"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
vendredi 27 juin 2014
mercredi 25 juin 2014
Loterie
Pourquoi chercher à le nier, Rabbi Marshak va bientôt mourir. Le teint livide, les yeux rougis, il n'est plus que l'ombre de lui-même et nous savons tous ce que ces symptômes signifient. S'il a toujours entretenu de bonnes relations avec ses sujets, ce n'est pourtant pas pour ses conseils avisés qu'il restera dans la mémoire collective de sa cité mais plutôt pour l' histoire singulière que je vais vous raconter maintenant.
Depuis son plus jeune âge, Rabbi Marshak n'avait qu'une seule obsession : gagner à la loterie.
Alors, grâce aux relations toutes particulières qu'il pensait entretenir avec le divin, il avait pris l'étonnante habitude de s'adresser directement à son créateur.Chaque soir avant de s'endormir, il levait la tête vers le plafond et murmurait :
- S'il te plaît, Yahvé, fais-moi gagner à la loterie..
Puis, comme le plafond restait muet, il poussait un long soupir et se couchait.
Cette curieuse scène sans rebondissement ni conclusion, digne d'un film d'auteur français, s'est précisément achevée hier soir.
A peine Rabbi Marshak avait-il prononcé la fameuse formule qu'une voix caverneuse sortie des poutres tonnait :
-Rabbi Marshak , quand vas-tu me laisser en paix ? Si tu veux gagner à la loterie, il faut jouer!
Julius Marx
Image : Alan Mandell le véritable Rabbi Marshak du film A serious Man des frères Coen.
samedi 21 juin 2014
mercredi 18 juin 2014
Voyager, c'est bien utile..
Voyager, c'est bien utile, ça fait travailler l'imagination.
Aéroport de Tunis. Samedi 14 juin 2014.
Le couple de jeunes assis à côté de moi m'ennuie. Leur conversation me file la chair de poule. Imaginez un peu, ces deux-là sont occupés à comparer le prix de vente d'une tablette machin-chose avec une autre tablette machin-chose. Jamais rien vu d'aussi palpitant!
Une jolie voix nous annonce que l'avion aura deux heures de retard. Je hais les jolies voix.
Prendre la fuite. Je suis capable de les assommer avec leur fichue tablette.
Go to the west, young man. J'évite les grappes de mômes qui se chamaillent. Là, une place... Une petite mémé... Pourquoi pas? Le troisième âge plutôt que les quatre gros vacanciers qui se racontent leur joliséjourtoutcompris.
-Chez nous, le vin était compris
-Moi aussi, j'ai tout compris
(Rires)
Elle s'est assoupie. De mon nouveau poste d'observation, j'ai une vision presque complète des passagers de la salle d'embarquement mitoyenne. De ce côté-ci, le calme s'est installé. Premier constat : la totalité des femmes sont voilées. Ce qui me frappe, c'est le nombre élevé de personnes blessées. A deux sièges du mien; une vieille femme avec un pansement sur l'oeil, à côté d'elle, un homme qui porte un corset. Puis deux enfants; bras en écharpe pour l'un et pansement cachant l'oreille pour l'autre. J'ai du mal à compter le nombre de béquilles qui m'entourent.. Sans parler de la ribambelle de fauteuils roulants alignés contre la grande baie vitrée.
Il faut absolument que je m'approche du comptoir d'enregistrement... Savoir où se rendent tous ces gens.
Misrata... Libya.
Je ne me rappelle pas avoir déjà ressenti un contact aussi brut et oppressant avec une guerre.
Dans cette salle, ce soir-là, je me suis retrouvé loin, très loin des images d'actualités, des paroles et de la géopolitique.
Et puis je suis retourné vers les vacanciers, les fanas de tablettes et ma petite mémé qui dormait toujours.
Deux heures de retard, et alors?
Julius Marx
Photo JM Pelosin (Site Flickr)
Aéroport de Tunis. Samedi 14 juin 2014.
Le couple de jeunes assis à côté de moi m'ennuie. Leur conversation me file la chair de poule. Imaginez un peu, ces deux-là sont occupés à comparer le prix de vente d'une tablette machin-chose avec une autre tablette machin-chose. Jamais rien vu d'aussi palpitant!
Une jolie voix nous annonce que l'avion aura deux heures de retard. Je hais les jolies voix.
Prendre la fuite. Je suis capable de les assommer avec leur fichue tablette.
