lundi 19 décembre 2016

Une définition de la négritude





Ecrivain brouillon, je suis devenu le brouillon d’autres écrivains, d’auteurs présumés tels, le grouillot de gens importants qui n’ont pas le temps d’écrire, si ce n’est leur nom sur la couverture. On les comprend. Je suis une sorte d’écrivain public que le public ne connaît pas. Il y a des gens qui donnent la vie comme d’autres donnent la mort, un tueur à gages ne se soucie pas de l’avenir du cadavre, après tout. J’ai tout d’un tueur à gages, mais j’en suis le contraire ; j’ai tout d’un écrivain, mais j’en suis le négatif. A force d’être nègre, on voit tout en noir. Je suis pourtant d’un naturel rieur, espiègle, nullement encombré d’une culture encyclopédique, ne lisant que des cils, n’écrivant que du bout des doigts ; nègre sans nom, écrivain sans renom, il est douteux que les badauds du Père-Lachaise fassent un jour un détour pour lire mon épitaphe. Seule curiosité de la pierre : l’épitaphe restera gravée, mon nom s’effacera.
Hervé Prudon
Plumes de Nègre

Mazarine (1987)

Retrouvé ce beau livre chez une fidèle amie et relu de suite! Tout au long de ma lecture, j'ai très souvent pesté contre le goujat qui avait prit la liberté de griffonner (certes, au crayon papier, mais, tout de même!) le texte avant de m'apercevoir que c'était moi le coupable. 
On peut juste imaginer le triste sort d'un nègre à la Série Noire.
Image : John Turturro et John Goodman dans le Barton Fink des Coen Bros (1991)

samedi 17 décembre 2016

Cairo Diario



Le vent, et c’est le remue-ménage général. Pire que le plus véreux des flics ! Il entre par  effraction,  veut tout savoir, tout maîtriser. Il bouscule, frappe ! Les marques de coups ? et alors ?

Petits oiseaux gris cendrés à la tête noire et blanche. Leurs pattes, un simple trait de crayon noir, même pas feutre. Pourquoi sont-ils toujours solitaires ? Le vent vient glisser sa main légère sous leur poitrail. Leurs plumes se soulèvent. Ils ont l’air de porter une écharpe. Une écharpe de vent ? Oiseaux poètes.

Le vieil homme est assis sur un mètre carré de pelouse. La tête en serviette-éponge. Une momie décharnée, un cadavre avec les yeux ouverts, remplis de résignation triste. Il regarde celui qui court, là, devant lui, l’homme fluo, celui qui veut souffrir, chaque vendredi matin. Il voit, il ne cherche même pas à comprendre.

Femmes de foulards, enveloppées, prêtes à être expédiées. Import/ export. Bientôt étranglées par leur foulard comme Isadora Duncan.

Il semble que je sois arrivé à un âge où l’on doive se satisfaire de son passé. Curieusement, ce sont mes erreurs, mes lâchetés, mes faux-pas, qui défilent dans ma tête.


Ma bouche devient sucrée.

Julius Marx
Le Caire-Décembre 2016
photo : Manuel Aguilar

vendredi 16 décembre 2016

Le polar Est Amour (29)





Dope in-croy-ya-ya-yable, grâce incroyable, à lui coller frissons et picotis sur toute la peau. Elle lui donne envie de faire l’amour. Super le pied, de l’air qui lui donne envie de faire l’amour. O dégrafe son jean, laisse glisser ses doigts et commence à accorder sa mélodie.
Chon ne changera jamais, songe O- alors même qu’elle est quasiment au-delà de toute pensée, entre la super-dope d’un côté et son petit bouton qui bourgeonne-, il préférerait rester assis à dévorer des yeux du sexe pixellisé plutôt que de sauter une vraie femme allongée à portée de doigts en train de chevaucher sa main.
-Viens me baiser, s’entend-elle lui dire.
Chon se lève de son fauteuil, lentement, comme si c’était une corvée. Se plante au-dessus d’elle et l’observe pendant quelques secondes. O aimerait bien le choper d’un geste pour le tirer sur elle mais elle a une main occupée et l’effort est trop grand, comme si Chon était trop loin. Finalement, au bout du compte, il se débraguette et ouais, constate-elle, mister blasé trop cool pour le lycée, toi le maître zen détaché, t’es dur comme le diamant.
Il démarre tout en maîtrise, froid comme de la glace, l’air dégagé, comme si sa bite était une queue de billard et qu’il alignait les coups puis, au bout d’un moment, il commence à la bourrer à la hargne, pan pan pan, comme s’il lui tirait dessus. Et à chaque coup de rein, les frêles épaules de O s’enfoncent dans l’accoudoir du canapé.
A la piler de sa queue, les hanches en bélier, il cherche à se vider la guerre du corps et de la tête, à croire qu’il réussira à en chasser les images par un trop-plein de baise, à croire que toutes ces visions abominables jailliront en lui en même temps que la giclée de son foutre (un orgasme guerrier ?), mais ça n’arrivera pas c’est en pure perte même si O de son côté fait de son mieux cambre les reins lance ses propres hanches et rue comme si elle voulait l’éjecter de sa grotte moussue des mers du Sud cet envahisseur mécanique occupé à abattre sa forêt tropicale sa jungle humide et moite.
Tout en lâchant…
Oh, oh, oh.
Oh, oh, ohhhhh
O !
Don Winslow

