Grand'place
Des bataillons de fourmis sortent en ordre dispersé.... Petits corps gris, frêles, antennes frémissantes.
Le carillon du Beffroi vibre. L'aiguille des minutes s'ébranle. Le bourdonnement de la colonie devient sourd.
Les colonnes se croisent, se bousculent. Quelques bons soldats tombent sur la place d'honneur, d'autres en profitent pour les piétiner. Seuls les plus forts survivront !
Le café avait dû avoir un style, une chaleur particulière
Le propriétaire est grand gris et gras. Ses yeux bleu pâles n'invitent pas à la familiarité.
L'iguanide brandit une bouteille au long goulot. Devant lui, il pousse trois petits verres, verse à la ronde.
Il jette un oeil sur l'intrus.
Outis referme la porte derrière lui. L'intérieur sent l'huile rance, la transpiration, déjà.
Face au patron, trois ouvriers en bleus de travail.
-C'est dingue ! fait un des ouvriers
-Ouais, approuve un autre en attrapant son verre dans sa grosse main.
-Pouvez me croire, j'me laisserai pas faire, grogne le patron en reposant la bouteille sur le comptoir.
Outis s'approche et opte pour une position retranchée.
-Un café, s'il vous plait.
-Z'on qu'a venir, y verrons, continue le patron sans regarder Outis.
Puis, il disparaît de son zinc. Les trois types en profitent pour vider fissa la contenu de leurs verres.
Guignol refait subitement surface en brandissant un fusil Tarzan à canon scié.
-J'tire dans le tas ! beugle-t-il en pointant son arme sur le trio.
-Fais pas de connerie René, demande le plus courageux des trois.
Ses deux copains sont déjà couchés sur la carrelage.
La grosse tête de René, patron de bar, pivote alors sur la droite et s'arrête sur Outis.
-Z'êtes qui vous, ramasseur, flic... hein, dans quel camp ?
-Aucun des deux, répond Outis avec calme.
Les trois ouvriers se bousculent vers la sortie. Le son bref d'une sirène, dehors, claque comme un coup de fouet.
-C'est ça, barrez-vous, tas de bâtards!
Sa trogne est rouge écarlate. Il souffle et lâche le fusil. Outis s'approche
-Et mon café?
-Ca va, ça va, grogne tête en feu.
Il s'agrippe au percolateur, fait jouer le levier, sortir un jet de vapeur.
-C'est quoi cette histoire de ramasseur ? demande Outis
L'autre ne répond pas, se concentre sur son job. Le café coule lentement dans la tasse.
-Je viens de vous dire que je n'appartiens à aucun des deux camps. Je suis arrivé dans cette ville hier.
-Alors, repartez , grogne le patron. C'est un conseil que je vous donne.
Il pose la tasse. Une bonne partie du café se renverse dans la soucoupe.
Outis fixe la tasse et reviens sur le patron.
-Merci du conseil, dit-il avant de sortir.
-Pas de quoi, répond le patron à la porte qui se referme.
Les fourmis, toujours..
Colonnes montantes, colonnes descendantes... la direction? Le I majuscule du Beffroi et ses immeubles blocs attenants. Un I majestueux, longue parenthèse tracée au crayon gras sur l'épaisse couche de brume fuligineuse.
Outis grimace. Dans sa poche, il a suffisamment d'argent pour rejoindre la capitale et oublier illico toute cette histoire. Fuir cette ville et son odeur d'égout, en oubliant du même coup Valance, Libman et les autres.
Il se souvient d'une phrase de son auteur préféré.
L'histoire est un éternel recommencement de la victoire du petit David la vérité sur le grand Goliath du mensonge.La chose essentielle, est que David continue le combat.
Tangible Stake : les manipulateurs
Outis lève les yeux. Il décide de tenter sa chance du côté des autorités.
(A suivre )
"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
vendredi 29 avril 2011
Entente cordiale
Si j'écoute (et si je comprend bien) une bonne partie des dirigeants européens affirme entretenir d'excellents rapports avec les populations des pays concernés par ce qu'on appelle désormais dans les médias " les révolutions arabes".
Comme l'écrivait Paul Morand " les discours politiques sont faits de mots abstraits s'envolant comme des ballons gonflés d'air irrespirable vers un firmament où ne brillent que des verbes au futur."
En fait, les pays industrialisés n'ont jamais entretenus ni réel dialogue, ni liens étroits avec ceux qu'ils ont colonisés. Les seuls vrais rapports qui ont existé, et qui existent toujours, sont : le rapport de force, l'hégémonie économique et culturelle.
Le rapport de force est évident. Il se résume de façon claire : Laissez-nous vous montrer comment il faut faire, car nous savons.
Pour l'Hégémonie économique, c'est encore plus simple : faites comme on vous dit, sinon pas d'argent.
Et, c'est un peu la même chose avec la culture : organisez spectacles et manifestations, écrivez des scénarios qui nous conviennent et nous les financerons.
Le système, qui a tenu bon jusqu'ici, montre aujourd'hui ses failles. L'Europe injecte de plus en plus d'argent via les industries implantées sur place, les services d'actions culturelles ou les ONG. Tout ce joli monde est réuni, une main sur le coeur et l'autre dans la poche, pour un but commun : le développement.
Pourtant, il est évident que de réel développement il n'y a point. Dans les industries, la formation n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Mais, bien entendu, ceci n'empêche nullement le chiffre d'affaires de progresser allègrement. La culture est toujours sous tutelle et ne produit que des copiés-collés des originaux. Les ONG
ne peuvent que constater, impuissantes, que rien n'avance et que les différents programmes imposés ne sont, pour la plupart, pas en adéquation avec les vrais besoins des populations.
Pendant ce temps là, les industries produisent à bas prix et les tour-opérateurs vendent du séjour all inclusive, ô combien nécessaires au confort du consommateur européen.
Puisque nous avons débuté par Paul Morand, finissons de même :
"Tout est mensonge, impostures: les images, les ondes, les paroles. Les hommes d'état mentent pour être riches , les Premiers ministres pour ne pas être chassés, les ministres des finances parce que le mensonge protège les changes et les diplomates par profession."
Laissons le mot de la fin à Jules Renard : "j'ai les dégoûts sûrs".
Julius Marx
Ps: Je parle bien entendu de développement et non pas de l'aide d'urgence.
Il y a aussi, c'est un fait, des hommes et des femmes qui oeuvrent sur place et dont l'action et la franchise ne peuvent pas se discuter. Ceux-la entretiennent souvent d'excellents rapports avec ceux qu'ils viennent aider.
jeudi 28 avril 2011
Et les étoiles ne regardent jamais en bas (20)
Le jour, déjà..
Un ciel porcelaine avec, pourtant, quelques giclures de lune çà et là.
Debout près du lit, Outis fait l'inventaire des dégâts.. Morbide. Du coup, la chambre est devenue beaucoup moins singulière. Il essuie tout ce qu'il peut essuyer avec une serviette prise dans la salle de bains.
Dans le hall
Une petite brune qui joue à la femme fatale a remplacé l'homme de nuit. Elle lit le programme télé de la soirée.
Elle ne lève même pas les yeux lorsque Outis emprunte le grand hall.
Le restaurant est ouvert.. Quelques clients déjà attablés / trois ou quatre serveurs fatigués.
Outis rêve d'un café de la Jamaïque Blue Mountain. Pure fiction. Il sort
Sur le trottoir face à l'entrée de l'hôtel, la Renault 21 est toujours là. Surpris dans un demi-sommeil, le conducteur se redresse vivement en apercevant Outis. Il attrape une carte routière et la déplie sur le volant.
Outis frôle la voiture. Le type tient sa carte à l'envers.
Avalé par deux bourrasques mugissantes, Outis remonte la rue dite tranquille, longe de vilains pavillons de briques rouges alignés comme des cubes.
Hommage au ciel déchaîné, la neige tombe de nouveau ; d'abord fine, légère, puis envahissante.
A l'intérieur de son véhicule de service,
L'auxiliaire principal Mangin tente de se débarrasser de la fichue buée qui recouvre son pare-brise.
Puis, d'un seul coup, il ne voit plus le suspect..
Il jure, donne un grand coup de poing sur le volant. Contact / le moteur rugit / Mangin crispe les mâchoires.
La Renault 21 dérape / Mangin donne un coup de volant, enfonce rageusement la pédale d'accélérateur.
La voiture attrape une grande congère de neige , patine, mais reste miraculeusement sur la chaussée.
Exit la rue tranquille / où est -il?