Go to the west, young man. J'évite les grappes de mômes qui se chamaillent. Là, une place... Une petite mémé... Pourquoi pas? Le troisième âge plutôt que les quatre gros vacanciers qui se racontent leur joliséjourtoutcompris.
-Chez nous, le vin était compris
-Moi aussi, j'ai tout compris
(Rires)
Elle s'est assoupie. De mon nouveau poste d'observation, j'ai une vision presque complète des passagers de la salle d'embarquement mitoyenne. De ce côté-ci, le calme s'est installé. Premier constat : la totalité des femmes sont voilées. Ce qui me frappe, c'est le nombre élevé de personnes blessées. A deux sièges du mien; une vieille femme avec un pansement sur l'oeil, à côté d'elle, un homme qui porte un corset. Puis deux enfants; bras en écharpe pour l'un et pansement cachant l'oreille pour l'autre. J'ai du mal à compter le nombre de béquilles qui m'entourent.. Sans parler de la ribambelle de fauteuils roulants alignés contre la grande baie vitrée.
Il faut absolument que je m'approche du comptoir d'enregistrement... Savoir où se rendent tous ces gens.
Misrata... Libya.
Je ne me rappelle pas avoir déjà ressenti un contact aussi brut et oppressant avec une guerre.
Dans cette salle, ce soir-là, je me suis retrouvé loin, très loin des images d'actualités, des paroles et de la géopolitique.
Et puis je suis retourné vers les vacanciers, les fanas de tablettes et ma petite mémé qui dormait toujours.
Deux heures de retard, et alors?
Julius Marx
Photo JM Pelosin (Site Flickr)
vendredi 13 juin 2014
Sale gosse !
J'ai un compte en banque parce que j'en avais assez d'enterrer mon argent au fond du jardin; et puis, il s'est passé autre chose: il y a quelques années, en enterrant de l'argent, je suis tombé sur un squelette humain. Le squelette tenait dans une main les restes d'une pelle, et dans l'autre, une boite de café à moitié décomposée. La boite de café était emplie de quelque chose qui ressemblait à de la poussière de rouille, et qui avait dû autrefois être de l'argent, alors maintenant, j'ai un compte en banque.
Mais cela non plus ne marche pas très bien, la plupart du temps. Quand je fais la queue, il y a presque toujours des gens devant moi qui ont des problèmes bancaires compliqués. Et je suis obligé d'attendre et de supporter ces parodies de crucifixion financière de l'Amérique.
Ca se passe à peu près comme ceci: il y a trois personnes devant moi. J'ai un petit chèque à encaisser.
L'opération ne prendra qu'une minute. Le chèque est déjà endossé. Je le tiens en main, tourné vers la caissière. La personne qu'on est en train de servir maintenant est une femme d'une cinquantaine d'années. Elle porte un long manteau noir bien qu'il fasse très chaud. Elle à l'air très à l'aise dans son manteau, et il vient d'elle une odeur bizarre. Je pense à cette odeur pendant quelques secondes, et me rends compte que c'est le premier signe d'un problème bancaire compliqué.
Puis elle fouille dans les plis de son manteau, et en sort l'ombre d'un réfrigérateur empli de lait tourné et de carottes de l'année dernière. Elle veut mettre l'ombre sur son livret d'épargne. Elle a déjà préparé la fiche. Je lève les yeux vers le plafond de la banque, et je fais comme si c'était la chapelle Sixtine.
La vieille dame se débat violemment, puis on l'emmène. Il y a beaucoup de sang par terre. Elle a arraché d'un coup de dent l'oreille d'un des gardiens.
Je suppose qu'on ne peut qu'admirer son cran.
Le chèque que j'ai en main est de dix dollars.
Les deux personnes suivantes ne sont en fait qu'une seule personne. Ce sont deux frères siamois,mais ils ont chacun leur chéquier personnel.
L'un d'eux met 82 dollars sur son livret d'épargne, et l'autre veut solder son livret d'épargne. La caissière lui compte 3574 dollars, et il met l'argent dans la poche qui est de son côté du pantalon.
Tout cela prend du temps. Je lève les yeux vers le plafond de la banque une fois de plus, mais je n'arrive plus à imaginer que c'est la chapelle Sixtine. Mon chèque est moite comme s'il avait été signé en 1929.
Le dernier client qui me sépare de la caissière à l'ait tout à fait anonyme. Tellement anonyme qu'il est à peine là. Il met sur le comptoir 237 chèques qu'il veut déposer sur son compte courant : total: 489000 dollars. Il a aussi 611 chèques qu'il veut déposer sur son livret d'épargne. Total : 1 754 961 dollars.
