mardi 26 février 2013

Je me souviens (aussi)




Je me souviens des coups de règle en fer sur les doigts.
(et d'un jour où le professeur a demandé à un nouveau "quel est le nom de cet imbécile au bout de la règle?" et que le nouveau a répondu " de quel côté, monsieur?")

Je me souviens des Malabars achetés chez le confiseur au coin de la rue.
(Et aussi que je ramassai les emballages vides dans la cour pour faire croire que j'en avais acheté plus que les autres)

Je me souviens de l'odeur enivrante des livres, à la rentrée scolaire.
(Et de mon voisin qui se moquait de moi parce que je suçais le petit bâton de colle)

Je me souviens des oignons et de la petite fleur de Sydney Bechet, des disques 45t gagnés chez Antar avec les pleins de Mobylette.
(Et du disque de Trini Lopez acheté avec l'argent donné par ma tante pour le cadeau de la fête des mères)

Je me souviens du petit carnet où j'écrivais les mots des grands que je ne comprenais pas.
(Et des signatures imitées des copains que je n'avais pas)

Je me souviens des vaccinations collectives.
(Et de l'infirmerie militaire avant le départ en Afrique où nous sommes restés plus d'une demie-heure avec la même aiguille dans le dos)

Je me souviens d'un film d'animation avec un ours, une petite fille et un marchand de sable, mais pas du titre du film.
(Et de Fernandel avec sa vache Marguerite, au Gaumont Palace, place Clichy. )

Je me souviens de la soupe au tapioca.
(Et de l'odeur insupportable des poireaux dans la cuisine de la pension)

Je me souviens de la télé en noir et blanc.
(Et du carré blanc)

Je me souviens de mon premier vélo de course de marque Gitane, offert par mon grand-père.
(Et du petit morceau de carton que l'on glissait dans les rayons pour imiter le bruit d'un moteur)

Je me souviens des flacons plats de pastis volés à TVS. Sale goût, pur.
(Et des paquets de P4, achetés à plusieurs et fumés en vitesse)

Je me souviens des scoubidous.
(Et de l'agate que je glissais au milieu. Et puis de la pièce de 5 francs que l'on perçait pour avoir le même collier que Vince Taylor)

Je me souviens d'avoir croisé Maurice Genevoix montant dans sa belle bagnole dans la grand' rue.
(Et Michel Simon, avec un chapeau et une grande cape noire, sur le trottoir de la rue St Denis.)

Je me souviens de son prénom : Isabelle.
(Marie-France)

Je me souviens de la baguette à 1 franc.
(Et du signe de la croix, tracé avec son Opinel par le directeur de la pension, sur la miche de pain.)

Je me souviens de séances de catéchisme chez une vieille dame, ponctuées  par un chocolat chaud et qu'elle récompensait par un film à la télé comme Poly ou l'Homme du Picardie.
(Et puis aussi  que tout le monde  s'était moqué de moi lorsque j'avais prononcé le H de eucharistie )

Je me souviens de mon premier voyage en train ; j'avais deux ans.
(Et de mon grand-père qui m'accompagnait à la pension par le train. Il pouvait calculer la vitesse du train avec sa montre. Je ne me rappelle plus comment.)

Je me souviens de l'arrivé de la télé.
(Et de la première publicité. C'était pour la marque Schneider , je crois.)

Je me souviens du cours d'histoire en CE2 qui commençait par : nos ancêtres les Gaulois.
(Et du cours de Français où j'avais prononcé excréments au lieu d'ingrédients.)

Les textes sont extraits de Je me souviens de
Georges Pérec.

Je me souviens enfin d'avoir trouvé un très gros volume de correspondance de Georges Pérec sur le stand d'une braderie et puis, d'avoir noté cette phrase :
"Aussi mauvais qu'il soit, un texte élargit l'horizon borné de l'opinion que l'on peut avoir de soi."

Julius Marx

lundi 25 février 2013

Petit matin


Hommes
de sale caractère
Hommes de mes deux mains
Hommes du petit matin
La machine tourne aux ordres de Deibler
Et rouages après rouages
Dans le parfum des percolateurs
qui suinte des portes des bars et le parfum
des croissants chauds
L'homme qui tâte ses chaussettes
durcies par la sueur de la veille et qui les remet
Et sa chemise durcie par la sueur de la veille
Et qui la remet
Et qui se dit  le matin qu'il se débarbouillera le soir
Et le soir qu'il se débarbouillera le matin
Parce qu'il est trop fatigué
Et celui dont les paupières sont collées au réveil
Et celui qui souhaite une fièvre typhoïde
Pour enfin se reposer dans un beau lit blanc
Et le passager émigrant  qui mange des clous
Tandis qu'on jette à la mer sous son nez
Les appétissants reliefs
De la table des premières classes
Et celui qui dort dans les gares du métro
Et que le chef de gare chasse
Jusqu'à la station suivante
Hommes de sale caractère
Hommes de mes deux mains
Hommes du petit matin.

