dimanche 27 décembre 2015

Depuis l'est, de la lumière

 
 


La maison a tremblé et crié toute la nuit
Vers le matin, s'est calmée. Les enfants,
cherchant quelque chose à manger, se fraient
un chemin à travers le séjour sans dessus dessous
pour gagner la cuisine sans dessus dessous.
Voilà Père qui dort sur le canapé.
C'est clair qu'ils s'arrêtent pour regarder. Qui ne ferait de même?
Ils écoutent ses ronflement violents
et comprennent que les vieilles habitudes
ont repris une fois encore. Alors qu'y-a-t-il de neuf?
Mais la vraie sensation, ce qui leur fait écarquiller les yeux,
c'est que leur sapin de Noël a été renversé.
Il gît sur le côté devant la cheminée.
L'arbre qu'ils ont aidé à décorer.
Il est abîmé maintenant, des glaçons et des sucres d'orge
jonchent le tapis. Comment une chose pareille a même pu se produire?
Et ils voient que Père a ouvert
le cadeau que Mère lui a offert. C'est une longueur de corde
à moitié sortie de sa jolie boite.
Qu'ils aillent se faire pendre
l'un et l'autre, voilà ce qu'ils aimeraient dire.
Au diable tout ça, au diable
les parents, c'est ce qu'ils pensent. En attendant,
il y a des céréales dans le placard, du lait
au frigo. Ils vont s'installer avec leur bol
devant la télé, trouvent leur feuilleton
essaient d'oublier la pagaille tout autour.
Ils montent le son. Plus fort, et plus fort encore.
Père se retourne et grogne. Les enfants rient.
Ils continuent d'augmenter le volume pour qu'il comprenne bien
qu'il est en vie. Il lève la tête. Le matin commence.
Raymond Carver
La vitesse foudroyante du passé

samedi 26 décembre 2015

Assis sur l'Equateur



Ca fait deux jours maintenant
que mon œil gauche est fermé.
Le vent et le sable
m'ont accordé cette opportunité.
Deux jours à ne voir qu'à moitié,
à se contenter d'un seul hémisphère.
Deux sacrés jours dans la peau d'un homme du front
ou d'un quelconque fanatique.
Des journées bien tranchées,
noires ou blanches,
à confondre la nuit et le jour.
Le vent et le sable
m'ont accordé cette opportunité.
Plus tard, seul dans une moitié de chambre,
fixant une demie fenêtre,
je me suis demandé si le monde,
lui aussi, n'était pas devenu borgne.
Combien de jours encore
a vivre assis sur l'équateur
entre pôle Nord et pôle Sud?
Patiente encore un peu
a répondu le vent
en s'amusant à faire vibrer la fenêtre.
Julius Marx
(Noël 2015)

mercredi 23 décembre 2015

Critique évolutive





Attention, grâce à la formidable liberté offerte par le blog, vous lisez une des premières (peut-être même la première, les informations me manquent)  critique évolutive. Dans le post précédent, je vous parlais des premiers chapitres du roman noir Soleil noir de Patrick Pécherot.  Me voici maintenant arrivé au trois-quarts du bouquin. Il me semble que l'auteur s'éloigne de son intrigue en se glissant peu à peu dans la peau du Georges Perec de Je me souviens.

"Dehors, la rue aligne ses murs gris et ses boutiques à vendre. Elles le sont depuis tant d'années que la plus minable des agences immobilières ne perdrait pas son temps à chercher leur dossier. Si toutefois il lui restait un employé assez vieux pour se souvenir du bled. Quand la ville avait rattrapé la campagne à tonton, ses chemins creux recouverts de bitume, elle était devenue faubourg. Les lauriers coupés, nous n'irions plus au bois, l'usine l'avait remplacé. Les Mobylette en partaient comme des feux d'artifice. Des belles bleues, des grises et des orange qui pétaradaient dans les villages et les cités ouvrières. La grande égalité du deux-temps sous les blue-jeans des blousons noirs, les culs-terreux des maraîchers, les fesses postales du facteur. Et la soutane du curé, toutes voiles dehors, saint-sacrement sur le porte-bagages. Elle me faisait rêver, la pétrolette. Selle biplace et guidon-bracelet, garanti casse-gueule quand il fallait braquer bras collés au corps. Les épaules remontées aux oreilles et la conduite impossible qui donnait l'air d'un têtard énervé.
Puis la roue avait continué de tourner, les mobs rangées au musée, le faubourg s'était changé en dortoir. Et la ville en faubourg.
A présent, le dortoir est vide et sent la mort.
Quelle image à la noix."

