mardi 31 mars 2015

Je me souviens (3)



Je me souviens de Robert Hirsch  dans le rôle de Bousin du Fil à la patte de Feydeau, dans l’émission Au Théâtre ce soir, à la télévision. J’ai demandé pourquoi les acteurs, à la fin de la représentation, avaient tous l’air si triste et réservés, alors qu’ils venaient de crier et de gambader dans tous les sens pendant deux heures. Quelqu'un m’a répondu que le théâtre était une chose sérieuse.

Je me souviens des petites motos Malaguti, avec ce bruit strident qui sortait des pots d’échappement et qui énervait  beaucoup les adultes.

Je me souviens de Guignol’s Band, le premier livre que j’ai vraiment lu et de ces cinquante premières pages hallucinantes.

Je me souviens que mon oncle ressemblait à Frank Sinatra et qu’il avait voyagé jusque en Amérique sur un porte-avion.

Je me souviens de la publicité « on a toujours besoin de petit-pois chez soi. »

Je me souviens de la première fois où j’ai vu Une Nuit à l’Opéra avec les Marx Brothers. Depuis, je l’ai vu plus de cinquante fois.


Je me souviens d’avoir découpé et collé sur des feuilles dans un classeur tous les articles de Jean-Patrick Manchette sur le cinéma dans Charlie-Hebdo.

Julius Marx

Pour les petits nouveaux de ce blog, les deux premiers " je me souviens" déjà publiés sont à la suite.

Je me souviens des coups de règle en fer sur les doigts.
(et d'un jour où le professeur a demandé à un nouveau "quel est le nom de cet imbécile au bout de la règle?" et que le nouveau a répondu " de quel côté, monsieur?")

Je me souviens des Malabars achetés chez le confiseur au coin de la rue.
(Et aussi que je ramassai les emballages vides dans la cour pour faire croire que j'en avais acheté plus que les autres)

Je me souviens de l'odeur enivrante des livres, à la rentrée scolaire.
(Et de mon voisin qui se moquait de moi parce que je suçais le petit bâton de colle)

Je me souviens des oignons et de la petite fleur de Sydney Bechet, des disques 45t gagnés chez Antar avec les pleins de Mobylette.
(Et du disque de Trini Lopez acheté avec l'argent donné par ma tante pour le cadeau de la fête des mères)

Je me souviens du petit carnet où j'écrivais les mots des grands que je ne comprenais pas.
(Et des signatures imitées et griffonnées sur les 45 tours,  des copains que je n'avais pas)

Je me souviens des vaccinations collectives.
(Et de l'infirmerie militaire avant le départ en Afrique où nous sommes restés plus d'une demi-heure avec la même aiguille dans le dos)

Je me souviens d'un film d'animation avec un ours, une petite fille et un marchand de sable, mais pas du titre du film.
(Et de Fernandel avec sa vache Marguerite, au Gaumont Palace, place Clichy.)

Je me souviens de la soupe au tapioca.
(Et de l'odeur insupportable des poireaux dans la cuisine de la pension)

Je me souviens de la télé en noir et blanc.
(Et du carré blanc)

Je me souviens de mon premier vélo de course de marque Gitane, offert par mon grand-père.
(Et du petit morceau de carton que l'on glissait dans les rayons pour imiter le bruit d'un moteur)

Je me souviens des flacons plats de pastis volés à TVS. Sale goût, pur.
(Et des paquets de P4, achetés à plusieurs et fumés en vitesse)

Je me souviens des scoubidous.
(Et de l'agate que je glissais au milieu. Et puis de la pièce de 5 francs que l'on perçait pour avoir le même collier que Vince Taylor)

Je me souviens d'avoir croisé Maurice Genevoix montant dans sa belle bagnole dans la grand' rue.
(Et Michel Simon, avec un chapeau et une grande cape noire, sur le trottoir de la rue St Denis.)

Je me souviens de son prénom : Isabelle.
(Marie-France)

Je me souviens de la baguette à 1 franc.
(Et du signe de la croix, tracé avec son Opinel par le directeur de la pension, sur la miche de pain.)

Je me souviens de séances de catéchisme chez une vieille dame, ponctuées  par un chocolat chaud et qu'elle récompensait par un film à la télé comme Poly ou l'Homme du Picardie.
(Et puis aussi  que tout le monde  s'était moqué de moi lorsque j'avais prononcé le H de eucharistie)

Je me souviens de mon premier voyage en train ; j'avais deux ans.
(Et de mon grand-père qui m'accompagnait à la pension par le train. Il pouvait calculer la vitesse du train avec sa montre. Je ne me rappelle plus comment.)

