vendredi 25 avril 2014

Le Polar est Lucide


J'ai revécu mon passage sur la planète avec une pernicieuse précision. Mes subtils cerbères me font miroiter un marché : Raconte ton parcours pervers et tu iras peut-être au paradis en grande pompe.
Mon petit gars, c'est le moment de VIDER TON SAC.
Le purgatoire, c'est la zone. On s'y retrouve coincé  dans le corps qu'on avait sur terre quand on est mort. On avale rien d'autre que de la bouffe de lignes aériennes, classe loquedu. Il n'y a pas de picole, pas de liaisons lascives, pas de femme.
Mes victimes terrestres visitent ma cellule sans prévenir. Elles me remémorent mes méfaits et me transpercent le tafanard avec un tisonnier incandescent.

James ELLROY
Shakedown 
(Extorsion)

mardi 22 avril 2014

...Les souvenirs aussi




Revu sur Youtoube  Le Capitan. L'occasion de relancer cet article de la série Histoires comme-ci, comme-çà.
Comment j'ai rencontré le Capitan
Val d'Oise, 1963.
Ma grand-mère travaille comme femme de ménage  dans un château de la région parisienne.
Cette agréable demeure d'une cinquantaine de chambres avec parc ombragé et courts de tennis était située en lisière de forêt.
Le gamin que je suis préfère courir dans les bois avec ses copains, construire des cabanes au pied des arbres. Notre journée du jeudi s'étirait mollement, enveloppée dans  la  fumée des lianes ou des P4,  à l'abri des regards indiscrets. Ce jour-là j'avais décidé d'abandonner mes camarades pour rejoindre le château. Dans le grand parc, une équipe de cinéma au grand complet tournait  l'adaptation de"Patate", la pièce de Marcel Achard, au cinéma.
Si j'avais fait ce choix, c'est essentiellement parce qu'on m'avait dit que la belle Sylvie Vartan, la femme du grand Johnny, faisait partie de la distribution. Si je réussissais à l'apercevoir, ou même à lui soutirer un petit autographe, j'allais devenir  sans aucun doute possible le phénix de ma cour d'école primaire. En découvrant l'équipe au travail, tout ce matériel, ces gens qui courraient dans tous les sens comme des hannetons affolés, je pensais que l'affaire s'annonçait beaucoup plus compliquée que prévue. Comment se faufiler dans cette jungle humaine? Des types en salopette, clope au bec poussaient d'énormes caméras sur des rails qui ressemblaient à des voies de chemin de fer. Le réalisateur, un chapeau de paille sur la tête, était assis sur une chaise pliante. C'était à peu près le seul type silencieux et calme de ce sacré chantier. Les deux filles assises à côté de lui sur de petits tabourets feuilletaient de gros dossiers.
Tout d'un coup, quelqu'un cria "Silence!"
Un autre répéta la même chose, puis un troisième, un quatrième et l'on n'entendit plus rien.Tous regardaient  le petit escalier en marches de pierres blanches comme si leur vie future ne dépendait que de ce qui allait se passer sur cet escalier. D'une voix forte, le réalisateur cria "Moteur!"
L’homme au clap se présenta devant l'escalier,  présenta  son ardoise devant l’objectif de la caméra en criant à son tour : « Patate, scène 56, troisième ». Son annonce, fût  Immédiatement suivie par la voix du réalisateur : « Jean ! A toi. »
Alors, un homme sortit de la maison et descendit les petites marches une à une, tranquillement, en sifflotant, comme un homme qui avait descendu des petites marches pendant toute sa vie. Mais, cet homme n'était pas le commun des mortels, c'était le Capitan ! J'étais tétanisé.  Même s'il avait remplacé sa tenue par un petit costume clair, un de mes héros préférés se tenait à quelques pas seulement de moi. Je revis en un éclair la scène des poignards, les combats à l'épée et les chevauchées fantastiques.
Quelqu'un venait de  crier "coupez!" Je redescendis sur terre, parmi les vivants.
Le Capitan s'approcha du réalisateur en souriant. Son sourire me fit comprendre que l'ambiance était plutôt au beau fixe. Le réalisateur lui donna une accolade. Puis, les hannetons se mirent à courir de nouveau dans tous les sens. Un quart d'heure plus tard, le même cérémonial se déroula. Le Capitan descendit les marches de nouveau. Mais, cette fois-ci, il le fit en sautillant légèrement. Puis, encore une fois, mais, plié en deux, le buste penché vers l'avant. Cette version déclencha les rires dans l'équipe. Tout le monde avait reconnu l'imitation de son personnage du Bossu. Les versions s'enchaînèrent à un rythme fou. Des applaudissements chaleureux saluèrent la fin de la représentation, le réalisateur attrapa mon héros par le bras et le Capitan disparut à jamais.Le soir, dans ma chambre, sur le mur au-dessus de mon lit, je décollais la photo de la belle Sylvie et la remplaçais par celle du Capitan sautant de la fenêtre du château sur le dos de son fidèle  destrier.
La nuit fût très courte et agitée.
 Elle l'est toujours pour ceux qui aiment à rêver
Julius Marx