Si la lecture reste toujours aussi savoureuse, nous attendons avec impatience de voir si l'auteur va resserrer légèrement les boulons (cette  jolie expression, vous l'aurez compris, vous qui êtes nés dans les années cinquante, étant parfaitement adaptée à l'époque de la dite  Mobylette.)  Tout comme le Deus-ex-machina  dans l'œuvre dramatique, la partie précédant la conclusion est primordiale, pour ne pas dire capitale. Alors, l'auteur va-t-il reprendre la main? Nous le saurons au prochain épisode.
Julius Marx  

lundi 21 décembre 2015

Le Polar Est Poésie



Un braquo ne se monte pas tous les jours. Moi, l'idée ne m'en était jamais venue. Ou alors, diffuse, en pensées brumeuses, dans l'entre-deux du sommeil. Quand on se rêve albatros planant au-dessus des mers. Ou monstre orgiaque absolument increvable et tout à fait capable de suppléer à onze mille verges. Ou encore, desperados de légende. Mais généralement, en bandit magnifique, je finis mal. Haché par les tirs automatiques d'un millier de tireurs d'élite des brigades spéciales. Mitraillé par un hélico sur le toit d'un immeuble en flammes, une foule terrifiée à mes pieds. Dans la chambre sordide où j'avais tout sacrifié pour un seul amour. Vendu par un vieux pote à qui je pardonne dans l'ambulance. Ou flingué à la régulière par un flic dont l'estime n'a d'égale que la mienne, mais le destin et la barricade à deux côtés  seront toujours plus forts que l'amitié de ceux qui ne hurlent pas avec les loups. Après ça, on peut se rendormir.
Patrick Pécherot
Soleil noir
(Série Noire)
Rêveur et poète le personnage de Pécherot, oui, mais aussi cinéphile, sans aucun doute. Dans ce roman noir, les métaphores claquent comme des coups de fouet au-dessus de nos têtes et les personnages font tous partie de la famille d'un Siniac, par exemple.
La photo ? Mr Eddy dans le Printemps à Paris de Jacques Bral.

mercredi 16 décembre 2015

Ainsi du coeur




(Klarskovgaard.) Le 27 mai (1948)
Monsieur
Je vous remercie pour la bonne surprise que j’ai éprouvée en lisant votre article dans les Lettres Françaises(1). L’on ne m’y injuriait pas ! dénonçait pas ! Comme c’est amusant !
Encore un petit effort et les Lettres Françaises finiront par avoir de l’esprit ! Pour la vérité des choses, puisque l’occasion m’est offerte, je dois avouer que je n’ai jamais lu une ligne d’Aragon, ni d’aucun autre surréaliste (2) – non par mépris, dédain, que diable, mais simplement  parce que le temps m’a manqué, même en prison.
Par contre Aragon m’a beaucoup lu lui, et sa femme, puisqu’ils m’ont traduit, et d’office, le Voyage, dès 1934.
Pour le reste la transposition du langage parlé en écrit, sa récréation…vous n’y êtes pas encore… Vous brûlez certes… mais tout de même d’assez loin… Vous êtes-vous jamais demandé quel diable poussa les Impressionnistes à sortir du Jour d’Atelier ? On travaille si bien dans un Atelier… mais c’est dehors qu’on se mouille… Ainsi du cœur et c’est le cœur le style.
LF Céline
(Lettre à Raymond Queneau)
1.    
             « on cause », par Raymond Queneau, Les lettres Françaises n° 207, 6 mai 1948. Dans cet article consacré à l’emploi du français parlé en littérature l’auteur remarque : « Ce sont presque toujours des bourgeois qui ont écrit (ou tenté d’écrire) en langage parlé. » Le premier exemple qu’il donne est les propos de coco bel-œil de Julien Guernec, puis il en vient à Voyage au bout de la nuit auquel il consacre un paragraphe.
2.       Après avoir reconnu l’importance de Voyage, Queneau conclut curieusement : « l’influence d’Aragon et du surréalisme en général, sur Céline est incontestable.

