vendredi 26 avril 2013

Nouvelles d'une Tunisie libre




Les années passaient. L'aller et  retour des saisons emportait la vie brève des animaux, et le  temps vint où les jours d'avant le Soulèvement ne leur dirent plus rien.
Seuls la jument Douce, le vieil âne atrabilaire Benjamin, le corbeau apprivoisé Moïse et certains cochons se souvenaient encore.
La chèvre Edmée était morte; les chiens, Fleur, Constance et Filou, étaient morts. Jones lui-même était mort alcoolique, pensionnaire d'une maison de santé dans une autre partie du pays.
Désormais les animaux étaient bien plus nombreux, quoique sans s'être multipliés autant qu'on l'avait craint dans les premiers jours. Beaucoup étaient nés pour qui le Soulèvement n'était qu'une tradition sans éclat, du bouche à oreille.
De l'alphabet, aucun d'eux ne put retenir que les deux premières lettres. Ils admettaient tout ce qu'on leur disait du Soulèvement et des principes de l'Animalisme, surtout quand Douce les en entretenait, car ils lui portaient un respect quasi-filial, mais il est douteux qu'ils y aient entendu grand-chose.
De la semaine de trois jours, des installations électriques, de l'eau courante chaude et froide, on ne parlait plus. Napoléon avait dénoncé ces idées comme contraires à l'esprit de l'Animalisme. Le bonheur le plus vrai, déclarait-il, réside dans le travail opiniâtre et l'existence frugale.
On eut dit qu'en quelque façon la ferme s'était enrichie sans rendre les animaux plus riches - hormis, assurément les cochons et les chiens. C'est peut-être, en partie, parce qu'il y avait tellement de cochons et tellement de chiens. Et on ne pouvait pas dire qu'ils ne travaillaient pas, travaillant à leur manière.
Ainsi que Brille-Babil l'expliquait sans relâche, c'est une tâche écrasante que celle d'organisateur et de contrôleur, et une tâche qui, de part sa nature, dépasse l'entendement commun.
Brille-Babil faisait état des efforts considérables des cochons, penchés sur des besognes mystérieuses. Il parlait dossiers, rapports,minutes, memoranda. De grandes feuilles de papier étaient couvertes d'une écriture serrée, et dès qu' ainsi couvertes, jetées au feu. Cela, disait encore Brille-Babil, était d'une importance capitale pour la bonne gestion du domaine. Malgré tout, cochons et chiens ne produisaient pas de nourriture par leur travail, et ils étaient en grand nombre et pourvus de bon appétit.
Quant aux autres, autant qu'ils le pouvaient savoir, leur vie était comme elle avait toujours été. Ils avaient le plus souvent faim, dormaient sur la paille, buvaient l'eau de l'abreuvoir, labouraient les champs. Ils souffraient du froid l'hiver, et l'été des mouches. Parfois les plus âgés fouillaient dans le flou des souvenirs, essayant de savoir si, aux premiers jours après le Soulèvement, juste après l'expropriation de Jones, la vie avait été meilleure ou pire qu'à présent. Ils ne se rappelaient plus.
Il n'y avait rien à quoi comparer leurs vies actuelles; rien à quoi ils pussent s'en remettre que les colonnes de chiffres de Brille-Babil, lesquelles invariablement prouvaient que tout toujours allait de mieux en mieux. Les animaux trouvaient leur problème insoluble. De toute manière, ils avaient peu de temps pour de telles méditations, désormais. Seul le vieux Benjamin affirmait se rappeler sa longue vie dans le menu détail, et ainsi savoir que les choses n'avaient jamais été, ni ne pourraient jamais être bien meilleures ou bien pires-la faim, les épreuves et les déboires, telle était, à l'en croire, la loi inaltérable de la vie.
Georges Orwell
Animal Farm / 1945
Folio

