Un jour de
fin d’été, et mon ami est sur le court
avec son ami. Entre deux jeux, l’autre s’aperçoit
que l’allure
de mon ami manque totalement de
souplesse.
Son service n’est pas fameux non plus.
« Tu te
sens bien ? demande-t-il. Tu t’es fait examiner
Récemment ? »
L’été, vivre est facile.
Mais mon ami
est allé consulter un ami médecin.
Qui lui a
pris le bras et lui a donné six mois, au plus.
Quand je l’ai
vu le lendemain, c’était
dans l’après-midi.
Il regardait la télé.
Il n’avait
pas changé, et pourtant il était -comment ?-
Différent.
Gêné que je le trouve devant la télé,
il a un peu
baissé le son. Mais il ne pouvait pas
rester
tranquille. Il tournait dans la pièce, encore et encore.
« C’est
un documentaire sur la migration des animaux », a-t-il dit,
(comme si cela
pouvait tout
expliquer.
Je l’ai
entouré de mes bras et serré contre moi.
Pas aussi
fort que j’aurais pu le faire. Craignant
Que l’un de
nous s’effondre, ou les deux.
Et cette
pensée, fugitive, folle, honteuse, m’a traversé –
C’est
peut-être contagieux.
J’ai demandé
un cendrier, et il était content
de fouiller
partout jusqu’à ce qu’il en trouve un.
Nous n’avons
pas parlé. Pas à ce moment-là. Ensemble nous avons regardé
(la fin
du
documentaire. Rennes, ours polaires, poissons, oiseaux aquatiques,
papillons et
autres. Parfois ils passaient
d’un
continent, ou d’un océan, à un autre. Mais il était difficile
de se
concentrer sur l’histoire qui se déroulait à l’écran.
Mon ami, je
m’en souviens, est resté tout le temps debout.
Est-ce qu’il
se sentait bien ? Parfaitement bien. Il donnait juste l’impression
de ne pas
tenir en place, rien de plus. Quelque chose
(poignait dans ses yeux
puis s’évanouissait.
« De quoi diable parlent-ils ? »
voulait-il
savoir. Mais sans attendre de réponse.
Il s’est
remis à marcher. Je l’ai suivi maladroitement
de chambre
en chambre pendant qu’il monologuait sur le temps,
son travail,
son ex-femme, ses enfants. Bientôt, pensait-il,
il lui
faudrait leur dire… quelque chose.
« Est-ce
que je vais vraiment mourir ? »
Ce dont je
me souviens surtout à propos de ce jour affreux,
c’est de son
agitation et de mes étreintes prudentes-bonjour, au revoir.
Il n’a pas
cessé de bouger jusqu’à
ce que nous parvenions
à la porte d’entrée où nous nous sommes arrêtés.
Il a regardé
dehors puis a reculé comme s’il n’en revenait pas
qu’il puisse
faire jour. Un banc d’ombre
projeté par
sa haie bloquait l’allée. Et le garage
ombrageait sa
pelouse. Il m’a accompagné à la voiture.
Nos épaules
se sont heurtées. On s’est serré la main et je l’ai de nouveau
pressé contre moi. Avec précaution. Il a fait
demi-tour et il est rentré,
franchissant
rapidement le seuil, refermant la porte. Son visage
s’est
découpé à la fenêtre avant de disparaître.
Il va bouger
désormais. Voyager nuit et jour,
Sans trêve,
dans sa totalité, exploser dans chacune de ses parties.
Avant d’atteindre
un lieu connu de lui seul.
Un lieu arctique,
froid et gelé. Où il pourra se dire,
C’est
suffisamment loin. C’est là.
Et s’étendre,
car il sera fatigué.
Raymond
Carver
In La vitesse foudroyante du
passé
(L’Olivier)