Chaque année l'usine engraissait, avalant les terrains.(...) Et l'usine gonflait toujours.
Et lui, fiévreux, admirait la vie de son usine qui sifflait, aboyait, s'étirait, crachait et vomissait. Derrière une des fenêtres de son bureau, il aimait à regarder la foule des ouvriers se hâter vers le travail.(...) Pour lui, les hommes valaient à peu près autant que les machines, les rouages, les briques qui servaient à construire les hangars le plus rapidement et le plus économiquement possible. Il avait la fièvre de la vitesse, il voulait voir grandir à vue d'oeil cette grande étendue rouge qui brillait et fumait sous le soleil comme une flaque de sang. Il fallait que s'étendît cette masse de pierre et de fer, de toits et de cheminées où grouillaient des hommes... Ces grands murs faits pour enfermer les hommes, ces fumées épaisses, les fracas des ateliers, les moteurs: son horizon, sa vie.(...)
L'usine gémissait sous l'effort.
Philippe Soupault
Le Grand Homme
Extraordinaire destin de ce roman qui parut en 1929 et disparut aussitôt (tous les exemplaires ayant été, dit-on, rachetés sur l'ordre d'un grand industriel qui aurait craint d'être reconnu ou confondu avec l'un des personnages.)
"Mon seul gros succès de librairie" a pu dire Soupault.