Ma
nostalgie pour mon pays et pour la vie insouciante d’autrefois
s’était cristallisée en un souvenir d’enfance. Lorsque mes
grands-parents paternels, qui habitaient peu avant Bergame, venaient
nous voir, ils m’offraient, à moi et à mes sœurs, une boite
d’Otello Dufour, les meilleurs bonbons du monde. Je chipais une
poignée de ces gourmandises, me réfugiais dans ma chambre ou dans
le jardin avec un livre de Salgari, les défaisais l’un après
l’autre et les posais délicatement sur ma langue pour les faire
fondre lentement. Pendant mes années de cavale et de prison, les
instants les plus intimes et les plus émouvants liés aux souvenirs
finissaient toujours par se transformer en un désir pour ces
bonbons au chocolat et à la liqueur. Lorsque quelqu’un est en
taule, il pense toujours à la première chose qu’il fera en
sortant. Mon désir s’appelait Dufour. J’entrai dans la première
pâtisserie et en achetai une boîte entière. Mais sitôt que je
l’eus ouverte, je m’aperçus que quelque chose n’allait pas. La
forme des bonbons était ronde et non ovale, l’enrobage n’était
plus du chocolat lisse et noir comme le mystère, mais était plus
clair et marqueté de petits morceaux de noisettes. J’en mis un
dans la bouche et découvris avec horreur que ça n’avait plus rien
à voir avec les Otello de mon enfance. Je me sentis trahi et j’eus
envie de pleurer. Pendant des années, j’avais rêvé de quelque
chose qui n’existait plus. Je retournai dans le magasin et la
propriétaire me confirma que c’était devenu une espèce de
chocolat fourré.
-Vous
savez, les goûts d’aujourd’hui, m’avait-elle dit en haussant
les épaules.
Massimo
Carlotto
*Arrivederci
amore
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