Dans un premier temps, j'avais décidé d'adapter le texte pour qu'il colle un peu plus encore  à la situation du pays. Et puis, à part changer  les cochons en moutons, pour les fonctionnaires ( plus plausible dans ce pays ) je n'ai pas trouvé ce que je pouvais faire de mieux. Hélas.
Julius Marx

jeudi 25 avril 2013

Art vivant



Un petit tour à la capitale. Il pleut, encore et toujours.
Heureusement, il y a cette exposition consacrée à Henri Cartier-Bresson.
Le Centre national d'Art vivant est caché dans un petit coin du vieux parc du Belvédère.
A l'entrée, le visiteur peut admirer quelques oeuvres déposées dans un jardin croulant sous les détritus divers, si bien que le visiteur curieux peut aussi se demander ce qui fait réellement partie de l'oeuvre...  Pour compléter le tout, un relent d'ordures en attente empeste l'air. Mais, qu'importe, l'art a le pouvoir de magnifier toutes ces petites choses.
A l'intérieur, l'unique gardien vient d'entamer son casse-croûte. A mon entrée, il se lève pour allumer les quelques ampoules chargées de mettre en valeur la collection du grand photographe.
Aussitôt, le monde s'ouvre devant moi. Un monde fantastique ou Giacometti et Sartre conversent avec les prostituées de Madrid ou de Mexico, ou le populaire parisien s'acoquine avec les gamins de Rome ville ouverte, les travailleurs chinois avec leurs frères des Abruzzes.
Dans le texte qui suit, affiché dans la salle en début d'exposition, Cartier-Bresson explique que "photographier c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'oeil et le coeur." Oui, c'est bien ce qu'on ressent en découvrant tous ces visages, ces instants de vie.
Je sors. Le gardien éteint la lumière derrière moi.
Dehors, un peu groggy, je pense à cette photo qui montre les ouvriers employés à la construction d'un grand hôtel de Moscou dans les années 30, photographiés dans leur cantine. Je vois aussitôt le photographe cadrer les deux mendiants qui vivent juste à côté du musé, dans un petit recoin, sans s'occuper du parc, de l'architecture, des grands palmiers malmenés par le vent violent, ou que sais-je encore.
S'il y a bien  un exemple à suivre, c'est celui-là. Un artiste doit être à la cantine, et pas ailleurs.
Julius Marx

"L'appareil photographique est pour moi un carnet de croquis, l'instrument de l'intuition et de la spontanéité, le maître de l'instant qui, en termes visuels, questionne et décide à la fois.
Pour "simplifier le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l'on découpe à travers le viseur.
Cette attitude exige de la concentration, de la sensibilité, un sens de la géométrie. C'est par une économie de moyens et surtout un oubli de soi-même que l'on arrive à la simplicité d'expression.
Photographier: c'est retenir son souffle quand toutes nos facultés convergent pour capter la réalité fuyante; c'est alors que la saisie d'une image est une grande joie physique et intellectuelle.
Photographier : c'est dans un même instant et en une fraction de seconde reconnaître un fait et l'organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait.
C'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'oeil et le coeur.
C'est une façon de vivre."
Henri Cartier-Bresson

 Photo :JAPAN. Tokyo/ 1965 at the Aoyama Funeral Hall.

jeudi 18 avril 2013

Littérature de l'ombre


Le roman d'espionnage  de John Le Carré est sombre, très sombre même. Si les intrigues  n'ont rien à envier à celles de leur cousin le Noir américain, le genre, pourtant, reste vraiment différent et c'est surtout du côté des personnages qu'il faut chercher cette différence.
L'espion  Le Carré appartient à un service structuré ( même si les vénérables membres  du personnel de la maison mère passent une grande partie de leur temps à chercher comment faire dégringoler un collègue de son piédestal) à une belle et grande corporation.
Une corporation qui a le sens et le respect de la hiérarchie et surtout de la Nation.
Face au privé américain qui agit le plus souvent seul et de manière désespérée, l'espion travaille en équipe. C'est ensemble que les membres de la famille organisent, surveillent, éliminent  et rédigent leurs notes de frais.
Et puis, surtout, l'espion ne combat pas la société marchande, il travaille pour sa survie. L'espion lutte pour que les hommes puissent encore jouir de toutes ces merveilleuses valeurs du monde capitaliste en écrasant de manière systématique et brutale les vils socialistes de l'autre camp.
Plus tard, on verra apparaître les espions modernes de type Bond dont le combat sanctifiera  encore ces mêmes valeurs de manière éhontée  ( voyez le dernier opus de la saga filmographique sponsorisé par les marques de soda ou d'ordinateur.)
L'époque de John Le Carré est heureusement encore une époque de  gens très comme il faut.
Lisez cet extrait dostoïevskien où le très distingué Smiley/ Trofinovitch rend visite à la vénérable Sachs/Varvara Petrovna.

