dimanche 20 octobre 2013

Nostalgie




-Ca va pas? .. Tu devrais prendre de la Dramamine. 
-Qu'est-ce que c'est?
-Un truc pour le mal de l'air.
-C'est pas pour moi. Moi, ce que j'ai, c'est le mal de terre.

vendredi 18 octobre 2013

De l'influence de la sandalette....

De l'influence de la sandalette sur le comportement des cambrioleurs.


Sous nos contrées les questions d'insécurité sont également au premier plan des préoccupations des habitants.
Ainsi, au petit matin, devant les maisons de notre paisible village, il n'est pas rare d'entendre les conversations, après les traditionnels échanges sur la santé et les conditions météorologiques, s'orienter vers la rubrique des faits divers.
Ce matin, mon propriétaire, une sandalette à la main, discute avec notre voisin. Il se sert de la sandalette pour désigner le balcon le plus proche de sa grande et belle volière. J'apprends que c'est depuis ce balcon justement que le voleur s'est introduit la nuit précédente dans le jardin pour dérober un faisan mâle. Le propriétaire nous montre les plumes sur le sol  en soupirant. Puis, il reconstitue pas à pas le parcours de l'intrus (on se croirait dans les premières minutes d'un épisode d'une série judiciaire).
Le voleur, surpris par l'intrusion du voisin sur le balcon, s'est carapaté à toute vitesse, ne laissant pour seul indice sur le sol, près de la volière, qu'une sandalette.
A en juger par la taille de la sandalette  (au moins du 45) le voleur devait être un solide gaillard.
Ma première question (question typique d'européen) est:  pourquoi voler un faisan ; pour le manger?
-Pas du tout! répond mon propriétaire. C'est uniquement pour le revendre. Un bon mâle reproducteur coûte en ce moment sur le marché du volatile de luxe, entre trois et quatre cent dinars (200 euros).
Puis, mon propriétaire, la sandalette toujours à la main, me conduit chez un de ses cousins, victime lui aussi la nuit précédente, d'une tentative d'effraction. L'homme nous montre la fenêtre fracturée de sa salle de bains, dénigrant au passage : le nouveau gouvernement, la jeunesse tunisienne dans son ensemble et celle encore plus vicieuse et corrompue des pays limitrophes.
Je m'aperçois qu'il tient lui aussi une sandalette (d'une taille plus raisonnable) à la main.
-C'est tout ce qu'il m'a laissé ! annonce l'homme en brandissant la sandalette au-dessus de sa tête comme une arme.
J'abandonne les deux parents, très occupés à comparer leur deux sandalettes usées et rafistolées.
Sur le chemin du retour, l'autre question qui me vient à l'esprit (encore une question d'européen) est : mais que fait la police?
Que voulez-vous qu'elle fasse ? Ici, tout le monde porte des sandalettes.
Julius Marx

jeudi 17 octobre 2013

Une petite joie esseulée

Pendant le long week-end de l'Aïd, après le bain dans une mer de couleur jade, il est encore possible de vivre un instant de liberté. Oh! pas grand-chose, juste en partageant un repas à l'ombre d'un olivier qui, dit-on, a été planté pendant la période punique.






 Et puis, voyez comme les choses sont bien faites, le soir, dans ma chambre , je lis ce texte :
"A la façon des abeilles quêteuses et rassembleuses de miel, nous tirons de toutes choses ce qu'elles ont de plus doux et nous l'en bâtissons. Et même, nous commençons par l'insignifiant, ce qui est de nulle apparence (pourvu seulement qu'il procède de l'amour).
Par le travail tour à tour et le repos, avec un silence ou une petite joie esseulée, avec tout ce que nous faisons seuls, sans associés, sans aides, nous commençons celui qu'il ne nous sera pas donné de voir dans notre vie, pas plus que nos ancêtres n'ont pu nous voir durant la leur.
Et pourtant ils sont en nous, ces antiques disparus, ils y sont assise profonde, et poids sur notre destin, sang qui murmure, traits et gestes venus du fond des temps."
Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète.

jeudi 10 octobre 2013

Pour ceux de Lampedusa (suite et fin)





