lundi 23 décembre 2013

Voeux

      
         Joyeux Nöel et bonne année à tous.
                                Julius 

jeudi 19 décembre 2013

Noël noir

Pour tous, la période de noël est une période de bonté. Un des rares moment de grâce où l'honnête citoyen se préoccupe du sort des réfugiés philippins, des conditions de détention dans les camps de Lampedusa, des médecins bénévoles du Pakistan, des rhinocéros, des enfants abandonnés et séparés de leur frères et soeurs, du calvaire des canards gras, des otages au Maghreb, des  océans, des poissons vivant en eaux profondes et des sans-abri, pour les oublier la semaine suivante en s'empiffrant pour fêter la belle et merveilleuse année qui arrive.
Mais, pendant ce temps-là, que peuvent bien faire les héros de nos polars préférés?
Réponse dans ce blog, tout de suite. Nous débutons notre tour d'horizon par Martin Terrier.
                                                     


                                                                  NORMA



Le magnéto-cassette Radiola diffuse un enregistrement pirate de Norma, le 24 Août 1960 dans le théâtre antique d'Epidaure. L'enregistrement est l'oeuvre d'un bon à rien mais la voix de La Diva est bien présente, malgré quelques vibrations incontrôlées provoquées par un vent frais anormalement présent pour une soirée d'été.
Allongé sur le grand lit blanc de son studio mansardé sous les combles, au sixième étage,Terrier fume une Gauloise en laissant les volutes de fumée s'étirer mollement vers le plafond. Sur le tapis beige à longs poils, on peut remarquer quelques bouteilles vides de bière Mutzig. Sur le fauteuil en plastique,en lieu et place de la table de chevet, sont empilés: le costume bleu pétrole très fripé de Terrier, son maillot de corps, ses chaussettes et la dernière édition du Monde diplomatique. Au somment de la pyramide, on peut aussi voir un pistolet automatique Ortgies avec un réducteur de son Redfield.
Terrier grogne en entendant la voix de Tino Rossi, des cris d'enfants et des exclamations d'adultes vinassés provenant de l'appartement mitoyen. Il écrase sa cigarette dans le cendrier publicitaire posé sur l'oreiller, à côté de lui et roule hors du lit.
Dans la cuisinette adjacente, il ouvre le petit réfrigérateur et attrape un morceau de gruyère Coeur de meule. Il déchire le plastique d'un coup de dent et mange le fromage sans le sortir de son emballage en mastiquant lentement, les yeux fixés sur le robinet de l'évier.
A côté, la télévision avait remplacé le vieux chanteur corse. Un présentateur hystérique poussait des cris de hyène en chaleur. Le public applaudissait.
Terrier fait trois pas pour venir stopper le magnéto-cassette. La bande jaillit de l'appareil. En quelques secondes seulement, le magnéto est recouvert d' un magma difforme. Les lèvres de Terrier se pincent. D'un geste brusque, il saisit l'appareil et le balance  dans la poubelle de la cuisinette.
A ce moment précis, les voisins, avec leurs mômes et leur télé,envahissent le logement de Terrier.
Il pousse un juron obscène.
Il lui faut une minute pour arriver devant la porte. Il grimace en découvrant la couronne en plastique imitation sapin épinglée avec un crochet X. Il frappe plusieurs fois, le poing fermé.
L'homme qui ouvre est ventru et débraillé. Il sourit. Un sourire édenté et nicotiné. Lorsque Terrier lui flanque un coup de pied dans les parties génitales, il perd immédiatement son sourire et dégringole comme un sac de pomme de terre sur le linoléum de l'entrée.
Une  fausse blonde maquillée comme un sapin de noël, et sanglée dans un ensemble pailleté, entre en scène. Elle ouvre de grands yeux et pousse un hurlement  en voyant le sac sur son lino.
-Mais, qu'est-ce que vous faites ? Vous êtes fou !
-Oui,dit Terrier.( On peut voir une  mince ligne blanche autour de sa bouche.)
Le gros à terre se tortillait en grognant. Terrier fait un bond et donne un grand coup de poing sur la mâchoire de la femme à paillettes. Il y a maintenant deux sacs au sol.
Lorsque Terrier pénètre dans l'appartement, les deux gamins en pyjama sont cachés sous la table du salon. Terrier fait deux pas en direction de la télévision. Il balance un coup de pied dans la table basse. La télé écran plat dégringole sur le tapis lie-de-vin. Second coup de pied et le silence s'installe enfin dans la pièce. Puis, il sort en enjambant les deux sacs.
-On n'interrompt pas la Callas, dit Terrier, la voix rauque, d'un ton ferme.
Julius Marx