Mangin voit surgir devant lui le grand camion des éboueurs, il jure.
La circulation est totalement coupée / Mangin pousse un soupir de dépit. Il saisit son carnet à spirales.
Le quai du métro est inondé
Outis doit marcher lentement pour ne pas glisser. Sur un banc, enveloppé dans un grand carton, un vieux dort.
Ses mains pendant en dehors du carton. Un bonnet lui cache la moitié du visage.
Au-dessus de lui, on vient de coller une affiche : une famille prend son petit-déjeuner en souriant comme des demeurés. La colle dégouline au bas de l'affiche et vient mouiller le paletot du vieux.
Outis est dans le métro. Un grand noir coiffé d' une casquette de cuir, les chaussures maculées de plâtre, récite le Coran . Il remue les lèvres comme s'il broyait des pépins de raisins entre ses dents jaunes, abîmées.
La neige crépite doucement contre les vitres du wagon.
Tout d'un coup, le métro ressort des entrailles de la ville cube entre deux interminables coulées d'immeubles.
Seules quelques fenêtres sont éclairées. C'est l'heure des misérables, des abonnés de l'aube.
Station Hôtel de Ville/ faux marbre pompeux. Sur le quai, des employés aux uniformes fluorescents tentent de réveiller un gamin en haillon qui ronfle, roulé en boule sur une banquette.
Un des hommes luciole pousse un mugissement
Le gamin lui vomit sur les manches de sa capote. Le bataillon luciole s'agite, vocifère. Le gosse tombe de sa banquette. Il se relève et regarde les bestioles qui l'entoure avec un regard vague.
Au sommet de l'escalier mécanique, une bise glaciale cingle méchamment le visage d'Outis.
Il se retrouve dans une grande avenue rectiligne qui entaille un quartier de bâtiments cossus. Chaque bâtiment possède, en son rez-de-chaussée , sa boutique de vêtements à la mode, son temple du gadget, sa succursale d'une chaîne de restauration rapide. Les rideaux de fer sont tous baissés.. L'heure de la consommation n'a pas encore sonnée.
(A suivre)
Un ciel porcelaine avec, pourtant, quelques giclures de lune çà et là.
Debout près du lit, Outis fait l'inventaire des dégâts.. Morbide. Du coup, la chambre est devenue beaucoup moins singulière. Il essuie tout ce qu'il peut essuyer avec une serviette prise dans la salle de bains.
Dans le hall
Une petite brune qui joue à la femme fatale a remplacé l'homme de nuit. Elle lit le programme télé de la soirée.
Elle ne lève même pas les yeux lorsque Outis emprunte le grand hall.
Le restaurant est ouvert.. Quelques clients déjà attablés / trois ou quatre serveurs fatigués.
Outis rêve d'un café de la Jamaïque Blue Mountain. Pure fiction. Il sort
Sur le trottoir face à l'entrée de l'hôtel, la Renault 21 est toujours là. Surpris dans un demi-sommeil, le conducteur se redresse vivement en apercevant Outis. Il attrape une carte routière et la déplie sur le volant.
Outis frôle la voiture. Le type tient sa carte à l'envers.
Avalé par deux bourrasques mugissantes, Outis remonte la rue dite tranquille, longe de vilains pavillons de briques rouges alignés comme des cubes.
Hommage au ciel déchaîné, la neige tombe de nouveau ; d'abord fine, légère, puis envahissante.
A l'intérieur de son véhicule de service,
L'auxiliaire principal Mangin tente de se débarrasser de la fichue buée qui recouvre son pare-brise.
Puis, d'un seul coup, il ne voit plus le suspect..
Il jure, donne un grand coup de poing sur le volant. Contact / le moteur rugit / Mangin crispe les mâchoires.
La Renault 21 dérape / Mangin donne un coup de volant, enfonce rageusement la pédale d'accélérateur.
La voiture attrape une grande congère de neige , patine, mais reste miraculeusement sur la chaussée.
Exit la rue tranquille / où est -il?
Mangin voit surgir devant lui le grand camion des éboueurs, il jure.
La circulation est totalement coupée / Mangin pousse un soupir de dépit. Il saisit son carnet à spirales.
Le quai du métro est inondé
Outis doit marcher lentement pour ne pas glisser. Sur un banc, enveloppé dans un grand carton, un vieux dort.
Ses mains pendant en dehors du carton. Un bonnet lui cache la moitié du visage.
Au-dessus de lui, on vient de coller une affiche : une famille prend son petit-déjeuner en souriant comme des demeurés. La colle dégouline au bas de l'affiche et vient mouiller le paletot du vieux.
Outis est dans le métro. Un grand noir coiffé d' une casquette de cuir, les chaussures maculées de plâtre, récite le Coran . Il remue les lèvres comme s'il broyait des pépins de raisins entre ses dents jaunes, abîmées.
La neige crépite doucement contre les vitres du wagon.
Tout d'un coup, le métro ressort des entrailles de la ville cube entre deux interminables coulées d'immeubles.
Seules quelques fenêtres sont éclairées. C'est l'heure des misérables, des abonnés de l'aube.
Station Hôtel de Ville/ faux marbre pompeux. Sur le quai, des employés aux uniformes fluorescents tentent de réveiller un gamin en haillon qui ronfle, roulé en boule sur une banquette.
Un des hommes luciole pousse un mugissement
Le gamin lui vomit sur les manches de sa capote. Le bataillon luciole s'agite, vocifère. Le gosse tombe de sa banquette. Il se relève et regarde les bestioles qui l'entoure avec un regard vague.
Au sommet de l'escalier mécanique, une bise glaciale cingle méchamment le visage d'Outis.
Il se retrouve dans une grande avenue rectiligne qui entaille un quartier de bâtiments cossus. Chaque bâtiment possède, en son rez-de-chaussée , sa boutique de vêtements à la mode, son temple du gadget, sa succursale d'une chaîne de restauration rapide. Les rideaux de fer sont tous baissés.. L'heure de la consommation n'a pas encore sonnée.
(A suivre)
mercredi 27 avril 2011
Une chose fugace
VS Pritchett définissait la nouvelle comme "une chose fugace qu'on entrevoit en passant, du coin de l'oeil".
Il y a d'abord cette vision fugace. Ensuite, la vision fugace s'anime, se mue en quelque chose qui va illuminer l'instant et va peut-être laisser une empreinte indélébile dans l'esprit du lecteur, qui l'intégrera à son expérience personnelle de la vie, pour reprendre la belle formule de Hemingway. Pour de bon. Et à jamais. C'est là tout l'espoir de l'écrivain.
Lecteur ou auteur, bienheureux est celui qui, ayant achevé les dernières lignes d'une nouvelle, reste un moment pétrifié sur place, à ruminer sur ce qu'il vient de lire ou d'écrire. Dans l'idéal, il faudrait que notre coeur, ou notre esprit, en ait été un tant soit peu chamboulé. Que notre température se soit élevée ou abaissée d'un degré.
Qu'ensuite notre respiration retrouve son rythme normal et que, nous ressaisissant, redevenant ces "créatures de sang chaud et de nerfs", comme le dit si bien l'un des personnages de Tchekhov, nous nous levions pour passer à autre chose : la vie. Toujours la vie.
Raymond Carver " A propos de Where I'm Calling From"
in "N'en faites pas une histoire"- Collection Points- 1996
Bon, alors, voici les principales nouvelles qui m'ont pétrifié sur place et dont je rumine encore le contenu et le style.
-Dans la maison de Suddho -Rudyard Kipling in "Simples contes des collines"
-La Capitale du monde -E.Hemingway in " Intégrale des nouvelles" -collection Quarto (Gallimard)
-Une paire de lunettes - Anna Maria Ortese in " La mer ne baigne pas Naples" (Gallimard )
-Dalyrimple tourne mal- Francis Scott Fitzgerald in "Histoire de Patt Hobby"( Editions de la Découverte)
-L'évangile selon Saint Marc -Jorge Luis Borges in "Le rapport de Brodie" (Gallimard)
-Rien - Luigi Pirandello in "Intégrale des nouvelles"- collection Quarto (Gallimard)
-Le cambriolage de Cava - Domenico Rea in "Jésus, fais la lumière ! " (Actes Sud)
-Cathedral -Raymond Carver in "Les Vitamines du bonheur" ( Mazarine)
-J'ai essayé de te décrire à quelqu'un -Richard Brautigan in "La vengeance de la pelouse" (10/18)
mardi 26 avril 2011
Et les étoiles ne regardent jamais en bas (19)
Dehors
Outis est debout sur le muret de la façade de l'hôtel de la Paix, le dos plaqué contre le mur, muscles tendus. Il épie le moindre son qui le pousserait à agir. Il pense / pour : l'effet de surprise- contre : ils sont deux et probablement moins idiots que ceux qu'il a affrontés jusqu'ici ( la chance ne se présente pas deux fois).