Robert Desnos

"Je sais que j'appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée. Mais cela durera plus longtemps que beaucoup de paperasses contemporaines "
Original sur site http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr/desnos.htm

vendredi 22 février 2013

Le Polar est Politique



Un des mes amis, Phil Lomax, m'a raconté cette histoire d'aveugle armé d'un pistolet qui, voulant tirer dans un wagon de métro sur un homme qui l'avait giflé, avait tué un innocent voyageur en train de lire paisiblement son journal sur une banquette, et j'ai pensé, ça alors, ça ressemble vraiment aux nouvelles qui circulent aujourd'hui, les émeutes dans les ghettos, la guerre du Vietnam, les gestes masochistes qui s'accomplissent en Orient. Et puis j'ai pensé à certains de nos leaders forts en gueule qui poussent nos vulnérables frères à aller se faire tuer et je me suis dit là-dessus que toute cette violence inorganisée était comme un aveugle armé d'un pistolet.
Chester Himes
Préface à Blind Man with a Pistol
(l'Aveugle au pistolet)
1969
Photo : Christopher Walken (Deer Hunter-Michael Cimino 1978...évidemment)

mardi 19 février 2013

Le Polar est Féminin


Et voilà. R.K. tombait dans le panneau. Tout paraissait tellement innocent, même dans ce décor puant le béton, le froid et la poussière. Un Noir lui offrait une main fraternelle et R.K. ne pouvait faire autrement que se conduire en Blanc libéral et tendre lui-aussi une main amicale. C'était réglé comme du papier à musique. Et c'est là qu'on se retrouve empoigné, déséquilibré et que le sourire du Noir se fige.
-Enculé ! Tu te figurais peut-être que tu allais m'échapper!
L'attaque de l'agent de la mort est si prompt, si inattendue. La toque de fourrure  bousculée et le fil de fer qui passe et se referme. Tout cela si vite, dans un seul geste rond, qu'on a juste le temps de lâcher un petit cri de protestation, un gargouillis étouffé alors que vos yeux vous sortent déjà de la tête, comme dans un rêve. Et la peau vire au rouge tomate. Et puis, vous tombez sur les genoux et vous vous tordez, en essayant d'arracher avec les ongles ce qui vous serre le cou et expulse la vie hors de vous par battements réguliers, par battements parfaitement calibrés - un mouvement d'horloge dont les aiguilles ne tournent que dans un sens et que personne ne peut inverser, pas même la puissance de Dieu.
Rosamond Smith (Joyce Carol Oates)
 Soul / Mate (Le sourire de l'Ange)
Archipoche
Photo : James Cagney dans Kiss Tomorrow good bye
(Gordon Douglas- 1950)

lundi 18 février 2013

Renaissance


Les mots du poète apparaissent quelquefois surprenants, peut-être même désuets. Mais, avec le temps qui passe et la fluidité de cette vie qui s'écoule sans le moindre évènement remarquable, on commence à en saisir le sens. Ils deviennent plus vifs, plus précis et finissent par éclairer ce qu'ils avaient assombri.
Ils transforment notre rythme et redonnent à notre quotidien sa banalité magique. Alors, on ne peut plus regarder, penser ou sentir de la même façon. Un simple bouleau devient un refuge pour d'innombrables oiseaux colorés avec des feuilles qui frissonnent et bruissent sans trêve comme autant de minuscules clochettes.Le  Dieu crépuscule lui-même, devient Or.

"Le Dieu d'or du crépuscule verse un baiser sur les grandes figures délavées sur les murs des hauts palais, les grandes figures qui aspirant à lui comme à un souvenir plus antique de gloire et de joie.
Un bizarre palais du dix-huitième siècle dépasse à l'angle d'une rue, seigneurial et fat,fat de son antique noblesse méditerranéenne. Aux petits balcons les soutiens de marbre se tordent en eux-même avec bizarrerie. La grande fenêtre verte enferme dans le secret des volets la capricieuse spéculatrice, la tyranne agile brune rosée, et la rue baroque vit d'une double vie: en haut dans les trophées de craie d'une église les anges joufflus et blancs défont leur pompe conventionnelle tandis que dans la rue les perfides jeunes filles brunes méditerranéennes, brunies d'ombre et de lumière, se chuchotent à l'oreille à l'abri des ailes théâtrales  et on dirait qu'elles fuient chassées vers quelque enfer dans cette explosion de joie baroque: tandis que tout se noie dans le doux bruit des ailes battues des anges qui remplit la rue."
Dino Campana
Crépuscule méditerranéen 
( Canti Orfici -Chants orphiques)
Traduction Cristophe Mileschi
Editions L'âge d'homme
1988
Illustration : Campana de Simone Lucciola et Rocco Lombardi (Giuda Editions 2011)

