mercredi 19 décembre 2012

Mission impossible


Bonjour Monsieur Julius.
Votre mission, si vous l'acceptez, sera très simple.
Vous devrez convaincre, en vous montrant suffisamment persuasif, l'ensemble de la  population de la planète que l'année qui s'annonce sera en tout points positive.
Dans un premier temps, vous parlerez de la Tunisie ( puisqu'il semble que la situation vous préoccupe).
Vous démontrerez que le processus démocratique de ce pays est réellement en cours et se mettra en place dans le courant de l'année, disons, au printemps. Ne vous privez pas de citer cet épisode pittoresque du peuple en colère, lançant des cailloux  sur ses dirigeants dans la ville de Sidi-Bouzid.
N'hésitez pas à affirmer bien fort que, par exemple, la solution consisterait à ramasser TOUT les cailloux, supprimant ainsi les armes des rebelles, pour que le calme  soit de retour.
Il en va de même pour l'ensemble des massacres (écoles maternelles, champs de batailles, complexes cinématographiques ou îles danoises) qui, sans armes en vente nulle part, ne seraient plus qu'un très mauvais souvenir. L'idée peut même faire son chemin ; supprimons également la drogue, et les drogués disparaîtraient aussi de notre paysage urbain.
Propagez la bonne nouvelle en  révélant que le mouvement communiste va bientôt dissoudre tous les retards et satisfaire toutes les impatiences (disons avant les fêtes de Pâques.)
Osez pronostiquer que les principaux dirigeants des trusts responsables des grandes famines sur le continent africain vont être soudainement victimes d'une illumination collégiale et rendront tous l'argent volé à la population avant de se retirer dans des monastères.
Montrez aussi aux septiques ,qui ne manqueront pas, ces nouveaux consommateurs, brûlant les enseignes des grands centres commerciaux avant de se précipiter chez les hommes honnêtes cultivant légumes et autres denrées sans aucun produit chimique.
N'ayez aucune crainte de diffuser clairement la nouvelle donne de ce monde nouveau en criant sans aucun complexe : "Une partie du monde cherche à manger, l'autre à maigrir" C'est bien fini !
Enfin, pour achever votre mission, rien ne vous empêche de citer ces phrases du grand poète italien Comisso : "Fausses étaient les perles, faux l'or, il se demandait pourquoi on les avait fabriqués, à quoi ils servaient : à leurrer les gens. Il éprouvait de la commisération pour les hommes, il lui apparaissaient comme des enfants. Des enfants qui jamais ne deviennent des grands. Leurs idées, leurs forces, leurs oeuvres: chefs-d'oeuvres et délits, humiliations et violences, maladies et misères: des mots, des mots.
Seules comptaient la beauté, la jouissance des sens: un instant de lumière dans la nuit sombre du tout.
Il sentait, il voyait, comme d'une hauteur, les villes, les hommes se rapetisser à la taille de fourmis. Il était touché d'une profonde compassion pour leur orgueil :" Des mots, des mots!". Il en venait à sourire devant leurs illusions, et pouvait pleurer devant la naïveté de leur foi en eux-mêmes."
Bien entendu, si vous-même, ou un membre de votre équipe était arrêté , nous nierons avoir eu le moindre contact avec vous.
Cet enregistrement s'auto-détruira  dans les 30 secondes..
Nous vous souhaitons bonne chance.
Julius.... Vous m'entendez?
Bip...Bip...Bip..
Julius Marx



 

mardi 18 décembre 2012

Inventaire

En cette fin d'année, dressons la liste des auteurs dont nous avons partagé le talent, juste pour quelques lignes, dans ce blog.

