mercredi 28 août 2013

Jour de chance


D'un seul coup, votre coeur bat un peu plus vite. Vous oubliez le soleil qui vous brûle le dos, les intrus qui vous bousculent, la cacophonie ambiante. Vous êtes à genoux et rien ni personne n' a le pouvoir de vous faire relever la tête.
Là, entre un des bouquins de Patrick Sébastien, un bronze martelé et une antique cafetière vous venez de dénicher un livre. Il n'est pas épais, tout juste une vingtaine de pages, mais, vous devinez  tout de suite que son histoire est magnifique. La couverture jaunie, le nom de l'auteur, ceux du directeur de collection et du traducteur vous transportent déjà dans d'autres contrées. Et puis, en bas de page vous découvrez son lieu de naissance ... Alger la blanche, en 1941 !
Vous pensez à vous relever, car c'est le moment de la négociation mais, vous lisez encore cette dédicace écrite d'une main tremblante sur la première page.


En donnant deux euros au marchand, vous oubliez son sourire carnassier, vous ne pensez qu'à la nuit qui s'annonce et à son ciel damasquiné d'étoiles.
Julius Marx

Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert ;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond de nuit sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.

Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.

La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitant et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.

Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coût de chaque heure leur fait mal ;
ils rôdent, solitaires, autour des hôpitaux
en attendant leur admission avec angoisse.

La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là ;
tandis que leur propre fin prend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas.
Rainer Maria Rilke
Le livre de la pauvreté et de la mort
traduction A.Adamov
Collection Fontaine sous la direction de Max-Pol Fouchet
Edmond Charlot éditeur
Alger / 1941

lundi 26 août 2013

La marche du temps





Nous sommes les sans trêves.

Mais la marche du temps,
tenez-la pour babiole
dans le sable à jamais.

Tout ce qui n'a que hâte
n'aura fait que passer;
ce n'est que séjourner
qui seul nous initie.

Ne vous lancez pas intrépides,
ô jeunes gens, dans la vitesse,
dans la tentative aérienne.

Tout est repos :
ombre et clarté,
et fleur et livre.

Rainer Maria Rilke
Sonnets à Orphée (22)
 Poésie/Gallimard