Ses chèques recouvrent complètement le comptoir, comme une tempête de neige triomphale. La caissière s'attaque au traitement des chèques comme un coureur de fond, et moi, j'attends, et je me dis que le squelette au fond du jardin avait décidé juste après tout.
Richard Brautigan
Problèmes bancaires compliqués
La vengeance de la Pelouse
10/18
Brautigan c'est une écriture de sale gosse. De mioche frondeur comme ceux de Doisneau et Ronis qui ne veut pas éviter de faire des répétitions, qui ne rechigne pas à employer des comparaisons invraisemblables et qui ne soulignera jamais le titre en rouge (même sous la torture). S'il déborde souvent dans la marge, c'est pour faire chier sa maîtresse, pour l'obliger à ôter ses lunettes, à le regarder fixement puis à pousser un long soupir. L'élève Brautigan aime particulièrement les longs soupirs. Il aime aussi la photo de la femme du directeur de l'école qui trône sur son bureau. S'il lui a ajouté une belle paire de moustaches, c'est parce qu'il la trouve beaucoup plus séduisante comme çà.
Mais, ce que le mioche Brautigan aime par-dessus tout c'est quand un adulte le regarde avec un air sévère en lui disant : Mais qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de toi ?
Julius Marx
(Pour Laura)
Photo JM Pélosin (Site Flickr)
mercredi 11 juin 2014
Fin de séjour
Je quitte le ciel pur et la mer bleue pour un autre-chose qui se dessine, plus loin.. beaucoup plus loin.
Je délaisse la brise marine de dix-heures pour un soleil pâle et une moiteur sans pitié.
Dans le tout premier article de ce blog, en commentant un texte de Georges Orwell, je n'hésitai pas à me comparer à Jonas, tranquillement installé dans le ventre de la baleine.
A la fin de ce séjour, je récidive en citant cette fois-ci Roland Barthes avec ce texte si juste, préface au roman Aziyadé de Pierre Loti.
Oui, je sais que je ne manque pas de culot. Mais, qui me rendra ma vie du Sud?
Le voyage, le séjour
Une forme fragile sert de transition ou de passage - ce terme neutre, ambigu, cher aux grands classificateurs- entre l'ivresse éthique (l'amour d'un art de vivre ) et l'engagement national (on dirait aujourd'hui: politique) : c'est le séjour ( notion qui a son correspondant administratif: la résidence).
Loti connait en somme, transposés en termes modernes, les trois moments gradués de tout dépaysement : le voyage, le séjour et la naturalisation; il est successivement touriste (à Salonique), résident ( à Eyoub), national (officier de l'armée turque). De ces trois moments, le plus contradictoire est le séjour (la résidence): le sujet n'y a plus l'irresponsabilité éthique du touriste (qui est simplement un national en voyage), il n'y a pas encore la responsabilité (civile,politique, militaire) du citoyen; il est posé entre deux statuts forts, et cette position intermédiaire, cependant, dure -est définie par la lenteur même de son développement ( d'où, dans le séjour de Loti à Eyoub, un mélange d'éternité et de précarité: cela "revient sans cesse" et cela "va incessamment finir"): le résident est en somme un touriste qui répète son désir de rester : "j'habite un des plus beaux pays du monde"-propos de touriste, amateur de tableaux, de photographies-et ma liberté est illimitée"-ivresse du résident, auquel une bonne connaissance des lieux, des moeurs, de la langue permet de satisfaire sans peur tout désir ( ce que Loti appelle: la liberté).
Le séjour a une substance propre : il fait du pays résidentiel, et singulièrement ici de Stamboul, espace composite où se condense la substance de plusieurs grandes villes, un élément dans lequel le sujet peut plonger : c'est-à-dire s'enfouir, se cacher, se glisser, s'intoxiquer, s'évanouir, disparaître, s'absenter, mourir à tout ce qui n'est pas son désir. Loti marque bien la nature schizoïde de son expérience : "Je ne souffre plus , je ne me souviens plus: je passerais indifférent à côté de ceux qu'autrefois j'ai adorés...je ne crois à rien ni à personne, je n'aime personne ni rien; je n'ai ni foi ni espérance", cela est évidemment le bord de la folie, et par cette expérience résidentielle, dont on vient de dire le caractère en somme intenable, le lieutenant Loti se trouve revêtu de l'aura magique et poétique des êtres en rupture de société, de raison, de sentiment, d'humanité : il devient l'être paradoxal qui ne peut être classé: c'est ce que lui dit le derviche Hassan-Effendi, qui fait de Loti le sujet contradictoire, l'homme jeune et très savant, que l'ancienne rhétorique exaltait- véritable impossibilité de la nature-sous le nom de puer senilis : ayant les caractères de tous les âges, hors des temps parce que les ayant tous à la fois.