"La porte s'entrebâilla, retenue par une chaîne; un corps apparut dans l'ouverture.
Pendant que Smiley au même instant faisait tous ses efforts pour voir qui d'autre se trouvait à l'intérieur, deux yeux sagaces, humides comme ceux d'un bébé,le toisaient, remarquaient sa serviette et ses chaussures éclaboussées de boue, remontaient rapidement pour regarder par-dessus son épaule dans l'allée, puis revenaient l'inspecter. Un charmant sourire finit par s'épanouir sur ce visage sans couleur et Miss Connie Sachs, ex-reine de la Documentation au Cirque, manifesta une joie sincère.
"Georges Smiley, s'écria-t-elle avec un petit rire timide tout en l'entraînant dans la maison. Mon pauvre chéri, je croyais que c'était quelqu'un qui venait me vendre un aspirateur, et voila que c'est Georges!"
Elle referma la porte derrière lui, très vite.
C'était une grande femme, plus grande que Smiley d'une tête. Une crinière de cheveux blancs encadrait son large visage. Elle portait une veste marron, genre blazer, et un pantalon avec un élastique à la taille, et elle avait le ventre qui pendait comme celui d'un vieil homme. Un feu de coke rougeoyait dans l'âtre.
Des chats étaient allongés devant et un épagneul gris pelé, trop gras pour bouger, était vautré sur le divan. Sur une table roulante étaient disposées les boîtes de conserve et les bouteilles qui constituaient ses réserves de vivres et de boisson. De la même prise multiple elle puisait le courant pour son poste de radio, son réchaud électrique et son fer à friser..../
/.... Elle avait du mal à boire. Ses doigts arthritiques étaient tordus vers la bas comme s'ils avaient tous été brisés dans le même accident, et son bras était raide. "Tu es venu tout seul, Georges? demanda-t-elle en pêchant  une cigarette dans la poche de son blazer. Nous ne sommes pas accompagnés, n'est-ce pas?"
Il lui alluma sa cigarette et elle la prit comme une petite sarbacane , les doigts sur le dessus , puis elle l'inspecta de ses petits yeux malins et roses. "Alors, méchant garçon, qu'est-ce qu'on veut de Connie?
-Sa mémoire.
-Quelle partie?
-Nous allons évoquer quelques vieux souvenirs.
-Tu entends ça, Flush? cria-t-elle à l'épagneul. Ils commencent  par me flanquer dehors avec un vieil os et puis ils viennent me supplier. Quels souvenirs, Georges?"

John Le Carré
La taupe
(Bouquins-Robert Laffont)
Photo: Alec Guinness  dans "Smiley's people" BBC (1970)

mardi 16 avril 2013

Mise en scène


La première question que l'on se pose avant d'écrire une scène de fiction c'est : où ?
Le lieu choisi doit, à l'évidence, apporter une sorte de valeur ajoutée à la confrontation qui va opposer les différents protagonistes.
Ensuite, le jeu consiste à décrire le plus rapidement possible ce lieu en mêlant des informations nécessaires et d'autres plus poétiques.
Une fois l'installation achevée ,c'est maintenant  au tour des personnages d'entrer en scène.
Voici donc un modèle d'installation si intelligent qu'on comprend de suite pourquoi Westlake nous envoûte à ce point.
Comprenez-moi bien, ce n'est pas seulement drôle, c'est aussi et surtout terriblement efficace.

