"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
mercredi 24 septembre 2014
Météo
J'étais étonnement beau. D'une beauté étrange et tellement parfaite qu'à San Francisco, par jour de tempête, on me prenait souvent pour le beau temps.
Mark Twain
mardi 23 septembre 2014
Pêcheur
Il demande une cigarette,
rien qu’une petite cigarette.
Non, son collègue
ne fume pas.
Parler ?
et de quoi ?
De toutes
ces baraques en ruines,
qui dégringolent
sur la plage,
ou de celui-là,
plus loin,
qui
transporte des branches mortes sur sa tête.
Raconter,
peut-être, les caprices du despote Océan,
la brutalité du vent,
la fourberie des
nuages,
A quoi bon ?
Avec ses yeux de poisson.
Il demande
une cigarette,
rien qu’une petite cigarette,
son collègue
ne fume pas.
Julius
Marx
lundi 22 septembre 2014
Aube
On frappe, c’est
l’heure !
J’ouvre les
paupières.
Dans notre
chambre d’amis, une seule chaise
avec toutes nos affaires entassées dessus.
Cette nuit,
vaincu, j’ai laissé les moustiques libres de travailler en paix
et la sueur couler lentement sur ma
pomme d’Adam.
Il me reste encore quelques minutes pour réfléchir.
Devant la
fenêtre,
en fixant les herbes folles qui ont colonisé le
jardin,
je me demande ce qui me sépare encore de Raymond Carver
j’opte pour les adjectifs avant de sortir de la chambre.
Tout est
calme dans la maison.
Sous la table de la salle à manger,des fourmis s’occupent
d’un minuscule lézard
écrasé sous le pied d'une chaise.
Dans la
cuisine, la bonne dort, la tête sur le billot,
les bras ballants.
Impossible d’ouvrir
la porte sans qu’elle se mette à grincer
comme une vieille tante acariâtre.
Dehors, je tombe nez à nez avec un chien noir aux yeux couleur d’ardoise.
C’est bien la première fois qu’il m’arrive de croiser un animal
avec deux
rangées de pis sur le ventre et une
quéquette.
Il veut
entrer dans la cuisine, histoire de vérifier si la pitance de ses maîtres
à la
même saveur que la sienne,
je laisse la créature faire ses propres expériences.
Sur le
chemin, les marcheurs se tiennent déjà en ordre serré,
silencieux, nous traversons
la brume pour atteindre l’océan
et son grondement de fauve.
Dans le
cimetière du vieux quartier France, les langues se délient.
Entre les tombes et
les murets écroulés,
chacun déballe son curriculum-vitae.
Quelques photos
antiques ou des bouquets desséchés
émergent encore entre les écharpes de brume.
Quelqu’un me
demande si je veux bien prendre une photo du mouton qui s’est endormi sur cette tombe, là, sur ma droite.
Le soleil décide qu’il va sortir un peu de sa planque.
Au même instant, les chants de l’église
évangélique font fuir de minuscules oiseaux gris et blanc
Quels peuvent bien être les pêchés de ces
hommes et de ces femmes ?
L’océan
gronde toujours.
Julius Marx
mardi 16 septembre 2014
Le Blanc
Le blanc ne marche pas seul,
n'a pas le temps de flâner ni de se promener.
Le blanc est fier de sa belle voiture
dont il n'ouvre, ni ne referme, jamais les portes.
Le blanc ne va pas chercher ses enfants à la sortie de l'école,
une nounou est là pour les prendre dans ses bras.
Le blanc porte un pantalon, une chemise impeccablement repassée,
des chaussures toujours cirée.
Le blanc donne du travail, commande, organise,
distribue récompenses et punitions,
il est celui que l'on appelle toujours " patron".
Le blanc parle souvent du passé,
en levant les yeux au ciel, il évoque le bon temps,
d'avant, d'un autre président,
d'une autre vie.
