lundi 27 décembre 2021

Nouvelle année



C'était pendant les quelques jours entre Noël et le jour de l'An. Pour des types comme nous, pas question de se pointer dans une église en espérant trouver un monde meilleur ; les bistrots sont des lieux de rédemption parfaits.  Je le dénichai tout au fond de la salle. Monsieur jouait le Pacha de la moleskine, rêvant probablement aux iles sous le vent. Lorsque je lui tapai sur l'épaule, il ouvrit un oeil. 

-Tiens, te v'la ?

-Oui, me v'la.

Il se déplia lentement, histoire de revenir sur terre. Pourtant, son esprit vagabondait encore sous les cocotiers. Il balança ses coudes sur la table et se prit la tête entre les mains.

-Ca va?

-Ouais, ça va... Je me disais simplement que la terre tourne autour du soleil en 365 jours, 5 heures et 48 minutes..

-A peu près...

-Ouais, à peu près... Mais nous, pendant ce temps-là, qu'est ce qu'on fait? Hein, qu'est-ce qu'on fabrique dans ce putain de monde?

Je regrettai de l'avoir réveillé, poussai un petit soupir et tournai les talons.

- Hé ! où tu vas, mec ?

-J'vais me chercher une église sympa pour me taper un petit roupillon.

Je l'entendis murmurer quelques mots où il était question du Saint Esprit et de la résurrection puis, plus rien.

 A la porte du bistrot, je tombai sur le Père Noël qui entrai pour s'en jeter un petit  dernier sous sa barbe blanche, pour la route.


Julius Marx

photo Bruce Gilden
"Le père noël quitte un bar" (1968)

mardi 21 décembre 2021

J'ai lu tous les livres !

 




Non

On ne vieillit pas,

On s'assagit.

On devient plus calmes, 

plus posés,

Mais certainement pas rassasiés.

Lorsque enfin nous aurons observé

de nos yeux fatigués,

que tous les goûts sont vraiment 

dans la nature,

Que les amours sont autant

de parfums tenaces,

On trouvera peut-être, 

le courage et l'insolence 

de lancer comme Mallarmé

"J'ai lu tous les livres!"


Julius Marx

dimanche 28 novembre 2021

Préface

 



Comme le sourd se contente de son sonotone, l'aveugle de son toucher ou son odorat, l'admirateur de Montalbano se contentera de "Mort en pleine mer (et autres enquêtes)". Il apprendra que ces histoires brèves ont été dictées par le Maestro à sa dévouée secrétaire. Il pensera peut-être qu'un petit film (l'admirateur n'est pas gourmand) de ces séances aurait  suffi à le plonger  aussitôt dans un état proche de la béatitude. Il restera songeur en pensant que le plus beau de ce bouquin là  reste la préface de Serge Quadruppani. Sans tristesse ni nostalgie, le traduttore  a imaginé un dialogue avec le commissaire. Cette conversation toute poétique  permet de repasser en revue les thèmes forts de l'univers Montalbanien  (eh oui, on dit bien Flauberien). En lisant ce texte, l'admirateur ne cessera d'opiner du chef en murmurant "oui, Serge, tu as cent fois raison.. Montalbano, c'est  tout à fait ça!" Même s'il regrettera pourtant de ne pas y voir quelques lignes sur la nourriture, l'admirateur sera comblé.

Voilà, vous êtes prévenus. Mais, vous savez aussi que l' admirateur n'est jamais content.

Julius Marx

vendredi 26 novembre 2021

Bohème, flâneur et photographe

 



Qu'est-ce qu'un bourgeois? Celui-là n'est pas un bourgeois, celui qui est doué de sens créateur, celui qui peut prendre une décision dont il ne mesure pas encore les conséquences. Celui qui est capable d'extases, non pas celles que donnent l'argent, l'alcool, les filles ou la politique, mais celles qui proviennent de la solitude, du souci, de la faim, de la beauté, de la pure perception du sublime. Mais vous êtes des bourgeois. Votre mesure, c'est la couleur de vos ongles et le pli du pantalon, des certificats et une montre précise, la politesse, mais jamais l'humanité. La routine, mais pas la création ou l'invention.

Umbo (Otto Umbehr)

(Journal intime -1995)

"Bohème, flâneur et photographe", sont les premiers mots de l'introduction de Herbert Molderings pour présenter Umbo dans le petit livre de la collection Photo-Poche 1996. 