mardi 17 décembre 2013

Le polar est Rouge


A son arrivée au bureau, Fazio lui apprit que les ouvriers de l'usine de sel, qui avaient été mis "en mobilité", pitoyable euphémisme pour dire qu'ils avaient été licenciés, occupaient la gare. Leurs femmes, couchées sur les voies, empêchaient le passage des trains. La gendarmerie était déjà sur place.
Est-ce qu'eux aussi devaient y aller?
-Pour quoi faire?
-Ben, je sais pas, donner un coup de main.
-A qui?
-Comment, à qui, dotto? Aux carabiniers, aux forces de l'ordre, ce que nous sommes aussi, jusqu'à preuve du contraire.
-Si tu as vraiment envie de donner un coup de main à quelqu'un,va donc le donner à ceux qui occupent la gare.
-Dotto, je l'ai toujours pensé : un communiste, vous êtes.
Andrea Camilleri 
 (La forme de l'eau)
 (Fleuve Noir )Traduction  de Serge Quadruppani.
Image : Russell Simpson, Charley Grapewin et Henry Fonda dans The Grapes of Wrath (Les Raisins de la colère) John Ford 1940.
ps: je sais qu'il faut mettre un accent sur le O, mais, je ne sais comment faire.

lundi 9 décembre 2013

Madiba



Elle rit,
Madiba vient de mourir, et elle rit.
Elle est secouée, possédée,
par un rire frénétique, strident et pénible.
Je rentre la tête dans les épaules,
et écarquille les yeux :
mais qu'ai-je  donc dit de si....?
-Non, c'est pas vrai, hein, c'est pas vrai?
Sa voix n'est qu'un  râle rauque et faible.
Dans notre chambre ; le silence, soudain. Et puis :
-Pour les oranges....
-Quoi, les oranges ?
-Tu as boycotté les oranges Ouspan? 
Ta seule contribution à la lutte contre l'apartheid, ne pas bouffer d'orange !
 Ah...C'était donc ça, rien q'un règlement de compte.
Que répondre?
- Pourquoi pas les films en noir et blanc
(le rire devient ricanement)
ou les cases noires des mots croisés !
Oui ! les cases noires des mots croisés!
Elle hurle, elle hurle, comme l'ange du jugement dernier.
J'abandonne tout. 
Je referme le dossier mémoires.
Avant de sortir, je jette pourtant :
-Moi, je n'ai pas la photo de mon chien, en fond d'écran,
 sur mon téléphone portable.
Elle jette un oeil sur son téléphone, là, 
juste à côté d'elle, sur le lit.
-Je vais ranger la maison, dit-elle.
Je suis sur le pas de la porte. Il y a une odeur d'agrumes
dans l'air humide.
-Dis, tu vas revenir?
-Tôt ou tard, oui.
Julius Marx

Sur l'histoire des oranges Ouspan lire :
http://blogs.mediapart.fr/edition/ce-que-parler-veut-dire/article/061213/les-oranges-outspan

samedi 7 décembre 2013

Journal d'un idiot (11)


Dimanche
Je sens que la semaine va être épouvantable.  Pas une minute à moi. Je dois aller acheter la nouvelle X Box et puis aussi l'autre (dont je ne me rappelle même plus le nom) et puis, les installer et tenter de jouer. C'est terrible. Quelquefois, j'envie les peuples défavorisés qui n'ont ni console de jeux, ni télévision ou ordinateur. Chercher à manger au milieu des décombres et sous les tirs d'armes lourdes (tiens, au fait, pourquoi dit-on armes lourdes, parce qu'elles sont plus lourdes à porter que les autres?) doit être une occupation beaucoup plus forte et surtout plus noble.

Lundi
Réunion de la cellule du parti (tiens, au fait, pourquoi dit-on cellule, nous ne sommes pas en prison?)
J'avais prévu une  belle surprise pour le chef. Chaque semaine, il nous parle de rhum, de rhum et encore de rhum. Alors, j'ai acheté une bonne bouteille de rhum et je lui ai offert à la fin de la réunion.
Il n'avait pas l'air très content, plutôt surpris. Et puis, il m'a dit  de prendre des vacances, de rester chez moi la semaine prochaine.

Mardi
J'ai fait le test "Peut-on être amoureux de deux personnes à la fois?" dans mon journal préféré. Et puis, j'ai laissé tomber après trois questions : il faut déjà que je m'en dégote une!