Jim Harrison  (2)   Lettre à Dalva , Autrefois
Jérôme Leroy (2)   Le polar est sensuel , Leroy voit rouge
Pierre Lesou   (1)   Le polar est nostalgique
Sherman Alexie (1) L'oiseau perdu
Thierry Jonquet (2) Patron, deux petits noirs, Le fils de Pierrot
Jim Thompson (2) A hell of a woman , Le polar a la rage
Arno Schmidt  (3) Manifeste, Miroirs noirs, style pugilistique(2)
James Ellroy   (3) Style pugilistique(2), Le polar est Amour, La zone d'ombre
Raymond Chandler (1) Le Polar est précis
Marino Moretti (1) Une voix furtive
Andrea Zanzotto (1) Le poète du malheur
Jean-patrick Manchette (1) Annonce importante
Louis Aragon (1) Parenthèse romaine
Paul Morand (1) Des femmes...
Raymond Carver (5) Lu un jour de deuil, Et pourquoi pas?,Impossible de partir sans Raymond Carver,
                              Météo from Tunisia, Quelqu'un d'autre.
Jack London (2) Météo From Tunisia, Lu un jour de deuil
Kenneth Millar (1) Le polar est méchant
Primo Levi (1) L'intrus
Richard Brautigan (2) Dans la maison de Richard, Hommage à Léonard de Vinci
Rick Bass (1) La langue de l'hiver
Roberto Bolano (1) Une définition du paradis
Fernando Pessoa (1) Au jardin impossible
Andrea Camilleri (2) Une voix de chambre à coucher, Le polar est amour (10)
Dashiel Hammett (3) Le polar est amour (fin), Un petit coup de main, L'éminence noire.
Elliott Chase (1)   Le polar est amour (11)
A.B. Reagan (1)   Le polar est amour (9)
James M.Cain (2) Le polar est amour (8) , Mister Cain
Hervé Prudon (2) Le polar est amour (7) , Le sniper
W.R.Burnett (1)  Le polar est amour  (5)
Ed Mc Bain  (3) Le polar est amour  (6), Des nouvelles de nos amis d'Isola
Chester Himes (1) Le polar est amour (1)
Lawrence Block (1) Sombre pantomime
John Dos Passos (1) La force de subsister
Ennio Flaiano (2) Voyage, Un temps pour tuer
Mario Andrea  Rigoni (1) Voyage
Joyce Carol Oates (5) Je peux vous appeler Joyce?, Joyce, Joyce suite 1, Joyce Suite 2, Joyce(fin)
Aldo Palazzeschi (1) Qui suis-je?
Jean-Bernard Pouy (1) Patron, deux petits noirs!
Anna-Maria Ortese (4) Les lectures aimées 1, 2, 3, Métaphores.
Robert-Louis Stevenson (1) Piétinons le muguet
Albert Cossery (2) Avant d'aller voter, métaphores
John Fante (1) Voyage dans les Abruzzes
J.K. Huysmans (1) Salomé
Edward Lear (1) Flora Nonsensica
Adolfo Bioy Casares et Sylvina Ocampo (1) Murder-party
Pierre Siniac (2) Le fils de Pierrot, Les bons et les méchants
P.P. Pasolini (1) In memoriam
Edward Abbey (1) Invitation au voyage
Georges Perec (1) A hell of a woman
Colum Mc Cann (1) Mc Cann est toujours aussi indispensable
Bob Dylan (1) Hellhound on my trail

Voila, prions pour que tout ceci se poursuivre ...