Je me souviens de l'arrivé de la télé.
(Et de la première publicité. C'était pour la marque Schneider , je crois.)

Je me souviens du cours d'histoire en CE2 qui commençait par : nos ancêtres les Gaulois.
(Et du cours de Français où j'avais prononcé excréments au lieu d'ingrédients.)

Les textes sans italiques sont de Georges  Pérec, bien évidemment.
Je me souviens enfin d'avoir trouvé un très gros volume de correspondance de Georges Pérec sur le stand d'une braderie et puis, d'avoir noté cette phrase :
"Aussi mauvais qu'il soit, un texte élargit l'horizon borné de l'opinion que l'on peut avoir de soi."


 Je me souviens (2)

Je me souviens des Chamonix orange et d’avoir été très étonné de ne pas en trouver en colonie de vacances en  Haute-Savoie.

Je me souviens du docteur Richard Kimble à la recherche du manchot meurtrier de sa femme et du dernier épisode de la série diffusé le soir du 31 décembre avant minuit.

Je me souviens de la Caravelle. On disait qu'elle était capable de planer de Paris à Marseille.

Je me souviens de l'émission La séquence du spectateur avec la voix de Catherine Langeais. Longtemps, je me suis demandé comment un spectateur sain de corps et d’esprit pouvait sortir son papier à lettres et écrire à la télévision pour  demander à voir l’extrait d’un film avec Josélito, l'enfant à la voix d'or.

Je me souviens des chemisettes en Tergal à manches courtes. Et des  cravates qui tenaient grâce à un élastique.

Je me souviens d'une bagarre en forêt à propos d'une cabane que l'on voulait baptiser "notre repère". Nous n'étions que deux à exiger que l'on change l'orthographe.

Je me souviens d'avoir fumé des lianes et des peaux de bananes séchées.


Je me souviens de la marque Griffon de la chasse d'eau des toilettes de notre maison et surtout du  merveilleux dessin de l'animal mythique.

Je me souviens des paquets de cigarettes Smart et d’autres, ramenées d’Espagne par mes parents, de toutes les couleurs.

Je me souviens du Benfica de Lisbonne et de son gardien de but Costa Fereira et de mon père qui a cassé un fauteuil en sautant de joie le soir d’une finale.

Je me souviens des "compositions" de fin de trimestre et d’une composition de « pâte à modeler ».

Je me souviens d'avoir appuyé sur le ventre des truites pour qu'elles atteignent la mesure de 20 cms. Puis, du feu de bois que l’on faisait sur la rive pour les manger illico.

Je me souviens d'avoir embarqué dans un DC6, de la fumée noire qui sortait des moteurs  et  de  tous les sièges qui tremblaient au moment du décollage.

Je me souviens  des hôtesses qui distribuaient des bonbons avant le décollage de l'avion.

Je me souviens d'avoir failli tomber de voiture sur le circuit des 24 heures du Mans, miraculeusement rattrapé par ma mère.

samedi 28 mars 2015

Au fond du trou (2)



Raimondo, le maître d’hôtel du Splendid, a vu  depuis un demi-siècle défiler l’Europe sur le Grand Canal ; dix romans dans la matière de ses récits, interrompus par le placement des arrivants, la distribution des menus, l’ordonnance des commandes.
Voici son plat du jour :
« Je suis au bout de mon  rouleau, Raimondo, me dit le duc de N… Lorsque tu m’auras fermé les yeux, tu descendras sur le Campo ; tu t’installeras près du puits ; tu attendras que passe une jolie femme ; je la veux très, très jolie… Tu l’aborderas civilement : « Madame, le Duc mon maître, vient de rendre son âme à Dieu… A deux pas d’ici…Son ultime souhait : qu’une très jolie dame vienne, en passant, lui faire un bout de prière…avant qu’on l’emmène à San Michele… »
« Monsieur, je n’eus pas longtemps à attendre. Passe une belle fille, dix-huit ans, les seins bien pommés, comme les aimait M. le Duc. Je l’aborde. Elle hésite.
« On ne doit pas contrarier les idées d’un mort, mademoiselle… Povero ! M. le Duc m’a dit : ‘Ma famille, mon frère, ma belle-sœur, je m’en fiche…Une inconnue fera mieux l’affaire’. »
Elle me suit. Nous montons. Le letto matrimoniale, les rideaux fermés, les lampes…La petite, avec sa larme au coin de l’œil … cela valait toutes les lamentations d’une famille… c’était Naguère, en face aujourd’hui. C’était il giorno vivente e la notte eterna.
« …Lorsqu’elle fut pour repartir, je lui présentai un écrin… « M. le Duc n’a vécu que pour les dames ; sa dernière pensée, mon maître a voulu que ce fût pour l’une d’elles. Je suis chargé de vous remettre ceci… »
Dans l’écrin, Monsieur, une émeraude digne du trésor de Saint-Marc, digne de la Pala d’Oro. »