"Depuis que je me suis rangé des voitures, dit l'homme nommé Querk, j'ai du mal à dormir la nuit."
C'était un symptôme dont Dortmunder n'avait encore jamais entendu parler; d'un autre côté, il n'avait pas rencontré tant de gens que ça qui s'étaient rangés des voitures.
"Han", fit-il. Vu qu'il ne connaissait pas vraiment cet homme nommé Querk, il n'avait pas grand chose à dire.
Querk,en revanche, si.
"C'est mes nerfs", expliqua-t-il , et à le voir, il était facile de le croire, que c'étaient ses nerfs. Un petit gars maigre, d'une cinquantaine d'années, avec d'épais sourcils noirs surmontant un nez en forme de banane surmontant une bouche aux lèvres fines surmontant un long menton anguleux, qui n'arrêtait pas de gigoter sur cette chaise en métal tressé de Paley Park, un jardin public grand comme un mouchoir de poche sur la 53e Rue Est à Manhattan, entre la 5e Avenue et Madison Avenue.
C'est un très joli jardin public, Paley Park, en plein Midtown, tout juste treize mètres de large et pas tout à fait l'espace d'un bloc, perché sur quelques marches au-dessus du niveau  de la 53e Rue.
Les murs des immeubles sont couverts de lierre des deux côtés et de grands févriers forment une sorte de dais feuillu pendant l'été, la saison où on était en ce moment.
Mais ce qui fait la beauté de Paley Park, c'est le mur d'eau du fond, un rideau qui s'écoule continuellement le long du mur arrière et tombe dans un bassin pour y être recyclé, produisant une sorte de chh-chh-chh très agréable qui couvre presque complètement le grondement des voitures, offrant une retraite paisible au beau milieu de l'agitation et permettant aussi à deux ou trois personnes- John Dortmunder, mettons, son ami  Andy Kelp, et le dénommé Querk , par exemple- de s'asseoir à côté et d'avoir une agréable conversation que personne, quel que soit le micro dont il dispose, ne pourra enregistrer. C'est véritablement stupéfiant que toutes les entreprise criminelles de la ville de New-York ne soient pas ourdies à Paley-Park; d'ailleurs, elles le sont peut-être.
"Vous voyez ce que ça donne, dit le dénommé Querk, qui leva les deux mains de ses genoux pour les tenir devant lui, où elles se  mirent à trembler comme un agitateur à peinture. Heureusement que j'étais pas un pickpocket avant de raccrocher.
-Ou perceur de coffres-forts, dit Kelp.
-Ca en fait, je l'étais, lui dit Querk. Mais j'étais de l'école nitro liquide, tu sais. Tu perces ton trou à côté de la combinaison , tu balances la purée, tu enfonces ton détonateur, tu recules. Les nerfs jouent aucun rôle là-dedans.
-Han", fit Dortmunder.
Querk le regarda en fronçant les sourcils :
"T'as de l'asthme?
-Non, dit Dortmunder, je suis d'accord avec toi, c'est tout.
-Si tu le dis."
Querk reporta son froncement de sourcils sur le pan d'eau, qui continuait son chh-chh-chh le long de ce mur, devant eux, tombait en cascade dans le bassin, ne s'arrêtait pas une seule seconde.
Paley Park, on ne voudrait pas en abuser non plus.
Donald Westlake
Walking around Money
in Transgressions (Calmann-lévy-2005)
Côté photo, qu'est-ce que vous pensez de ce John Payne ( dans 99 River Street de Phil Karlson-1953)
comme visage de Dortmunder ?
Julius Marx