vendredi 15 février 2013

Revue de presse



Bonjour Maître. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier de nous accorder cet entretien qui devrait permettre d'éclairer les lecteurs de ce blog  sur l'actualité mondiale.
-Pas de quoi, mon vieux. Si tu continues à m'appeler Maître je suis capable d' éclairer pas mal de monde... et pour des générations!
-Bon. Alors, débutons notre tour du monde par l'Europe et  le scandale de la viande de cheval dans les lasagnes labellisées "Pur boeuf".
-Le vrai scandale c'est qu'il y a des types qui achètent des lasagnes surgelées.
-Bon. Et donc, quels sont vos conseils pour l'avenir?
-Dimanche prochain, dans le Prix des Fripouilles, à Vincennes, jouez le 1 (Findus)le 2 (Spanghero) et le 3 (Picard)
-Merci Maître.
-Pas de quoi, mon petit. Regarde, mon verre est vide.
-Partons maintenant pour l'Afrique du Sud où le champion sans jambe Oscar Pistorius est accusé d'avoir assassiné sa top-model de petite amie.
-Je dirais simplement qu'après avoir perdu les jambes, il a perdu la tête.
-Je suis sûr que nos lecteurs aimeraient beaucoup avoir votre avis sur la soudaine démission du souverain Pontife.
-Là, le problème est simple. Cet homme imberbe et âgé ne fait pas le poids face aux autres groupes  extrémistes du monde. C'est un Russe qui a dit, je crois : " si Dieu existe, il faut le supprimer." Pas de doute, ces communistes ont un sacré sens de l'humour.
-Eh bien, je crois que nous avons fait le tour de l'actualité. Nous allons achever cet entretien fort instructif par une petite note musicale.Il s'agit du pianiste français Richard Clayderman ...
-Le blondinet avec une veste de clown?
-C'est ça. Nous apprenons qu'il a été engagé par un zoo pour jouer du piano devant les animaux , ceci dans le but de les encourager à copuler.
-Bravo! Dans un premier temps, je dirais que la musique adoucit les morses. Mais, soyons plus sérieux et saluons cette belle initiative. Remarquons également que c'est la toute première fois qu'une expérience  médicale est tentée d'abord sur les hommes et ensuite sur les animaux. Les souris n'ont plus de soucis à se faire!
-Merci Maître pour cette leçon de journalisme. Comment vous remercier?
-Laisse, je le remplirai moi-même.
Julius Marx

jeudi 14 février 2013

Rappel


Avant la grande manifestation du SPD, prévue pour Samedi, il est bon de se rappeler la parole du poète.
Les choses, comme au temps de B.A,  hélas, n'ont évidemment pas changées.Mon bréviaire reste le même et les faits résonnent de nouveau, inlassablement, sans fin.

"L'avait-on déjà découvert? Il regrettait de ne pouvoir assister à la capture du faux mendiant par la police; il ratait là une belle occasion de rigoler. Peut-être pourrait-il en recueillir quelques échos dans la presse. Ce n'était pas certain. Tous les journaux étaient à la solde du gouverneur ; ils n'oseraient jamais  publier une nouvelle qui ferait de lui la risée même des enfants en bas âge. N'importe! Le gouverneur, lui, sera informé de cette tentative de tourner ses ordres en dérision; son cerveau obtus allait subir un éclatement. Il ne s'attendait sûrement pas  à être combattu d'une façon aussi inusitée. Jusqu'ici, il s'était contenté d'arrêter quelques membres du parti révolutionnaire clandestin, qui, depuis des années, servaient de faciles victimes à tout gouverneur au pouvoir. Ayant ainsi démontré sa force, à l'instar de ses glorieux prédécesseurs, et résolu le problème de l'opposition dans les couches laborieuses, le gouverneur se croyait bien à l'abri de toute propagande nuisible à ses intérêts. Il ne connaissait qu'une seule espèce d'esprit subversifs : des individus intransigeants dans leur haine, se glorifiant de leurs actes, et prêts à mourir pour le triomphe du droit et de la justice. Bref, des gens qui, comme lui, se prenaient au sérieux. Comment pouvait-il se douter de l'éclosion dans la ville d'une sorte inconnue de révolutionnaires? Des révolutionnaires narquois et pleins d'humour, qui le considéraient comme un fantoche- lui et ses pareils à travers le monde- et pour qui ses faits et gestes n'étaient que convulsions grotesques et bouffonnes."
Albert Cossery 
La Violence et la Dérision 
Ed Joëlle Losfeld  (1993)

