lundi 25 novembre 2013

Les Portes du Paradis (Fin)


Retour à Palerme

 


Nous arrivons un Samedi et nous avons de la chance. Il semble que les palermitains soient devenus de fervents adeptes des grands centres commerciaux nouvellement ouverts en périphérie de la ville. La circulation est fluide, c'est un grand soulagement. Bien entendu, les quartiers populaires sont toujours aussi bouillonnants. C'est un monde en technicolor! Le grand marché que nous traversons est aussi animé qu'une médina. Chaque rue est une étape autour du monde. Ici, l'Afrique qui chante, avec ses restaurants qui débordent sur la rue et ses commerces aux devantures peinturlurées là, l'extrême-orient qui montre plus de retenue, ou encore l'Océan Indien qui saupoudre les rues d'épices parfumées.

Et, au beau milieu de ce capharnaüm, passent lentement les charrettes des marchands de poissons, d'origan ou de légumes. Ce sont maintenant les ateliers des fabricants siciliens de cheminées ou plateaux en zinc qui passent pour des lieux insolites et pittoresques.

Nous prenons notre dessert ( canolle avec une crème onctueuse et une pâte craquante!) assis sur les marches d'une église. La bande-son est inimaginable : opéra, reggae, matchs de foot, cloches, moteurs vrombissants, chansons populaires et sifflets.





Monreale 
A moins d'une dizaine de kilomètres du centre de Palerme, nous nous rendons à Monreale pour visiter sa très célèbre cathédrale. Cette fois-ci, ce sont les Normands qui sont à l'honneur. Pour tout savoir (ou presque) sur le règne sicilien de Roger I et II , il faut lire le magnifique livre de Serge Quadruppani et Maruzza Loria " A la table de Yasmina".



Dans le village, nous sommes bien loin de la quiétude du règne de Roger. Les commerçants se montrent plutôt désagréables et nous remarquons les nombreux sanctuaires ou affiches collées sur les murs à la mémoire des gens "  bestialement assassinés par la Mafia". Chaque peuple à sa propre gangrène.

El Dorado 
Le soir, dans la chambre de l'hôtel des Palmes, nous pourrions avoir une pensée pour Raymond Roussel ou pour toutes les personnalités qui ont séjourné dans l'hôtel. Mais, à quoi bon.. Ce temps-là est bien révolu. Nous regardons  El Dorado , avec John Wayne et Bob Mitchum qui parlent italien et puis, nous finissons la boite de canolle en vidant un Marsala  semi-secco 2002.
Il ne me reste de notre petit voyage en Sicile que quelques photos et un petit cahier avec des notes gribouillées.
Je me console en pensant que, comme l'a écrit Kipling " les plus belles histoires sont celles qui ne peuvent pas être racontées."
Julius Marx







vendredi 22 novembre 2013

Les portes du Paradis (12)

Attore Tragico


Il est tout juste 17 heures et nous voici devant le magasin de négoce de  vin en vrac du village de Mosè. Un vieil homme aux cheveux blanc se tient debout, devant la porte fermée. Nous nous saluons en hochant légèrement la tête. 17h10. Un couple de retraités se présente. La femme porte un sac avec trois ou quatre bouteilles d'eau minérale vides. 17h20. Une voiture se gare sur le petit parking attenant au magasin.Le chauffeur ne descend pas de sa voiture. 17h25. Le jour commence à décliner; ma compagne se risque à demander à notre voisin :
-Le magasin ouvre à 17h, non?
-Normalement, répond le vieil homme  sans bouger la tête, le menton relevé, le regard toujours fixé droit devant lui, vers la route.
17h30. Le couple de retraités chuchote. La femme propose de s'en retourner, de revenir demain. Le mari décide de rester. L'automobiliste sort de sa voiture et marche lentement vers la boutique.
-Il ouvre à 17 heures, non? demande-t-il au vieil homme.
-Normalement, répond notre voisin sans bouger d'un centimètre.
17h30. Ma compagne est d'origine romaine. Elle hausse légèrement le ton, s'agace...
-Mais enfin, ce vendeur, il vient ou il vient pas ce soir?
Le couple de retraité décide de s'éloigner un peu du groupe. L'automobiliste lève les yeux au ciel.
Le vieil homme soupire et tourne lentement la tête.Il plonge ses yeux bleus dans ceux de ma compagne et  lâche  avec la voix de Vittorio Gassman déclamant  er Giorno der Giudizzio de G.G.Belli :
-Ici, on a  l'habitude de vivre avec le désespoir.
(A suivre)
Julius Marx

jeudi 21 novembre 2013

Les portes du Paradis (11)