Paul Morand

Venises / 1937

mercredi 25 mars 2015

Au fond du trou




 -Tu as l’air au fond du trou Adam.
-Ah bon ?
-Tu as l’air terriblement déprimé.
-Tu trouves.
-Même la façon dont tu dis tu trouves.
-Ah.
-Tu trouves, imite-t-elle.
-Je ne l’ai pas dit comme ça.
-Si.
-Tu me dis que j’ai l’air déprimé je dis, tu trouves ?
-Tu ne l’as pas dit avec ce ton.
-Je ne l’ai pas dit avec ce ton parce que je trouve ahurissant qu’on puisse dire à quelqu’un que l’on ne connaît pas, de cette manière abrupte, qu’il a l’air au fond du trou.
-Je te connais.
-Non Marie-Thérèse, tu ne me connais absolument pas.
-Je vois bien que tu vas mal. Je l’ai vu tout de suite, déjà au Jardin des Plantes.
De quel droit juge-t-elle de mon état, pense-t-il, de quel droit profère-t-elle une appréciation sur mon état, cette rate claudiquant sous la pluie avec ses sacs d’échantillons. De  quel droit peut-elle décréter que je vais mal, cette ombre qui traverse le temps avec une robustesse écoeurante. Je ne vais pas mal Marie-Thérèse, je vais au plus mal, je ressens un chagrin indescriptible  et je ne sais pas d’où pourrait venir la consolation, mais ça tu ne peux pas le savoir. Tu ne peux pas l’imaginer Marie-Thérèse parce que ton énergie te dénonce. Un être qui peut vivre dans ce trou sans être anéanti, qui peut ouvrir ses volets sur ce paysage vide sans pleurer amèrement, ne peut pas juger de mon état. Un être qui peut affronter la cuisine en longueur et l’alignement des robots ménagers sans se sentir mortellement abandonné, ne peut juger de mon état. Je n’ai aucune admiration pour ton énergie, elle me nuit. Je n’ai aucune admiration pour ta bonne humeur, elle me sidère et me révulse. Rien en toi ne me parle, et rien en moi ne peut te parler. Et ce n’est pas parce que la fatalité m’a mis ce jour dans ta Jeep Wrangler que tu peux prétendre à la moindre connivence et me dire, avec quel culot, que j’ai l’air au fond du trou, et avec quelle stupéfiante autorité que tu voyais bien que j’allais mal et que tu l’avais déjà vu au Jardin des Plantes. Tu ne peux rien comprendre à ma vie parce que toi Marie-Thérèse, tu étais damnée dès le départ. Tu as accepté cette damnation et tu vis avec. Tu t’es fondue dans la masse, tu as aplani les discordances entre le monde et toi, tu y as fait ton nid, tu dis business, tu dis look pour une machine à laver, tu dis je suis épanouie, une femme qui dit mon business avec cette croyance m’est étrangère à jamais. Tu fais partie de ces gens qui ne veulent rien d’impossible, et qui d’une manière ou d’une autre se sont soustraits à l’attente. Des sages de tous les jours si on veut. Des gens qui réussissent parce qu’ils sont vrais et authentiques dans un milieu ou n’importe quel esprit sensible s’étiole et se désagrège. Je ne peux pas croire que Dieu se soit rétracté pour laisser place à une humanité de ton espèce. Il n’y a aucune égalité entre toi et moi. Nous ne nous ressemblons en rien, je t’interdis de penser que nous puissions être égaux au point que je me laisse aller à la confidence. Tu ignores la défaite et le sentiment de