jeudi 26 novembre 2020

Souvenirs





Déjà plus d’une heure que le guide nous parle des Nabatéens, de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui, et de la sédentarisation.

C’est merveilleux.

Sans blague, je suis conscient du moment unique que je suis en train de vivre.

Non, mon petit, je ne veux pas faire une promenade à cheval,

non, je n'ai pas besoin d’un joli bracelet à un euro,

Ce qu'il me faut, c'est juste un peu d’ombre.

L’ombre…Une sacré bonne idée.

Là. Planqué sous un rocher du canyon,

personne ne m’empêchera de rêver des Nabatéens,

de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui, et de la sédentarisation.

Et puis, Dieu m’est apparu.

Un Dieu à la peau sombre, à la bedaine bien calée dans une drôle de voiturette de golf.

Hé ! Diego. Qu’est-ce que tu fabriques dans cette foutue voiture de golf ?

Qu’est-ce que peut bien te raconter le fils du Roi, assis à côté de toi ?

Pourquoi viens-tu  me narguer Diego ?

Pourquoi  vouloir m’empêcher de rêver seul des Nabatéens,

de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui,

et de la sédentarisation.

Et puis, ces putains de gardes du corps, Diego,

Pourquoi me poussent-ils contre les pierres ?

Alors, l'hélico blanc, c'était toi.

Moi, je suis arrivé ici par la route,

une sacrée route qui n’en finissait pas de s’entortiller autour des rochers

comme un serpent.

Tu peux me croire Diego,

J’ai bien mérité de rêver, peinard,

 des Nabatéens, de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui,

et de la sédentarisation.

Tu as vu le désert, Diego ? Ces tentes de nomades, ces chiens galeux  et ces rapaces, très haut dans le ciel pur, dédaigneux des petits bonhommes trimballés dans un bus ?

Où alors, le fils du Roi te faisait-il chier avec ces problèmes de fils du Roi ?

Hé, toi !

Oui, toi, El Pibe del oro,

qu’est-ce que tu fabriques dans cette ridicule bagnole blanche 

Avec tous ces types en noir qui bourdonnent autour de toi comme des mouches affolées par le sucre?

Par ta faute Dieguito,

j’ai laissé tomber les Nabatéens,

 la péninsule arabique, les 2200 ans depuis je ne sais qui,

et la sédentarisation.

C’est  bien à cause de toi, Diego,

que je me suis subitement retrouvé dans les rues de Naples, avec des gamins d'une autre péninsule.

Et puis, tu as disparu.

On n’entendait plus que le bourdonnement

de tes mouches, derrière toi.

Dommage… tu aurais pu me prêter ta voiture

pour remonter le canyon,

retrouver mon bus, mes touristes.

Mais, comment leur dire que Dieu venait d'atterrir en hélico blanc

ici, dans le désert des Nabatéens ?


Julius Marx (Petra- Jordanie-1er Mai 2015)

jeudi 19 novembre 2020

Plus qu'à une rapide pulsation de la mort





"C'est curieux", se dit-il, et à ce moment, il entendit un frottement derrière lui, et sans raison très précise, la peur soudain l'envahit, une peur qu'il n'avait jamais connue auparavant. Une peur, sauvage, animale,. Avant d'avoir pu faire un geste, il sentit un léger attouchement au bord de son chapeau, par derrière, et alors il comprit qu'il allait arriver quelque chose d'horrible, et qu'il n'était plus qu'à une rapide pulsation de la mort. La sortie de l'impasse et le minuscule point lumineux qui signifiaient le salut étaient à des milliers de kilomètres de lui. Un cri de terreur contracta sa gorge, mais avant qu'il eût pu jaillir, ses tympans éclatèrent, et le minuscule point lumineux qui était le bout de l'impasse, avec une soudaineté terrifiante, fonça sur lui, rouge, hurlant, irrésistible. 
Il savait qu'on le tuait et il ne pouvait pensait qu'à une seule chose: "Et si Myra s'était arrêtée ce matin-là, pour prendre son café?"
Puis le somment de son crâne vola en éclats et il tomba, le visage en avant, sur la poubelle, tandis que ses doigts montaient vers sa figure pour tâcher de boucher son nez.

Horace Mc Coy
No Pocket in a Shroud
(Un linceul n'a pas de poches)

La dernière page du Linceul fait maintenant partie des classiques de la littérature noire. Même si nous l'avons déjà lue et relue, il est extrêmement salutaire de refaire un petit passage sur cette page en nos temps troublés. Pensons nous aussi à nous boucher le nez.

Pour illustrer ce texte, impossible de ne pas penser à la scène finale de Touch of Evil de Welles.