vendredi 14 décembre 2012

Le Polar est sensuel


Aujourd'hui encore, dix-huit mois après, tu as du mal à te persuader que seules les circonstances, la mort qui rôdait, les éléments déchaînés, l'impression d'une fin du monde imminente, vous avaient rapprochés et avaient fait de vous des amants. Et quels amants!... La gauchiste et le soldat, la sociologue et le guerrier, on aurait dit une fable... Mais soit honnête,Céline, avais-tu connu ensuite, ou même avant, un tel accord sensuel? Comme si le corps de François Kieffer et le tien se cherchaient depuis les commencements du monde, marchaient l'un vers l'autre depuis l'éternité.
Jamais un homme jusque-là n'avait su te caresser comme lui, trouvant d'instinct les zones de ton corps qu'il fallait lécher, pincer, mordiller et dans quel ordre, et avec quelle fréquence, posant ses mains sur tes hanches comme si tes hanches avaient été faites pour ses mains. Souvent tu avais joui deux ou trois fois avant même qu'il n'entre en toi et que son souffle vienne s'égarer quelque part entre ton oreille et ta nuque.
De manière tacite, il avait été clair que vous ne vous reverriez plus ensuite, qu'il s'agissait simplement que vos corps merveilleusement confondus dans l'entremêlement des draps fassent un contrepoint définitif à la pluie pétrolifère qui battait la toile de la tente où vous vous retrouviez dès que vous aviez un  peu de temps, un contrepoint aux regards vides des réfugiés et à celui encore plus vide des cadavres qui s'entassaient dans des chapelles ardentes provisoires ou les morgues des hôpitaux de Rotterdam, un contrepoint à l'odeur d'huile et de pourriture qui s'insinuait partout, partout sauf dans vos étreintes protégées par la sueur du plaisir.

Jérôme Leroy
Big Sister

Dans ce roman Noir, Jérôme Leroy actualise le Big Brother d'Orwell. Mais, dans un soucis de parité, il donne le rôle principal de l'intrigue à un ordinateur femelle doué de supers pouvoirs.
Une Big Sister donc, qui contrôle un monde en état de décomposition très avancé ( catastrophes écologiques, répressions policières et autres réjouissances du même type) en anticipant les réactions des opposants à ce bel univers bien lisse. Ainsi, les rebelles sont-ils mis hors d'état de nuire avant leurs supposés méfaits.
Alors, qui pour combattre cette Harpie du nouvel ordre social ? L'Amour et puis l'Art, bien sûr.
Le monde des A de Jérôme Leroy se décline dans la plupart des chapitres. On approuve, on fulmine, on piaffe, on grogne , et puis on prend pas mal de notes.
Enfin, épuisés  par cette lecture participative, on finit par découvrir, au bout du sentier jaune, derrière les feuillages, la mer, peinte par Othon Friesz. Ouf .Un peu d'air frais ...
Julius Marx

jeudi 13 décembre 2012

Lettre à Dalva

J'ai reçu ceci avec l'injonction de publier le texte dans sa totalité. Je m'exécute donc sans rechigner.


Je me fais actuellement une petite gâterie en relisant Dalva, ayant enfin cédé aux conseils d'amis qui m'ont rebattu les oreilles avec le slogan "lilasuite". J'ai obtempéré. Mais il me fallait reprendre le fil.
Et, en dégustant du Harrison, j'en arrive à la lettre que Mickael écrit à Dalva, alors qu'il est défiguré et alité dans un hôpital, victime des poings d'un papa mécontent.
Ce faisant, je ne peux que penser à l'acuité d'esprit de : maître ô mon maître Julius, et celui de sa Julia.....