Photo : Autoportrait à la plage- 1930

lundi 1 novembre 2021

Le jour des morts

 




"C'est étrange comme on se sent bestialement vivant en remontant les allées d'un cimetière"

Léonardo Sciascia 


En Sicile, pénétrer dans une ville de moyenne importance comme Enna et surtout, en sortir sans encombre, relève de l'exploit. Les panneaux indicateurs (si vous avez la chance de les dénicher) sont quelquefois pointés vers le ciel, d'autres fois vers le sol, et même quelquefois dans les deux directions à la fois. Cette curieuse géométrie  peut laisser perplexe mais, grâce à ce coup de pouce involontaire des services municipaux, la chance nous a sourit ce jour-là. En remontant une belle route rectiligne bordée d'arbres, que nous espérons être la nationale menant à Grammichele, nous nous retrouvons subitement sur le parking du cimetière de la ville. Nous sommes le jour de la fête des morts et les marchands de fleurs ambulants ont poussés plus vite que les géraniums. Vaincus, nous décidons  de visiter ce fameux cimetière. C'est une véritable petite ville que nous devons visiter. Dans les allées larges et rectilignes, hommes, femmes et enfants, sont occupés au nettoyage des caveaux familiaux (il faut préciser que la veille, l'Etna a décidé de fêter lui aussi les défunts à sa façon en recouvrant toute l'île d'une fine suie noirâtre.) Ces caveaux sont tous d'une beauté solennelle et même si certains affichent clairement leur rang social en poussant fièrement leur flèche bien au-dessus des autres, les familles chargées du nettoyage ont bien toutes le même balai en main. Tout est si calme, apaisé, que c'est à peine si l'on perçoit la plainte du vent entre les tombes et les stèles. Ici, on frotte la photo émaillée du grand-père, là, on en profite pour prendre un petit "en cas", assis sur des chaises pliantes. Les enfants sont résignés. Les parents racontent une fois encore la vie magnifique de leurs oncles, les voyages de leur aïeuls, le destin brisé d'une cousine. Ce dialogue si particulier d'un peuple avec ses morts orchestré  par le volcan nous plonge dans la mélancolie.

Enna / Sicile/ 1 novembre 2013.

(Extrait du livre "Ecrits de voyage" toujours disponible sur demande)

lundi 25 octobre 2021

Chant nocturne




Toi qui demeure à Tséghihi dans la

Maison faite d'aurore

Maison faite de crépuscule

Maison faite du sombre nuage

Maison faite de la pluie mâle

Maison faite du noir brouillard

Maison faite de la pluie femelle

Maison faite de pollen

Maison faite de sauterelles

Où le nuage noir voile l'entrée

Le  sentier s'échappe du sombre nuage

L'éclaire brisé se tient dans les hauteurs.


(Chant nocturne des premiers danseurs -Extraits)

Poèmes Navajos 

(Version de Dominique Freslon et Jacques Roubaud)

samedi 9 octobre 2021

Un Parigot et un Amerloque

 


















Un parigot et un amerloque, ça peut pas s'entendre, c'est pas fait pareil.

Ca peut peut-être pas s'entendre, mais ça peut écrire...Tenter un rapprochement entre deux monstres, pourquoi pas ?

Oui.. Pourquoi pas, voyons cela... Tiens.. 


Dallas, 23 novembre 1963.

Une sécurité de merde. Bordélique. Inconséquente. Inefficace.

Pete visitait le commissariat central. Guy lui avait procuré un laissez-passer. Il n'en avait pas eu besoin. Un branque fabriquait des faux. Ledit branque vendait aussi de l'herbe et des photos de cul. Les portes étaient grandes ouvertes. Des traîne-lattes taillaient  une bavette. Les gardiens en faction posaient pour les photographes. Les câbles d'alimentation des caméras serpentaient sur le trottoir. Les camionnettes de reportage bloquaient la rue. Les journalistes rôdaient. Ils harcelaient le procureur. Ils harcelaient les flics. Il y avait une foule de flics ( agents fédéraux, policiers de Dallas, adjoints du shérif), tous des grandes gueules.

Oswald est socialo. Oswald est coco. Oswald adore Fidel. Il aime la musique folk. Il aime baiser les négresses. Il adore Moricaud Lucifer King. On est sûrs que c'est lui. On a trouvé son arme. Il a agi seul. Je crois qu'il est pédé. Il peut pas pisser quand il y a d'autres hommes dans les toilettes.