Roland Barthes
Préface d'Aziyadé de Pierre Loti
(Paragraphe 12)
Texte paru dans Critique n°297, février 1972 et dans Le Degré Zéro de l'écriture suivi de Nouveaux Essais critiques, coll. "Points", le Seuil, 1972.
Photo Julius (Site Flickr)
Je délaisse la brise marine de dix-heures pour un soleil pâle et une moiteur sans pitié.
Dans le tout premier article de ce blog, en commentant un texte de Georges Orwell, je n'hésitai pas à me comparer à Jonas, tranquillement installé dans le ventre de la baleine.
A la fin de ce séjour, je récidive en citant cette fois-ci Roland Barthes avec ce texte si juste, préface au roman Aziyadé de Pierre Loti.
Oui, je sais que je ne manque pas de culot. Mais, qui me rendra ma vie du Sud?
Le voyage, le séjour
Une forme fragile sert de transition ou de passage - ce terme neutre, ambigu, cher aux grands classificateurs- entre l'ivresse éthique (l'amour d'un art de vivre ) et l'engagement national (on dirait aujourd'hui: politique) : c'est le séjour ( notion qui a son correspondant administratif: la résidence).
Loti connait en somme, transposés en termes modernes, les trois moments gradués de tout dépaysement : le voyage, le séjour et la naturalisation; il est successivement touriste (à Salonique), résident ( à Eyoub), national (officier de l'armée turque). De ces trois moments, le plus contradictoire est le séjour (la résidence): le sujet n'y a plus l'irresponsabilité éthique du touriste (qui est simplement un national en voyage), il n'y a pas encore la responsabilité (civile,politique, militaire) du citoyen; il est posé entre deux statuts forts, et cette position intermédiaire, cependant, dure -est définie par la lenteur même de son développement ( d'où, dans le séjour de Loti à Eyoub, un mélange d'éternité et de précarité: cela "revient sans cesse" et cela "va incessamment finir"): le résident est en somme un touriste qui répète son désir de rester : "j'habite un des plus beaux pays du monde"-propos de touriste, amateur de tableaux, de photographies-et ma liberté est illimitée"-ivresse du résident, auquel une bonne connaissance des lieux, des moeurs, de la langue permet de satisfaire sans peur tout désir ( ce que Loti appelle: la liberté).
Le séjour a une substance propre : il fait du pays résidentiel, et singulièrement ici de Stamboul, espace composite où se condense la substance de plusieurs grandes villes, un élément dans lequel le sujet peut plonger : c'est-à-dire s'enfouir, se cacher, se glisser, s'intoxiquer, s'évanouir, disparaître, s'absenter, mourir à tout ce qui n'est pas son désir. Loti marque bien la nature schizoïde de son expérience : "Je ne souffre plus , je ne me souviens plus: je passerais indifférent à côté de ceux qu'autrefois j'ai adorés...je ne crois à rien ni à personne, je n'aime personne ni rien; je n'ai ni foi ni espérance", cela est évidemment le bord de la folie, et par cette expérience résidentielle, dont on vient de dire le caractère en somme intenable, le lieutenant Loti se trouve revêtu de l'aura magique et poétique des êtres en rupture de société, de raison, de sentiment, d'humanité : il devient l'être paradoxal qui ne peut être classé: c'est ce que lui dit le derviche Hassan-Effendi, qui fait de Loti le sujet contradictoire, l'homme jeune et très savant, que l'ancienne rhétorique exaltait- véritable impossibilité de la nature-sous le nom de puer senilis : ayant les caractères de tous les âges, hors des temps parce que les ayant tous à la fois.
Roland Barthes
Préface d'Aziyadé de Pierre Loti
(Paragraphe 12)
Texte paru dans Critique n°297, février 1972 et dans Le Degré Zéro de l'écriture suivi de Nouveaux Essais critiques, coll. "Points", le Seuil, 1972.
Photo Julius (Site Flickr)
mardi 10 juin 2014
Pourquoi?