Il cesse le petit jeu des pourcentages et avale difficilement sa salive. Les rafales de vent le coupent en morceaux.
Une crampe monte lentement dans sa jambe gauche. Il ferme les yeux.
En position assise
Une grosse couverture roulé dans son dos, Davis ouvre légèrement les paupières puis la bouche.
Sa langue sort prudemment et explore ses lèvres, les humectant au passage.
Le blondinet approche son angélique visage très près. Le cliché composé peut servir d'illustration pour une publicité ventant les mérites de la chirurgie esthétique avec les deux adverbes indissociables : avant/après.
-Alors? demande simplement l'ange descendu du ciel
-Qui... qui êtes-vous, soupire Davis
Le blondinet sourit
-Je suis ton sauveur... Il est temps de penser au salut de ton âme, tu ne crois pas?
Davis ouvre plus grand les yeux. Il tente de se redresser mais, grimace de douleur.
-Je ne suis pas...
Il grimace de nouveau
-Tu ne dois pas avoir peur de nous, poursuit Blondinet. Parle sans crainte. Nous avons l'habitude de recueillir les confidences de ceux qui, comme toi, se sont écartés du bon chemin.
-Vous... Vous êtes cinglés...souffle Davis d'une voix rauque
Nez de boxeur grogne et sort de son imperméable un revolver russe Nagant de calibre 7, 60mm.
Davis écarquille les yeux
-Allons, pas d'injure, reprend le blondinet d'une voix toujours douce et mélodieuse, il est temps maintenant de tout nous dire. Je vais te poser trois questions et tu nous répondras.
(Il se penche encore un peu plus, son beau visage est très proche de l'immonde tête de Davis )
Qui sont tes employeurs? Qui t'a donné le film.. Et enfin, qui devait te l'acheter?
-Vous êtes deux dingues.. Répond Davis en agitant la tête
Le blondinet laisse échapper un profond soupir et se redresse.Puis, sa main fait un vague signe de croix au-dessus de Davis.
Nez de boxeur fait un grand pas en avant et laisse partir son bras droit. La crosse du gros revolver brise la mâchoire de Davis, le projette contre la tête de lit.
-Ca te plait ? demande Blondinet.
Sa voix est chaude, toujours mélodieuse.
Davis roule sur lui-même, tente d'agripper l'imperméable de son agresseur mais, nez de boxeur l'évite facilement. La crosse retombe une deuxième fois, avec plus de force, trouve la tempe de Davis.
Le blondinet s'écarte, la partie supérieure de Davis tombe sur la moquette, l'autre reste sur le lit.
Nez de boxeur s'apprête à frapper encore une fois. Son complice l'arrête d'un geste du bras. Il se penche sur la partie supérieure de Davis.
-Tu es prêt à parler mon fils?
Davis grogne, expulse un flot de sang sur la moquette.
-Allez, soulage toi
-Richard, expire Davis
-Richard, le notaire ?
-Oui, expire encore Davis, avant que la partie inférieure ne bascule à son tour hors du lit.
Le blondinet fait un pas de côté et contemple un moment, pensif, le corps étendu à ses pieds. Puis, il joint l'index et le majeur, et dit, en faisant le signe de croix.
-Il te sera beaucoup pardonné, même si tu as beaucoup pêché.
-Arrêtes tes conneries, rigole nez de boxeur.
Il fait le tour du lit, attrape un gros oreiller puis revient le plaquer sur le visage ensanglanté de Davis.
-Amen, dit le blondinet.
Nez de boxeur enfonce profondément le canon de son revolver dans les plis de l'oreiller et fait éclater la tête de Martial Davis.
Un bruit sourd, étouffé
Outis n'identifie pas l'origine de ce bruit. Une moitié de son visage est gelée. Il est sûr d'avoir perdu une oreille et son nez et ne sent plus ses jambes.
Quelqu'un est dans la salle de bains. Il n'a pas prit la peine d'allumer la lumière.
L'eau coule.
-Alors, tu viens?
Le vent, encore...
Une porte qui claque / plus rien.
Outis se glisse de nouveau dans la salle de bains par la fenêtre, glisse et vient échouer sur le carrelage froid.
Profond silence..
Enfin.
(A suivre)
lundi 25 avril 2011
Juste une image
Je me suis souvenu de cette photo prise sur les toits d'un immeuble de Tunis.
Cette "chambre" réservée aux employés et située sur les toits (probablement pour être plus proche du ciel) est l'équivalent de la célèbre "chambre de bonne", indissociable des immeubles bourgeois parisiens.
Gardons le silence, inutile de mettre des mots. Pourtant, il suffit de lire "L'immeuble Yacoubian"de l'égyptien Alaa El Aswany pour voir apparaître une multitude de personnes devant la porte de la chambre.
samedi 23 avril 2011
Et les étoiles ne regardent jamais en bas (18)
La voiture avance au pas.
Le moteur ronronne comme un chat.
Dans un ciel encre de Chine, uniquement tâché d'une petite lune rachitique, les deux hommes aperçoivent au même instant la lueur rouge.
-Là ! font-ils ensemble
Le boxeur effectue un demi-tour complet et vient se ranger devant la porte de l'hôtel de la Paix.
L'auxiliaire de police Mangin note scrupuleusement le numéro de la plaque minéralogique.
Sur la page de son petit carnet à spirales, il note aussi le signalement des deux hommes qui descendent de la voiture. Ces renseignements figurent juste au dessous de ceux concernant une autre voiture, une Rover de couleur grise.
Le méthodique Mangin consulte l'horloge du tableau de bord de sa Renault 21, écrit 4h17, puis glisse son stylo dans la spirale du carnet.
Le prévoyant Mangin attrape alors la bouteille Thermos, à côté de lui, sur le siège passager.
Il boit. Il jette un oeil à l'intérieur de la bouteille. Il pense : encore deux heures avant la relève et il me reste à peine deux tasses de café.... J'ai les doigts de pied gelés.. Putain de métier.
Une voix lointaine et grésillante le fait sursauter.La radio.. Il renverse du café sur son pantalon.
C'est Mantovani , le sergent de nuit. La voix aigrelette, agressée par les parasites, dialogue avec une autre, plus grave.
-Dis-donc Paulo, tu sais comment il est mort le capitaine Crochet, demande l'aiguë grésillante.
-Bah non, répond la grave, après quelques secondes de réflexion.
-En se grattant les couilles ! éclate l'aiguë.
Les deux tonalités se rejoignent dans une franche rigolade.
Le triste Mangin ne desserre même pas les lèvres. Mantovani lui a déjà raconté cette blague au moins dix fois.
Dans un synchronisme parfait, les deux tueurs poussent la porte de l'hôtel
Dans son box étroit, le réceptionniste ronfle, avachi, la tête rejetée vers l'arrière, la bouche grande ouverte.
Le duo enfile l'escalier. Leurs pas sont calculés, lents. Leurs visages restent impassibles, ils sont totalement concentrés sur leur mission.
Deux étages plus haut
Martial Davis, allongé sur le lit d'Outis, dort paisiblement. Ses mains sont pieusement croisées sur sa poitrine.
Sa chemise déboutonnée révèle un triangle de peau flasque, semé de quelques poils gris.
Sa bouche est entrouverte, sa lèvre inférieure tremble mollement à chaque expiration.
Triste spectacle...Penché au-dessus de lui, Outis l'abandonne en grimaçant.
Dans la salle de bains, il s'apprête à avaler un grand verre d'eau tiède et légèrement trouble. Après réflexion, il en vide la moitié dans le lavabo.
L'enseigne de l'hôtel projette de manière intermittente une bande rougeoyante par l'unique fenêtre.
Outis passe la tête dehors. Une bourrasque glaciale lui balance une gifle magistrale.
Il revient dans la salle de bains. Encore sous le choc, il titube.
Puis, subitement, il se fige.
Enter two murderers
Deux voix étouffées. Outis se plaque contre le mur pour échapper à la lumière de l'enseigne.
Il bloque sa respiration, dirige lentement sa main vers l'automatique glissé dans la ceinture de son pantalon.
Les deux voix sont maintenant plus proches, plus distinctes.
-T'as vu sa gueule, qu'est-ce qu'il a fabriqué ce con?
-Regarde..