Deux d'entre eux décidèrent d'aller en reconnaissance. Ils marchèrent en direction de la lumière que la ville la plus proche réverbérait sur le ciel. Ils trouvèrent presque tout de suite la route, "asphaltée, bien tenue : ici c'est différent de chez nous, il n'y a pas à dire"; mais, en vérité, ils s'attendaient à ce qu'elle soit plus large, plus droite aussi. Ils s'en tinrent à l'écart pour éviter les rencontres fâcheuses et la longèrent en marchant entre les arbres.
Une automobile passa: " On dirait une Fiat six cent"; puis une autre qui avait tout l'air d'une Fiat onze cents, et une autre encore."Nos voitures, c'est pour leur amusement qu'ils les ont, c'est un caprice : ils les achètent pour leurs gosses, comme chez nous les bicyclettes ." Enfin passèrent dans un bruit assourdissant deux motos, l'une derrière l'autre. C'était la police, il n'y avait pas à s'y tromper : heureusement qu'ils marchaient en dehors de la route.
Finalement, un panneau de signalisation. Ils regardèrent à droite et à gauche avant de s'engager sur la route  et s'approchèrent pour lire : Santa Croce Camarina-Scoglitti.
-Santa Croce Camarina, c'est un nom qui me dit quelque chose.
-A moi aussi. Et même Scoglitti est un nom qui ne m'est pas inconnu.
-C'est peut-être qu'un de nos parents y habitait, peut-être mon oncle avant de s'installer à Philadelphie; je me rappelle qu'il habitait une autre ville avant d'aller habiter Philadelphie.
-Mon frère aussi : il se trouvait dans un autre endroit avant d'aller à Brucchilin...mais comment ça s'appelait-il, je ne me rappelle absolument pas; et puis nous, nous lisons Santa Croce Camarina, nous lisons Scoglitti, mais nous ne savons pas comment eux le lisent, l'américain ne se lit pas comme c'est écrit.
-Eh oui, ce qu'il y a de bien avec l'italien, c'est qu'on le lit comme c'est écrit...mais nous ne pouvons pas passer la nuit ici, courage...La première voiture qui passe, je l'arrête.Je demanderai seulement au conducteur "Trenton?" Ici les gens sont plus habitués à tout : " même si nous ne comprenons pas ce qu'il dira, il aura bien un geste, un signe et nous comprendrons au moins dans quelle direction se trouve cette maudite Trenton.
Du virage, à vingt mètres, surgit une Fiat cinq cents. L'automobiliste vit les deux hommes s'agiter devant ses phares, les mains levées pour l'arrêter. Il freina en jurant. Il ne pensa pas à des bandits, car la zone était des plus calmes; il crut qu'il demandait un passage et ouvrit la portière.
-Trenton? demanda un des deux.
-Quoi? fit l'automobiliste.
-Trenton?
-Trenton de nom de Dieu, jura l'homme à la voiture.
Il parle italien , se dirent nos deux hommes, en se consultant du regard pour décider s'il ne convenait pas de révéler leur condition à un compatriote.
L'automobiliste fit claquer sa portière, remit en marche. La voiture bondit et seulement alors il cria aux deux hommes qui restaient là, sur la route, comme deux statues:
-Poivrots, salauds d'ivrognes,fils de... Le reste se perdit au loin.
Le silence tomba.
-Je me rappelle maintenant, dit au bout d'un moment celui pour qui le nom de Santa Croce n'était pas nouveau, que mon père, une année que la moisson s'annonçait mauvaise dans notre coin, alla moissonner à Santa Croce Camarina.
Ils se jetèrent assommés sur le bord du fossé: il n'y avait pas urgence à porter aux autres la nouvelle qu'ils avaient débarqués en Sicile.






FIN
(Les photos sont celles du village de Santa Croce Camerina , aujourd'hui plus connu pour être un des lieux de tournage de la série des commissaire Montalbano.)

mercredi 9 octobre 2013

Pour ceux de Lampedusa (2)