Pete rôdait. Pete examinait le tracé des couloirs. Pete relevait le plan de chaque niveau. Il traînait une méchante migraine. Interminable. Avec du poil aux pattes.

James Ellroy (American Death Trip)


La demoiselle nous demande pas de détails. Elle nous fait asseoir...chacun devant un gros oeil de verre...la Vigue veut qu'on le laisse réfléchir...une seconde...le temps de s'arranger un peu...penses-tu!...tac! tac ! tac! ...on est pris!...la technicienne ne peut pas attendre!...elle nous montre tous les gens dehors!...nos trois tabourets sont occupés, illico!...et nous, rejetés debout !...ça se développe dans le cagibi...deux minutes! voici!...je paye...dehors nos binettes!...là, on a le temps...on se regarde...et regarde encore...Lili, moi, la Vigue, on a changé de tronches!...le flic de la Polizei a raison...je m'occupe pas beaucoup de ma figure, mais là vraiment de quoi s'amuser!...des yeux, des calots qui ressortent; presque du "Basedow"...et plus de joues du tout!...des bouches flasques, comme de noyés...Tous les trois!...on est vraiment devenus horribles...trois monstres...pas niable!...comment on est passés monstres?... nos tronches d'effarés guignols criminels!...le saisissement?...on est mimi...surtout le Vigan qu'est à rire lui le charmeur célèbre, aussi envoutant à la ville qu'en film ou la scène...qu'elles étaient toutes folle! il fait aussi incongru que nous en "Photomaton"...traqué...effaré...Lili aussi, pourtant mignonne, traits réguliers, criminelle en rien, la voici marâtre assassine, les cheveux en tornade et Sabbat, sorcière sur le retour, elle qu'à pas vingt ans...

L'Allemagne nous réussit pas...

Louis-Ferdinand Céline  (Nord)



lundi 27 septembre 2021

Le Polar est Célinien

  




Il s'était couché , et avait eu du mal à s'endormir à cause des télés et des transistors qui transformaient le camping en champ de foire. Puis le sommeil était venu. Il avait dormi par épisode, par petits sommes, à cause des bruits. Pas des bruits de radios, cette fois. Des bruits de chiottes. Les waters principaux étaient à dix mètres de sa guitoune. En entrant dans les barbelés, il n'avait pas pris garde à ce détail. Bruits de gogues. Un va-et-vient incessant. Une courante collective sous les pins et les mélèzes. Le grand collecteur et ses effluves bravant l'air de l'océan. Ajoutez à cette Bérézina des boyaux les rires accompagnant les galipettes sous les tentes, les soupirs de ceux qui ne folâtrent qu'entre juin et septembre (le 1er octobre on la met dans la naphtaline ) , les rots honteux d'un monde trop bien nourri, tout un bruit de fond immonde, tout un murmure d'égout, de gaité indécente, de vacances serrés les uns contre les autres en un fraternel amour, presque bouche à bouche.

Pierre Siniac

Les Mal Lunés

La poésie féroce, cruelle et célinienne du grand Siniac.

mardi 14 septembre 2021

Comment lire un livre





 L'inattention est la manière la plus répandue de lire un livre sauf que la plupart des livres d'aujourd'hui ne sont pas seulement lus mais écrits avec inattention. Ou alors  avec une attention qui relève de l'entente auteur-lecteur. On lit comme on fume, pour s'occuper les mains et les yeux. On commence même à trouver des livres abandonnés sur les sièges des trains. Ils ont été lus par habitude, par ennui, par horreur du vide et de soi-même. Parmi les vices, disait Valéry Larbaud, la lecture est un vice impuni mais dans certains cas, cesser de lire comme de fumer peut éviter de graves conséquences.

On peut aussi lire un livre par défiance ou envie. Dans ce cas, le livre est trop attrayant , on se dit qu'on aurait aussi bien pu  l'écrire soi-même et récolter gloire et argent. Il suffisait d'y penser. Il s'agit de livres à grand succès, les "meilleures ventes" . En règle générale, ils traitent un faux problème, une situation à la mode, une question d'intérêt ou d'actualité. Ils se laissent lire anxieusement, avec colère, et pour continuer à en douter quand on est arrivés au bout, mais aussi pour découvrir le secret de leur agrément. Après quelques années quand on les redécouvre dans sa bibliothèque, on a envie de les jeter. Le fait est qu'ils deviennent laids même d'aspect, ils n'ont pas su bien vieillir. Ils sont plutôt la preuve que la beauté d'un livre en tant qu'objet ne peut faire abstraction de son contenu. Il n'est pire abus qu'un livre stupide avec une reliure de luxe.