La vie se résume parfois à une histoire de café, et au peu d'intimité qu'une tasse de café peut créer. J'ai lu une fois quelque chose sur le café. Ca disait : le café, c'est la santé; il stimule tous les organes.
Sur le coup, j'ai pensé que c'était là une façon assez bizarre de tourner les choses, et pas vraiment agréable, mais avec le temps, j'ai découvert qu'il y a pas mal de vrai là-dessous, d'une certaine façon.
Je m'explique.
Hier matin, je suis allé voir une fille. Je l'aime bien, cette fille. Ce qu'il y a pu y avoir entre nous, c'est du passé. Elle se fiche pas mal de moi. J'ai tout gâché, et je le regrette.
J'ai sonné à la porte, et j'ai attendu, sur les marches. Je l'entendais bouger à l'étage. A sa façon de bouger, je savais qu'elle était en train de se lever. Je l'avais réveillée.
Puis elle est descendue. Elle s'approchait. Je le sentais au creux de l'estomac. Chaque pas qu'elle faisait me remuait en dedans, et menait indirectement au moment où elle allait ouvrir la porte. Alors, elle m'a vu , et cela ne lui a pas fait plaisir.
Il fut un temps, ça lui faisait très plaisir; la semaine dernière. Je me demande où tout a fichu le camp; je fais semblant d'être naïf.
-Je ne suis pas dans mon assiette, a-t-elle dit, je n'ai pas envie de parler.
-Je voudrais une tasse de café,ai-je dit, parce que c'était bien la dernière chose au monde dont j'avais envie. A la façon dont j'ai dit cela, c'était comme si je lui lisais un télégramme de quelqu'un d'autre, quelqu'un qui voulait vraiment une tasse de café, qui se fichait de tout le reste.
-Bon, très bien, dit-elle.
J'ai monté les marches derrière elle. C'était ridicule.
Elle venait de s'habiller. Les vêtements ne s'étaient pas absolument faits à son corps. Je pourrais vous parler de son cul. Nous sommes entrés dans la cuisine.
Elle a pris un pot de café soluble sur une étagère et l'a posé sur la table. Elle a mis une tasse à côté et une cuillère. Je les ai regardés. Elle a mis une casserole pleine d'eau sur le gaz, et a allumé dessous.
Pendant tout ce temps, elle n'a pas dit une seul mot. Ses vêtements se faisaient à son corps. Moi pas.
Elle est sortie de la cuisine. Puis elle est descendue, et elle est sortie pour voir si elle avait du courrier.
Je ne me rappelais pas en avoir vu. Elle est remontée et est entrée dans une autre pièce. Elle a refermé la porte derrière elle. J'ai regardé la casserole pleine d'eau sur le gaz.
Je savais qu'il faudrait un an avant que l'eau ne se mette à bouillir. On était en octobre, et il y avait trop d'eau dans la casserole.
Richard Brautigan
Café
(La vengeance de la pelouse)
Pourquoi? Comment?
Des questions, toujours...
Pourquoi relire Brautigan me donne inévitablement l' envie de m'assurer que mes amis sont toujours bien vivants.
Des questions, toujours..
Des trucs qui me passent par la tête..
Comment peut-on être président d'honneur au front national?
Et surtout, pourquoi le sourire de Valeria Ciangottini me colle cette fichue nostalgie?
Julius Marx
Image : Valeria Ciangottini dans la Dolce Vita
jeudi 5 juin 2014
Le polar est Amour (17)
Il sonna.
-Mais on peut savoir qu'est-ce que t'as oublié, cette fois? lança de l'intérieur une rageuse voix féminine.
La porte s'ouvrit. En découvrant un inconnu, Mme Serena se porta une main à la hauteur de la poitrine, pour tenir bien serrée sa robe de chambre. Un instant plus tard, elle tentait de refermer la porte, mais le pied du commissaire bloqua la manoeuvre.
-Qui êtes-vous? Que voulez-vous?
Nullement effrayée ni inquiète. Splendide, les yeux verts en lupara, elle répandait une telle odeur de femme et de lit que Montalbano en éprouva un très léger vertige.
-Ne vous inquiétez pas, madame.
-Je ne m'inquiète de rien, je voudrais seulement qu'on me casse pas les couilles à cette heure.
Peut-être que madame Verruso n'était-elle pas vraiment une dame.
-Je suis le commissaire Montalbano.
Pas la moindre frousse, à peine un geste irrité.