Dans le village de Mosè


Au petit-déjeuner, la surprise, ce sont les biscotti dei morti (les gâteaux des morts). Ces petites douceurs symbolisent les os des morts. Avec humour, notre hôte tient à préciser qu'ils sont toujours aussi secs, qu'il ne les garde pas depuis longtemps dans son buffet pour les refiler aux touristes.
Ils sont effectivement très très durs...
Nous descendons de notre perchoir et prenons la direction du village de Mosè, à quelques kilomètres seulement d'Agrigento. Dans ce village, je tiens à voir une ferme que je ne connais que grâce à un article du blog Fine Stagione consacré au livre  "Un filo d’olio (Un filet d’huile) de Simonetta Agnello Hornby paru aux  éditions palermitaines Sellerio. Ce livre est le récit d’une enfance sicilienne, dans les années cinquante. Les extraits traduits par l'auteur du blog  sont tellement chargés d'émotion qu'ils me poussent vers la propriété familiale.
C'est probablement pour cette raison ( sinon quelle autre explication !) que lorsque une voix sortant de l'interphone me questionne, je réponds dans un italien plus qu'approximatif et pour tout dire totalement incohérent, que nous voulons acheter de l'huile d'olive. La porte s'ouvre pourtant.
Au bout d'un chemin caillouteux, la propriétaire des lieux nous attend. C'est une femme aux cheveux gris d'apparence frêle mais à la poignée de main ferme. Pour échapper à son regard insistant, nous regardons la petite chapelle attenante à la propriété.
Nous montons quelques marches pour nous retrouver sur le tournage d'un film des frères Taviani.
Le décor se compose d'une grande table  sous l'ombre d' un arbre ( on peut imaginer une vingtaine de personnes autour) recouverte d'une toile cirée aux motifs colorés, de plusieurs chaises ( pour l'instant une bonne partie est occupée par des chats.C'est l'heure de la sieste) Et puis, plus loin, une autre table ou deux hommes sont occupés à trier des amandes qui débordent d'un sac en toile de jute d'une vingtaine de kilos. Il y a aussi un enfant qui tourne autour des adultes en brandissant un pistolet plus vrai que nature et des chiens endormis, sur le seuil de la maison ou dans la remise, près d'antiques tracteurs. J'entends l'assistant réalisateur crier "silence!" et "moteur".
Alors, une femme sort de la maison et nous amène du pain et de l'huile. Nous nous installons autour de la table. La  maîtresse des lieux accompagne nos moindres mouvements. Nous comprenons que nous n'aurons probablement pas le droit à plusieurs prises. Il faut rompre ce pain magnifique et presque jaune, verser un filo d'olio dans l'assiette et imbiber la tranche de pain. La partie dégustation n'est pas la plus complexe. Pourtant, il faut  prendre garde à ne pas sur-jouer la scène. L'huile est magnifiquement fruitée, c'est vrai, mais, inutile de s'exclamer, d'employer des superlatifs.
Le rite initiatique s'achève et je suis soulagé d'entendre l'assistant crier "c'est bon, on la garde."
L'atmosphère se détend peu à peu. Le vent est faible, la conversation sérieuse. Nous évoquons la situation politique chez nous puis, nous parlons de notre voyage et de cuisine.
Lorsque ma compagne évoque le regard si particulier des siciliens envers les étrangers, allant même jusqu'à parler de soupçon, le vent se lève un peu mais, pas de quoi s'alarmer.
C'est maintenant le moment de parler du prix de l'huile . Il suffit juste de quelques mots et l'affaire est faite. Il nous semble si bas pour une huile de cette qualité que nous nous demandons s'il varie au gré des performances des acteurs invités?
Au moment de quitter le plateau, je demande où acheter du vin. On me donne une adresse dans le village mais, le magasin n'ouvre qu'à cinq heures. Notre hôte nous propose d'attendre l'ouverture chez elle.
-Restez assis, dit-elle. Moi, je retourne à mes amandes et c'est promis, je ne vous regarderai pas.
Quand je réponds que, pour ma part, je resterai ici toute ma vie, je jurerais la voir sourire.

