Opéra qui débute au Mexique. Ah ! Le chapitre ou les deux fugitifs capturent un iguane pour le manger cru, un délice !


Si vous ne connaissez pas encore James M. Cain, allez-y, vous ne risquez rien, aujourd'hui, les vestes de tweed sont cachées au fond du placard avec des boules de naphtaline dans les poches, les porteurs lisent sur internet et les clodos ne vont plus au cinéma, les places sont  devenues beaucoup trop chères.
Nostalgique, moi ?
Julius Marx