La troisième façon de lire un livre est la plus simple mais c'est celle des grands lecteurs. Elle s'acquiert avec l'âge, l'expérience, ou bien c'est un don que l'on se découvre, depuis l'enfance, avec la révélation des premières lectures. Il n'est plus question d'abandonner "ce" livre, on le laisse et on le reprend, on "couche avec" . Et comme seuls les grands peuvent susciter cette façon de lire, avec le temps ne resteront autour de nous que des livres excellents. Et l'on deviendra perfide, capable de comprendre un livre au premier coup d'oeil et de s'en libérer au plus vite. En revanche, le livre qui convainc, lui, restera quelques temps toujours à portée de la main, sur le bureau ou la table de chevet, pour le simple plaisir de le voir, de le terminer sans hâte: le but est en effet de le relire, de le reprendre quand tout va mal, d'y trouver cette confirmation de la vérité que seules les pages peuvent livrer à l'exclusion de ce que nous vivons.

Tous les grands livres ont été lus et continuent à l'être de cette façon. Il serait plus exacte de préciser qu'il ne s'agit pas de les lire mais de les habiter, de s'en revêtir. Dans notre répertoire, nous n'en trouvons chacun qu'une petite centaine, en comptant large. Et beaucoup auront attendu des années avant d'être repris, un jour d'intense dégoût existentiel. Mais c'est là leur force.


Ennio Flaiano 

"Comment lire un livre" in Jargon essentiel pour passer inaperçu en société

(1967)



lundi 6 septembre 2021

Un bon conseil




Analyser plutôt mes récits que les infractions de mon existence. (Hem)

dimanche 29 août 2021

Westlake melody

 



Eva Milford était un mécanisme d'horloge qu'on avait trop remonté. Sa mise en plis était tellement serrée; tellement rigide  qu'elle donnait l'impression d'avoir été faite par l'inquisition espagnole. Son buste n'était pas corseté, il était pétrifié, comme une forêt millénaire. Son tailleur marron foncé et son chemisier corail chichiteux lui donnaient un air de vieille fille aigrie dans un pool de sténodactylos. Quant à son visage, il était fermé comme une banque un dimanche.

Elle entra et resta debout. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elle serrait contre son estomac un petit sace à main. Elle ressemblait à une mère de famille indignée  qui vient récupérer un rejeton délinquant au commissariat.

-Je veux rentrer chez moi, s'exclama-t-elle. (La voix aussi était indignée. ) J'en ai assez de tout ceci. Je veux rentrer chez moi.

-Il y a une femme morte dans cette maison, madame, déclara Danamato d'un ton pompeux.

-Dans le congélateur du sous-sol, très exactement, précisa Grofield, plus badin.

Richard Stark

The Dame

La Dame

mercredi 25 août 2021

Le Polar est Cruel

 



Shevelly resta silencieux. Parker, qui le dévisageait, comprit qu'il était inutile de discuter, et qu'il ne pouvait plus ni lui faire confiance ni se servir de lui. De son pistolet, il fit signe à Shevelly de s'en aller.

-Descendez de la voiture.

-Quoi?

-Allez, descendez. Laissez la porte ouverte et reculez sur le trottoir sans me tourner le dos.

Shevelly fronça les sourcils.

-Pourquoi?

-Je prends mes précautions. Allez.

Déconcerté, Shevelly ouvrit la portière, descendit sur le trottoir et se retourna pour se retrouver face à la voiture.

Parker se pencha à droite, le pistolet tendu à bout de bras devant et visa la tête de Shevelly. Shevelly, comprenant ce qu'il allait faire, leva brusquement les mains devant son visage pour se protéger, en vociférant:

-Je ne suis que le messager!

-Et maintenant, vous êtes le message, répliqua Parker, et il pressa la détente.

Richard Stark

Butcher's Moon

(Signé Parker)

mercredi 18 août 2021

Si j'avais besoin de toi




Si j'avais besoin de toi


Voudrais-tu venir à moi,


Voudrais-tu venir à moi,


Et soulager ma douleur ?


Si tu avais besoin de moi


je viendrais à toi


je nagerais les mers


Pour soulager ta douleur

Dans la nuit désespéré


Le matin est né


Et le matin brille


Avec les lumières de l'amour


Tu vas manquer le lever du soleil


Si tu fermes les yeux


ça casserait


Mon coeur en deux

La dame est avec moi maintenant


Depuis que je lui ai montré comment


Pour poser son lys


Main dans la mienne


Loop et Lil sont d'accord


Elle est un spectacle à voir


Et un trésor pour


Les pauvres à trouver.