(A suivre)
Julius Marx

mercredi 20 novembre 2013

Les portes du Paradis (10)

La ville-fiction
La chance est avec nous.Voici Agrigento à l'heure où le ciel se confond avec la mer.


Pour arriver jusqu'ici, nous avons choisi une  route folle  qui dévalait comme un petit torrent  entre les collines. Sur les bords de la rivière, des murets faits de pierres plates empilées  quadrillaient les champs. Seuls quelques oliviers ou parcelles de vigne se permettaient de venir briser cette magnifique symétrie.
Bon, mais maintenant, c'est la ville, et comme d'habitude, il faut grimper pour mériter le centre historique. Après l' indispensable abandon de la voiture et ma reconversion en sherpa, nous voici installés dans notre logis. Les hautes fenêtres grincent, le lit de fer aussi mais, le côté "médiéval" est garanti.
De notre balcon, nous sommes presque dans l'appartement d'en face. Deux étages plus bas, la rue est calme. En détaillant les passants, je me demande quels personnages choisirait Pirandello aujourd'hui pour écrire une de ses nouvelles. Ces réfugiés de Somalie ou d'Ethiopie qui ont tous trouvé des petits boulots insolites pour survivre, cet homme aux cheveux blancs,très grand et très élégant, qui a la délicatesse de  marcher dans le caniveau pour éviter que sa compagne, même  perchée sur des hauts-talons, ne passe pour sa petite-fille, ces deux hommes aux costumes noirs et chapeaux qu'on prendraient pour des figurants d'un film de gangsters hollywoodien, cette Dame, frisée comme un caniche, qui croule sous le poids de ses bijoux, ou bien encore cet important gradé de la police que croise justement la Dame et qui croule sous le poids de ses décorations?
Nous n'allons pas visiter la maison de Pirandello.
Le plus bel hommage que l'on puisse rendre au Maître, c'est de saluer ses personnages.
Plus tard, nous saluons également le Temple de la Concordia ...


Et celui, plus contemporain, des Postes et Télécommunications.


Le soir venu, en attendant notre poisson, je raconte plusieurs histoires de Pirandello où il est question de brin d'herbe, de vengeance, de corbillard ou de médecin qui ne possède Rien. Après tout, qu'importe si j'oublie quelques noms ou certains personnages de ces nouvelles pour une soirée.
(A suivre)
Julius Marx

mardi 19 novembre 2013

Les portes du Paradis (9)

Pièce montée
Je ne sais plus quel écrivain a comparé la cathédrale de Ragusa à une imposante pièce montée. L'image ne peut être plus juste et on s'attend à voir la crème Chantilly dégouliner jusque sur le trottoir pour le plus grand bonheur des enfants. On pense aussi au Grand hôtel du film Amarcord avec ses fenêtres et ses balcons surchargés de stuc, ses flèches élancées couronnant les étages supérieurs. Comme l'hôtel de Fellini et Tonino Guerra, la cathédrale verra surement revenir les touristes à la belle saison.



Les Cataferi
A Santa Croce Camerina, je pense sérieusement à demander l'hospitalité au commissaire. Il suffit juste d'un simple petit coup de tiliphone. Mais, ma compagne me suggère gentiment d'abandonner cette idée. Probablement dans le but de m'amadouer, elle me propose d'aller boire un Campari-soda dans un des cafés du port.
A l'heure où nous arrivons la grosse bourgade est sombre. Sur les quais, pas beaucoup d'animation, juste des groupes de réfugiés (aujourd'hui il faut dire déplacés!) qui marchent têtes baissées.
"Mieux ne valait pas y pinser, à ces histoires, passque ce que racontaient les pêcheurs était terrible : les filets qu'on jetait à l'eau remontaient souvent avec des cataferi (des cadavres), ou des morceaux de cataferi qui étaient nouvellement balancés à la mer. Des restes de centaines et de centaines d'hommes, de femmes, d'enfants qui avaient espérer arriver, après un voyage affreux à travers les déserts et les lieux désespérés qui les avaient décimés, dans un pays où ils auraient pu gagner leur quignon de pain.
pour ce voyage, ils s'étaient dépouillés, vendant tout, corps et âme, pour pouvoir payer à l'avance  les négriers  qui faisaient commerce de chair humaine et qui n'hésitaient pas à les laisser mourir en les jetant à l'eau au moindre signe de danger.
Et puis, les survivants qui arrivaient à toucher terre, quel bel accueil ils arecevaient de notre pays !
Camps d'accueil, ça s'appelait, et en fait, bien souvent, c'était tout simplement des camps de concentration. 
Et puis il y avait aussi des pirsonnes, dites," honorables"(1) qui n'étaient pas encore contentes; elles auraient voulu les voir mortes, ces gens disaient que nos marins devraient prendre leurs bateaux à coups de canon passqu'ils soutenaient que c'étaient tous des délinquants, qu'ils apportaient des maladies, qu'ils n'avaient pas envie de besogner.
Exactement ce qui arrivait à ceux des nôtres quand ils partaient pour la Mérique.
Sauf que maintenant, tout le monde l'avait oublié.
Montalbano, quand il y pinsait, était plus sûr  que saint Joseph et la Vierge Marie, avec la loi Cozzi-Pini et des conneries de ce genre, on ne les aurait jamais fait arriver à la grotte, par chez nous."

