Au grand
carrefour de la Place Tahrir(1) un simple d’esprit (ou peut-être devrais-je écrire
un esprit simple ?) s’amuse à mimer les gestes autoritaires du policier.
La bouche grande ouverte, les yeux exorbités, il agite ses longs bras comme le
mécanicien chargé de guider les avions sur le tarmac d’un aéroport. Les
conducteurs et les passants s’amusent, le policier ne bronche pas. Pas un poil
de sa moustache ne frémit. La rue est un spectacle.
Dans un
square, un homme profite du tuyau d’arrosage abandonné sur la pelouse pour
prendre une bonne douche. A quelques enjambées,
le marchand de pain allongé devant son étal n’interrompt pas sa rêverie. Le
bonheur est vraiment à portée de main.
A un autre
carrefour, nous n’avançons plus. Toutes les voitures sont presque encastrées
les unes dans les autres. On se croirait dans le final du film Playtime
de Jacques Tati. Un taxi vient de crever. Son chauffeur grimace, se gratte la
tête et demande à ses passagères de bien vouloir descendre au plus vite. Et
voilà nos trois grosses femmes, les bras
chargés de sacs et cabas, appelant au secours comme des naufragées sur une île perdue.
Les chauffeurs profitent pleinement de ce petit intermède salutaire dans leur longue journée
d’embouteillage.
Sur le Ring
(le boulevard qui encercle une partie de la ville) on peut raisonnablement
circuler à quatre files de voitures.
Pourtant, ce matin, je n’en compte pas moins de six. La conduite devient
combat, frôlements et rétablissements spectaculaires. Ce sport de glisse, non recommandé aux âmes sensibles, est toujours accompagné de la douce musique
des avertisseurs. Sur le microscopique morceau de parpaing qui fait office de trottoir,
un vieillard appuyé sur ses deux béquilles pose un regard perdu, sans vie, sur
l’autre rive inaccessible.
Dans l’arène,
devant la grande pyramide du Roi Djoser à Saqqarah, il arrivait que le demi-Dieu combatte seul, face à un taureau
pour assurer son pouvoir devant le peuple. L’image est séduisante mais, comment
pouvait-il être vraiment certain de sortir vainqueur de cet affrontement inégal ?
On m’assure que les grands prêtres connaissaient déjà les remèdes pour « affaiblir »
le taureau. Cette entente entre l’Etat
et les pouvoirs du spirituel m’enchante.
Nous
descendons sous terre. On ne saurait dire vraiment pourquoi mais, soudain, en
découvrant ces fresques peintes sur les murs du tombeau d’un noble… l’émotion
est trop forte. Peut-être les milliers d’années qui nous séparent de ses témoignages
d’un peuple à son protecteur? Pourtant,
nous n’avons pas l’impression qu’autant de siècles séparent ces scènes de la
vie quotidienne de cette époque de la nôtre. Un artiste d'aujourd'hui pourrait
facilement immortaliser ce gardien endormi, la bouche ouverte, coincé dans sa guérite en fer blanc,
ce responsable de l’environnement, à quatre pattes sur la pelouse, qui arrache
un à un les brins d’herbes ou ce gamin aux yeux verts, barbouillé de plâtre de
la tête aux pieds, et son sourire désarmant.
Julius Marx
(1) Petite anecdote à propos de la Place Tahrir .On raconte que le ministre de l'intérieur d'avant la révolution (son nom n'a aucune importance) assurait à qui voulait l'entendre qu'aucune manifestation ne pourrait jamais avoir lieu sur cette place à cause des nombreux échafaudages présents depuis un certain nombre d'années.
(1) Petite anecdote à propos de la Place Tahrir .On raconte que le ministre de l'intérieur d'avant la révolution (son nom n'a aucune importance) assurait à qui voulait l'entendre qu'aucune manifestation ne pourrait jamais avoir lieu sur cette place à cause des nombreux échafaudages présents depuis un certain nombre d'années.
Photo: la Pyramide du Roi Djoser. Pendant que les quelques touristes présents s'acharnent à la photographier sans qu'apparaissent les échafaudages, les groupes de locaux défilent à une vitesse vertigineuse,se font tirer le portrait et repartent, nullement impressionnés par la solennité des lieux .