Le blanc sait, il a apprit toutes ces choses
dont on ne connait même pas le nom.
Le blanc est juste et bon
devant lui, il faut sourire.
Décidément,
je ne suis pas un bon blanc.
Julius Marx
Abidjan 16.09.2014
mardi 9 septembre 2014
Dans mes cartons (3)
La maison de
Suddhoo, tout près de la porte de Taksali, a un étage, avec quatre fenêtres en
vieux bois brun sculpté, et un toit plat. Vous pouvez la reconnaître à cinq
annonces rouges imprimées à la main et disposées comme le cinq de carreau sur
le badigeon, entre les fenêtres du haut.
Bhagwan-Dass
l’épicier et un homme qui, dit-il, gagne sa vie à graver des cachets, habitent
au rez-de-chaussée, avec leur bande d’épouses, de domestiques, d’amis et de
familiers. Les deux chambres du haut étaient ordinairement occupées par Janoo
et Azizun, ainsi que par un petit terrier noir et tan, qui avait été volé à un
Anglais et donné à Janoo par un soldat. Aujourd’hui il ne reste plus que Janoo
dans les chambres d’en haut. Suddhoo couche généralement sur le toit, à moins qu’il ne dorme dans la
rue, mais, dans la saison froide, il va d’habitude à Peshawar rendre visite à
son fils qui vend des curiosités près de la porte d’Edwardes ; et alors il
dort sous un vrai toit de terre.
Suddhoo est
mon grand ami, parce que son cousin a un fils qui, grâce à ma recommandation, a
obtenu un emploi de messager en chef dans une grosse maison de la localité.
Suddhoo dit que Dieu fera de moi un de
ces jours, un lieutenant-gouverneur, et j’ose croire que sa prédiction se réalisera.
Il est très,
très vieux ; il a les cheveux blancs ; si peu de dents que ce n’est
pas la peine d’en parler. Il a survécu à son intelligence ; il a survécu
en somme à toutes ces choses, excepté à son affection pour son fils de
Peshawar.
Janoo et
Azizun sont des Kashmiriennes, honnêtes dames de la cité. Leur profession était
fort ancienne, et plus ou moins honorable ; mais Azizun a depuis épousé un
étudiant en médecine du Nord-Ouest. Elle s’est rangée et mène aujourd’hui une
vie des plus convenables, quelques part aux environs de Bareilly.
Bhagwan-Dass
est un usurier et un faussaire. Quant à l’homme qui prétend gagner sa vie à
graver des cachets, il se donne pour très pauvre. Maintenant vous en savez autant
qu’il est nécessaire sur les quatre principaux habitants de la maison de
Suddhoo. Naturellement il y a encore moi, mais je ne joue que le rôle du chœur qui
vient au dernier moment donner l’explication
des événements. De sorte que je ne compte pas.
Suddhoo n’était
pas malin.
L’homme qui
se donnait pour un graveur de cachets était le plus malin de tous ces gens-là -excepté
Janoo. Quant à Bhagwan-Dass, il ne savait que mentir.
Janoo avait
en outre la beauté, mais cela c’était son affaire.
Le fils que
Suddhoo avait à Peshawar fut atteint de pleurésie, et le vieux Suddhoo conçut de
l’inquiétude.
Le graveur
de cachets apprit l’anxiété de Suddhoo, et se résolut de la monnayer. Il était
en avance sur son temps. Il s’arrangea
avec un compère de Peshawar pour
se faire télégraphier jour par jour l’état de santé du fils.
Et c’est ici
que l’histoire commence....
Rudyard Kipling
(Dans la maison de Suddhoo)
Simples contes des collines
Traduction Albert Savine
1934
jeudi 4 septembre 2014
Dans mes cartons (2)
Quand j’y
repense, je comprends que le déjeuner pris au Plaza avec Scott et Zelda, à
l’automne de 1922, marque le début d’une époque. Ce devait être en octobre car
l’air était vif. C’est en octobre que l’on voit New-York sous son meilleur
jour. Toutes les filles sont jolies dans leurs nouveaux ensembles de demi-saison. La présentation des
vitrines a quelque chose de nouveau. Le ciel est très bleu, les nuages très
blancs. Les fenêtres des buildings étincellent au soleil. Tout est rutilant.