Le voyage dura moins longtemps que prévu: onze nuits, celle du départ comprise. Car ils les comptaient plutôt que les jours, parce que les nuits étaient suffocantes, dans une atroce promiscuité. Ils se sentaient plongés dans l'odeur de poisson, de naphte et de vomi, comme dans un liquide chaud de noir bitume. Ils en dégoulinaient littéralement quand à l'aube, épuisés, ils remontaient s'abreuver de lumière et de vent. Mais, comme pour eux l'idée de mer se confondait avec la surface verdoyante des moissons quand le vent les agite, la mer véritable les terrifiait  et s'ils s'aventuraient à la regarder un peu longuement, cette vue leur tordait tripes et boyaux, et leur yeux s'emplissaient douloureusement d'un fourmillement de lumière.
Mais la onzième nuit, M.Melfa les appela sur le pont : ils crurent tout d'abord que des constellations entières étaient descendues sur la mer en troupeaux serrés; mais non, c'étaient des villes, les villes de la riche Amérique qui brillaient dans la nuit, comme des joyaux. La nuit elle-même était un enchantement : douce et sereine, une demi-lune passant derrière toute une faune transparente de nuages, une brise qui libérait les poumons.
-Voici l'Amérique , dit M. Melfa .
-C'est sûr que ce n'est pas un autre endroit? demanda un des hommes, car pendant tout le voyage il avait ruminé cette pensée que sur la mer il n'y a ni rue, ni routes, ni même de sentiers et que seul un dieu pouvait suivre la voie juste sans s'égarer et conduire un navire entre le ciel et l'eau.
M. Melfa le regarda avec pitié et s'adressant aux autres :
-En avez-vous déjà vu chez vous, un horizon comme celui-ci? Vous ne le sentez donc pas, que l'air est différent? Vous ne voyez pas comme elles resplendissent, ces villes?
Tous en convinrent et à leur tour ils regardèrent avec pitié et agacement leur compagnon qui avait osé poser une question aussi stupide.
-Terminons nos comptes, dit M. Melfa.
Ils farfouillèrent sous leurs chemises et en retirèrent l'argent.
-Préparez vos affaires, dit M. Melfa, après avoir encaissé.
Il ne leur fallut que quelques minutes; ayant consommé presque toutes les provisions qu'ils avaient dû emporter selon les termes de la convention conclue avec M. Melfa, il ne leur restait qu'un peu de linge et les cadeaux pour les parents d'Amérique : un fromage de chèvre, une bouteille de vin vieux, un napperon brodé pour un milieu de table ou un dossier de fauteuil. Ils montèrent dans la barque légers, légers, en riant et chantonnant; et même l'un d'eux, à peine la barque se mit en mouvement, commença à chanter à tue-tête.
-Vous n'avez donc rien compris? dit rageusement M. Melfa. Vous voulez donc m'attirer les pires ennuis? Quand je vous aurai débarqués, libre à vous de vous jeter sur le premierr flic que vous rencontrerez et de vous faire rapatrier par le premier bateau; moi, je m'en contrefous, chacun est libre de se détruire comme il veut... Et puis moi, j'ai tenu mes engagements: là, c'est l'Amérique, j'ai rempli mon devoir de vous y déposer... Mais vous, sang du Christ, donnez moi le temps de retourner à bord.
Ils lui donnèrent plus de temps qu'il n'en fallait, car ils restèrent assis sur le sable frais, indécis, sans savoir que faire, bénissant et maudissant la nuit, protectrice tant qu'ils resteraient immobiles sur la plage, mais qui deviendrait un terrible piège s'ils osaient s'éloigner.
M. Melfa avait recommandé : "Eparpillez-vous". Mais personne  n'avait envie de se séparer des autres. Et qui sait à quelle distance se trouvait Trenton, qui sait combien de temps il fallait pour y arriver...
Ils entendirent dans le lointain un chant, irréel.
"On dirait un charretier de chez nous", pensèrent-ils; et aussi que le monde est partout pareil, que partout l'homme exprime dans le chant la même mélancolie, la même peine. Mais ils étaient en Amérique, les villes qui brillaient derrière l'horizon de sable et d'arbres étaient des villes d'Amérique.
(A suivre)

mardi 8 octobre 2013

Pour ceux de Lampedusa (1)

Pour les enfants, les femmes et les hommes de Lampedusa, je recopie ici entièrement la nouvelle de Leonardo Sciascia intitulée 
Le long voyage. Inutile pour moi de tenter de démontrer quoi que ce soit. Il n'est pas question non plus de donner des leçons.
Le texte qui suit se suffit à lui-même.