Nous quadrillons le village d'est en ouest et du nord au sud sans trouver d'hébergement. Je propose de nouveau de rendre visite à Salvo : peut-être bien qu'Adelina aura cuisiné des arancine ou même des rougets, pourquoi pas? Allez, juste un petit coup de tiliphone....  (Soupirs)




Réalité
Il est tard lorsque nous arrivons à Vittoria. D'après nos informateurs, un revendeur de DVD loue des chambres meublées. Nous nous aretrouvons dans un quartier de la ville bruyant et sale. Les places de village avec leurs cafés accueillants sont remplacées par des boutiques aux vitrines criardes où les parieurs  font la queue pour perdre quelques sous. Nous sommes très loin des Palais et des nobles seigneurs.De plus, comme si  la pénitence n'était pas encore assez importante, nous échouons au milieu d'une foire commerciale!
Chez notre loueur, le sourire est en option. Nous n'avons qu'un seul souhait: dormir et nous échapper au plus vite de cet endroit.
Au petit matin, pas de conversation ; des biscuits venant du supermarché et une machine automatique à expresso !
-Ce soir, on dînera chez Enzo, dis-je à ma compagne en refusant la tasse de café qu'elle me tend.


(A suivre)
Julius Marx
Le texte est extrait de L'eta del dubbio (L'âge du doute) de Andrea Camilleri.
Traduction et note de Serge Quadruppani.
(1) Onorevole, "honorable", est le titre utilisé pour désigner les députés.

lundi 18 novembre 2013

Les portes du Paradis (8)

l'Eden




De la villa où nous résidons, dans un petit village à côté de Siracusa, il me faut d'abord vous parler du jardin. C'est un véritable paradis où l'on s'attend à rencontrer, au milieu de la végétation luxuriante, un homme et une femme nus, se reposant à l'ombre d'un palmier dattier. Ici , même le chant des oiseaux est mesuré.
A l'intérieur de sa maison, la propriétaire vous accueille en s'exprimant doucement. Elle  prend le temps de chercher ses mots. Son sourire en dit beaucoup plus long que n'importe quel discours appris par coeur par un employé d'une grande chaîne hôtelière. Sa maison  paraît immense et vide, presque mystérieuse. Au milieu des bibelots, les photos encadrées racontent l'histoire de la famille. Là,des religieuses posant à côté du souverain pontife. Ici encore, des jeunes gens sérieux, diplômes en main sourient à l'objectif.  En prêtant l'oreille on peut aussi entendre les cris de joies des enfants, les voix graves des parents appelant leurs fils ou leurs filles à plus de retenue, les rires des femmes venant presque toujours de la cuisine et les ordres du père qui ne peuvent en aucun cas être discutés.
Au matin, même si nous sommes seuls à prendre notre petit- déjeuner dans la grande salle, nous avons beaucoup de mal à quitter cette maison familiale.

Antonello
Juste un dernier petit tour dans le centre de Siracusa pour admirer une toile d'Antonello de Messina.
Mais, de la toile, je ne verrai que le poster défraîchi. Car, voyez-vous le tableau a été prêté à la ville de Boston pour une grande exposition. Mais, pourtant, nous avons le plaisir de découvrir une émouvante tête de Christ sculptée par un artiste inconnu du XVI siècle.
Lorsque nous sortons, la ville commence à s'animer. Les boutiques de souvenirs ouvrent leurs portes : comme si on pouvait acheter ses souvenirs!