Townes Van Zandt
Source : Musixmatch
Paroliers : Van Zandt Townes
Paroles de If I Needed You © Katie Belle Music
Découvert ce personnage   si émouvant, sorti probablement d'un roman de Carver.

jeudi 22 juillet 2021

La disparition des couleurs vives

 





Nous sommes appuyés au parapet de la terrasse pour les visiteurs, face au soleil, tournant le dos à Pinchacha où se découpent en vert vif les parcelles indiennes plantées de maïs, de luzerne, de haricots ou de pommes de terre; plus loin en contrebas des bosquets eucalyptus luisent du même vert argenté que les oliviers; et, au-dessus, près du pic qui domine Quito, encastré dans la montagne, brille la grande croix métallique d'un appareil militaire, égaré un jour dans le brouillard. Devant nous s'étend la piste avec en son milieu une bosse, l'échine cagneuse d'un chien.

De nos jours, c'est le grondement des réacteurs qui annonce le départ et qui proclame, méprisant, la disparition  des couleurs vives dont l'imagination revêtait les capitales lointaines, toutes soumises à ce phénomène de "médiocrisation". Voilà tout au moins ce que je ressens avant le début du voyage et je n'éprouve que du ressentiment à l'égard de ces cigares obèses en aluminium qui ont effacé l'aura romanesques des terres lointaines et réduit le monde à la taille d'une citrouille.

Moritz Thomsen

Le plaisir le plus triste


Difficile (très difficile même) de choisir un extrait du grand Moritz Thomsen tant son oeuvre est multiforme. Dans ce livre là, les récits de voyages font naître des souvenirs de jeunesse  qui peuvent s'achever en pure fiction. Une pure beauté d'une poésie rare.

Pour tout savoir sur cet écrivain américain pour le moins singulier je conseille le livre de Philippe Garnier "Maquis". 

vendredi 25 juin 2021

Le Lourd et le léger

 


-Quelle phrase aimeriez-vous écrire avant de mourir?

-Ils étaient lourds. Voilà ce que je pense , oui. Les hommes en général, ils sont horriblement lourds. Ils sont lourds et épais, voilà ce qu'ils sont. Plus que méchants et bêtes en plus, ils sont surtout lourds et épais.

-Et vous , vous avez essayé d'être léger?

-Ah ! Je n'ai pas besoin d'essayer. Je suis le fils d'une réparatrice de dentelles anciennes. Je n'ai pas besoin d'être éduqué et je sais également la beauté des femmes comme celle des animaux. Très bien, très très bien. Je suis expert en ceux-ci. mais pour être expert en ceux-ci, il faut vraiment s'en occuper. C'est dans son laboratoire intime qu'on s'occupe de ces choses-là. 

Louis-Ferdinand Céline.

Exrtrait de: Entretien avec Louis-Albert ZBINDEN (1957)

samedi 5 juin 2021

La séparation





 Minot, je redoutai déjà le moment fatidique où quelqu'un de la famille allait lancer : "Bon, même les meilleures choses ont une fin!" Pourquoi fallait-il justement que ces instants sublimes que sont les jeux entre gamins cessent subitement parce que les grands l'avait décidé et surtout, pourquoi ces fichus dimanche soir existaient-ils?

Plus tard, j'ai fini par comprendre que les instantanés scintillants de la vie n'étaient que misère face aux obligations et autres servitudes de l'être humain. Manifestement, celui qui l'a compris encore bien plus tard que moi c'est le Maestro Camilleri. Comme la plupart des poètes, cet homme a probablement lutté pendant toute sa vie pour l'abolition totale des dimanches soir.

Réjouissons-nous ! Son dernier roman va faire un  plaisir immense à tous les gamins que nous sommes! Laissant ( volontairement? ) de côté l'intrigue proprement dite, l'auteur malicieux privilégie les personnages si caractéristiques qui ont largement contribué au succès de son oeuvre. 

Augello le Don Juan est encore plus macho et Catarella plus catarellesque que jamais. Fazio n'en finit pas de bougonner, le docteur Pasquano de déblatérer, et Monsieur le Questeur de dire des âneries. N'oublions surtout pas Enzo et Adelina  qui se livre un combat gargantuesque dont l'issue est de savoir qui va faire mourir le premier notre commissaire d'indigestion.