déréliction. Tu ne sais pas ce qu’est la solitude. Tu te lèves seule et tu n’as pas d’enfants, tu es passée à côté du modèle universel, mais tu n’éprouves pas ma solitude. Si tu l’éprouvais, tu ne pourrais pas survivre deux minutes entre ta tanière de Viry et tes installations de corner dans les parcs d’attractions. Ma solitude à moi me colle, jamais je ne m’en défais. Que je sois entouré, que je sois avec Irène, avec les enfants, dans cette vie de famille qui me tue, où l’homme que s’avilir et brader ce qu’il est, que je sois en société ou seul avec moi-même, le sentiment de solitude ne m’abandonne pas. C’est lui qui règne sur ma vie. S’il avait régné sur la tienne Marie-Thérèse, tu flotterais au fond du lac, car tu ne pourrais endurer d’ouvrir tes volets  sur cette eau morte et ces cris de lointain. Dans la Jeep tu as dit à un moment donné nous n’avons pas cinquante ans, tu as dit nous comme si nous étions de la même fournée toi et moi, comme si notre absurde promotion du lycée  avait eu un sens. Marie-Thérèse, je me souviens à peine de toi au lycée, tu étais l’être invisible par excellence. J’ai fait semblant, par compassion, lorsque tu t’es approchée avec tes sacs d’échantillons et ton parapluie, de renouer un fil inexistant. Lorsque tu as dit nous dans la Wrangler, j’ai compris mon erreur, j’ai compris que tu ne considérais pas comme un immense honneur que je sois assis sur ce siège à tes côtés, et comme un immense honneur que j’aie pu accepter ton impensable invitation. J’intègre à présent que je n’étais pas seulement ton égal mais ton protégé. Je t’ai fendu le cœur, chauve et seul sur mon banc mouillé, et tu m’as embarqué dans ton 4X4 au même titre qu’une des bêtes du zoo si on pouvait les extraire de leur cage. On ne se méfie jamais assez des gens de ta catégorie, des gens soi-disant inoffensifs qui vous réduisent en une phrase. Des gens qui vous ramènent à vous de la pire manière, sans qu’on leur demande rien, sans qu’on leur ait accordé le privilège de la moindre familiarité et qui profitent de votre faiblesse pour vous démolir. Marie-Thérèse, j’ai conservé le rêve naïf de devenir un écrivain, c’est-à-dire un homme qui tente de se sauver de lui-même. Un homme qui pour conserver un peu d’élan vers l’avenir, s’efforce d’échanger sa propre existence contre celle des mots. Je ne veux pas entendre que je vais mal, ces termes sont abjectes d’insignifiance venant de toi Marie-Thérèse. Mes cheveux blanchissent, mes dents jaunissent et mes mains rapetissent. Je te défends de le remarquer. Je perds la vue. Je te défends de le remarquer. Même si je suis à l’agonie et mourant, je te défends de remarquer que je suis à l’agonie et mourant, tu n’as pas le droit de remarquer quoi que ce soit me concernant, tu ne peux rien comprendre à ce que je suis, tu as accepté de vivre en étant Marie-Thérèse Lyoc, tu as accepté de faire partie de la plèbe humaine, nous n’appartenons pas à la même caste, je te défends de remarquer mon effondrement.
Il se lève  brutalement et dit, Marie-Thérèse, je dois rentrer. Elle dit, déjà ?
Yasmina Reza