lundi 21 avril 2014

Résurrection






Le vivant absolu ? 
Un seul souhait ; que mes amis puissent tous admirer un jour ce tableau.
Julius Marx

http://www.lampe-tempete.fr/arasse.html

dimanche 20 avril 2014

Notre espion du bord de mer




Avril, c'est le mois des vents.
Ainsi débute la conversation. Mais, au-delà des considérations météorologiques, mon propriétaire semble soucieux, préoccupé. Que se passe-t-il : encore des visiteurs importuns qui se glissent dans notre jardin pour chiper nos belles roses, une nouvelle taxe, un nouvel  impôt inventé par les stratèges de notre gouvernement?
Non, ce qui le tracasse aujourd'hui, ce sont trois demoiselles. Les trois jeunes locataires de sa maison du bord de mer. L'un d'elle s'en est retournée  chez elle dans le sud du pays, il y a deux mois maintenant. Alors, notre homme , et c'est bien légitime, se demande comment les deux autres font pour assurer quand même le  paiement du loyer. Une part entière qui s'envole, ce n'est pas rien !
J'apprends que les filles  sont toutes deux femmes de  ménage dans un hôtel et ne touchent qu'un faible salaire.
-Des pourboires?
-Oui, bien sûr. Mais, tu crois que c'est suffisant?
-Non, certainement pas.
Alors, le mystère reste entier.
Il me regarde, esquisse un léger sourire.
-Beaucoup de jeunes femmes n'ont que cette solution aujourd'hui...
-Tu veux dire..
-Oui, tu as compris..
-Mais, tu en es sûr?
-Non, justement. Et c'est ça le problème. Chez nous, le propriétaire est responsable, tu comprends?
-Oui.. Enfin, je crois. Alors, qu'est-ce que tu vas faire?
-J'ai demandé à un voisin d'espionner  pour moi.
-Un espion.
-Oui, c'est un vieil homme qui habite juste en face de la maison.
-Et qu'est-ce qu'il a vu?
-Hier soir, il a surveillé la porte des demoiselles jusqu'à neuf heures.
-Résultat?
-Rien. Personne. Aucun homme n'est entré.
-Bien. Et après?
-Après?
-Oui. Après neuf heures?
- Il est allé se coucher... Tu sais, il est très vieux.
Le vent me pousse loin du bord de mer.
Julius Marx

mardi 15 avril 2014

Le Polar est Amour (15)