lundi 11 février 2013

Le Polar est Ecole


-Bonsoir, dit derrière moi une voix aux inflexions caressantes.
Je pivote sur ma chaise, et là, encadré dans le rectangle en aluminium, je découvre un visage à ressusciter un mort. Un grand sourire plein d'assurance. Des cheveux couleur miel, avec deux nattes ramenées sur la nuque en une coiffure compliquée et sérieuse. Une peau presque translucide. De longs doigts. Un fin duvet blond  sur l'avant-bras,qu'elle frotte légèrement de sa paume. Une jupe-culotte couleur kaki. Un corsage en coton blanc qui abrite deux obus de calibre respectable.
-Bonsoir.
Je lui rend son sourire.
Elle appuie une hanche contre l'encadrement de la porte. Sous l'ourlet de sa jupe-culotte, ses jambes sont musclées et aussi lustrées qu'une selle de cavalerie. Je ne sais pas au juste où poser mon regard, mais le grand sourire sous-entend ceci :
Vous pouvez vous rincez l'oeil . Dieu a créé tout ça dans ce seul but.
Richard Ford
Un week-end dans le Michigan
(Points)

mardi 5 février 2013

Le Polar est Cinéma


-Viens dans le lit.
-Je ne sais pas. (Le ton de Terrier était indécis, puis sa voix se raffermit :) D'abord il faut régler les questions pratiques.
Anne s'assit dans le lit, ce qui découvrit ses seins nus qui étaient encore beaux. Cependant ils étaient lourds et commençaient de fléchir. Elle saisit la bouteille de cognac.
-Combien de personnes as-tu tuées? demanda-t-elle.
-Tu ne vas pas encore boire! Il faut régler les questions pratiques! Les questions pratiques! répéta Terrier avec nervosité.(A présent, les mains dans les poches, il faisait face à Anne en se balançant avec impatience sur les talons. La jeune femme but une lampée au goulot.)
-Détraqué, déclara-t-elle d'un ton neutre. (Elle semblait énoncer un diagnostic concernant une pendulette.) Détraqué, viens donc au lit. (Elle se renversa violemment en arrière, les yeux hermétiquement fermés, sans lâcher la bouteille; tout son visage s'empourpra, une roseur envahit sa gorge et sa poitrine.) Baisons, baisons. (Elle rouvrit les yeux.) C'est ce que tu voulais, dit-elle avec fermeté.
-Anne, merde, attends donc! cria ridiculement Terrier et la porte de la chambre, qu'il avait omis de verrouiller, s'ouvrit dans son dos et deux types entrèrent, l'un referma doucement le battant et l'autre appuya contre la tête de Terrier le bout d'un revolver  SW Bodyguard Airweight.
-La compagnie nous envoie, expliqua l'homme au revolver. Ne faites pas d'idioties.
-Anne, reste calme, dit Terrier.
-Qui sont ces pédés? demanda la jeune femme qui demeurait étendue, le buste découvert et le visage rougi, la bouteille à la main.
Jean-Patrick Manchette 
La position du tireur couché
(Série Noire)

L'écriture de Manchette, c'est de la mise en scène.
Comme un véritable scénariste, l'auteur donne par exemple le ton de la voix sur le dialogue de ses personnages, mais aussi et surtout la position des mêmes personnages dans le cadre, leurs gestes précis, leurs attitudes. Le chef opérateur du film à venir  et son cadreur pourront donc tirer un découpage technique efficace de ce texte.
Comme dans un vrai script, toutes les indications de mise en scène sont indiquées entre parenthèses.
Nous lisons également des indications comme "elle semblait énoncer un diagnostic concernant une pendulette " qui, tout en gardant son contenu poétique, donne le tempo  de la réplique.
Une douce musique dont on ne se lasse jamais.
Julius Marx
Photo : Glenn Ford et Gloria Grahame  dans Big Heat de Fritz Lang (1953)

samedi 2 février 2013

Mon rêve


Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant...
Je suis sur la photo..
Le type au centre, c'est moi,
entre ces deux femmes connues.
Elles m'aiment et me comprennent.
Elles me comprennent et mon coeur cinéphile
n'est que pour elles seules...
peut-être un peu plus pour Gene.
Elle est brune, c'est sûr
son nom est doux et sonore... Gene..
Son regard est pareil au regard des statues,
Et pour sa voix lointaine, grave et calme,
elle a l'inflexion des voix chères qui se sont tues
(pas mieux)
Julius Marx
(avec la complicité de Paul)