Adam Haberberg
Photo JL Borges Eduardo Comesa

samedi 14 mars 2015

Qui veut manger du morbier?



On faisait les courses pour le week-end au supermarché. A un moment, elle a dit, va faire la queue pour le fromage pendant que je m’occupe de l’épicerie. Quand je suis revenu, le caddie était à moitié rempli de céréales, de biscuits, de sachets alimentaires en poudre et autres crèmes de dessert, j’ai dit à quoi ça sert tout ça ?-Comment à quoi ça sert ? J’ai dit, à quoi ça rime tout ça ? Tu as des enfants Robert, ils aiment les Cruesli, ils aiment les Napolitains, les Kinder Bueno ils adorent, elle me présentait les paquets, j’ai dit, c’est absurde de les gaver de sucre et de gras, c’est absurde ce caddie, elle a dit, tu as acheté quels fromages ?-Un crottin de Chavignol et un morbier. Elle a crié, et pas de gruyère ?- J’ai oublié et je n’y retourne pas, il y a trop de monde.- Si tu ne dois acheter qu’un seul fromage, tu sais très bien que tu dois acheter du gruyère, qui mange du morbier à la maison ? Qui ? Moi, j’ai dit.- Depuis quand tu manges du morbier ? Qui veut manger du morbier ? J’ai dit, arrête Odile.- Qui aime cette merde de morbier ?! Sous-entendu «  à part ta mère », dernièrement ma mère avait trouvé un écrou dans un morbier, j’ai dit, tu hurles Odile. Elle a brutalisé le caddie et y a jeté trois tablettes groupées de Milka au lait. J’ai pris les tablettes et les ai remises dans le rayon. Elle les a remises encore plus vite dans le caddie. J’ai dit, je me tire. Elle a répondu, mais tire-toi, tire-toi, tu ne sais dire que je me tire, c’est ta seule réponse, dès que tu es à court d’arguments tu dis je me tire, il y a tout de suite cette menace grotesque. C’est vrai que je dis souvent je me tire, je reconnais que je le dis, mais je ne vois pas comment je pourrais ne pas le dire, quand c’est la seule envie qui me vient, quand je ne vois pas d’autre issue que la désertion immédiate, mais je reconnais aussi que je le profère sous forme, oui, d’ultimatum. Bon, tu as fini tes courses, je dis à Odile en poussant d’un coup sec le caddie vers l’avant, on a plus d’autres conneries à acheter ?-Mais comment tu me parles ? Je dis, avance. Avance !
Yasmina Reza

Robert Toscano in Heureux les heureux
(Flammarion)

mardi 10 mars 2015

Un touriste sur le Grand Nil (3)


-En fait, les hiéroglyphes ne sont que des vitraux d’église.
-Qu’est-ce que tu veux dire ?
-Ce ne sont que des représentations, des dessins, des images peintes ou gravées qui n’ont qu’une seule fonction : honorer les Dieux et leur représentant sur terre, le Pharaon.
-Oui, des dessins, comme tu dis, mais de plus de 4000 ans !
- Exact, et c’est bien la seule chose qui réunit tous ces gens pour la visite. Le fait qu’ils découvrent une peinture de 4000 ans. Ecoute-bien. Autour de nous, la question qui revient toujours est : « et ceux-là, tu crois qu’ils sont d’origine ? »
-Si je comprends bien, il n’y a que le temps qui joue en leur faveur, hein ? Et ces couleurs, ces scènes de la vie, si vivantes, si bouleversantes par leur naïveté  et leur fraîcheur…
-Fraîcheur ?
-Oui, pour certaines on jurerait  qu’elles n’ont qu’un jour ou deux.
-Comme un nombre incalculable de toiles du Christ dans les musées  de Toscane ou ailleurs.
-Et alors ?
-Alors, il n’y en a que quelques-unes qui apportent cette émotion incroyable. Celles de Piero Della Francesca ou du Caravage par exemple.
(Excusez-moi messieurs, mais il est strictement interdit aux guides de pénétrer à l’intérieur des galeries.)
-Nous ne sommes pas guides, chère madame. Nous ne sommes que des touristes.
(Ah, pardon. Je croyais, enfin… Bonne après-midi messieurs.)
-Allez, viens, rejoignons le groupe.
(Après un temps)
-Alors, d’après toi, les hiéroglyphes n’ont rien à voir avec l’art, c’est ça ?
-Oui, sauf peut-être le Dieu Bès. Il faut que je retourne le voir, tu viens ?



-Il paraît que ce mignon n'est pas complètement égyptien. D'après notre guide, c’est le Dieu de la fête , des musiciens et des enfants.
-Et aussi des prostituées !
-Curieux.
Julius Marx
ps: pas de photo de fresque car il est rigoureusement interdit de photographier à l'intérieur des galeries.Même si,  le surveillant nous propose de regarder ailleurs pour un billet de 10 dollars. 

jeudi 5 mars 2015

Un touriste sur le Grand Nil (2)



Le rythme est infernal.
Il faut visiter, toujours visiter.
Apprécier, s’extasier, se recueillir.
Mais surtout, expliquer.
Pourquoi ce symbole, ce signe, cette couleur ?
Donner un nom, une dynastie, une date.
Marcher.
Eviter les marchands du temple
les amateurs de photos "j'y étais"
 les japonais avec leurs drôles de chapeaux
et leurs femmes enveloppées dans leurs voilages,
fins nuages de sucre rose autour du bâton de la barbe à papa.
Midi
J’abdique.
Je ne veux plus faire partie du groupe
 revenir  rouge pivoine
comme la plupart des visiteurs.
L’homme de la sécurité ne comprend pas.
Inquiet, il me propose un thé.
Je refuse, mais accepte sa chaise.
Difficile de ne pas fixer
l’arme qu’il porte à la ceinture.
Après le bavardage habituel
(quel pays, quelle situation de famille)
Il veut m’emprunter  mon stylo.
Une chaise contre un stylo

Le prix de ma capitulation.