Livia ! Ah Livia ! Jamais, je pense, elle n'aura été si présente. Omniprésence qui vire à l'obsession. Bref, le lecteur a vraiment le sentiment que tout ce joli monde s'est donné rendez-vous pour un dernier adieu.  Mais pourquoi faut-il qu'une petite voix assassine résonne dans ma tête : "Les meilleures choses ont une fin, Julius. Toujours."

Arrêtez de me cassez les couilles !


Julius Marx

jeudi 6 mai 2021

Dernier fragment

 



Et as-tu reçu ce que

 tu voulais  de cette vie, malgré cela?

Oui.
Et que voulais-tu?

Me dire bien-aimé, me sentir

bien-aimé sur la terre.


Raymond Carver 

in Jusqu'à la cascade

samedi 1 mai 2021

Les sans-trêve

 






Nous sommes les sans trêve.

Mais la marche du temps, 

tenez-la pour babiole

Dans le stable à jamais.


Tout ce qui n'a que hâte

n'aura fait que passer;

ce n'est que séjourner

qui seul nous initie.


Ne vous lancez pas intrépides,

ô jeunes gens, dans la vitesse,

dans la tentative aérienne.


Tout est repos:

ombre et clarté,

et fleur et livre.


Rainer Maria Rilke

Sonnets à Orphée

mercredi 28 avril 2021

Matin





Fais ça pour moi ce matin. Tire le rideau et reviens te coucher.

Laisse tomber le café. On va faire semblant d'être à l'étranger, et amoureux.

Raymond Carver

in La route

vendredi 23 avril 2021

Vertige

 



Je n'ai jamais rien demandé à ce que je lis que le vertige: merci à qui me le fait perdre, et il suffit d'une phrase, d'une de ces phrases où la tête part, ou c'est une histoire qui vous prend. Aucune règle ne préside à ce chancellement pour quoi je donnerai tout l'or du monde... / 

.../Et , maître des incipit, c'est Baudelaire même qui m'interrompt au premier vers de ses poèmes, tant je crains après ce vers-là de descendre.

Louis Aragon

Un perpétuel printemps

Les Lettres françaises (Novembre 1958)

mardi 13 avril 2021

Amour !

 




Laura, ma douce, ma solide Laura, dit d'une voix égale. "Je ne sais rien de Carl ni de la situation. qui peut juger de la situation des autres, de n'importe quel autre? Seulement, Terri, je ne savais pas qu'il te brutalisait."

"Quand je l'ai quitté, il a avalé de la mort-aux-rats", dit Terri. Elle se plaqua les mains sur les bras. "On l'a emmené à l'hôpital à Santa-Fe, où nous vivions à l'époque. On lui a sauvé la vie et ses gencives se sont séparées. Je veux dire qu'elles se sont écartées de ses dents. Après ça ses dents ressortaient comme des crocs. "Mon Dieu, dit-elle. Elle attendit une minute puis, lâchant ses bras, reprit son verre.

"Qu'est ce que les gens ne vont pas chercher! dit Laura. Je le plains alors que je ne sais même pas s'il m'est sympathique. Où est-il aujourd'hui?

-Il a quitté la partie, dit Herb. Il est mort." Il me tendit la soucoupe de citrons verts. J'y pris un quartier que je pressai au-dessus de mon verre avant de remuer les glaçons avec le doigt.

"Et ça n'a fait qu'empirer, dit Terri . Il s'est tiré une balle dans la bouche, mais, ça aussi, il l'a raté. Pauvre Carl, dit-elle en secouant la tête.

-Pauvre Carl rien du tout, dit Herb. Il était dangereux."

"N'empêche qu'il m'aimait , Herb, accorde-le moi, dit Terri. C'est tout ce que je te demande. il ne m'aimait pas de la même façon que toi, je ne dis pas. Mais il m'aimait. Tu peux me l'accorder, non? Je ne te demande pas grand-chose.

Raymond Carver

Beginners

(Debutants)

jeudi 8 avril 2021

Un poète

 



Carver est grand.

Il est indispensable parce qu'il nous fait découvrir la poésie qui existe dans le quotidien.

 Et elle se cache partout la poésie .

Elle se cache dans un gâteau d'anniversaire, des limaces, un vieil électrophone ou même des aventures amoureuses sans lendemain.