…..
J’avais le
souffle court quand j’arrivai au Plaza. A l’intérieur, l’épaisse moquette était
moelleuse sous le pied. Dans la boutique du fleuriste, les fleurs ressemblaient
à des billets de dix dollars or….
….
Si mes
souvenirs sont fidèles, nous bûmes des Bronx, puis du champagne. Scott se
fournissait chez de bons bootleggers. Au menu, il y avait quelque chose
dans le genre de croquettes de langouste.
…
Et nous
partîmes voir Ring Lardner. J’étais impatient de le rencontrer. Scott et moi
étions tombés d’accord sur sa façon inimitable de manier l’américain courant.
Les Lardner habitaient à Long Island. On nous fit passer dans une grande salle
de séjour très sombre avec une cheminée de pierre. Un homme grand, blême, au
nez fortement busqué, se tenait d’un air lugubre auprès de l’âtre, yeux noirs
enfoncés, joues creuses ; il était fin saoul. Quand sa femme essaya de le
faire parler, il fixa sur nous un regard vide. C’était, à proprement parler, un
mort debout.
Nous bûmes à
la hâte un peu de son bourbon et
reprîmes le chemin de la ville. Jamais je ne me suis senti plus déprimé. Scott
répétait sans cesse que Ring était son ivrogne particulier ; tout le monde
devrait avoir son ivrogne particulier.
John Dos
Passos
Best Times
(La Belle Vie) 1966
(Extraits)Sur Ring Lardner, voir le post du 1 juin 2014
Sur Dos, Scott et Zelda cherchez...
lundi 1 septembre 2014
Dans mes cartons
Un déménagement, c'est bien souvent l'occasion de dénicher dans quelques cartons oubliés de bien beaux souvenirs. Celui-ci date de 1999. Le spectacle Avron big bang de Philippe Avron vient de s'achever et j'ai la chance d'échanger quelques mots avec l'auteur. C'était un soir où les idées voletaient si haut au-dessus de nos têtes que je regrette encore aujourd'hui de n'avoir pas été capable d'en attraper au vol un tout petit peu plus.
Je vous livre ci-dessous la dédicace du livre :
"En souvenir de ce soir.
Des idées comme ça qu'on voudrait éclairer pendant notre courte vie,
parce qu'enfin on est conscients, et on désire aimer...
Complicité.
Philippe Avron"
Et puis, pour finir, un court extrait du texte que je vous recommande vivement.
Le Prof
Vous avez vu ce programme ? (Bis)
C'est de la démence !!
Une éternité n'y suffirait pas !
Un élève
Il faut faire des impasses
Le Prof
Pas d'impasses ! (bis)
La sortie est par le haut.
Je ferais la course en tête.
J'équiperai la paroi.
Tête de silex
Va y avoir du déchet dans la vallée.
Le Prof
Pas de note !! Pas de note !
Je ne date pas de 1397
Je ne parle pas la langue de Gutenberg
Tête de silex
La balle de la pensée ne rebondit pas pour tout l'monde.
Le Prof
La balle de la pensée...la balle de la pensée...
Je ne suis pas le philosophe de la terre battue.
Ma surface est synthétique
la balle de ma pensée va très vite.
Je suis le premier philosophe électronique.
Ma philosophie est télescopique :
elle voit plus loin, plus haut, plus VRAI.
Elle a la vitesse de la lumière
Ils ne me le pardonnent pas en haut lieu !
Je ne pars pas, je reviens.
Je ne m'en vais pas : je pars.
C'est tout. Je referme le carton.
Julius Marx
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