Le blanc était très excité par la présence des tantouses. Tous étaient noirs et pour la plupart jeunes. Tous avaient les cheveux décrêpés, lisses comme de la soie, onduleux comme la mer; des faux cils ultra-longs frangeaient leurs yeux fardés, leurs grosses lèvres pulpeuses étaient peintes en marron. Ils avaient des yeux froids, insolents, pervers, sans trace de honte et cette expression avide des gourmets condamnés à l'abstinence. Ils arboraient des pantalons moulants aux tons pastel et des chemisettes sport à manches courtes laissant voir leurs bras nus. Certains étaient assis au comptoir sur de hauts tabourets, d'autres s'appuyaient à leurs épaules; ils parlaient avec des voix aiguës, se trémoussaient, roulaient des yeux et tanguaient des hanches de façon suggestive. leurs dents blanches brillaient dans leurs visages sombres luisants de sueur. Leurs regards aigus semblaient bouillir dans des tasses noires de mascara. Ils s'effleuraient mutuellement du bout des doigts, l'air contraint, s'exclamaient avec des voix de fausset un peu haletantes "fillette..." Ils avaient des gestes indécents, lascifs, évocateurs des orgies dont se repaissait leur imagination. La nuit brûlante de Harlem avait réveillé leur passion.
-Café, commanda-t-il d'une voix forte un peu étranglée.
Il tenait à bien faire comprendre qu'il voulait un café et rien de plus.
Le garçon lui décocha un sourire entendu.
-J'sais c'que vous voulez.
Le blanc s'efforça de soutenir le regard froid du garçon.
-Un café, c'est tout.
Un mince sourire de dérision tordit les lèvres du garçon. Le blanc remarqua que lui aussi avait la bouche fardée. Il lança un coup d'oeil furtif aux autres beautés installées au comptoir. Leurs grosses lèvres marron charnues et luisantes avaient quelque chose d'extraordinairement séduisant. Pour attirer son attention, le garçon dut lui adresser de nouveau la parole.
-Filet mignon, chuchota-t-il d'une voix rauque et suggestive.
-Je ne veux rien à manger.
-Je sais.
-Un café.
-Filet mignon...
-Noir...
-Filet mignon noir... Vous autres tatas blanches, vous êtes toutes pareilles.
L'homme blanc résolut de jouer les ignorants, de se comporter comme s'il ne savait pas à quoi le garçon faisait allusion.
-Vous faites de la discrimination avec moi.
-Oh,ma foi non. Filet mignon...euh, café noir ça vient de suite.
Une tantouse vint s'installer à la place voisine de celle du blanc et lui posa une main sur la cuisse.
-Viens avec moi, tata.
Le blanc lui repoussa la main et le considéra avec hauteur.
-Est-ce qu'on se connaît?
La tantouse ricana.
-On joue les difficiles, hein?
Le garçon se détourna du percolateur.
-Embête pas les clients, dit-il.
La tante réagit comme s'ils étaient secrètement de connivence.
-Ah, vraiment c'est comme ça?
-Bon Dieu, mais qu'est-ce qui se passe? balbutia le blanc.
Le garçon lui servit son café noir.
-Comme si vous ne le saviez pas, chuchota-t-il.
-Qu'est-ce que c'est que cette combine?
-Ils sont pas jolis?
-Qui?
-Tous ces filets mignons bien à point.
Le visage du blanc s'enflamma de nouveau. Il leva sa tasse de café. Sa main tremblait tellement qu'il en renversa sur le comptoir.
-Soyez pas nerveux, dit le garçon. C'est dans la poche. Montrez votre pognon et faites votre choix.
-Laissez-moi tranquille, dit-il. Je sais ce que je veux.
-Des filets mignons, dit le noir.
-C'est l'heure du petit-déjeuner, dit le garçon. Faut donner aux mecs leur casse-croûte du matin.
Sans os.
Quelques instants plus tard, il l'avait rejoint; ils continuèrent à marcher côte à côte en bavardant, un Noir vêtu de noir en fez rouge proclamant Black Power et un Blanc déplumé en chemise blanche et pantalon gris.
La carotte et l'âne.
Chester Himes
Blind man with a pistol
(l'Aveugle au pistolet)
Extraits/ Série Noire
Images : Paul Harris in  Baby needs a new pair of shoes (Bill Brane 1974)

vendredi 11 avril 2014

Sulmona



Un beau matin.
Ciel clair, et l'on cherche, en vain,
un nuage égaré.
La route se tortille entre les pins parasols,
d'une forêt calme et oubliée.
Sur notre chemin, des vieilles femmes voûtées,
petites flammes sombres, marchent sur le bas-côté.
Nous plongeons au fond de la vallée.
Le marché. Grand jour de deuil.
Colonnes montantes et descendantes,
de fourmis affairées.
Des marchands, aussi loin que notre champ de vision.
Balances antiques, fagots de basilic, fruits du soleil.
L'air embaume le pain chaud et des senteurs encore
 à découvrir.
Le charme de l'opéra italien.
A l'heure où le grand maître devient trop présent,
nous fuyons les terrasses pour le calme conventuel
d'une salle aux rideaux clos.
Tortellini al brodo (1)
une pointe de citron,
Rappelez-vous, les filles :
ne jamais demander de pain.
Souvenirs de cet après-manger,
les devantures brillantes,
qui éclatent de couleurs vives,
sous une pluie de confetti,(2)
des touristes qui photographient un âne,
la fille devant la boutique qui ressemble à la Volpina.
un autre, avec  le nez du poète.(3)
Sur la place, la lumière est devenue tendre,
les fourmis ont disparues,
pourquoi faut-il que l'on sorte sa montre?
Sulmona,
la vie, sans plus.
Julius Marx