jeudi 11 avril 2013

Colère

                         Un salut aux cent mille étoiles




Américains, êtes-vous endormis?
Vous ne savez pas que le deuil n'a pas la même signification ici et là-bas. Ici, en Amérique, vous prenez le deuil dans le luxe et, quand un de vos blonds soldats est tué, mais tué pour de bon, de la façon dont ils savent tuer là-bas- cerveau éclaté, membres dispersés, sexes stupidement arrachés, fesses à l'air- par un soldat viêt-cong, la mère-ou la veuve- ira se choisir de longs voiles de crêpe qui sont une parure neuve et peut-être souhaitée, et la famille du soldat mort accrochera une petite étoile à la fenêtre de sa maison.
La mort de vos enfants est un prétexte pour décorer votre maison. Et, comme il n'y a rien de plus scintillant que les étoiles, dans le ciel et sur terre, j'imagine que vous espérez la mort de  beaucoup de vos fils, au Vietnam.
Et là-bas? Et bien , là-bas, c'est là-bas. Dans le cimetière que vous n'arrêtez pas de creuser sauvagement avec vos bombes, il n'y a pas de deuil. Il n'y a pas une seule famille qui se drape dans du crêpe et, pour elles, il n'y a plus d'étoiles dans le ciel. Pas une seule famille n'a plus la moindre place pour ce qui serait de l'affliction; aussi la haine et la science de la haine supplantent-elles tout le reste dans leur coeur.
Vous dans votre campagne à l'air trop pur, dans vos villes éternelles pour quelques années encore seulement, vous n'avez jamais vu un viêt-cong, et vous croyez que les hommes que vos fils sont allés chasser comme dans une sorte de safari, offrant dans l'escalade de leur offensive la faiblesse des redondances grammaticales, sont des gens semblables à vous.
(Soit dit en passant : je crois que vous êtes en train de perdre la guerre parce que vous ignorez tout des élégances de la syntaxe.)
Au lieu d'écouter votre Texan(1), votre Westmorland(2), votreAbrams(3), ou vos ordinateurs, si seulement vous laissiez les Femmes Folles (4) qui sont parmi vous- vos mères et vos veuves- délirer librement, vous pourriez découvrir dans leur délire le raisonnement subtil encore capable de vous sauver de la catastrophe : mais vos idées, les vôtres propres, sont trop adipeuses et trop engagées, avec leur adiposité, dans la deuil.
(Vous êtes en train de perdre cette guerre parce que vous n'écoutez pas le chant des hippies.)
Etes-vous en train de rêver, fermiers de la libre Amérique?
Travaillez bien, et efficacement, et défoliez,(5) rasez toutes choses, détruisez le pays en surface et, sous terre, sous un millier d'étoiles, ce peuple aux pommettes hautes et aux yeux bridés, ce peuple joyeux
( car l'intelligence est dispensatrice de joie) continuera à vivre, nourri par la haine qu'il vous porte.
Jean Genet 
Un salut aux cent mille étoiles 
(Extraits)
in L'ennemi déclaré (Gallimard -1991)

Pour une meilleure appréhension de ce texte , on gardera en mémoire qu'il avait, à l'origine, été écrit pour être  publié dans un magazine sophistiqué et de grande diffusion, qui s'adressait à des lecteurs issus, majoritairement, des classes supérieures de la société américaine. Ce qui explique en partie l'agressivité  contenue dans ces lignes. Après le refus du magazine Esquire, l'article a donc été publié dans l'Evergreen Review, revue d'avant-garde, au public averti ,que les provocations les plus extrêmes n'émouvaient pas, pour peu qu'elles émanent d'un "grand écrivain."
On n'oubliera pas non plus le contexte historique dans lequel l'article a été écrit.
Après une courte trêve , les bombardements américains sur le Vietnam du Sud avaient repris de plus belle le 11 août 1968. En l'espace de deux ans, près de deux millions de tonnes de bombes avaient été déversées sur le pays et l'effectif des soldats américains était passé de 75000 hommes en 1965 à  530.000 en 1968.