Savages
image: Woody Harrelson in No country for old men (Coen-Bros-2007)

samedi 10 décembre 2016

Caro diario




Tout à coup, écrire m’a donné la nausée, et m’est venue la volonté d’abandonner absolument et pour toujours l’idée de ces notes.
On écrit avec l’intention d’être vrai et véridique, et puis on s’aperçoit qu’on a toujours été inexact, toujours non vrai, et ici et là, même sans le vouloir, menteur.
L’écriture n’est pas apte à appréhender la vérité, même si elle est le seul instrument que l’on possède pour s’essayer à le faire. Le langage est bon pour la poésie, parce que la poésie ne veut pas exprimer la vérité, mais est une construction d’idées, qui a sa propre vérité, laquelle prend forme avec la parole et ne fait qu’un avec elle.
Je dirai encore ceci : j’ai eu l’impression que chercher à signifier et à être précis avec des mots trouble et détruit la perception sans mot des sentiments, des affections, des sensations. Avec pour résultat qu’à ces sentiments et affections et sensations, qui sont notre vie, se substituent des écritures. Des copies à des originaux, des originaux défigurés et perdus.
Le diariste s’empresse de transformer sa propre vie en pièce d’écriture, et perd la vie. Combien de larmes tardives ont été versées de ce fait malheureux par des écrivains !
Virgilio Giotti
Notes inutiles
Les quelques lignes illustrant ce texte sont extraites du  script du magnifique film de Nanni Moretti Caro Diario

mercredi 7 décembre 2016

Profites-en tant que tu peux





A la fin de l’été dernier, assis sur un banc devant ce snack lors d’un après-midi caniculaire, il reluquait huit pom-pom girls légèrement vêtues qui répétaient leurs mouvements. Il aurait dû se sentir gêné, mais ce n’était pas le cas. Il vivait une expérience trop forte pour penser à partir sur-le-champ. Un temps, Janis Joplin avait été sa chanteuse préférée, et il repensa à sa chanson, Get it while you can, « profites-en tant que tu peux ». Quand elles partirent, l’une d’elles agita la main vers lui et il eut  du mal à comprendre le sens de ce geste. Il ne signifiait peut-être rien. Elle connaissait probablement la lubricité des vieux, mais c’était louche. Peut-être était-elle tout simplement sympa ? Au lycée, deux des quatre pom-pom girls étaient de superbes salopes qui voulaient se marier au plus vite, alors que les deux autres étaient de vraies saintes nitouches tout aussi désireuses de convoler le plus rapidement possible. Quand il les revit quelques années plus tard, elles lui firent l’impression d’avoir mangé trop de pancakes après la messe, selon une tradition qu’on ne saurait enfreindre. Aucun de leurs époux n’avait réussi, pourtant toutes restèrent mariées et eurent beaucoup d’enfants.
Jim Harrison
The Big Seven

(Péchés capitaux

jeudi 1 décembre 2016

La vie anecdotique (5)





Flux et reflux
Ils n’accompagnent pas le flux et le reflux, ils restent dans la tourmente. Immobiles (les yeux clos) sous des tonnes de sable. Tout ce qui bouge autour d’eux, au-dessus d’eux, ils ne s’en préoccupent pas. Ils sont nés pour accepter. Les longues avenues anonymes ne sont que des salles d’attente, des quais de gare au crépuscule. La lune se moque bien de ces voyageurs assis à côté de leurs vieilles valises rafistolées, de leurs charrettes, de leur passé/présent/avenir, tristes offrandes aux passants.

La belle vie (la seule)
Des écrans couleurs démesurés assurent le bonheur de vivre : femmes de pays imaginaires, familles blondes aux destinées impensables, rien n’est impossible, rien. Ces immortels sont remplacés chaque semaine par d’autres.

Spectacle
Pourtant, la rue est spectacle (penser à dénicher enfin une autre image). La musique est contemporaine. Ferraille qui ferraille, moteur qui motorise, sifflet qui siffle, et tant de cris venant d’on ne sait où ; de promeneurs imprudents abandonnés dans l’obscurité d’une grotte, d’un puits si profond, de naufragés trop confiants.

Pluie
Aujourd’hui, une pluie fine, juste quelques minutes, avec si peu de gouttes qu’un retraité aurait pu s’amuser à les compter.

Barbu
Le grand barbu magnifique est mort. J’écoutai, il y a quelques mois, un couple de jeunes charmants me raconter leur voyage à Cuba. Elle, les yeux pétillants, lui, plus posé (l’attitude qui sied à un garçon de son âge) les deux énumérant sans prendre le temps d’une légère respiration, les réussites certaines du grand leader. J’aime ceux qui n’accordent aucune importance au fait de respirer mais (oui, mais) une grande partie de la résolution est soigneusement cachée et se compte en minutes, en heures, en jours, en années. Notre deus-ex-machina, à nous, voyageurs, c’est le temps.

Ecriture
« Un réel talent d’écriture ». Bah ! Ca me fait une belle vie ! Bras de fer avec les adjectifs très fils à papa, du genre pédant, et lutte acharnée contre des phrases fainéantes. La jouissance ? Quelques secondes seulement. Et puis, seul, se débrouiller avec toutes ces destinés.

Julius Marx

Le Caire (Décembre-2016)