Outis fixe la fenêtre / expire lentement.
Le gros doigt de nez de boxeur pointe les poignets ficelés de Davis
- Hé, Il est ligoté !
-Oui, approuve le blondinet. Ca veut dire qu'il a déjà reçu de la visite.
(Il montre les débris de verre, là, sur la moquette.)
Il s'est sûrement rebiffé, mais l'autre l'a assommé avec le lampadaire.
Nez de boxeur approuve la force de déduction de son partenaire en dodelinant sa bûche de tête, en s'efforçant d'avoir l'air attentif, concentré. Mais, ce qu'il attend avec impatience c'est le moment de passer à l'action.
-Qu'est-ce qu'on fait ? demande-t-il
-Réveille-le, répond le blondinet
Le visage de nez de boxeur s'illumine.
vendredi 22 avril 2011
De nos envoyés spéciaux
Il est frappant, très irritant même, de constater combien nos interlocuteurs (ceux qui vivent sur l'autre bord de la Méditerranée) sont influencés, pour ne pas dire aveuglés, par les reportages de type "Envoyé spécial".
Ces documents, ramenés à Paris avec l'indispensable note de frais qui arrondit si bien les fins de mois difficiles, sont sensés expliquer la situation d'un pays en guerre ou "agité par des troubles sociaux".
Grâce à ces reportages, le cadre dynamique entrant de son boulot chez Orange, la responsable du rayon fleurs coupées dans un hypermarché ou le boucher-charcutier se reposant quelques minutes pendant que son pâté de foies cuit lentement dans le four, vont enfin comprendre ce qui se passe là-bas, dans ces contrées désertiques, sans haut-débit où l'on ne mange pas de cochon.
Alors, par pédagogie sans doute, le journaliste, guidé par son rédacteur en chef nommé par le parti au pouvoir, choisit un angle d'attaque. L'angle d'attaque est indispensable pour garantir la bonne tenue du magazine d'information et doit obligatoirement tenir compte des préoccupations du charcutier, du cadre commercial et de la fleuriste. Après réflexion donc, l'employé zélé opte pour l'immigration clandestine. Pourquoi l'immigration clandestine? Il suffit de nous "immerger" quelques secondes au coeur de la conférence de rédaction qui précède le départ en Tunisie pour comprendre.
-T'as fait les résas d'hôtel?
-Oui.. le même que d'habitude
-Il est toujours ouvert?
-Ben oui...Si j'ai fait les résas.
-Bon, les gars, on parle de quoi?
-Des immigrés tunisiens
-Encore?
-Ben oui... T'as pas vu Marine le Pen fait 21%
-D'accord, alors on sort les chiffres, on explique la situation économique du pays..La main mise des grandes multinationales..
-T'es ouf ou quoi? Pas le temps mon pote!
-Bon , alors?
-J'ai pensé, on pourrait prendre le bateau avec eux ..
-Hein! C'est toi le loufdingue ! Moi, je monte pas sur ces rafiots.. J'ai déjà bien assez de la tourista à chaque fois que je vais là-bas!
Le cadre commercial somnole sur son divan, la fleuriste arrose ses géraniums et le pâté du charcutier est prêt; alors, allons à l'essentiel. Ce qui intéresse ces braves gens, vous l'avez compris, c'est leur pouvoir d'achat, leur sécurité et les chiffres du chômage. Alors, pourquoi leur casser les pieds avec les problèmes de démocratie, de dictateurs sanguinaires ou de géopolitique. Les droits de l'homme? il faut qu'une partie du monde, celui d'en bas, crève de faim pour que l'autre, celui d'en haut, le civilisé, garde sa croissance et son pouvoir d'achat. C'est comme ça, depuis que le monde est monde !
Demain, le cadre commercial boira son petit café du Guatemala chez Star machin chose, le charcutier vendra du porc bio élevé au soja brésilien et la fleuriste refilera du bégonia chinois en pensant à sa prochaine semaine paradisiaque ( forfait tout compris avec thalasso et vin rouge le soir) dans un hôtel tunisien.
Amen.. A vous les studios.
Julius Marx
mercredi 20 avril 2011
Le temps de l'ombre
Aujourd'hui, c'est la grève des policiers. Ils ne demandent pas d'augmentations de salaires comme la plupart des grévistes mais seulement une amnistie générale, prétextant que pendant les heures sombres ils n'ont fait qu'exécuter les ordres. De simples exécutants donc, et rien de plus... des serviteurs de la nation, des garants du droit et de l'ordre... le débat, hélas, n'est pas nouveau !
Il se murmure même que beaucoup d'anciens serviteurs dévoués de l'Etat seraient subitement tombés dans une profonde admiration de la mer, allant même jusqu'à embarquer dans de frêles esquives en direction de l'île de Lampedusa. Mais, on murmure tant de choses!
Des poulets au bord des routes, on avaient pris l'habitude d'en croiser beaucoup (il nous arrivait même d'en écraser (1)) et il faut bien admettre que nous ressentions un plaisir assez proche de la jouissance. Nous éprouvons toujours le même plaisir quand notre voiture tressaute mais,il faut bien l'admettre, le coeur n'y est plus.
Des spécimens casqués et bottés se rassemblaient toujours aux principaux carrefours de notre cité et, il faut bien le dire, nous arrivions toujours à parlementer pour faire baisser le prix de l'amende ou même l'annuler purement et simplement. Puisque l'heure est aux aveux, je me dois aussi de révéler que seules les femmes poulets étaient intransigeantes... Ah ! l'égalité des sexes!
Les temps changent, comme l'a si bien dit Robert. Pourtant, lui ne change pas, et fidèle à son habitude, il est revenu.. Non, rassurez-vous, je ne parle pas de B.A. mais du soleil , du soleil brûlant de l'été.
A partir d'aujourd'hui, nous allons, de manière quelquefois fort instinctive, nous préoccuper de dénicher une zone d'ombre.
Qu'importe la surface de la dite zone :quadrilatère, triangle ou très fin lacet ourlant un pauvre trottoir éclaboussé. L'important reste de la trouver avant l'autre et de la suivre tel un soldat discipliné en gardant secrètement l'espoir qu'elle n'éprouve pas l'idée saugrenue de disparaître au premier carrefour venu.
Nous savons tous que les poètes, les philosophes , les marchands ambulants ou les membres de la confrérie des mendiants, poétisent, philosophent, vendent et mendient en volant l'ombre d'un olivier, d'un lieu saint, d'un mur délabré ou d'un simple morceau de carton.
Mais, si vous ne faites pas partie de ces confréries qui inspirent le respect, n'attendez pas et plongez de suite dans la première zone d'ombre qui se présente.
C'est un fait, dans cette lutte perpétuelle et inégale que nous livrons tous avec l'astre solaire, nous devons abandonner en chemin une bonne partie des heures claires de notre existence mais, rassurons nous en pensant qu'il nous reste encore la flamboyante palette de couleurs du crépuscule et le velours damasquiné d'étoiles de la nuit.
Quant à la lune, elle sourit.
Julius Marx
1/ Les nombreux ralentisseurs disposés sur toutes les grandes artères de la ville sont appelés par les habitants "le flic qui dort".
Il se murmure même que beaucoup d'anciens serviteurs dévoués de l'Etat seraient subitement tombés dans une profonde admiration de la mer, allant même jusqu'à embarquer dans de frêles esquives en direction de l'île de Lampedusa. Mais, on murmure tant de choses!
Des poulets au bord des routes, on avaient pris l'habitude d'en croiser beaucoup (il nous arrivait même d'en écraser (1)) et il faut bien admettre que nous ressentions un plaisir assez proche de la jouissance. Nous éprouvons toujours le même plaisir quand notre voiture tressaute mais,il faut bien l'admettre, le coeur n'y est plus.
Des spécimens casqués et bottés se rassemblaient toujours aux principaux carrefours de notre cité et, il faut bien le dire, nous arrivions toujours à parlementer pour faire baisser le prix de l'amende ou même l'annuler purement et simplement. Puisque l'heure est aux aveux, je me dois aussi de révéler que seules les femmes poulets étaient intransigeantes... Ah ! l'égalité des sexes!
Les temps changent, comme l'a si bien dit Robert. Pourtant, lui ne change pas, et fidèle à son habitude, il est revenu.. Non, rassurez-vous, je ne parle pas de B.A. mais du soleil , du soleil brûlant de l'été.
A partir d'aujourd'hui, nous allons, de manière quelquefois fort instinctive, nous préoccuper de dénicher une zone d'ombre.