" Très chère Dalva,
                Nous connaissons tous la fin, mais où est donc passé le milieu? Ce matin je me suis dit que ce merdier dont j'essaie désespérément de m'extirper depuis des années est en réalité ma vie! Une fosse d'aisance circadienne où chaque jour qui commence est un lundi. Pendant les inondations de printemps, mon père et moi passions souvent la moitié de la nuit à retirer des seaux d'eau boueuse de la cave, jusqu'au jour où mon oncle plus fortuné a décidé de nous offrir une pompe à moteur Briggs-Stratton. Avant-hier lundi, à mon réveil, ton baiser qui signifiait que tu me pardonnais m'a rempli d'allégresse. C'était le soir; j'avais faim, soif et mal. J'ai tendu le bras vers la sonnette, puis hésité, en tâchant de me rappeler si j'avais déjà ressenti ces trois choses en même temps - la faim, la soif et la douleur -, les gueules de bois exclues. Cette gestalt aiguë de sensations m'a ouvert une porte minuscule vers le monde, comme le portillon coucou de l'horloge, et j'ai jailli vers l'extérieur pour apercevoir très brièvement l'univers qui m'entourait.  J'ai songé à Northridge, à Aase, aux Sioux, à ces colons pitoyables perdus dans leur mer d'herbe.J'ai songé à leur faim, à leur soif, à leur douleur. J'ai songé à Crazy-Horse sur sa plate-forme funéraire, les bras serrés autour du corps de sa fille en cette amère nuit de mars froide et venteuse. J'ai songé à Aase allongée, brûlante de fièvre sur sa couchette à l'ombre de son arbre à midi et à Northridge aussi près de son corps sous la pluie. L'incroyable amertume physique de tout cela. Je me retenais toujours d'appuyer sur la sonnette posée sur mon oreiller. Je me suis souvenu de mon père rentrant à la maison après son quart de nuit à l'aciérie, au moment précis où je me levais pour aller à l'école. Je restais assis à la table de la cuisine devant mon bol de céréales pendant qu'il buvait sa bouteille de bière et engloutissait un énorme repas avec une vulgarité qui m'offensait. J'étais un esthète, un lecteur fanatique de James Joyce et Scott Fitzgerald; je lui en voulais de partir retrouver mes camarades de terminale en empestant le porc et la choucroute, ou l'énorme platée prolétaire et gargantuesque qu'il dévorait chaque matin. Un jour il est revenu avec les sourcils et les cheveux roussis, et une main entièrement bandée. Il n'a rien mangé, mais il y avait une bouteille de whisky sur la table et il pleurait.Assise à côté de lui, ma mère lui caressait la tête et les bras. Un haut fourneau avait explosé, tuant deux de ses amis - je connaissais ces ouvriers que j'avais vus jouer aux fers à cheval le samedi, et qui venaient parfois à la maison avec leur femme pour jouer à l'euchre. J'étais alors allé dans la salle de bain pour me regarder dans la glace et tenter  de comprendre ce que j'aurais dû ressentir. Je détestais la toile cirée sur la table, le linoléum par terre, le calendrier de la compagnie charbonnière au mur, la visite rituelle que nous faisions chaque Noël à nos parents de Mullens, en Virginie-Occidentale, et qui étaient encore plus pauvres que nous. Je détestais les anecdotes de la Seconde Guerre mondiale que j'avais aimées lorsque j'étais plus jeune. Je crois qu'une partie de mon problème tenait au fait que nous habitions à la limite de la zone qui dépendait de mon lycée, et que je faisais partie d'une famille pauvre dans un collège pour riches, alors que j'aurais dû rester avec les gamins de l'usine. Le jour où un ami m'a invité à déjeuner chez lui, j'ai découvert avec stupéfaction que ses parents et lui mangeaient le poulet rôti avec un couteau et une fourchette! Bref, j'étais un petit morveux méprisable et pleurnicheur, ce qu'en un sens je suis peut-être resté.
                J'ai fini par appuyer sur ma sonnette pour avoir mon eau, mon Démérol et mon repas liquide. Le café n'a rien de passionnant quand on le boit à la paille. Le coucou a réintégré son horloge hermétique  pour regarder les informations pendant cinq heures d'affilée sur la chaîne d'info, mais mon portillon fermait mal désormais, et je suis resté étrangement conscient de la faim, de la soif et de la souffrance que je voyais sur l'écran. J'étais raide comme un passe-lacet, mais je percevais toujours cet univers de faim, de soif et de souffrance. Un bureaucrate facétieux à cravate en soie considère qu'au cours des dix prochaines années cent millions de Terriens vont mourir du Sida. J'ai alors pensé à ma fille Laurel et à toute sa génération qui tentait de vire en romantiques keatsiens à l'intérieur d'une pellicule plastique protectrice. J'ai vu de longs reportages sur les épouses brutalisées, les enfants battus, la famine à grande échelle, l'épidémie du suicide d'adolescents. Il y avait de fréquents flashes d'informations sur toutes les horreurs de la planète - pour la première fois dans l'histoire du monde nous avons simultanément accès à toutes les mauvaises nouvelles.
                Tout cela pour dire que je connaissais le début et la fin, mais qu'il s'agissait là, selon toute vraisemblance, du milieu de l'état brut. J'allais oublier la prolifération des armes nucléaires: un expert a déclaré que d'ici dix ans tout pays dont le budget égalera ou dépassera celui de l'Etat de l'Arkansas aura accès à l'arme nucléaire. Nel mezzo del camin de nostra vita, etc. Sans doute cité avec une erreur. Je brûle littéralement d'impatience à l'idée d'ouvrir  le second coffre de journaux de Northridge, car tout ce qui précède me pousse à croire qu'il s'agit du premier travail sérieux de mon existence.
                               A suivre. Je t'embrasse, Michael.
                P.S: Les infirmières sont agréables, mais obtuses. J'ai appris à leur transmettre des informations simples. L'infirmière Sally m'a demandé comment je m'étais blessé; je lui ai répondu par écrit:"J'ai laissé ma baguette diriger l'orchestre.", ce qui a nécessité de longues explications!"