(1) Lyndon Johnson
(2) Commandant  en chef des troupes américaines au Vietnam
(3) Homme politique, ami du président et très influent.
(4) Traduction de Mad Women : expression en usage pour désigner les femmes exprimant publiquement la douleur du deuil ou de la disparition d'un fils , d'un mari ou d'un frère.
(5) Le trop fameux agent orange,  puissant défoliant  mis au point par Monsanto , entre autre, que l'aviation  répandait  sur les campagnes et les forêts dans le but de chasser les habitants des campagnes vers les villes.
Traduction  Mirèze Akar.
Notes et explications extraites du livre de Gallimard cité plus haut.
Photo Henri Huet / Bong Son/ Vietnam / 1966

mardi 9 avril 2013

Oh Maggie !



De tous les magnifiques romans de Robin Cook  A State of Denmark (Quelque chose de pourri au Royaume d'Angleterre) est le premier qui m'est venu de suite à l'esprit à l'annonce de la mort de Maggie. Lorsque j'ai évoqué une première fois ce roman,écrit en 1970, dans ce blog j'ai d'ailleurs tout naturellement illustré l'article d'une photo de la dame. Comment peut-on à ce point symboliser l'arbitraire et la tyrannie? On jurerait les lignes qui suivent  toutes spécialement écrites pour elles.

"Eh bien, laisse-moi te dire une chose! hurla-t-elle.
Sa voix était rauque et suraiguë en même temps. Elle continua de parler, mais j'étais, tout à coup, beaucoup moins intéressé par sa tirade, tandis que je me carrais tristement dans mon fauteuil, que par son apparence, de nouveau. Elle se tenait debout devant moi, toute tremblante, devant le décor que constituait la vigne. Elle avait sous la mâchoire une esquisse de fanon, qui tremblait aussi. Ses minutieux exercices physiques, ses régimes et ses opérations n'avaient servis à rien, finalement : ("Laisse-moi te dire une chose", l'entendais-je glapir comme si elle se trouvait au diable, "au moins, Jobling a remis de l'ordre dans le pays... nous en avons tous par-dessus la tête de ces jeunes vautrés dans les rues, qui offensent les lois de la décence la plus élémentaire en même temps qu'ils entravent le fonctionnement des institutions...")
Encore du pur Jobling, ça, pensai-je. Savaient-ils que c'était de sa bouche qu'ils apprenaient ce jargon, comme une nouvelle recrue apprend à marcher au pas avec son sergent instructeur, ou bien s'imaginaient-ils l'avoir inventé? Mais quelle importance, au fond?
("On devrait tous les envoyer derrière les barreaux ou dans des camps de travail !... Il faut faire respecter la loi et l'ordre!.. Les étudiants  qui refusent de se plier aux règles, il faut les exclure ou les éliminer sans merci jusqu'à ce que ceux qui restent fassent ce qu'on leur dit de faire...")
Plus tard, en pesant mes paroles, je devais prendre peur, en plus.
("Et les noirs... C'était supportable quand ils marchaient droit... Mais maintenant... Jobling les déporte en masse, et c'est une très bonne chose... Ils s'imaginent peut-être qu'ils allaient gouverner la Grande-Bretagne...?")
Cette fois, ça y est, pensai-je tristement ; il y a tellement de gens qui, comme Janet, disent : "Nous en avons par-dessus la tête..." Combien de millions d'Anglais inoffensifs, respectueux des lois, apparemment sympathiques  pour qui l'arrivée de Jobling était une véritable aubaine?"
Robin Cook
A State of Denmark
(Quelque chose de pourri au Royaume d'Angleterre)
Rivages/Noir


Oh Maggie !
When the morning sun
it's in your face
Really shows your age
I wish i'd never
seen your face.