Qu'importe la surface de la dite zone :quadrilatère, triangle ou très fin lacet ourlant un pauvre trottoir éclaboussé. L'important reste de la trouver avant l'autre et de la suivre tel un soldat discipliné en gardant secrètement l'espoir qu'elle n'éprouve pas l'idée saugrenue de disparaître au premier carrefour venu.
Nous savons tous que les poètes, les philosophes , les marchands ambulants ou les membres de la confrérie des mendiants, poétisent, philosophent, vendent et mendient en volant l'ombre d'un olivier, d'un lieu saint, d'un mur délabré ou d'un simple morceau de carton.
Mais, si vous ne faites pas partie de ces confréries qui inspirent le respect, n'attendez pas et plongez de suite dans la première zone d'ombre qui se présente.
C'est un fait, dans cette lutte perpétuelle et inégale que nous livrons tous avec l'astre solaire, nous devons abandonner en chemin une bonne partie des heures claires de notre existence mais, rassurons nous en pensant qu'il nous reste encore la flamboyante palette de couleurs du crépuscule et le velours damasquiné d'étoiles de la nuit.
Quant à la lune, elle sourit.
Julius Marx
1/ Les nombreux ralentisseurs disposés sur toutes les grandes artères de la ville sont appelés par les habitants "le flic qui dort".
mercredi 13 avril 2011
Une journée particulière
-Un billet pour Tunis s'il te plait.
-Pas de train aujourd'hui
-Comment?
-Pas de train aujourd'hui monsieur..
-Qu'est-ce qui se passe... C'est la grève?
(Arrivée d'une responsable)
-C'est pas la grève, monsieur
-Alors,qu'est-ce que c'est ?
-Un movement social.
-Alors!...C'est quoi le problème?
-Il y a des personnes qui coupent les rails... Hier l'autoroute... Maintenant, le chemin de fer, tu comprends?
Oui, j'ai bien compris...
Encore une fois, je fais preuve d'un amateurisme chronique. La gare quasi-déserte à 9 heures du matin... Juste un vieil homme occupé à lire son journal et deux là-bas, plus loin, attablés devant un café. Pas de bousculade pour franchir l'unique porte qui mène aux quais ni pour monter le premier dans le train.
Il y a des signes qui ne trompent pas.
Je me retourne vers ma douce et tendre et lui explique la situation.
-Il nous reste encore la solution du taxi collectif.. Suggère-t-elle.
Je fais la moue. Avec deux énormes valises de 25 kilos chacune, le voyage promet d'être, disons, mouvementé lui aussi..
Pourtant, une demie-heure plus tard, nous sommes confortablement installés à l'avant du mini-bus et un jeune homme avec de gros bras musclés a glissé nos bagages dans le coffre.
Tout va bien, passe moi la bouteille d'eau.
Au fond, la seule et unique chose qui cloche dans ce genre de transport, c'est la musique d'ambiance...Dalida.. Joe Dassin et même Michelle Torr! C'est vrai, je l'avoue je ne suis pas toujours sympa avec tous le monde, j'ai une fâcheuse tendance à dénigrer le genre humain, mais pourquoi un châtiment si démesuré?
Nous arrivons à Tunis bien avant ce fichu train, tant pis pour lui!
Du taxi à l'aéroport, nous marchons têtes baissées. Un vent cinglant, chargé de sable s'amuse à nous décoiffer. C'est malin..J'ai l'impression de croquer un morceau de sucre.
Le vent n'est pas assez puissant pour empêcher l'avion de ma douce et tendre de décoller en direction de Monrovia puis, la Côte d'Ivoire... Dommage, j'aurai bien aimé un petit délai, encore.
Je prend le chemin du retour en pensant que nos mouvements sociaux sont en définitive bien peu de chose à côté de la situation qui l'attend là-bas.
Mais nous, nous sommes en démocartie.
Allons bon, voila que le chauffeur allume la radio..
Julius Marx
mardi 12 avril 2011
Noir comme l'espoir (2)
Ensuite, Chandler donne naissance à Philip Marlowe. Marlowe est un privé un poil désabusé mais c'est surtout un coriace," un dur à cuire" (selon l'expression hard-boiled).
L'homme ne se fait pas beaucoup d'illusion sur l'avenir de la planète et de ses habitants.
A l'inverse de tous (peuple d'en haut, peuple d'en bas ou autres non situés ) il reste persuadé de l'existence du bien et du mal. Ceci explique en grande partie son cynisme et sa fâcheuse tendance à écluser. Le modèle démocratique en vigueur à l'époque (à vous de juger s'il est bien différent de celui d'aujourd'hui) ne le satisfait pas vraiment, c'est le moins que l'on puisse dire.
On peut ajouter que nous sommes dans la période triomphante du béhaviorisme. Le personnage se révèle totalement dans sa fonction et dans son caractère grâce à des actions précises. Ceci nous rapproche bien évidemment du cinéma mais, le cinéma n'aime pas la finesse et la poésie, nous le savons tous.
Côté style, l'auteur développe encore son sens de l'ellipse, de l'humour et de la dérision.
Voyez ceci par exemple
"Derace Kingsley s'introduisit vivement derrière huit cents dollars de bureau directorial et appliqua son postérieur sur un grand fauteuil de cuir. Il atteignit une boite de cuivre et d'acajou, s'empara d'un panatela, en sectionna la pointe et l'alluma à la flamme d'un conséquent briquet de bureau en cuivre rouge. Il prenait son temps sans se soucier du mien. Lorsqu'il fut prêt, il se pencha en arrière, souffla un peu de fumée et dit:
-Je suis un homme d'affaires et je vais droit au but . D'après votre carte, vous êtes détective privé. Montrez-moi une pièce qui le prouve."
The Lady in the Lake (1943)
Impossible de ne pas mentionner aussi les dialogues de Chandler/Marlowe.
Charmant duo du bref et de l'incisif, quelquefois même rejoints par un troisième larron : l'humour.
"Degarmo était là, parlant avec le sergent du bureau. Il tourna vers moi ses yeux bleu métallique et me dit:
-Comment ça va ?
-Très bien.
-Vous aimez notre prison?
-Je la trouve très bien.
-Le capitaine Webber désire vous parler.
-C'est très bien.
-Vous ne savez rien dire d'autre que très bien, non?
-Pas maintenant, pas ici, dis-je.
-Vous boitez un peu, dit-il. Vous avez fait un faux-pas?
-Tout juste dis-je. Sur une matraque. Elle a sauté en l'air et m'a mordu derrière le genou gauche.
-Ah! c'est bien triste, dit Degarmo. Reprenez les choses que vous avez laissés au greffe.
-Je les ai, dis-je, on ne me les a pas prises.
-Alors, c'est très bien, dit-il.
-Sûr, dis-je, c'est très bien.
Le sergent leva sa tête hérissée et nous gratifia tous deux d'un long regard. Il dit:
-Vous devriez voir le joli petit nez irlandais de Cooney, si vous vouliez voir quelque chose de très bien. Il est aplati sur sa figure comme du sirop sur une crêpe.
Degarmo demanda d'un air distrait :
-Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Il s'est battu?
-Je ne veux pas le savoir répondit le sergent. Peut-être que c'est la même matraque qui lui a sauté dessus et qui l'a mordu aussi.
-Pour un sergent de service, vous parlez foutrement trop, dit Degarmo.
-Un sergent de service parle toujours foutrement trop, dit le sergent. Peut-être que c'est pour ça qu'il n'est pas lieutenant de la brigade criminelle.
-Vous voyez comme nous sommes, ici, me dit Degarmo. Une grande famille heureuse.
Avec des sourires resplendissants sur nos visages poupins, continua le sergent ; les bras largement ouverts en signe de bienvenue, et une grosse pierre dans chaque main.
Degarmo me fit un signe de tête et nous sortîmes.
The Lady in the Lake (1943)
Série Noire Gallimard N°8
Traduction Boris et Michèle Vian
Vous savez quoi, on revient bientôt...
Julius Marx
L'homme ne se fait pas beaucoup d'illusion sur l'avenir de la planète et de ses habitants.
A l'inverse de tous (peuple d'en haut, peuple d'en bas ou autres non situés ) il reste persuadé de l'existence du bien et du mal. Ceci explique en grande partie son cynisme et sa fâcheuse tendance à écluser. Le modèle démocratique en vigueur à l'époque (à vous de juger s'il est bien différent de celui d'aujourd'hui) ne le satisfait pas vraiment, c'est le moins que l'on puisse dire.