(1) Au bouillon
(2) Spécialités locales. Dragées (confetti en italien) de toutes les couleurs
(3) Le nez d'Ovide, né à Sulmona, et que l'on surnommait "Naso" ( le nez)

mercredi 9 avril 2014

Le Singe Viennois



J'étais enchanté de dormir dans la même chambre que Sullivan. Je me glissai entre les draps froids. Le plafond descendait juste au-dessus de moi et, en levant le bras, je le touchai du bout des doigts. Tous les enfants, songeai-je, devraient avoir le droit de dormir dans une chambre pareille; l'enfant adore les recoins et les angles inattendus, et l'équidistance lui donne des cauchemars, de même que les plans parallèles  qui ne cachent rien.
-Pike parle des bisons.
-Son histoire la plus triste, dit-elle.
-Nous y serons bientôt.
-David en route vers Oz.
-Je me demande s'il reste encore des Arapahos. Ou des Chiricahuas. Ma tribu préférée. Les Apaches Chiticahuas. Burt Lancaster avec son bandeau à dessin cachemire sur le front.
-Vas-tu avoir ton blizzard?
-Je ne pense pas, non. Le mois d'avril approche.
-Les fleurs du désert seront magnifiques.
-Est-ce que tu as déjà remarqué? L'obscurité semble inciter les gens à s'exprimer en phrases brèves.
-Oui, dit-elle. Et quand les lumières reviennent , nous nous mettons à divaguer pour dire rien et n'importe quoi. Mais au lit dans l'obscurité, nous sommes sollicité par le singe à l'affût dans notre sommeil.
-Quel singe?
-Nous devenons documentaires. Nous devenons des films d'actualité racontant ce que nous pensons être la vérité. Notre auditoire n'est guère plus qu'un fragment d'obscurité. Le véritable auditoire est l'obscurité même. Nous lui dévoilons notre vie, dans l'espoir d'apaiser le singe.
-Quel singe?
-Le singe viennois.

Don De Lillo
Americana
Photo : Burt Lancaster dans Apache de Robert Aldrich (1954)

vendredi 4 avril 2014

Des petits chiens dans la gorge



-Sortons d'ici, déclarai-je. On peut aller chez moi.
-Il faut le ramener chez lui.
-Il se débrouillera très bien. Il est tout le temps comme ça. J'ai pour pratiquement mille dollars d'équipement stéréo.
-Quand je plane vraiment, je perçois l'espace entre les sons.
-Allons-y. Dînons d'abord, si vous voulez, et puis allons chez moi.
-Il peut venir?
-Il se débrouillera très bien tout seul.
-On a peint un cercle au milieu de la chambre. On s'assied là et on fume. C'est vraiment génial.
-Qu'est-ce que vous faites d'autre?
-Ce qu'on veut.
-Mais quoi?
-On peut faire tout ce qu'on veut.
-Vous ne pouvez pas être plus précise? Je veux savoir exactement de quoi vous parlez.
-C'est simple, c'est très simple. Vous pouvez venir avec moi, si vous voulez.On a de la came.Mais d'abord, il faut le ramener chez lui.
Je m'écartai d'elle et terminai mon verre. Tranche frémissante de viande de couguar. Allais-je devoir aider à le dévêtir? Eplucher ses chaussettes fatiguées de mes doigts gourds, et le border, ronflant, sur son lit de camp? Il y a peu de choses plus déprimantes que la vue d'un ami soûl qui a deux fois votre âge; tant d'illusions sont à l'épreuve. Il fit un bruit, puis un autre, comme de petits chiens aboyant dans sa gorge. Il avait la tête posée sur son avant-bras gauche. Sur sa nuque, les poils étaient brun clair et gris.  Je lui entourai l'épaule de mon bras.
-De quelle couleur est le cercle? demandai-je.
-Rouge. C'est un grand cercle rouge et nous nous asseyons tous à l'intérieur. Tu peux venir si tu veux. N'importe qui peut venir, s'il a envie. Toi et moi et lui. On peut tous y aller.
Je me penchai, et remontai la glissière du blouson. Je l'aimais bien. Je n'avais aucune envie de la piétiner. Elle était tendre et confiante, belle à sa manière obtuse, et mes paroles ne pouvaient pas atteindre les espaces qu'elle percevait entre les sons. Mais rien de tout cela ne me donnait le droit de la piétiner. Théoricien des communications et empereur de la hi-fi. Je lui donnai quinze dollars- pour manger, lui dis-je.
-Non, je ne peux pas venir, déclarai-je. On va le ramener chez lui, et ce sera tout pour ce soir.

Don De Lillo 
Americana
1971

Moins pompeux et boursouflé  qu'American Psycho ( qui paraîtra vingt années plus tard ) et surtout beaucoup mieux écrit. L'essentiel, et rien que l'essentiel nom d'un chien !
Don est un parrain.
Photo : Kay Lenz dans le Breezy de Clint Eastwood (1973)