Voilà, j'en ai fini. Je sais que c'est long, mais en y réfléchissant:
 - plus c'est long, plus c'est bon, selon l'expression consacrée; d'une part;
- et, tentez de couper un morceau, et vous verrez que cela perd de son sens, de sa saveur,etc; d'autre part.
C'est sans doute pour ça que j'envie les "Jim Harrison" et que je ne me lasse pas de les lire....
Comme j'aime à lire Julius Marx, ô mon maître.
Merci .

NON, Grand merci à toi Géraldine pour ce cadeau. De temps à autre il est salutaire de se rafraîchir un peu la mémoire.
Julius

vendredi 7 décembre 2012

Le Polar est Nostalgique ...


-Où pourrais-je vous voir, tout à l'heure?
Un éclair passa dans les yeux de la femme.
-Je ne vous donnerai aucun renseignement...
-Dommage... Vous me croyez quand je vous dis que je vous offrirai une possibilité de le laisser tomber?
C'est pourtant vrai. Il ne pourra jamais vous rattraper.
-Je suis bien comme je suis.
Sur la piste, trois jeunes femmes, deux blanches et une mulâtresse, apparurent dans un rond de lumière et commencèrent à exécuter une danse ondulante. Pour tout vêtement, elles portaient une ceinture de coquillages vernis. Silien leur jeta un coup d'oeil distrait. Les lumières faiblirent et le tam-tam s'accéléra.
-Dommage...répéta Silien en rallumant une cigarette.
La femme ne répondit pas. Silien regardait sa belle bouche aux coins tombants. Le changement d'éclairage accentuait son type, mais donnait à son visage un rayonnement étrange. Elle évitait maintenant les yeux de Silien et se forçait à suivre les évolutions des danseuses. Le truand avala son verre d'un trait et tira de sa poche deux billets de mille qu'il posa sur la table.
-Vous partez? demanda la femme.
-Evidemment, dit Silien doucement. Je voulais vous parlez de certaines choses, mais vous ne voulez pas m'écouter...
-Je suis déçue, je le reconnais. Un instant, j'ai presque cru que c'était pour moi que vous vous étiez dérangé..
Je suis bête, n'est-ce pas?
-Vous avez exigé que je sois franc. Je l'ai été. Mais, vous savez, ça fausse le sens, quand on exprime les choses trop nettement. Si j'ai été brutal, c'est que le temps nous manque.
Pierre Lesou 
Le doulos
(Série noire n° 357)