-Ouf, qu'est-ce qu'on nous gonfle, avec ça! Encore? Vous venez pour ce vol de rien du tout?
-Oui, madame.
-Mon mari hier au soir, il m'a cassé la tête avec cette histoire que vous, vous l'avez convoqué. Il s'est pris une telle frousse qu'il a failli s'en chier aux braies.
Toujours plus délicate, Mme Serena.
-Je peux entrer?
La dame se mit de côté avec une grimace, puis le conduisit dans un petit salon d'un faux XVIIIe horripilant, le fit asseoir sur un fauteuil incommode rutilant d'or.
Elle prit place sur celui d'en face.
Soudain, elle sourit, les yeux incrustés de veines de lumière noire, de celles qui rendent le blanc violet. Les dents étaient un éclair retenu.
-J'ai été impolie et vulgaire, excusez-moi.
A l'évidence, elle avait décidé de suivre une ligne stratégique différente. Sur la table basse entre eux, étaient disposés une boîte à cigarettes et un briquet colossal d'argent massif. Elle s'inclina, prit la boîte, l'ouvrit, la tendit au commissaire. Dans ce mouvement parfaitement contrôlé, la partie supérieure de la robe de chambre s'élargit, découvrant complètement deux nichons petits mais d'apparence si ferme que Montalbano arrêta qu'on y pouvait aisément casser des noix.
-Que voulez-vous de moi? demanda-t-elle d'une voix basse , en le regardant dans les yeux et en lui tendant toujours la boîte à cigarettes ouverte.
Ce qu'elle ne disait pas avec des mots était néanmoins clair : Quoi que tu veuilles, je suis prête à te le donner.
Andrea Camilleri
(La lettre anonyme)
Traduction Serge Quadruppani.
Image : Gina Lollobrigida in Come September (Robert Mulligan-1961)
dimanche 1 juin 2014
A la manière de Ring Lardner
Sans tête ni queue
(Pièce en 1 acte et certaines indications de mise en scène superflues)
Une salle de spectacle dans la banlieue de Pondichéry, Karikal, Yanaon, Coromandel, Mahé et Chandernagor.
Sur la scène, transformée en ring de boxe, avec un panneau de basket (côté cour et un autre côté jardin) une troupe d'acteurs massacre le Hamlet de William Shakespeare (né probablement en 1564 et mort certainement en 1616) en pensant massacrer le Bérénice de Jean Racine (1639-1699).
Claudius/Antiochus marque un panier à trois points et se demande pourquoi il n'y a aucun rôle féminin dans la pièce.
Claudius/Antiochus
Je me demande bien pourquoi il n' y aucun rôle féminin dans cette pièce?
L'arbitre siffle un temps mort et le metteur en scène ressemble à David Pujadas.
Dans le public, deux instituteurs corrigent leurs copies. On devine à leurs coupes de cheveux qu'ils pratiquent le VTT et la Trio-thérapie.
Instituteur 1
Cette pièce n'a ni tête ni queue
Instituteur 2
Non. On dit ni queue ni tête
Instituteur 1
Comment?
Instituteur 2
L'expression la plus juste est : ni queue ni tête.
L'instituteur 1 montre qu'il est déstabilisé en remontant ses chaussettes. Il reprend contenance en se souvenant qu'il vient de manger.
Instituteur 1
Ah oui. Et d'après toi, que veut dire l'expression?
L'instituteur 2 se remémore en une fraction de seconde la scène du duel entre l'avion et Cary Grant dans North by Northwest.
Instituteur 2
Je le sais. Ca veut dire "qui n'a aucun sens."
Instituteur 1
Donc, on peut l'employer dans un sens comme dans l'autre.
Un panneau d'affichage numérique apparaît dans les loges 6, 7, 8 pour indiquer aux spectateurs que l'instituteur 1 vient de marquer un point.
Sur la scène, les acteurs cessent de jouer et se mettent à chanter.
La mère de William Shakespeare apparaît en duplex sur un écran géant et confirme que son rejeton est bien né en 1564.
Instituteur 1
C'est bien ce que je dis... Ni tête ni queue!
Instituteur 2
Non. On dit ni queue ni tête.
Instituteur 1
Comment?
La pièce reprend jusqu'à ce que l'endroit soit démoli par les services de la mairie et transformé en médiathèque "Michèle Alliot-Marie".
(Pour les horaires d'ouverture, consulter la banlieue de Pondichéry, Karikal, Yanaon, Coromandel, Mahé et Chandernagor.)
Julius Marx
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