On peut ajouter que nous sommes dans la période triomphante du béhaviorisme. Le personnage se révèle totalement dans sa fonction et dans son caractère grâce à des actions précises. Ceci nous rapproche bien évidemment du cinéma mais, le cinéma n'aime pas la finesse et la poésie, nous le savons tous.
Côté style, l'auteur développe encore son sens de l'ellipse, de l'humour et de la dérision.
Voyez ceci par exemple
"Derace Kingsley s'introduisit vivement derrière huit cents dollars de bureau directorial et appliqua son postérieur sur un grand fauteuil de cuir. Il atteignit une boite de cuivre et d'acajou, s'empara d'un panatela, en sectionna la pointe et l'alluma à la flamme d'un conséquent briquet de bureau en cuivre rouge. Il prenait son temps sans se soucier du mien. Lorsqu'il fut prêt, il se pencha en arrière, souffla un peu de fumée et dit:
-Je suis un homme d'affaires et je vais droit au but . D'après votre carte, vous êtes détective privé. Montrez-moi une pièce qui le prouve."
The Lady in the Lake (1943)
Impossible de ne pas mentionner aussi les dialogues de Chandler/Marlowe.
Charmant duo du bref et de l'incisif, quelquefois même rejoints par un troisième larron : l'humour.
"Degarmo était là, parlant avec le sergent du bureau. Il tourna vers moi ses yeux bleu métallique et me dit:
-Comment ça va ?
-Très bien.
-Vous aimez notre prison?
-Je la trouve très bien.
-Le capitaine Webber désire vous parler.
-C'est très bien.
-Vous ne savez rien dire d'autre que très bien, non?
-Pas maintenant, pas ici, dis-je.
-Vous boitez un peu, dit-il. Vous avez fait un faux-pas?
-Tout juste dis-je. Sur une matraque. Elle a sauté en l'air et m'a mordu derrière le genou gauche.
-Ah! c'est bien triste, dit Degarmo. Reprenez les choses que vous avez laissés au greffe.
-Je les ai, dis-je, on ne me les a pas prises.
-Alors, c'est très bien, dit-il.
-Sûr, dis-je, c'est très bien.
Le sergent leva sa tête hérissée et nous gratifia tous deux d'un long regard. Il dit:
-Vous devriez voir le joli petit nez irlandais de Cooney, si vous vouliez voir quelque chose de très bien. Il est aplati sur sa figure comme du sirop sur une crêpe.
Degarmo demanda d'un air distrait :
-Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Il s'est battu?
-Je ne veux pas le savoir répondit le sergent. Peut-être que c'est la même matraque qui lui a sauté dessus et qui l'a mordu aussi.
-Pour un sergent de service, vous parlez foutrement trop, dit Degarmo.
-Un sergent de service parle toujours foutrement trop, dit le sergent. Peut-être que c'est pour ça qu'il n'est pas lieutenant de la brigade criminelle.
-Vous voyez comme nous sommes, ici, me dit Degarmo. Une grande famille heureuse.
Avec des sourires resplendissants sur nos visages poupins, continua le sergent ; les bras largement ouverts en signe de bienvenue, et une grosse pierre dans chaque main.
Degarmo me fit un signe de tête et nous sortîmes.
The Lady in the Lake (1943)
Série Noire Gallimard N°8
Traduction Boris et Michèle Vian
Vous savez quoi, on revient bientôt...
Julius Marx
vendredi 8 avril 2011
Noir comme l'espoir
"Le roman noir va prochainement disparaître, phénomène qui présente une notable quantité d'importance nulle.
Pour un moment, il peut encore, forme référentielle, jeter ses derniers feux (humides comme des rêves), en rejoignant le cinéma, la chansonnette et les autres commerces culturels dans la mise en scène pauvre des dernières révoltes individuelles, c'est à dire du retard et aussi de l'impatience, du jeune braqueur, du fou, du terroriste (liste non limitative)."
Jean-Patrick Manchette (cinq réflexions sur mon gagne-pain-Nouvelles Littéraires-Décembre 1976)
Ah, oui, bien sûr, la liste n'est pas limitative. Aujourd'hui, on peut y ajouter les séries télévisées, chacune avec son propre business qu'on use jusqu'à la corde ; tueurs en série, cannibales, départements spéciaux de la police etc..
On peut aussi ajouter les auteurs du grand Nord (ceux qui écrivent avec de drôles de O), les ethnologues, les historiens, les poètes, les naturalistes (quelquefois les deux ensembles) et même les hommes politiques!
Bon, soyons sérieux et parlons plutôt du vrai roman noir,à l'américaine, dont la seule définition est : criminel, violent et surtout réaliste.Il semble que l'unique représentant du genre encore méchamment actif soit Ellroy. Mais, nous allons nous intéresser dans un premier temps aux précurseurs (eh oui, il faut bien un ordre, si celui du droit n'est pas bon).
Qu'est-ce que je veux prouver ? Simplement la force créatrice et fortement novatrice du roman noir avec des exemples et simplement des exemples. Pour le reste, à vous de juger.
1/ Raymond Chandler (1888-1959)
Chandler débute avec des nouvelles publiées dans les fameux Pulp (référence au papier de mauvaise qualité sur lequel les nouvelles étaient imprimées)
Pas de demi-mesure, le talent est déjà là. Voyez plutôt comment il attaque cette histoire. Pas de descriptions de ciel, de psychologie ni de bla bla.. L'essentiel, rien que l'essentiel. Il faut aller vite et frapper fort.
"Le type au complet bleu pétrole (qui n'était plus bleu pétrole sous les lumières du Club Bolivar) était grand, avec des yeux gris écartés, un nez mince, une mâchoire carrée. Il avait une bouche mobile et, des cheveux bouclés et noirs, avec à peine quelques vagues touches grises. Ses vêtements devaient avoir une âme à eux, et plus qu'un passé douteux. Il s'appelait Mallory.
Il tenait une cigarette à la main entre des doigts robustes, nerveux. Il posa l'autre main à plat sur la nappe blanche et dit :
-Les lettres vous coûteront dix mille dollars, Miss Farr. Et ça n'est pas cher.
"Blackmailers don't shoot"-1933
Ou encore ...
"A une heure du matin, Carl, le portier de nuit, éteignit la lumière des trois lampes de table du grand hall de l'hôtel Windermere.Le tapis bleu s'assombrit d'un ton ou deux et les murs s'effacèrent. Les fauteuils s'enrichirent d'ombres oisives. Les coins se peuplèrent de souvenirs pareils à des toiles d'araignées.
Tony Reseck étouffa un bâillement. Il inclina la tête de côté et écouta le frêle gazouillis de musique venant de la salle de radio, à l'autre bout d'un obscur couloir voûté qui partait du hall. Il fronça les sourcils. C'était censé être sa salle de radio personnelle après une heure du matin. Personne n'aurait dû s'y trouver. cette rousse lui gâchait ses nuits !
"I'll be waiting"-1939
C'est tout pour aujourd'hui, savourez, on revient..
Julius Marx
Pour un moment, il peut encore, forme référentielle, jeter ses derniers feux (humides comme des rêves), en rejoignant le cinéma, la chansonnette et les autres commerces culturels dans la mise en scène pauvre des dernières révoltes individuelles, c'est à dire du retard et aussi de l'impatience, du jeune braqueur, du fou, du terroriste (liste non limitative)."
Jean-Patrick Manchette (cinq réflexions sur mon gagne-pain-Nouvelles Littéraires-Décembre 1976)
Ah, oui, bien sûr, la liste n'est pas limitative. Aujourd'hui, on peut y ajouter les séries télévisées, chacune avec son propre business qu'on use jusqu'à la corde ; tueurs en série, cannibales, départements spéciaux de la police etc..
On peut aussi ajouter les auteurs du grand Nord (ceux qui écrivent avec de drôles de O), les ethnologues, les historiens, les poètes, les naturalistes (quelquefois les deux ensembles) et même les hommes politiques!
Bon, soyons sérieux et parlons plutôt du vrai roman noir,à l'américaine, dont la seule définition est : criminel, violent et surtout réaliste.Il semble que l'unique représentant du genre encore méchamment actif soit Ellroy. Mais, nous allons nous intéresser dans un premier temps aux précurseurs (eh oui, il faut bien un ordre, si celui du droit n'est pas bon).
Qu'est-ce que je veux prouver ? Simplement la force créatrice et fortement novatrice du roman noir avec des exemples et simplement des exemples. Pour le reste, à vous de juger.
