mardi 27 janvier 2015

Le Polar Est Amour (23)


Le quinquagénaire ne savait  que penser. Son esprit choisit la facilité et il se dit que cette fille est une salope, il la  tringlera quand il voudra, où il voudra, sur un tas de foin. Il vida son verre, baissa les yeux sur le bois de la table.
-On peut savoir pourquoi vous marchez dans une combine comme celle dont il est question ?
Cash eut une moue ironique.
-Je suis pour l’harmonie universelle, dit-elle, et pour la fin du pitoyable Etat civilisé. Sous mon apparence froide et apprêtée se cache et bouillonnent les flammes de la haine la plus brûlante à l’égard du capitalisme technobureaucratique  qu’à le con en forme d’urne et la gueule en forme de bite. Dois-je continuer ?
Epaulard la regardait, l’œil rond.
-T’esquinte pas, camarade, dit Buenaventura. C’est la grande incompréhensible, cette morue.///


///// Epaulard monta. Cash était partie devant et quand il entra dans la chambre elle l’attendait frileusement sous les couvertures du grand lit. Epaulard se déshabilla avec une certaine nervosité, puis il coucha avec Cash et il se montra de plus en plus nerveux et tout fut très vite fini. Epaulard enrageait de honte et de déception. Au bout d’un moment, il essaya de recommencer. Il se démena longuement. Ses efforts étaient infructueux. Cash finit par l’écarter doucement. Epaulard, la tête sur l’oreiller, soufflait comme un mulet et grinçait des dents. Cash lui embrassa l’épaule.
-Je ne suis plus bon à rien, dans aucun domaine, dit Epaulard.
-Vieil idiot, dit Cash avec tendresse. C’est la tension. C’est l’angoisse. Cela ira mieux demain. Elle lui caressa gentiment  la joue, mais Epaulard voyait qu’elle était déçue, et c’était irréparable. Cash se trompait, cela n’irait pas mieux demain. Demain, ils seraient tous morts.

Jean-Patrick Manchette
Nada
(Série Noire)
Image : Martha Vickers et Bogart in The Big Sleep ( Le grand sommeil) Hawks-1946.

dimanche 25 janvier 2015

Femmes



Il faisait grand jour quand je rentrai à l’hôtel. J’ouvris la fenêtre de ma chambre qui donnait sur le Vieux-Port. Je poussai ma table devant la fenêtre. Je tombai la veste. J’allai déballer mes armes à feu et c’est en bras de chemise que je me mis à astiquer mes carabines, à les astiquer et à les graisser sérieusement, ma fine Winchester, ma Jupiter à lunette, ma Mauser 9,3 et mon fusil à éléphant, mon gros Maennicher, calibre22.
…C’est  Restif de la Bretonne qui remplaça tous les saints du calendrier par les noms de ses maîtresses, en en marquant trois le dimanche et cinq ou sept à l’encre rouge les jours des plus grandes fêtes liturgiques. Gavarni tenait un agenda tout aussi complexe et embrouillé. Moi, un alphabet de 24 lettres me suffit pour faire revivre toutes les femmes que j’ai connues, connues selon la Bible ou tout simplement imaginées, sans parler des femmes de l’histoire et de la légende, les amoureuses peintes dans les musées, les phantasmes nocturnes, les inconnues que j’ai baisé en vitesse sur le pont des embarcations ou derrière une porte, les hermaphrodites, les succubes, mes filles illégitimes, mon ex- épouse, mon Amour, et Hélène-la-morte, celles dont j’ai tout oublié, la couleur des yeux, le ventre, le sourire, celles qui ne sont pas venues à un rendez-vous, celles dont on a pris congé pour toujours sans  leur avoir plaqué, tant la hâte de la séparation était grande, un baiser d’adieu dans les jarrets, et toutes les muses, les oaristys, les égéries, les hamadryades de la poésie et les reines de l’écran d’argent. 24 lettres, cela me paraît bien suffisant car avec un alphabet de 24 lettres on peut faire
                              62044840173323943936000
combinaisons, ces trillions de billions de milliards de  millions de combinaisons qui sont autant de noms propres qui me sont chers…
Toutes les cheminées  fumaient. Marseille sentait le bois de pin enflammé et le four à boulanger. 
Une nouvelle journée commençait.
Blaise Cendrars
Le vieux port- in L’homme Foudroyé (Folio)
Photo : Une femme lascive des colonies, au bas de l'escalier de la gare St Charles que Cendrars qualifiait de faunesque.

mardi 20 janvier 2015

Les intimes éclaircies de nos existences





Les mers disparates propagent l’onde de leur indolence
dans les lits aux draps de blanche écume
au bruit des pages des vagues tournées par le lecteur du
ciel inassouvi
l’aimable et régulière caresse des nuages
se dissout derrière la brume
la promesse tant attendue à l’horizon de ton sourire

La terre à sa rupture déploie la pierre blanche et jeune
d’un sein solide de géante offert à la longueur du temps
et le vent se mord les lèvres dans sa rage noire

brisée est la transparence traversant les verres de nos existences
le vent étrangle la parole dans le gosier du village pauvre
village
sa vie d’étranges éclaircies
Cassée est la chaîne des paroles couvertes d’hiver et de drames
qui reliaient les intimes éclaircies de nos existences
et le vent nous crache à la figure
l’infatigable brutalité de tout cela