Grâce à elle, tout ceux qui ont échoué peuvent se sentir indispensable ou amoureux un court instant.

Un court instant de bonheur.

Un court instant, la réalité est piétiné, oubliée.

Carver est  grand , Carver est un poète.


Raymond Carver 

Débutants

Version Intégrale 

Collection Points Signature

mercredi 31 mars 2021

Vide-grenier

 


Dénicher un vieux Série Noire (authentique ou pas, je ne suis pas fétichiste)  nous plonge souvent dans un état second. Ensuite, vient le texte. Pour celui-ci, j'avais très envie de découvrir ce que donnait un Millar (devenu Ross Mc Donald) de la première époque. A la lecture, je pensai souvent à Manchette qui qualifiait l'homme de "suiveur".Amateur de Chandler, notre ami Ross l'est bien évidemment même si pour cette intrigue (un homme désespéré revient pour venger le meurtre de son père et nettoyer du même coup la ville pourrie)  il a plutôt lorgné du côté d'Hammett . Mais, comment ne pas lorgner du côté d'Hammett?Ce qui frappe surtout c'est cette obstination a l'accumulation de métaphores dont certaines un peu border-line comme dirait l'autre, alors que le maître de la Jollia , justement, ne se contentait généralement que d'une seule; une métaphore drôle, cynique, parfois tendre, mais toujours percutante. Malheureusement Ross ne c'est pas concentré uniquement sur les métaphores et accumulant les personnages et les situations complexes, bâclant même les scènes brutales . Et c'est ainsi que nous revenons à Hammett qui a écrit que la plupart de ceux qui ont décidé d'écrire ont la fâcheuse habitude de vouloir trop en faire. On pourrait même ajouter que l'écriture c'est un peu comme la peinture. Le peintre débutant s'embarasse de détails puis plonge dans l'abstraction. De là à penser qu'il existe beaucoup de rédacteurs et très peu d'écrivains il n'y a qu'un pas (allez hop ! Je saute le pas). Le vrai travail (et s'en est un, croyez-moi) consiste à simplifier son texte  encore et toujours. Les scénaristes d'Hollywood  avaient  même pondu une expression qui voulait dire quelque chose comme "tailler dans le gras".

Bon, vous voilà prévenus, amis lecteurs, notre bon Ross risque fort de vous refilez une surdose de cholestérol . Vous me direz que par les temps qui courent, c'est un moindre mal. Mon Dieu, ne devenez pas cyniques!

Julius Marx

mardi 16 mars 2021

Petite leçon d'écriture

 


Lorsque Genghi le Resplendissant, le plus grand séducteur qui ait jamais étonné l'Asie, eut atteint sa cinquantième année, il s'aperçut qu'il fallait commencer à mourir. Sa seconde femme, Mourasaki, la princesse Violette, qu'il avait tant aimée à travers tant d'infidélités contradictoires, l'avait précédé dans un de ces Paradis où vont les morts qui ont acquis quelque mérite au cours de cette vie changeante et difficile, et Genghi se tourmentait de ne pouvoir se rappeler exactement son sourire, ou encore la grimace qu'elle faisait avant de pleurer. Sa troisième épouse, la Princesse-du-Palais-de-l'Ouest, l'avait trompé avec un  jeune parent, comme il avait trompé son père aux jours de sa jeunesse avec une impératrice adolescente. La même pièce recommençait sur le théâtre du monde, mais il savait cette fois que ne lui serait plus réservé que le rôle de vieillard, et à ce personnage il préférait celui de fantôme.

Marguerite Yourcenar

Le dernier amour du prince Genghi

in Nouvelles Orientales

jeudi 18 février 2021

Les idées

 


Un moment j'avais cru qu'il pouvait exister quelque chose comme une idée de Nation qui soit aussi réel qu'un objet, mais j'avais tort. J'avais pas bien regardé cette petite fourmilière puante qu'est la terre. Il y a des frontières, certes, mais elles ne servent qu'à faire gagner de l'argent aux dirigeants, parce qu'ils s'opposent toujours entre eux pour rire, et ils opposent l'intérieur, et l'extérieur, c'est le Mal; ils induisent donc tout le monde de l'intérieur à s'unir derrière eux contre le Mal. C'est comme ça qu'ils restent au pouvoir, les boeufs. La dernière chose qu'il me restait à comprendre pour être un homme libre, je la comprends à cette époque; c'est que les idées ne sont pas réelles. C'est comme les romans. Il n'y a que le Sexe et l'Argent qui sont réels. Et même, avec l'Argent,  on a le Sexe, tant qu'on est jeune. Donc, tant qu'on est jeune, et je suis jeune, il n'y a que l'Argent qui est réel.