1/ Raymond Chandler (1888-1959)
Chandler débute avec des nouvelles publiées dans les fameux Pulp (référence au papier de mauvaise qualité sur lequel les nouvelles étaient imprimées)
Pas de demi-mesure, le talent est déjà là. Voyez plutôt comment il attaque cette histoire. Pas de descriptions de ciel, de psychologie ni de bla bla.. L'essentiel, rien que l'essentiel. Il faut aller vite et frapper fort.
"Le type au complet bleu pétrole (qui n'était plus bleu pétrole sous les lumières du Club Bolivar) était grand, avec des yeux gris écartés, un nez mince, une mâchoire carrée. Il avait une bouche mobile et, des cheveux bouclés et noirs, avec à peine quelques vagues touches grises. Ses vêtements devaient avoir une âme à eux, et plus qu'un passé douteux. Il s'appelait Mallory.
Il tenait une cigarette à la main entre des doigts robustes, nerveux. Il posa l'autre main à plat sur la nappe blanche et dit :
-Les lettres vous coûteront dix mille dollars, Miss Farr. Et ça n'est pas cher.
"Blackmailers don't shoot"-1933
Ou encore ...
"A une heure du matin, Carl, le portier de nuit, éteignit la lumière des trois lampes de table du grand hall de l'hôtel Windermere.Le tapis bleu s'assombrit d'un ton ou deux et les murs s'effacèrent. Les fauteuils s'enrichirent d'ombres oisives. Les coins se peuplèrent de souvenirs pareils à des toiles d'araignées.
Tony Reseck étouffa un bâillement. Il inclina la tête de côté et écouta le frêle gazouillis de musique venant de la salle de radio, à l'autre bout d'un obscur couloir voûté qui partait du hall. Il fronça les sourcils. C'était censé être sa salle de radio personnelle après une heure du matin. Personne n'aurait dû s'y trouver. cette rousse lui gâchait ses nuits !
"I'll be waiting"-1939
C'est tout pour aujourd'hui, savourez, on revient..
Julius Marx
jeudi 7 avril 2011
Qu'il dérive donc !
Voici la situation de la Tunisie aujourd'hui, merveilleusement résumée par Mr Pathurst, personnage principal imaginé par Jack London dans son livre "les Mutinés de l'Elseneur".
"La situation est désespérément absurde! Nous autres, au poste supérieur, avons la haute main sur toute la nourriture de l'Elseneur, mais les mutinés sont maîtres de sa direction. Le pire est qu'ils s'en sont assurés sans en prendre réellement possession. Ils ne peuvent pas manoeuvrer, non plus que nous.
Nous sommes maîtres de la poupe et pourtant nous ne pouvons plus toucher à la barre, car ils sont capables de tirer sur tout homme qui s'en approcherait.
En attendant, l'Elseneur dérive du côté où il donne de la bande, soit sous l'action du vent, soit sous celle du courant et des vagues. Qu'il dérive donc! Et laissons les mutinés mourir de faim! La raison leur reviendra par l'intermédiaire de l'estomac."
Jack London
"Les mutinés de l'Elseneur "
Phébus Libretto
Dans sa préface, Jean-François Deniau écrit aussi :
"Aux grands ancêtres dont London a pu se réclamer plus ou moins (Marx et Nietzsche), il faut ajouter Darwin. L'évolution de l'humanité est conditionnée par la lutte pour la vie et la sélection des meilleurs.L'histoire des Mutinés de l'Elseneur est aussi celle de la sélection des meilleurs.Au passage du cap Horn, qui va gagner, l'océan ou les humains? Et qui va gagner entre les humains: les humbles, les malchanceux ou ceux qui sont nés pour être chefs?"
mercredi 6 avril 2011
Et les étoiles ne regardent jamais en bas (17)
Outis arrache le fil du lampadaire
Il lie solidement les poignets de Davis. Puis, il enfile un caleçon et se rend dans la salle de bains pour s'asperger le visage d'eau fraiche.
Revenu dans la chambre, il allume le plafonnier et se penche sur la forme évanouie étendue sur la moquette.
La forme a le visage blafard, elle aspire l'air avec sa bouche mince et ses deux gros yeux gris menacent de quitter leurs orbites.
Dans ses poches, Outis ne trouve qu'un vieux paquet de chewing-gum et des clés de voiture rassemblées dans un un porte-clés portant une médaille de Saint-Christophe.
Dans la poche intérieur du manteau, il s'attarde la feuille déchirée d'un petit carnet de notes. Le dessin lui rappelle vaguement quelque chose, un Paul Klee, peut-être.
Davis grogne. Outis lui pince la joue pour accélérer sa reprise de conscience.
-Qu'est-ce que tu es venu faire dans ma chambre ?
-Crève, répond Davis dans un souffle rauque
Une gifle / Davis veut éviter le coup mais, il n'empêche pas la main de frapper sa joue.
-C'est bien, tu reprends déjà des couleurs
-Sale pourri, éructe Davis
-Tu me juge trop vite, on se connait à peine, répond Outis.
Dans le parking de l'Association Colombophile de France
Le blondinet aperçoit son complice qui sort de l'ascenseur . Il écrase sa cigarette sur la semelle de sa chaussure.
-Alors?
Nez de boxeur passe devant lui sans un regard et s'engouffre ans la voiture.
Le blondinet grimpe à son tour dans la voiture de l'association. Son complice a déjà enclenché la marche arrière.
La remontée vers la sortie est rapide... trop rapide.
Le blondinet agrippe solidement la poignée au-dessus de la portière. La voiture mord par deux fois la bordure blanche des trottoirs, dérape sur une surface lisse de ciment peint.
Le rideau se lève dans un grincement de scie électrique.
Le capot de la voiture plonge dans une rue endormie.
-Qu'est-ce que tu as? demande blondinet en tournant la tête
-Quoi! répond nez de boxeur sans quitter la route des yeux
-T'as le feu au cul!
-Fais pas chier!
Après quelques secondes de silence pesant, le blondinet agite une petite boite de pastilles à la menthe devant les yeux du chauffeur;
Nez de boxeur donne un coup dans la boite. Elle cogne sur le pare-brise.
On traverse le quartier de l'Europe / alignement d'immeubles sages enveloppé de bourrasques perlées de neige.
Nez de boxeur grille deux feux rouges / blondinet grimace
Curriculum vitae
Bien que son appendice nasale hurle le contraire, nez de boxeur n'a jamais pratiqué le noble art. Son œuvre s'étale, sale et grasse, sur les pages d'un épais dossier des services judiciaires.
Phrases tragiques, hachées de termes balistiques qui virevoltent au grès des lignes, des mois, des années .
Le cadavre encore non-identifié d'une femme / on a retrouvé l'arme près du corps /
Un meublé appartenant à un ami de / traces de coups ayant entraînés la mort/
Dans la marge, on pouvait lire, inscrit en lettres rouges : individu très dangereux.
Forcément handicapé par la différence d'âge (10 ans) le blondinet n'affiche pas le même palmarès. Le premier fait d'armes de ce fils de Gaïa avait été d'émasculer son géniteur, avec l'approbation de sa mère, alors qu'il n'avait pas encore dix-huit ans.
Chronos des temps modernes, il avait embrassé la profession une harpé entre les dents, les mains encore tachées du sang paternel.
Blondinet n'aime pas le silence
-Il était seul là-haut? demande-t-il
-Non
Une grimace narquoise s'affiche sur le visage angélique
-Laisse moi deviner ; Paula, Flore, ou peut-être bien Myriam ?
-Myriam, grogne son copain
-Ha! tout s'explique
-Ta gueule! Blondin , s'énerve nez de boxeur
-La douce et dévouée Myriam, poursuit pourtant l'autre d'un ton goguenard.
-Je t'dis de la fermer! rugit nez de boxeur
-Dis-moi, c'était quoi ce soir, la danseuse ou l'écolière?
Nez de boxeur écrase la pédale de frein. La voiture fait une embardée et s'immobilise tout près d' un grand mur recouvert de graffitis.
Le blondinet n'a pas le temps de parer l'attaque. Les deux grosses pognes de nez de boxeur lui serrent déjà le cou, le souffle lui manque. Il gesticule, tente d'attraper son agresseur par les cheveux. Nez de boxeur évite facilement / son râle est rauque, ses yeux injectés de haine.
-Arrête... Arrête.. le boulot... On va faire une connerie... tous les deux... gémit le bondinet.
Nez de boxeur se réveille/ il lâche le blondinet / reporte sa haine sur le tableau de bord qu'il martèle à grands coups de poings.