Voyez comme les choses sont bien faites et comme l'alternance fonctionne malgré tout.
Aujourd'hui, c'est à Maggie d'aller faire un tour sous terre.
Julius Marx

jeudi 4 avril 2013

Tim Page



Tim Page le rescapé témoigne encore. Allez donc voir sur son site sa vision du monde d'aujourd'hui.
Attardez-vous sur la série de photos "agent orange" pour vous faire une petite idée de la valeur humaine des types qui dirigent Monsanto et de la belle bande de salopards qui dirigeaient les US pendant la guerre du Vietnam.

http://www.timpageimage.com.au

mardi 2 avril 2013

Ratissage à Tombouctou



Soigneusement  caché entre les passionnants  articles des différents portails d'actualités, on peut ( si on a l'âme Polar) dénicher un bon (voir un très bon) roman noir.
Ainsi , juste en dessous du captivant débat entre internautes votant pour déterminer une bonne fois pour toute "qui a les plus gros nénés de Jennifer Lopez ou Shakira"?, la vidéo délirrrrante d'un chien avec des lunettes, ou le déchirant sujet de société  sur la reconversion des boys-band des années 80, on peut lire ce titre énigmatique "  Ratissage à Tombouctou".
Aussitôt, notre imaginaire de lecteur s'emballe à la vitesse d'un half-track. Voici la piste rectiligne, les quelques rochers hérissés de pointes, probablement lancés du ciel par un démon facétieux, les buissons encore grésillants. Et puis, au milieu des tourbillons de poussière rouge, de cadavres finissant de se consumer et tassés les uns sur les autres, notre Héros!
L'agent très spécial, le serviteur du monde libre, le défenseur des pauvres et des opprimés, des veuves et des orphelins. Bien sur, l'homme a ses contradictions. Après le turbin, ce soir, il dînera chez Monsieur l'ambassadeur et baisera probablement sa femme, conversera longuement avec les dirigeants des sociétés pétrolières très inquiets de "la tournure des événements" et finira le saladier de punch avant d'aller longuement admirer la lune dans le fond du jardin. Et, devant le visage inquiet de son  chauffeur-serviteur autochtone (qui mourra au début du dernier chapitre ) il lancera : "Saleté de métier" avant de vomir sur le fox-terrier de la maison.
Alors, imaginons justement les dernières lignes du dernier chapitre de Ratissage à Tombouctou.

Bob revint en courant vers la voiture. Mamadou l'accueillit en faisant des grands gestes. Bob remarqua que des flots pourpres se déversaient de sa bouche grande ouverte. Des flammes longues comme le bras jaillissaient de la terre et du ciel.Des éclats sifflaient dans l'air, ça saignait de partout! Un arbre s'écroula dans un grand bruit.  Bob en profita pour s'allumer une cigarette. Il rejeta la fumée par les narines en soupirant. Puis,  il marcha lentement  en direction de la voiture. En haut, dans le ciel damasquiné d'étoiles, trois jaguars faisaient des loopings. Dépassant des ailes comme des dards mortels, leurs mitrailleuses transperçaient de trous gros comme le poing la façade illuminée de la résidence de l'ambassadeur. Bob s'adossa à la portière de la voiture et admira le spectacle.
Et, elle vint à la fenêtre. Bob saisit à deux mains les restes de la vitre baissée et regarda son visage sans se lasser. Sa bouche s'essayait à un sourire moqueur. Elle retira une main de sa poche et la promena sur le front et dans les cheveux blonds de Bob. Son visage était illuminé par le regard puissant de l'homme et le feu d'artifice venu du ciel. Elle dit :
-Toute cette saleté et toute cette misère..."
-Oui, répondit Bob.
-C'est toi  qui m'a dit un jour que l'univers était soumis à des contradictions? demanda la fille, en incurvant encore le rouge de ses lèvres.
-Oui, répondit Bob.
Puis, alors que le ciel se calmait enfin, il s'éclaircit la voix et, avec une lenteur théâtrale dit :
-Tu sais par Schopenhauer que le monde est volonté et représentation. Il s'en tient à cette découverte et ne va pas plus loin. Mais en fin de compte, ces deux éléments doivent se trouver réunis en un seul être d'une puissance et d'une intelligence terrifiantes.
-Embrasse-moi, fit la fille dans un drôle de gémissement.
Il était minuit et un morceau de lune apparut dans le ciel de Tombouctou.
FIN

Julius Marx 
Photo : Riff-Raff -1947- (Pat O'Brien -Anne Jeffreys)