Mercredi
Encore une victoire du PSG. Je suis devenu un fanatique du club. Depuis que les Cathares sont arrivés, l'équipe vole de victoire en victoire. Les Cathares ! Quelle merveilleuse civilisation, le beau château de Carcassonne  etc...

Jeudi
Bientôt Noël ! J'ai bien le droit de me faire un petit cadeau, non?  C'est décidé, je m'achète  les oeuvres complètes de Laurent Ruquier. Voila un auteur français, un vrai. A mon avis, il devrait déjà être à la Comédie Française depuis belle lurette.

Jeudi soir
Regardé le show Nabilla à la télé.

Vendredi
Nelson Mandela est mort la nuit dernière. Mon chef m'a dit que c'était un terroriste, et communiste, en plus!  Je ne sais pas si politiquement il a fait avancer les choses dans son pays mais, j'espère bien que la mode de ces atroces chemises bariolées va disparaître avec lui. Heureusement, à l'époque, la télé était en noir et blanc.

lundi 2 décembre 2013

Le Griot

Et revoilà notre commissaire de police de la ville de Veninsart (1) , capitale de la Caïnie.
Aujourd'hui, il nous raconte l'histoire d'un autre conteur.





                                           Le griot


Le grain de maïs n'aura jamais
raison face à la poule.
(Proverbe Béninois)