J'achète mes polars dans une boutique hors du temps. Un genre de lieu sanctuaire qui ravive la nostalgie des librairies d'avant, celles des labyrinthes  odorants où le client accro se faufilait entre les piles de bouquins ou grimpait sur l'escabeau branlant pour dénicher LA perle rare.
Celle dont je vous parle est jalousement  conservée par deux hommes en blouses blanches. Le plus vieux (le patron) est assis sur une chaise pliante et écoute son petit transistor ( un brocanteur lui en donnerait à coup sûr un bon paquet.) L'employé se tient debout  derrière la caisse et tente d'empiler les livres de poche, les revues  ou les ouvrages classiques tout en sachant  qu'il lutte contre un ennemi beaucoup plus fort que lui.
Chez eux, l'ordre ne règne pas, autant le dire tout de suite.
En retirant  mon  Doulos de la pile, j'ai provoqué un vrai cataclysme littéraire en me  ramassant  les douze tomes des Rois Maudits sur le pied.
Le Doulos, c'est les années 50 .C'est aussi et surtout une histoire d'hommes. A cette époque le polar veut  surtout montrer, avec la plus grande précision, le monde des truands. Même si l'on échappe pas à une certaine idéalisation , il faut avouer que le Doulos atteint bien son but.  On y parle d'amitié, ou plutôt de fraternité et puis d'honneur, au sein de ce qu'on appelait alors le  milieu.
On pense aussi, bien entendu, au film de Melville et à ses personnages. Si Belmondo  et sa gueule d'ange de l'époque donne l'impression de jouer dans un vrai film policier, Reggiani  est Noir, très noir même.
Sur son visage, tour à tour, se lisent la vengeance, la rancoeur et puis la soumission. C'est le visage d'un homme qui joue sa dernière carte en pensant en son for intérieur que les dés sont pipés, que ce monde de collabos ou autres corrompus n' est décidément plus fait pour lui.
Ah, j'allais oublier... sur la première page du bouquin j'ai inscris mes initiales. Ca aussi c'est une coutume d'un autre temps.
A quoi bon?
Julius Marx



jeudi 6 décembre 2012

lundi 3 décembre 2012

Sang d'encre




Ce jour-là,
il y avait ce rendez-vous important.
Je nettoyai les seiches 
lorsqu'elle a surgi derrière moi.
Tout de suite et immédiatement,
il fallait que j'explique.
Pourquoi,
dans cette pièce,
qui était subitement devenue SA cuisine,
pourquoi ce deuil
ces flaques de sang noir ?
J'ai dit  "ne te fais pas un sang d'encre"
en cachant mes mains de tueur.
Mon sens de l'humour,
ma honte et mon sourire,
n'ont pas suffit à calmer son indicible angoisse.
Elle m'a comparé à Anders Breivik, je crois
en tapant du pied sur le carrelage de SA cuisine.
Elle demanda si elle n'était pas devenu folle
comment avais- je pu oublier ce rendez-vous important?
Si important !
OK !
Tu resteras toute ta vie au chômage
avec ta télé , tes allocations 
et ces horribles bestioles dégoulinantes.
Pas de problème ! j'ai fait.
Je dis toujours "pas de problème"
et pourquoi pas?
Le rendez-vous important
il peut aller se faite foutre.
Lorsque le couteau a de nouveau crevé la poche 
nous nous sommes noyés dans cette putain d'encre.

Julius Marx


dimanche 2 décembre 2012

Fin de partie


Je crois bien que c'est le grand Shakespeare
qui a comparé le monde à un immense théâtre,
une suite de drames en sept âges.
Moi, le monde, je le vois comme un échiquier géant
les noirs, les blancs,
avec chacun leurs Rois, leurs Reines.
Dans mon jeu, les pions rêvent de chiper la place des rois,
de se taper les reines.
Moi?
Oh! Non, surtout pas Cavalier,
j'ai jamais pu supporter les bourrins.
Encore moins la Tour 
avec ma bougeotte chronique....
Alors?
Le Fou ? Et pourquoi pas?
Celui qui croit que tout est encore possible,
réconcilier les Noirs et les Blancs,
éjecter les souverains de l'échiquier,
qu'ils en auront froid jusqu'au bout de leurs favoris.
Pauvres créatures du miroir,
ahuries et si malheureuses
 trop abasourdies pour crier.
Absurde?
Oui, comme ce monde.
Julius Marx






Le tableau est de Man Ray (Boardwalk)
http://francoisquinqua.skynetblogs.be/

Les deux joueurs d'échecs sont Man Ray et Marcel Duchamp.
http://erwandekeramoal.canalblog.com