Noto
Noto est une ville musée.On la visite dans le recueillement.Par bravade, on aurait presque envie de prendre uniquement en photo les maisons branlantes cachées entre les Palais. Nous ne regardons plus le nom des églises, le siècle de leur construction, les dômes ni les statues.
Assis sur un banc, nous mangeons des canolle en laissant filer le temps. Le jeu consiste à savoir qui de nous deux va lancer le premier: "Bon, on y va?".


Modica
A Modica, il y a autant de magasins vendant du chocolat que d'églises baroques. Nous remontons la route principale à la recherche de la boutique d'une femme fabricant et commercialisant un chocolat assez renommé. Nous trouvons enfin le magasin après le jeu de piste habituel. Notre face à face avec les services de la signalisation nous amène dans une petite rue au pied d'un immeuble moderne.
Malheureusement, il n'est pas encore quatre heures et la boutique est fermée ( je l'avais bien dit que nous aurions dû rester plus longtemps sur notre banc!)
Pourtant, derrière la vitre, un homme nous remarque. Il nous fait entrer. Nous assurons que nous pouvons revenir plus tard, mais, il nous invite à nous installer.Il nous raconte l'histoire de Modica et du chocolat puis, apporte des petites boites  magiques qui nous font faire le tour du monde.
Nous visitons la Nouvelle-Guinée, le Mexique, le Pérou, et même le Vietnam !
Nous quittons notre magasin de souvenirs à nous.
Direction : les terres de Montalbano !



(A suivre )
Julius Marx

samedi 16 novembre 2013

Les portes du Paradis (7)

J'aimerais tant....




Nous arrivons juste avant le coucher du soleil. Sur le lungomare nous ne sommes pas seuls ! Pourtant   c'est le calme, presque le recueillement qui l'emporte. La plupart des visiteurs, assis sur les bancs ou à la terrasse des nombreux restaurants et cafés, attendent patiemment et sans bruit l'instant fatidique ou le soleil plongera dans la mer.
Bien sûr, nous avons déjà vu la mer ( nous habitons même sur les rives de la méditerranée)
Bien sûr, nous avons déjà pu apprécier les couleurs si particulières de ce crépuscule
Bien sûr, nous savons que la photo est presque banale
Bien sûr, nous savons que tout ceci est d'un conventionnel
Bien sûr...

Le Dieu d'or
Et puis, ensuite, il y a la visite du centre historique. La ville est d'or.





Le Dieu d'or du crépuscule verse un baiser sur les grandes figures délavées sur les murs des hauts palais, les grandes figures qui aspirent comme lui à un souvenir plus antique de gloire et de joie.



 Et l'amer, l'aigu balbutiement de la mer  aussitôt éteint à l'angle d'une rue: éteint, apparu et aussitôt éteint !


Le soir venu, les places sont envahies de vendeurs ambulants. Un vieux sicilien vend des châtaignes pour les locaux et des groupes d'immigrés des babioles chinoises pour tous.
Loin du tumulte, nous réussissons à dénicher  un agréable petit restaurant (friture de la mer et pâtes à la Norma) avec un vin blanc d'Insolia.


Les guitares sonnaient  au train solennel de la déesse. 
Des parfums divers changeaient l'air, l'accord des guitares s'adoucissait depuis une ruelle ambiguë dans l'harmonieuse clameur de la rue qui descendait escarpée à la mer.Les enseignes rouges des boutiques promettaient des vins d'orient à la profonde splendeur opaline tandis que devant moi tremblant la vie passait dans les immortelles formes sereines.
(Dino Campana / crépuscule méditerranéen )

Il faudrait que je vous parle de l'endroit magnifique où nous avons dormi, mais, plus tard, plus tard...
(A suivre )
Julius Marx

jeudi 14 novembre 2013

Les portes du Paradis (6)

La Chine, les USA et les intouchables.
Si, en nous accueillant la veille, notre logeuse s'était montrée plutôt avare de paroles, au moment du petit-déjeuner, ce fut complètement l'inverse. Travaillant comme assistante sociale dans un centre pour les réfugiés, elle nous donna beaucoup d'informations sur la vie des familles échouées dans sa ville.
La conversation débuta avec le drame de Lampedusa  pour s'achever avec les conditions de travail en Chine, le rôle des Etats-Unis et le peuple des intouchables hindous.
J'en profitai pour glisser çà et là (entre le salaire moyen des Bengalis et la qualité de la confection chinoise) quelques lignes de  l'histoire de ces paysans siciliens  voulant partir pour le nouveau monde et abusés par l'un des leurs, écrite par Sciascia dans son recueil de nouvelles La mer couleur de vin.
Avant de nous séparer (quelques cafés plus tard) elle m'a promis de lire le livre.