3.       Notes : Henri Godard et  Jean-Paul Louis (Pléiade 2009)
        Dessin: Picabia
  

jeudi 10 décembre 2015

Je ne crois pas que mon machin soit ennuyeux



En fait ce « Voyage au Bout de la nuit » est un récit romancé, dans une forme assez singulière et dont je ne vois pas beaucoup d’exemples dans la littérature en général. Je ne l’ai pas voulu ainsi. C’est ainsi. Il s’agit d’une manière de symphonie littéraire, émotive, plutôt que d’un véritable roman. L’écueil du genre c’est l’ennui. Je ne crois pas que mon machin soit ennuyeux. Au point de vue émotif ce récit est assez voisin de ce qu’on obtient ou devrait obtenir avec de la musique. Cela se tient sans cesse aux confins des  émotions et des mots, des représentations précises, sauf aux moments d’accents, eux impitoyablement précis.
D’où quantité de diversions qui entrent peu à peu dans le thème et le font chanter finalement comme en composition musicale. Tout cela demeure fort prétentieux et mieux que ridicule si le travail est raté. A vous d’en juger. Pour moi c’est réussi. C’est ainsi que je sens les gens et les choses. Tant pis pour eux.
Louis-Ferdinand Céline

(Lettre aux Editions de la NRF-14 avril 1932)  

Oui, je suis bien conscient qu'il est très difficile d'admirer à la fois les textes de ces lettres et de rejeter catégoriquement ceux, remplis de haine,  adressés quelques années plus tard à Desnos, par exemple. Faire semblant de ne pas les remarquer, les éviter soigneusement comme un lâche, une triste merde. Non, je les lis aussi, pour comprendre ou tenter, au moins.
Je ne suis pas le premier et sûrement pas le dernier.
Julius Marx

samedi 5 décembre 2015

Se souvenir des belles choses (5)




Avant la complète radicalisation de notre ancien monde, 
se souvenir des belles choses:
L'état d'urgence