Aucune histoire n'a jamais peut-être autant scandalisé la population de Barnes que celle du griot.
Dans le train qui le ramenait ce soir-là vers notre capitale, assis entre deux gendarmes, le griot Oumar Touré, conteur et musicien sénégalais, se sentait fort malheureux, mais il ne pleurait point. Même enveloppé dans son anorak avec capuche et col de fourrure, il frissonnait.
Qu'était-il arrivé à ce géant large d'épaules orné d'une longue barbe en éventail formant comme une serviette sur sa poitrine ? Pourquoi ces gens qui l'avaient accueilli le matin même d'une manière si chaleureuse, si prévenante, s'étaient-ils subitement transformés en bêtes féroces ? Il n'en avait pas la moindre idée. Décidément, l'homme blanc se montrait toujours imprévisible. Il se demandait s'il parviendrait un jour à percer le profond mystère qui entourait ce peuple qui lui faisait penser à la mer lorsqu'elle se fâche et que ses vagues en colère détruisent les cabanes branlantes de son village.
Il tenta de se remémorer les événements de cette pénible soirée dans un ordre chronologique.
Dès le début de son spectacle, comme il le faisait à chaque représentation, il avait repéré quelques visages d'enfants au premier rang. Ces histoires, il les racontait d'abord pour eux. Son art, légué par ses ancêtres était fondé sur la connaissance et le partage, aussi avait-il prit l'habitude de jouer avec les réactions des plus jeunes, ceux dont le cerveau n'avait pas encore été blanchi par la télévision. Il prenait soin de les faire participer au spectacle, échangeant avec eux rires, chansons et quelques préceptes de morale. A ses yeux, leurs sourires devenaient beaucoup plus importants que le maigre cachet versé par l'association culturelle qui l'engageait pour la soirée.
Les adultes riaient aussi, bien sur, et quelquefois même de bon coeur, mais dans leurs yeux il percevait encore la supériorité du colonisateur.
Si certains se gaussaient, une bonne partie du public prenait bien garde de ne jamais laisser transparaître ses sentiments, affichant des expressions hautaines et sérieuses car, au pays de l'homme blanc, il ne faut jamais se comporter comme un enfant.
Le drame se produisit alors qu'il contait l'histoire de la belle princesse Fatoumata condamnée à partager sa vie avec un horrible crapaud buffle.
-Je vis l'enfer sur terre, se lamentait la jeune princesse par la voix du conteur.
Quand mon mari me regarde avec ses gros yeux globuleux , je me sens défaillir. Il s'approche de moi et...Pouah ! c'est affreux ce qu'il peut sentir mauvais !
Les enfants éclatèrent de rire.
-Vous ne pouvez pas imaginer un pareil supplice, poursuivait le conteur en faisant une horrible grimace, il sent la vase et le caca d'éléphant !
Les enfants jubilaient. Certains se pincèrent le nez.
-Bien sûr, il est très riche, mais, cette odeur... pouah!
Le conteur se tenait maintenant tout près des jeunes enfants.
Dans votre pays, on dit que l'argent n'a pas d'odeur. Eh bien , mes enfants, je peux vous dire que c'est faux. Parfaitement, il n'y a rien de plus faux ! Le mien....
-Il sent la vase et le caca ! reprirent les enfants dans un choeur parfait.
-Oui, exactement approuva le griot en secouant la tête.
Puis, il s'était emparé de sa calebasse et s'était mis à frapper en cadence sur l'instrument de musique.
Surexcités, les enfants l'accompagnaient maintenant en tapant dans leurs mains en cadence, en frappant du pied sur le sol.
 Et, au moment où la belle princesse faisait disparaître son horrible mari avec l'aide d'un prince charmant venu de la forêt, se produisit l'événement qui allait déclencher le scandale.
Un homme rougeaud à gros ventre, sanglé de force dans un costume pied de poule avec des yeux globuleux et le visage couvert de boutons s'était levé brusquement, bousculant au passage les spectateurs à ses côtés, jetant devant lui et sans ménagement les quelques chaises qui lui barrait le passage.
Il s'était retrouvé dans l'allée principale de la petite salle ; s'était subitement immobilisé en tendant son gros coup d'iguane en direction de notre conteur. Ses yeux étaient totalement sortis de leurs orbites, sur son visage en feu, de grosses veines pourpres palpitaient.
-Sale nègre ! avait-il simplement crié avant de sortir.
Une grande brune avec un cou d'autruche s'était alors levée à son tour et se dirigeait vers la sortie entraînant à sa suite une autre femme couverte de bijoux avec une corbeille de fruits rouges sur un chignon torsadé.
Un spectateur petit et girond avec un nez busqué s'était posté face au conteur et le fixait avec une expression de profond mépris.
-Vous devriez avoir honte ! avait-il craché. Après tout ce qu'on a fait pour vous!
Le conteur demeurait hébété au centre de la scène. Il suait de peur mais ne laissa pas percer sa faiblesse. Il n'aiment pas la musique, pensa-t-il en posant sa calebasse.
Puis, alors qu'il s'apprêtait à raconter l'histoire du caméléon qui a perdu la mémoire, un grand cri venu du fond de la salle sonna la charge.
-Dehors ! Jetons le bamboula dehors!
Aussitôt, comme si le public ulcéré n'avait attendu que cette injonction pour passer à l'action, une foule incontrôlable avait envahi la scène.
Ils l'avaient presque battu ! Un homme gras et rouquin, les yeux injectés de sang, était même parvenu à le mordre au mollet ! Des femmes criaient comme des hyènes en chaleur. Le griot  avait bien tenté de filer, mais, comme prendre la fuite quand une vingtaine d'animaux sauvages vous tombe sur le paletot ? Il lui était impossible de se soustraire des griffes de cette meute et sans l'arrivée providentielle des hommes de la gendarmerie de Barnes il y a fort à parier que cette soirée se serait achevée tragiquement.
Les blessés furent secourus, les enfants raccompagnés à leur domicile, et tout rentra dans l'ordre.
On devine l'inépuisable matière que les feuillistes de périodiques à sensations ont réussi à extraire de cette pénible histoire.
Il m'a été donné de lire tant de choses grotesques et erronées dans l'unique but de produire du piquant que je me dois de favoriser la cause de la vérité.
Apprenez que les habitants de Barnes, en précipitant le petit drôle (2) hors de la scène, n'ont fait que leur devoir.
Ces hommes et ces femmes, tous de très bons citoyens de la commune, n'ont pas supporté de  voir leur maire ainsi ridiculisé, couvert de honte, et de surcroît par un étranger.
Même s'il n'est pas interdit de rire de la profession et des déboires conjugaux de l'autre dans le strict domaine privé, sur le territoire de Barnes se sont des choses qui ne se font pas devant un public. Et vous pouvez en être certain, cela ne se fera jamais, tant que la civilisation régnera dans cette ville.Cette pénible histoire en offre la preuve irréfutable.
Voici ce qui arrive lorsqu'on se sert de la dérision comme le font hélas trop souvent aujourd'hui les saltimbanques.
Comprenez moi bien, j'affirme qu'il existe des artistes qui travaillent autrement qu'en tourmentant inlassablement les honnêtes gens et leur popularité n'est plus à démontrer même si leurs détracteurs parlent de plates élucubrations.
Quant au griot, on raconte qu'il aurait totalement perdu l'usage de la parole. Si ses congénères s'interrogent sur ce mutisme, nous savons vous et moi que les causes en sont totalement naturelles.

(1) Voir l'histoire Le Frelon dans ce blog.


(2)- Allusion à l'histoire "Le diable dans le beffroi " de E.A.Poe.

L'image illustrant ce texte  est extraite du site Portamento Mediterranée  et elle illustre une annonce du groupe ExtMusic.