C'était une nuit qui semblait faite sur mesure : une obscurité à couper au couteau dont on sentait l'épaisseur au moindre mouvement. Et le bruit de la mer, ce souffle de bête féroce du monde, les remplissait de crainte : un souffle qui venait s'éteindre à leurs pieds.
Ils étaient là, avec leurs valises de carton et leurs baluchons, sur un bout de plage caillouteuse à l'abri des collines, entre Gela et Licata : ils y étaient arrivés à la brune, ayant quitté à l'aube leurs villages de l'intérieur,loin de la mer, figés dans la plaie aride des fiefs. Ils étaient quelques-uns à voir la mer pour la première fois et ils étaient dans un grand désarroi à la pensée de devoir la traverser toute entière, depuis cette déserte plage de Sicile qu'ils quitteraient de nuit, jusqu'à une autre plage déserte d'Amérique, où ils arriveraient également de nuit. Car les accords étaient les suivants:" Je vous embarque de nuit", avait dit l'homme ( un genre de commis voyageur pour le bagout, mais au visage sérieux et honnête) "et je vous débarque de nuit. Sur la plage de Nugioirsi (1)je vous débarque, à deux pas de Nuovaiorche...(1) Ceux qui ont des parents en Amérique peuvent leur écrire d'attendre à la gare de Trenton douze jours après l'embarquement.. Faites vous-même le compte... Bien sûr,je ne peux pas vous donner la date à un jour près: il peut y avoir du gros temps, ça arrive; on peut aussi avoir à échapper à une patrouille de surveillance des garde-côtes...Un jour de plus ou de moins, ça ne vous fera ni chaud ni froid; l'important, c'est de débarquer en Amérique."
L'important était en effet de débarquer en Amérique. Quand et comment n'avait pas vraiment d'importance. Si leurs lettres parvenaient à leurs parents, malgré ces adresses confuses et couvertes de pâtés qu'ils réussissaient à tracer sur les enveloppes, ils parviendraient bien à y arriver eux aussi, en Amérique. Qui a une langue pour parler, peut passer la mer, disait justement le proverbe.
Ils passeraient donc la mer,cette grande mer sombre; et ils aborderaient aux stori(2) et aux farme(3) de l'Amérique; à l'affection de leurs frères, oncles , neveux, cousins;aux riches, chaudes, vastes maisons, aux automobiles grandes comme ces maisons.
Deux cent cinquante mille lires : moitié au départ, moitié à l'arrivée. Ils les gardaient, comme des scapulaires, entre  peau et chemise. Pour les réunir, ils avaient vendu tout ce qu'ils avaient à vendre: la maison de torchis. Le mulet, l'âne, les provisions de l'année , la commode, les couvertures. Les plus malins avaient eu recours aux usuriers, avec la secrète intention de les rouler; au moins une fois depuis tant d'années qu'ils en subissaient les exactions: et ils avaient éprouvé un immense plaisir à la pensée de la tête que feraient ces requins en apprenant la nouvelle. "Viens me chercher en Amérique, sangsue: je te les rendrai peut-être, tes sous, mais sans intérêts." Le rêve d'Amérique débordait de dollars : non plus d'argent bien conservé dans les portefeuilles ou dissimulé entre peau et chemise, mais en vrac dans les poches des pantalons et pris dans ces poches à poignées : avec insouciance, comme ils avaient vu le faire à leurs parents, partis miséreux, maigres et brûlés de soleil ; et revenus après vingt ou trente ans, mais pour de brèves vacances, le visage plein et rose, contrastant magnifiquement avec leurs cheveux d'un blanc immaculé.
Il était  déjà onze heures. L'un des hommes alluma sa lampe électrique : signal afin d'avertir qu'on pouvait venir les chercher pour les faire embarquer. Lorsque l'homme éteignit sa lampe , l'obscurité parut plus épaisse, plus effrayante. Mais quelques minutes plus tard, du souffle obsessionnel de la mer émergea un bruit d'eau  plus humain, familier, comme celui de seaux remplis et vidés en cadence.
Puis on entendit un bruit confus, un bruit de voix étouffées. Et M. Melfa (c'est sous ce nom qu'ils connaissaient l'organisateur de leur aventure) se trouva devant eux, avant même qu'ils eussent compris que la barque avait touché terre.
-Tout le monde est là? demanda M. Melfa . Il alluma sa lampe,fit le compte. Il en maquait deux.
-Peut-être qu'ils ont changé d'avis, ou ils arriveront plus tard... En tout cas, tant pis pour eux. Nous n'allons pas nous mettre à les attendre avec le risque que nous courons.
Tous dirent qu'il n'était pas question de les attendre.
-S'il y en a un parmi vous qui n'a pas l'argent sur lui, avertit M. Melfa, il vaut mieux qu'il reprenne tout de suite la route et qu'il retourne chez lui. S'il pense me faire la surprise une fois à bord , il se trompe plus qu'il n'est permis, car dans ce cas, je vous ramènerai à terre, aussi vrai que Dieu existe, tout autant que vous êtes. Et comme il n'est pas juste que tous payent pour la faute d'un seul, celui-là recevra, de moi et de ses camarades, une dérouillée dont il se souviendra toute sa vie; si ça lui va...
Ils assurèrent tous et jurèrent que l'argent était là, jusqu'au dernier sou.
-Allez, tous dans la barque, dit M. Melfa . Et en un instant chacun des voyageurs se transforma en une grappe informe, une masse indistincte de bagages.
-Jésus, Marie ! Vous avez emporté toute votre maison maison sur le dos !
Il commença à débiter un chapelet de jurons et ne s'arrêta que lorsque toute la cargaison, hommes et bagages, fut entassée dans la barque: au risque qu'un homme ou quelque paquet tombât à la mer. Et la différence pour M. Melfa entre un homme et un paquet résidait justement dans le fait que l'homme portait  sur lui les deux cent cinquante mille lires; sur lui, cousues dans sa veste ou entre sa peau et sa chemise. Il les connaissait, lui, il les connaissait bien, ces paysans méfiants, ces culs-terreux.
(A suivre)
Leonardo Sciascia
Le long Voyage (in La mer couleur de vin)
Gallimard (L'Imaginaire)
Traduction Jacques de Pressac.
(1) New-Jersey et New-York
(2) Stores : magasins
(3) Farms : fermes

dimanche 6 octobre 2013

Nostalgie




Oui, c'est ça ! T'en sais beaucoup sur certains mecs et pas assez sur d'autres.