Le bureau est sale, pas nettoyé depuis les dernières élections...
Ca sent la frite rance et l'urine. Rien à voir avec l'image des films policiers. Les ordinateurs, le plan de Paris sur le mur, le calendrier Pirelli. Oui, peut-être.
Le gros se penche sur moi. La frite rance, c'est lui.
-Alors, tu vas te mettre à table, oui ou non?
Un autre, blouson de cuir et tignasse blonde, assis sur une chaise comme sur un bourricot, gueule:
-Ouais, ça tombe bien, c'est l'heure de la bouffe!
Les deux se marrent à s'en faire péter leurs ceintures en peau de serpent.
Les deux autres mousquetaires présents dans la pièce se joignent au groupe de comiques.
Avant la remarque de blouson de cuir, le plus petit feuilletait un magazine porno en reniflant pendant que le collègue bossait sur une réussite, sa face de rat collé sur l'écran de l'ordi.
-Alors? j'attends…
Le gros revient à la charge.
-T'étais à la manif oui ou merde ?
-Oui, j'y étais.
Il se redresse en poussant un râle qui n'a rien à voir avec celui du cerf en rut, ou alors, un cerf vachement handicapé par une odeur de frite et un bon paquet de kilos en trop.
-Bah voilà ! C'est pas compliqué, tu vois mon pote.
Moi, son pote, c'est à gerber!
Encouragé par la victoire de gros lard, blouson de cuir abandonne sa chaise-bourricot. Il fait quelques pas dans ma direction. Il a rudement du mal à marcher droit...Probablement ses santiags en peau de lézard...une vraie ménagerie ce bureau…
Il se force à sourire, me proposant une dentition de cheval salement attaquée par un paquet de microbes.
-Et t'y faisais quoi à la manif, hein? qu'il me demande.
-Je manifestais.
Le sourire s'éteint. Gros lard veut se marrer, il se retient... par égards.
Le collègue grimace. C'est pas très beau à voir.
-T'es un p'tit malin, toi. Un comique.
Gros lard reprend la main.
-Alors, grogne-t-il, tu manifestais, hein, et contre qui?
-Contre les  financiers, les politicards véreux, les responsables du grand merdier, quoi.
Gros lard lève sa paluche poilue bien haut, au-dessus de sa tête.
-Sois pas grossier ou je t'en colle une!
-La salope! Quelle salope!
Tous les regards se tournent vers le collègue qui vient de crier. L'obsédé, penaud, laisse tomber son magazine sur le bureau.
Le gros soupire et se masse les tempes comme Lino Ventura dans les films. Pitoyable.
Puis, il laisse tomber son postérieur sur le coin du bureau. Le bureau gémit.
-Ecoute moi bien, qu’il reprend , faussement rasséréné. Nous, ce qu'on veut, c'est chopper les meneurs, les vrais... les fouteurs de merde professionnels...
-Les salopards de gauchistes, intervient le type des réussites.
-Les putains de rouges, complète blouson de cuir.
-Les anarchistes, lance à son tour l'obsédé.
-Ca va comme ça ! braille le gros lard.
Il soupire un peu plus fort. L'odeur de frite se propage dans le bureau, jusque dans les placards.
-T'as pigé ? qu'il me dit en me fixant.
-J'suis prêt à vous donner des noms...que je susurre.
Mon gros lard ouvre des yeux comme des soucoupes. Puis, les quatre se rejoignent.  Ils se positionnent debout face à moi, côte à côte, comme les frères Jacques au début de leur récital. Je pense que je n'aimerai pas les voir en collant colorés. La langue est pendante, les bajoues tombantes.
J'attaque…
-Le plus virulent de tous, c'est Quadruppani.
-Un rital ! crie blouson de cuir.
Gros lard fait un geste en direction de l'obsédé.
-Note sur le calepin, qu'il commande.
L'autre s'exécute.
-Et puis il y aussi Jérôme Leroy… Lui, c'est un vrai coco, que je reprends.
-Vas-y, vas-y, m'encourage le gros tas, en agitant ses paluches comme un marionnettiste.
-Et aussi l’ex-homme âne yack  et les autres, que je continue... Je peux vous donner les coordonnées de tous les types du réseau. C'est facile, y'a des blogs.
-L’ex, quoi ? demande l’obsédé.
Alors, gros lard s'avance vers moi comme un bon papa. Un bon papa qui s'assied sur le lit de son rejeton pour lui lire une histoire de Petit Ours Brun.
-C'est très bien, qu'il me dit en plissant les paupières. Je savais qu’'étais pas un mauvais bougre. C'est eux, ces salopards,  qui t'ont  forcé la main, hein, c'est ça, je me trompe pas?
-Oui, c'est vrai, c'est à cause d'eux.
-T'inquiètes pas mon petit, on va les serrer tous.
Sa grosse tête de bûche n'est qu'à quelques centimètres de moi. Je supporte très difficilement.
-T'y crois toi, à la société, hein, mon petit... tu l'aimes toi la société?
-Oui, m'sieur.
-Tu voudrais pas qu'elle disparaisse, hein?
-Non, m'sieur.
Une larme coule de l'oeil  du bouledogue. Ses yeux se ferment lentement.
-Je peux m'en aller, m'sieur?

Julius Marx
(Texte publié sur ce blog le 27 décembre 2012)

mardi 1 décembre 2015

Se souvenir des belles choses (4)

Avant le bouquet final du prochain grand feu d'artifice,
se souvenir des belles choses de notre monde :
L'énergie nucléaire.



L'amour qui meut le soleil et les étoiles. Voici un vers de Dante qui voit plus loin que le télescope de Galilée.
Lorsque la science aura tout ordonné, ce sera le tour des poètes de battre de nouveau les cartes.
Ennio Flaiano 
Autobiographie du Bleu de Prusse
Le dessin est de Gébé, dans le vrai Charlie, évidemment.