Tristan Tzara
Règle
(L’indicateur des chemins de cœur)
1928
Image : Gene Tierney dans Leave her to Heaven (Péché Mortel-John Stahl -1945)

lundi 19 janvier 2015

Vent de sable (3)

1894. Pierre Loti fuit Le Caire, ses anglais en vareuses et casques coloniaux et ses « régiments de touristes » !



"Vers le soir, nous entrons dans une région semée, à perte de vue, de maigres genêts ; sorte de triste jardin sans limites visibles,-et le vent, qui se lève, le couvre et l’embrume d’une fine poussière de sable.
Toujours plus fort, ce vent que rien n’arrête. A la lumière mourante, on ne voit plus les choses qu’au travers de cet étrange nuage jaune, d’une transparence livide. Nos tentes, qui apparaissent là-bas, s’exagèrent dans le lointain, au milieu de l’immensité nue, prennent dans cette buée de sable des proportions de pyramides- et nos chameaux porteurs, qui errent alentour broutant des genêts, semblent des bêtes géantes qui mangeraient des arbres, aux dernières lueurs pâles du couchant.
Par grand vent, qui agite nos tentes avec un bruit de voilure de navire, nous nous arrêtons là pour la nuit, en ce point quelconque de la solitude infinie."
Pierre Loti

 Le Désert (Christian Pirot-2001)

mardi 13 janvier 2015

Noir et blanc



« La jeep était encore à un kilomètre lorsque je l’entendis. Elle contourna le lac, et quand elle entama le virage, les oiseaux s’envolèrent des arbres. Ils s’élevèrent en un bouillonnement, tout droit, puis, comme une bourrasque les avait emportés, virant abruptement, d’un même mouvement, à droite toute. La plupart de ces arbres étaient là depuis quarante ou cinquante ans. La plupart des oiseaux étaient dans le coin depuis moins d’un an et partiraient d’ici peu. J’étais quelque part entre les deux. »

Ce qui frappe dans l’écriture de Sallis ce n’est pas uniquement cette poésie ni même l’humour ou encore le jeu cruel et  parfois déconcertant auquel se livrent les personnages entre eux  mais surtout, le rythme. Chez lui, le lecteur n’a pas beaucoup le temps de souffler. Les chapitres s’enchaînent aussi vite qu’une Ford aux cylindres qui cognent. Si l’écriture flirte avec les auteurs blancs comme Carver ou Thomas Mc Guane, il faut bien admettre que le noir l’emporte toujours, en partie grâce à l’implacable mise en image de la misère sociale, aussi bien chez ceux qui sont en cavale que chez ceux qui sont chargés de les rattraper. Alors, blanc ou noir ? Je dirais simplement que Sallis tente de réunir les deux.

« J’allai chercher Des verres à l’intérieur. Nous versai à tous deux de bonnes doses et lui passai le sien. Il le leva à la lumière, prit une gorgée, soupira.
-Ca fait un moment que je voulais monter vous dire bonjour, dit-il. Mais, toujours un truc à faire. Me suis dit que ça pouvait attendre. Pas comme si on allait se sauver, vous et moi.
Ce fut tout pendant un moment. Nous restâmes assis à regarder les écureuils grimper aux arbres et sauter de l’un à l’autre. J’avais cloué une vieille boîte de conserve rouillée au pacanier et l’avais remplie de noix à leur intention. De temps en temps l’un d’entre nous tendait le bras et refaisait les niveaux. Pas grand-chose d’autre ne bougeait. Par ici on n’est jamais loin de comprendre que le temps est une illusion, un mensonge. »
James Sallis
Cypress grove (Bois mort)

Gallimard (Série Noire)
Image: Fred Mc Murray et Claire Trevor in Borderline (William A. Seiter-1950)

mercredi 7 janvier 2015

Vent de sable (deuxième journée)




Le vent,
toujours lui,
avec sa voix grave.
Mugissant sans relâche
comme une foule en colère,
une deuxième révolution.

Julius Marx
Photo: Keaton, bien entendu

mardi 6 janvier 2015

Vent de sable


La couleur du ciel s’est égarée
perdue on ne sait où.
Le paysage a disparu
parti on ne sait où.
Devenues libres,
Les maisons flottent dans l’air
 en affrontant  fièrement les grondements.
Dans le brouillard dense
vacillent encore quelques faibles lumières
comme celles des barques des pêcheurs
la nuit, sur une mer agitée.
On jurerait entendre les voiles qui claquent
et cinglent au vent.
Au loin, de frêles silhouettes, presque des squelettes,
semblent danser sur le fil incertain de l’horizon.
Les  sourds murmures ne peuvent réveiller
ce pays de la démesure et des légendes endormies.
Un artiste mystérieux, mécontent de son travail,
finira-t-il  par effacer cette surprenante aquarelle ?
Seuls les oiseaux voltigent encore
dans la poussière lumineuse.
Ici, ils n’ont pas peur des hommes
et de la mélodie du vent.

Julius Marx
Image: le Pont Rouge de Paul Klee.

jeudi 1 janvier 2015

Voeux


Si, comme le poète, nous imaginons le Paradis 
comme une sorte de bibliothèque, 
faisons tout notre possible pour ne pas devenir aveugles.
Bonne année à tous.
Julius