Palazzollo Acreide
Le bourg est surtout réputé pour ses ruines antiques mais, une fois n'est pas coutume, je tiens à visiter la charmante boucherie-charcuterie que j'ai repéré sur la place du village.
A l'intérieur, le visiteur a le choix ; il peut lever les yeux et découvrir les longues rangées de saucisses alignées qui sèchent sur une perche de bois ou bien porter son attention sur la vitrine réfrigérée où sont exposés  les différentes pancetta ou la couche de gras est au moins aussi importante que la couche de viande!
L'accueil n'est pas des plus chaleureux, qu'importe..
Je demande si la saucisse est prête à supporter le voyage jusqu'aux rives africaines. Pour toute réponse, le patron en personne nous coupe une dizaine de rondelle.  Nous goûtons. Je m'étonne de trouver des petits morceaux de fenouil très fins dans la viande.
-Sans fenouil, cette saucisse ne s'appellerait pas saucisse de la vallée de la Madonie. Répond le boucher sur un ton qui ne prête pas à la polémique.
Nous achetons. Nous sortons.





En route vers Siracusa
La route s'immisce dans d'interminables plantations d'agrumes. Bon nombre d'exploitations ont aujourd'hui choisi l'option  complément de revenu sous la forme du label Agriturismo (biologique, bien sûr).En réalité, pour la plupart, ce sont de luxueux hôtels financés par la communauté européenne et d'autres dont nous tairons le nom et la raison sociale. Sur les lieux même où les paysans peinaient il n'y a pas si longtemps sous un soleil de plomb, des groupes de touristes japonais, américains et anglais profitent maintenant de ce même soleil. Confortablement installés dans leurs transats au bord de magnifiques piscines, ils savourent le temps qui passe si lentement ici.
Nous entrons dans une de ces "fermes" à l'heure de la sieste.Personne en vue. A la réception, une vieille femme dort paisiblement sur son canapé devant la télé qui diffuse les informations.
C'est encore de Berlusconi dont il s'agit. Nous faisons le tour de la pièce, la femme ronfle toujours.
Nous trouvons le tarif des chambres et de l'huile d'olive et nous décidons illico de prendre la fuite.
Lorsque nous refermons la porte de la réception, la dame dort toujours et le cas Berlusconi n'est toujours pas tranché.
Qu'importe, puisque nous allons enfin voir Siracusa..
(A suivre)
Julius Marx

mardi 12 novembre 2013

Les portes du Paradis (5)

Les  belles sportives
Après les longues allées rectilignes du cimetière d'Enna, ce sont celles, plus caillouteuses et sinueuses du site de la Villa Romana Del Casale que nous remontons.
J'avoue mon inquiétude lorsque nous rangeons la voiture sur l'immense parking. J'ai  déjà visionné quelques photos de l'endroit  et  le nombre impressionnant de visiteurs circulant sur une file les uns derrière les autres a légèrement refroidi mon enthousiasme.
Mais, heureusement, même si nous ne sommes pas seuls, nous pouvons déambuler entre les différentes salles, toutes pavées de mosaïque, de l'antique maison romaine de la fin du troisième siècle.
Là encore, c'est l'émotion qui prime. Comment expliquer ce sentiment si fort, teinté de respect et de solennité que nous éprouvons l'un et l'autre en contemplant un tel spectacle?
Ma compagne tombe sous le charme de ces belles et jeunes sportives. Cette scène  d'une modernité incroyable nous laisse sans voix.




Restons groupés
Décidément, cette journée est placée sous le signe du tourisme. En arrivant dans la ville de Caltagirone, dont la spécialité est la céramique, nous sommes dépassés par plusieurs cars bondés de touristes . A ce propos, il faut bien dire  que la plupart des voyageurs  mettent un point d'honneur à éviter ces mêmes touristes alors qu'à l'évidence, ils font eux aussi partie de ce peuple d'envahisseurs.
Dans la cité, les commerçants ne se posent pas ce genre de question. Ils sont prêts à accueillir les excursionnistes ou les explorateurs sans aucune distinction.
Nous faisons halte dans un grand jardin public où la céramique est déjà bien présente.
Ce monstre est la base d'un imposant pot de fleurs.



