mardi 19 avril 2016

Une nuit africaine




Je sais que l’Egypte est la porte du Moyen-Orient. Mais, après tout, elle se trouve bien sur le continent africain, non ? Voici ce que je pensai, en patientant calmement dans la longue file d’attente pour entrer dans les jardins de l’ambassade de France. Nous étions conviés, nous, les ressortissants français, à une de ces soirées africaines où les gens s’installent, souvent près d’un baobab centenaire, pour écouter la parole des conteurs ou autres griots. C’est vrai que notre invitation ne mentionnait pas notre participation à un spectacle singulier. Mais,   celui qui aime et connaît un peu le continent, sait que les choses sont souvent implicites. D’ailleurs, en découvrant cet imposant service d’ordre il devenait évident que les comédiens qui allaient se produire ce soir-là étaient tous des acteurs chevronnés et reconnus dans leur profession. Des gens ô combien importants chargés de transmettre cette tradition orale indispensable à la survie de notre culture. D’ailleurs, s’il me restait une petite pointe d’appréhension à propos du contenu de la soirée, elle s’envola bien vite en écoutant les différents groupes qui conversaient autour des élégants buffets dressés pour la cérémonie. Tous des comédiens, évidemment ! Sinon, comment expliquer ces sourires de circonstances, ces gestes un peu gauches, ces costumes ? Je remarquai plusieurs militaires avec des vareuses trop petites et trop galonnées, des képis à multiples dorures.
Même si ces figurants ne se débrouillaient pas trop mal pour « chauffer » l’assistance, nous savions bien que l’ensemble des spectateurs avisés attendaient tous avec une impatience non feinte le grand griot. Il monta sur scène au moment même où la nuit se décidai à tomber. Vêtu simplement d’un costume sombre et d’une cravate noire, il s’appuya au pupitre et entreprit de charmer les invités, comme le font si bien, la plupart de ses condisciples de cette grande famille de conteurs. Je ne puis vous raconter toutes ces histoires dans le détail, la place me manque. Sachez seulement que le premier récit mettait en scène deux hommes importants. L’un demandait à l’autre de lui fournir d’urgence plusieurs rafales (manifestement une formule poétique pour nommer le vent) dans les plus brefs délais. La deuxième histoire mettait en scène une délégation de chefs d’entreprises débarquant dans un pays du tiers-monde pour apporter la prospérité et le bonheur. Puis, pour distraire un peu l’assemblée, avec une malice toute professionnelle, le conteur acheva sa prestation avec une charmante comédie où il était beaucoup question de culture, de francophonie et des droits de l’homme. L’assemblée applaudit à tout rompre la fin de son spectacle.
Simple petite fausse note, si j’ose dire, les organisateurs qui avaient eu l’idée surprenante de lancer l’hymne national à la fin de sa prestation.
Nous bûmes plusieurs coupes de champagne, avant de sortir enfin dans la nuit étoilée pour nous retrouver dans un quartier totalement bloqué par les forces de l’ordre, bien loin de cet univers poétique où nous étions plongés pendant toute cette soirée.
Il nous fallait trouver un taxi. C’est-à-dire, sortir de la fiction pour retrouver la réalité.
Julius Marx

(Visite de François-Le Caire-18 avril 2016) 

lundi 18 avril 2016

Humeur (2)





La belle Mercedes vient se garer devant la boutique de fruits et légumes. Sa conductrice ne descend pas de sa voiture. Elle donne plusieurs petits coups de klaxon, nerveux. Un échalas sort aussitôt de la boutique et vient se poster à la portière de la voiture, côté passager. Il se casse en deux. La vitre descend silencieusement. L’échalas écoute la demande de la conductrice en hochant simplement la tête. Puis, il retourne vers la boutique en traînant des pieds. Il réapparaît quelques minutes plus tard, tenant deux sacs plastique dans sa main. La vitre redescend lentement. Les sacs rejoignent le siège avant. L’échalas tend la main pour récolter un petit billet. Il fait un signe qui ressemble vaguement à un salut militaire et repart en direction de sa boutique. Le voilà qui revient. La vitre redescend lentement. L’échalas rend la monnaie du kilo d’oignons ou de la livre de carottes. Lorsque la belle Mercedes repart, il n’a pas encore achevé son second salut militaire.
Pendant toutes mes années d’expatriation, ou bien encore avant, à l’époque dite coloniale, je n’ai jamais vu un tel manque de respect. Ce genre de scènes, que l’on peut voir assez souvent dans la rue, me donne toujours une furieuse envie de balancer un caillou sur les voitures.
Vous parlez de lutte des classes ?  
Julius Marx

lundi 4 avril 2016

Humeur



J’ai fini par dénicher un petit muret, à l’ombre, et surtout, protégé du vent. L’endroit parfait pour déguster mon sandwich jambon de dinde-emmental. Aucun passant, si ce n’est les employés des restaurants du centre commercial qui empruntent tous la porte donnant sur les cuisines. Je réponds à leurs petits signes, à leurs sourires, en pensant qu’ils doivent bien se demander ce qu’un européen fortuné peut bien fabriquer, assis sur un muret, très loin des terrasses, de la civilisation des amerloques. Et puis, je l’aperçois. Un jeune type avec une de ces coiffures d’indien Iroquois, qui poussent sur une grande majorité des crânes d’adolescents du pays. Mais, ce qui me frappe, ce n’est pas sa crête de coq mais le sac qu’il tient dans sa main droite. Un grand sac plastique jaune et rouge avec le portrait de l’oncle Adolph et la croix gammée au-dessus. Et puis, probablement dans un soucis d’équité bien compréhensible envers les autres führers de la planète, on peut y lire également le nom du dictateur écrit en caractère gothique. L’effet de surprise passé, je me demande quelle entreprise peut fabriquer en série un sac de ce type, imprimer la trogne de l’homme à la mèche brune et dessiner la croix gammée sans aucune once de culpabilité ? Quel patron a pu affirmer à ses cadres réunis autour d’une table dans la salle de conférence de la boite que le marché était porteur ? Oui, quelle société?
 L’Iroquois a disparu avec sa coiffure merdique, sa foutue croix et son putain de sac plastique. Je me lève. Je n’ai pas fini mon sandwich. J’ai perdu l’appétit.
En retrouvant la société des riches, de l’autre côté du décor, je me dis que je l’ai bien cherché, après tout. Pourquoi vouloir absolument visiter les coulisses ? J’aurai dû rester assis bien sagement en terrasse, à déguster un bon hamburger.
Julius Marx

(Le Caire- Avril 2016)