La journée est une maîtresse qui se donne à toi grande ouverte.
Les cerfs s'abreuvent en bord de route et les pies
s'écartent devant ta voiture. Bien loin de toute cité,
ta radio claire et nette diffuse un surprenant
Mozart de Belgrade, ou un rock and roll
de Butte. Qu'importe l'air qui vient,
tu veux l'entendre. Jamais ta Buick
n'a connu telle allure. Même
la salade de thon à Reedpoint a bon goût.
Les bourgades défilent en avance,
Absorakee à une heure, ou si tard,
Silesia à neuf heures, que tu reprends ta journée.
Où t'es-tu arrêté sur la route en quête
de bon temps? Près d'un cheval fugueur?
T'es-tu garé devant cette maison solitaire
en plein désert de grain, blanche derrière sa haie verte
et sa barrière rouge? Tu y aurais vécu,
à t'en croire. Tu te rappelles les éclats du ruisseau,
les lignes tendres et brunes des bisons sur fond lointain.
Tu es resté des heures, sans doute, avant de repartir.
Une fois au motel, tu sais que tu ne l'avais jamais vue.
Demain se donnera à toi, un ciel béant comme
une bouche de sauvageonne et des nuages
craquants à te perdre. Tu te lâches
dans ce pays sans humain à la ronde ni crainte
de capture dans la course des lapins,
le bond des antilopes ou les bouillons furieux
des ruisseaux qui s'accostent.
Richard Hugo
(La dame du bassin de Kicking Horse)
in Si tu meurs à Milltown
Traduction de Michel Lederer
10/18