Blondinet fait un effort pour se redresser. Il tente d'ajouter encore un mot pour calmer son pote mais, sa voix s'étrangle. Son visage n'est plus qu'un petit chiffon flasque et gris. Ses lèvres minces sont collées par de la salive blanchâtre.
Nez de boxeur a les yeux fixés sur le mur , les inscriptions.
Il lit la haine ordinaire de la rue , le dégoût, la poésie brutale et torturée du peuple d'en bas.
Puis, un sourire excessivement venimeux transforme subitement son visage.
Ses lèvres se retroussent, une étrange lueur brille dans ses yeux.
-T'as raison , on va lui faire la peau à ce salaud!
-Ouais... soupire le blondinet.
A suivre
lundi 4 avril 2011
Et les étoiles ne regardent jamais en bas (16)
Un feu de signalisation / rouge
Davis accélère encore. La voiture chasse de l'arrière et quitte l'ornière salvatrice.
Davis s'agrippe au volant. La voiture pique droit sur un terre-plein, l'escalade et part dans une succession de vrilles désordonnées. Dans la carlingue, Davis est secoué comme une balle de chiffon. Un paquet de neige s'infiltre par la vitre ouverte barbouillant son pardessus d'une poudre grisâtre, de petits graviers.
Davis pousse un juron quand la voiture percute une congère de neige gelée par le flanc droit.
Davis est debout / il appuie sur la pédale d'accélérateur comme un forcené.
La voiture glisse tout le long de la congère qui griffe la carrosserie.
Le moteur produit des rugissements désespérés.
Davis donne un grand coup de volant / la Rover retombe miraculeusement dans une autre voix de circulation désertée par la neige, un rail providentiel long et étroit filant vers un univers totalement dégagé.
Le halo d'une station service tâche les traînées de brouillard de son jaune sale.
A l'intérieur de son habitacle sécurisé, un employé-gnome-sans contour précis redresse sa mince silhouette faite de pièces d'ombre. Davis l'ignore , accélère encore.
Un coup d'œil sur le plan de la ville, déplié sur le siège passager
Davis donne un coup de volant tardif. La voiture tangue, chavire, se propulse tout de même dans une voie sans éclairage, entre deux blocs d'immeubles noirs comme des tombes.
Des maisons jumelles aux façades de suie, mornes dans leur ressemblance.
Pas une âme qui vive / qui voudrait vivre ici?
En haut, accrochée à deux lampadaires cassés, une guirlande.
"Joyeux Noël. Bienvenue dans la rue Tranquille"
Davis rétrograde, se trompe de vitesse . La boite geint, les pignons chantent une atroce chanson.
Une cinquantaine de mètres plus loin, la voiture enjambe le trottoir, percute une poubelle et s'immobilise.
A l'intérieur, Davis prend une profonde inspiration, expulse l'air et consulte sa montre.
Dehors, le froid mordant ne le calme pas. Pourtant, il sait qu'il doit absolument se calmer. Il avance vers l'entrée de l'hôtel d'un pas rapide, trop rapide.
Dans le hall
L'employé téléphone à sa concubine
-Mais oui chérie, je serais là à 6 heures..
Davis se plaque contre le mur
-Comme d'habitude... oui, moi aussi j'en ai marre, qu'est-ce que tu crois?
Davis plonge dans la zone d'ombre, fait une dizaine de pas en frôlant le mur et s'engouffre dans l'ascenseur.
3H15... Deuxième étage
Outis se redresse. Quelqu'un joue avec la serrure de la porte.
Surtout, pas de gestes brusques , sortir lentement du lit.
Il est maintenant à genoux sur la moquette, épiant le moindre bruit.
Un tintement de clé, la porte s'ouvre.
On progresse / une ombre
Outis tend lentement son bras vers le grand lampadaire / sa main serre la longue tige de métal froid.
L'ombre est là, elle s'avance encore.
Et puis, Outis se catapulte soudainement vers l'avant. L'ombre se redresse.
Outis, visage émacié de donquichotteaumasqued'argent, surgit, totalement nu dans la pénombre blanchâtre de la chambre.
L'ombre-Davis est devenue statue. Il ouvre la bouche pour crier à 'instant même ou la coupole du lampadaire le frappe en plein visage.
Tout de suite, il est aveuglé par une touffe de cheveux sanguinolents qui lui dégringole devant les yeux. Outis lui donne un grand coup d'épaule, il s'effondre.
Dans un dernier sursaut, sa main cherche l'arme. Outis bloque son geste avec son pied.
-Reste tranquille
-Je te crache à la gueule, éructe Davis
Il tente de cracher mais, ne peut expulser qu'un mince filet de salive qui coule le long de sa joue. Il laisse retomber sa tête et se met à geindre, doucement...
A suivre
vendredi 1 avril 2011
Et les étoiles ne regardent jamais en bas (15)
Alors, chère enfant, as-tu fais tes devoirs?
Elle chuchote quelques mots incompréhensibles, baisse la tête.
C'est une écolière d'une vingtaine d'années, pas plus. Maintenant, elle miaule comme une petite chatte.
Monsieur apprécie le corsage blanc,la jupe plissée, les socquettes, et son visage délicatement ciselé, piqué de tâches de rousseur.
Oui, vraiment, monsieur est satisfait. Il grogne de contentement lorsqu'elle introduit ses jolis doigts fins dans le pantalon de son professeur.
-Montre moi ton cahier, dit-il d'une voix grave
La fille fait adroitement pivoter son buste pour attraper un petit cahier à la couverture bleue/ conscience professionnelle, son nom est inscrit, d'une petite écriture serrée, maladroite.
Monsieur transpire. Les muscles de son cou se tendent. La fille poursuit son travail.
Monsieur tente sans succès de se concentrer sur le cahier .
Elle pouffe d'un petit rire émoustillé / ses dents sont régulières, incroyablement blanches.
Elle se frotte sur le rebord du bureau / ouvre son corsage / libère deux petites pommes aux courbes merveilleuses.
Le gourmand en gobe une entièrement, palpe l'autre comme un aveugle.
Elle minaude/ il grogne plus fort, se redresse, l'attrape, veut la retourner pour la plaquer contre le bureau.
Elle fait un Oh! avec sa bouche..
On frappe à la porte du bureau
Monsieur sursaute / elle ôte sa main/ pirouette/disparaît
-Entrez, crie Monsieur en se recoiffant sommairement avec la paume de sa main.
L'homme au nez de boxeur et à la carrure d'athlète se présente.
-Qu'est-ce que tu veux? demande Monsieur sans regarder son visiteur
-Nous l'avons repéré, répond le costaud
Monsieur fixe son gorille en plissant les paupières
-Comment ?
-Un indic ... les flics l'ont relâché
-Quel indic?
-Chanal, monsieur. Vous ne le connaissez pas
-Un sous-fifre
-Oui, monsieur
Monsieur s'aperçoit qu'il tient le petit cahier bleu dans ses mains. Il le laisse tomber sur le bureau.
-Où est-il? reprend t-il d'une voix forte
-Dans un hôtel, rue de la Paix
Monsieur soupire
-Vous pouvez régler cette affaire à deux?
-Pas de problème, annonce le gorille en bombant le torse.
-Alors, exécution, lance Monsieur en montrant la porte avec un geste autoritaire de la main.
Le costaud disparaît.
Monsieur attrape le cahier . Il se retourne.
L'écolière est revenue dans le bureau.
-Bon, voyons ces devoirs, dit monsieur. Si tu as bien travaillé, tu sais que Papa peut-être généreux, regarde.
Il sort un billet de 50 euros de sa poche de pantalon. Il le plie en deux, le coince entre son index et son majeur et le montre à la jeune fille.
L'effet est immédiat : elle glousse et mordille doucement le bout de son ongle.
Trois heures du matin
La Rover franchit le pont qui enjambe la Veule.
Les lumières de la ville approchent / Martial Davis réfléchit.
En moins d'une heure, il s'était débarrassé de son Glock et avait récupéré un automatique belge Clément chambré en .25 ACP.
Et puis, il avait volé cette bagnole de grosse cylindrée devant une maison de bourgeois. Probablement une voiture de femme, l'habitacle empestait le parfum de luxe. Davis ne supporte pas les odeurs fortes et musquées. Il tripote les boutons encastrés dans l'accoudoir et finit par presser celui qui actionne les vitres électriques.
Un vent polaire s'engouffre à l'intérieur. Le corps tout entier de Davis est agité de tremblements. Les yeux rivés sur les deux longues ornières sinueuses qui laissent apparaître l'asphalte luisante, il fonce à plus de 120.
A suivre
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