Confession enregistrée de Henri Butron in 

L'affaire  N'Gustro  Jean Patrick Manchette

Série Noire N°1407

Les idées, il s'agit pas de les aligner et d'attendre, le Mont Blanc en l'air, qu'elles bougent leur popotin. Il faut savoir les faire valser les idées. Peu sont capables d'un tel feu d'artifice, d'un 14 juillet permanent. Une délivrance, c'est ça; une délivrance.

Julius

mardi 2 février 2021

La sagesse

 


A qui peut-on s'adresser pour acquérir la sagesse? La question se révèle aujourd'hui d'une portée essentielle. Les Anciens sont discrédités. Platon est devenu un fourre-tout. Aristote vacille. Marc-Aurèle titube; Esope est plagié dans tout l'Indiana; Salomon est trop solennel; rien à extraire d'Epictète, même avec un pic.

On s'est aperçu que la fourmi (modèle d'intelligence et de labeur prôné dans les manuel scolaires depuis bien des années) n'était qu'une imbécile sénile qui perdait son temps en efforts futiles. La chouette se fait huer. Les assemblés des groupements Chautauqua ont abandonné leur vocation culturelle pour promouvoir le diabolo. Des vieillards à barbe grise rédigent des témoignages enthousiastes pour des vendeurs de produits garantissant la régénération des cheveux. Les almanachs édités par les quotidiens fourmillent d'erreurs typographiques. Les professeurs d'université sont devenus...

Mais nous ne citerons pas de nom.

Suivre des cours, se plonger dans les encyclopédies ou dans les anthologies remplies d'actions d'éclat ne nous apportera jamais la sagesse. Comme dit le poète: "La connaissance s'acquiert, mais la sagesse imprègne." La sagesse nous pénètre, sans que nous en soyons conscients, nous rafraîchit et nous profite. La connaissance est un torrent d'eau que l'on déverse sur nous avec un tuyau d'arrosage. Cela détruit nos racines. C'est donc la sagesse qu'il nous faut rechercher. Mais pour ce faire, il nous faut la connaissance. Si nous savons une chose, d'accord, nous la savons, mais le plus souvent  nous ignorons si nous avons atteint la sagesse, et...

O'Henry

Le Summum du Pragmatisme

lundi 18 janvier 2021

Introduction (3)




 A l'Ocean Palms Hotel, deux matelots avaient jeté Jack Ellis dans la cage de l'ascenseur , du huitième étage. Si, juste au même moment, la cabine, partant du sixième, n'était pas montée à sa rencontre, Jack Ellis ne serait plus que de la viande à hamburger. Tandis qu'il s'en tira avec une rotule qui, pour reprendre les paroles d'un chirurgien sentimental de Los Angeles, lui rappelait le puzzle mille pièces des chutes du Niagara que sa mère lui avait donné pour ses dix ans. Les deux marins, interrompus par Jack au cours d'une danse sur le corps d'un vendeur de cirage de Sioux Falls, avaient été sévèrement réprimandés, et renvoyés à bord du U.S.S. Wasp. En 1942, les matelots étaient un article fort recherché, tandis que les détectives d'hôtel, on en avait treize à la douzaine.


Humour, cynisme, informations ; encore un exemple de notre série "Introduction" de romans noirs. Celle-ci , écrite par le très habile Stuart Kaminsky pour son High Midnight (1981). Série conduite par le détective Tobie Peters qui rencontre de nombreuses stars d'Hollywood  quelquefois pour le meilleur, mais bien souvent pour le pire. Si dans cet opus nous faisons quelques pas au côté du grand Gary Cooper, il y a aussi Judy Garland, Les Marx Brothers, Albert Einstein, Astaire etc.  Lisez, profitez.

Julius Marx

vendredi 1 janvier 2021

Ailleurs

"Ailleurs est un mot plus beau que demain " (Paul Morand)

Débutez bien l'année (qui sait comment elle finira!) en commandant ce livre d'écrits de voyage.



Pour la somme de 15 euros (frais de port compris)
Chèque à libeller à l'ordre de Patrice Roger Chantin et à envoyer à l'adresse suivante:
60 chemin des Sablières 84200 Carpentras.
N'oubliez pas de joindre votre adresse pour l'expédition.

Bien à vous
Julius