Les temples égyptiens m’embêtent profondément. Est-ce que ça va devenir comme les églises en Bretagne, comme les cascades dans les Pyrénées ? Ô la nécessité ! Faire ce qu’il faut faire ; être toujours, selon les circonstances (et quoique la répugnance du moment vous en détourne), comme un jeune homme, comme un voyageur, comme un artiste, comme un fils, comme un citoyen, etc., doit être.
(Flaubert-Voyage en Egypte- (1849-1850)

De retour
Le Nil, le bateau.
La contemplation





L’eau du Nil est toute jaune, elle roule beaucoup de terre, il me semble qu’elle est comme fatiguée de tous les pays qu’elle a traversés et de murmurer toujours la plainte monotone de je ne sais quelle lassitude de voyage. Si le Niger et le Nil ne sont qu’un même fleuve, d’où viennent ces flots ? Qu’ont-ils vu ? Ce fleuve-là, tout comme l’océan, laisse donc remonter la pensée jusqu’à des distances presque incalculables ; et puis ajouter par là-dessus l’éternelle rêverie de Cléopâtre, et comme un grand reflet de soleil, le soleil doré des Pharaons.
(Flaubert-Voyage en Egypte- (1849-1850)

Et puis, rêver
Enfin.
Julius Marx
(A suivre)

mardi 3 mars 2015

Un touriste sur le Grand Nil


Celui qui préfère qu’on l’appelle voyageur quitte son pays pour découvrir un autre monde, une autre vie. Le touriste, probablement pour que la réalité (toutes les réalités) soit à la hauteur de sa propre fiction. Pour le voyageur, la découverte doit être complète. Il ne s’intéresse pas aux seuls monuments ou curiosités de la nature mais aussi aux coutumes locales, à la nourriture, aux différents modes de vie des habitants du pays et à ses inévitables inégalités sociales. Inégalités qu’il ne cessera de dénoncer sans jamais se rendre compte qu’il contribue lui aussi à creuser encore un peu plus le fossé qui sépare les nantis des misérables.   Le touriste se déplace pour vérifier. Il doit absolument constater de visu que toutes les photos ou les films qu’il a subit ,depuis qu’il sait lire ou regarder un écran sur le pays choisi  sont bien nés d’une réalité et non d’un fantasme, d’une affabulation des différent médias. C’est en partie pour cette raison qu’il s’étonnera, par exemple, de ne pas découvrir les pyramides   de Gizeh en plein désert. Pour lui, tout n’est qu’histoire de cadre. Il devra donc produire de gros efforts d’ingéniosité pour photographier la grande pyramide de Khéops sans qu’aucune représentation du monde moderne ne vienne parasiter son image, ce qui  la rendrait réelle, vivante parmi les vivants. Pour que son cadre soit parfait il doit être imaginaire. Bien entendu, l’un et l’autre demeurent persuadés que leur propre manière de voyager est l’unique façon de découvrir les contrées éloignées. Pourtant, lorsqu’ils se retrouvent face à face, profitant des nombreuses périodes de hasard qu’offre le voyage, ils s’insurgent vivement contre cette véritable invasion que sont les touristes. Selon leur propres codes de valeurs, ces gens ne respectent rien, ni personne : c’est l’évidence même !
Le voyageur comme le touriste utilisent beaucoup l’expression « ce qu’il faut faire ». Il existe certainement pour chaque pays de la planète (les guides sont édités pour cela)  une liste ou sont répertoriés ; monuments, lieux particuliers voir insolites, spécialités locales (culinaires ou religieuses) etc… Alors, lorsque le voyageur et le touriste débarquent, c’est le début d’une  quête, d’un idéal.

De retour d’un périple (le mot n’est pas trop fort) sur le grand Nil je vais débuter moi aussi le récit de mon voyage dès que j’aurai réussi à mettre un peu d’ordre dans mes fichues notes.
Cette première vidéo, tournée à Karnak, est, à n'en pas douter, l'oeuvre d'un touriste. L'auteur va-t-il peu à peu se transformer en voyageur ou se complaire dans sa pénible condition? Vous le saurez dans les prochains épisodes.
Julius Marx