Puis, nous achevons notre petit tour par la visite du gigantesque escalier entièrement recouvert de céramique qui fait la réputation de la ville.


Ici, le café est bien plus cher que dans les petits villages que nous avons déjà visités. Alors, nous reprenons la route.

La place des Murmures
Six heures du soir. Les explorateurs sont totalement perdus, égarés dans la campagne. Pendant un court instant, j'envie l'adepte des voyages organisés. Le problème, c'est de dénicher quelqu'un à qui demander son chemin. Au loin, nous distinguons deux voitures arrêtées sur le bas côté de la route.
Sauvés! Mais, lorsque nous interrogeons la femme qui se tient debout à côté des deux hommes occupés à siphonner de l'essence dans le réservoir d'une des deux voitures, nous comprenons tout de suite que nos problèmes ne font que débuter. Cette charmante dame nous renseigne mais, elle parle si vite que nous ne comprenons qu'un mot sur deux  à sa réponse. Quant à la curieuse activité des deux hommes, je préfère ne pas poser de questions.
Après une scène digne d'un film muet de Mack Sennett, nous trouvons enfin une solution. Avec de grands gestes, elle propose que nous  les suivions jusqu'à destination.
La ville où nous échouons à la nuit tombée s'appelle Grammichele. C'est une ville entièrement reconstruite  après un tremblement de terre (comme tant d'autres sur l'île) autour d'une monumentale place octogonale.
Nos sauveteurs nous abandonnent devant un des seuls bed and breakfast de la cité. Lorsqu'ils nous expliquent comment retrouver le centre-ville pour nous restaurer, nous secouons bêtement la tête en affichant un petit sourire niais.
 Plus tard, ( beaucoup plus tard) nous errons dans les rues vides. Je me demande ce qu'il est advenu de mon légendaire sens de l'orientation. Enfin,  nous nous installons épuisés à la terrasse d'un des deux ou trois restaurants ouverts ce soir-là sur la grande place. Le spectacle est grandiose. Le Palazzo Comunale et la Chiesa Madre sont illuminés. Nous manquons de superlatifs, c'est tout simplement à couper le souffle.
Là aussi, des petits groupes parcourent la place en murmurant. Les enfants jouent autour des statues contemporaines installées tout autour. Peu à peu, les cris, la musique et les bruits de la ville disparaissent. Nous n'entendons plus que le murmure.
(A suivre)
Julius Marx

lundi 11 novembre 2013

Les portes du Paradis (4)

L'invité surprise
Calascibetta
Ce matin-là, nous ne regardons pas le ciel encore désespérément bleu mais le sol. La cour, les escaliers et le chemin qui mène aux chambres sont recouverts d'une fine poussière noire. Aucun doute, il s'agit bien de cendre.Le patron du bed and breakfast nous attend dans la cuisine, son téléphone portable en main. Il est fier de nous montrer une vidéo de l'Etna en éruption qu'un de ses amis vient de lui envoyer. Ce qui devrait provoquer une peur légitime est plutôt vécu par les autochtones comme une sacrée démonstration de force. Cette relation particulière  entre le vrai Maître de l'île et ses sujets, nous en reparlerons plus tard. Pour l'instant, l'homme (plutôt prolixe, je ne sais si l'Etna est encore le responsable) énumère les différents maux de la société sicilienne. J'en profite pour caser dans notre échange les noms de Sciascia et Pirandello ( ce ne sera pas mon unique tentative pendant ce voyage et il me semble que ces grands écrivains sont un peu comme Victor Hugo, par exemple, en France : tout le monde connait leurs noms et leur réputation mais très peu ont lu leurs oeuvres. Mais, de cela aussi nous reparlerons plus tard.)

Là-haut



 La ville d'Enna et le village de Catalniscetta sont tous les deux perchés sur des pics rocheux et se font face. La visite des sites se mérite. Lorsque nous arrivons enfin à Catalniscetta après une vingtaine de kilomètres et un nombre impressionnant de virages serrés, nous n'avons qu'un seul souhait : profiter du soleil, sereinement  assis à la terrasse d'un café pour faire cesser au plus vite  le tournis qui nous a saisie. La seule question importante pour le moment est : prenons-nous notre cornetto avec de la crème à l'intérieur ou avec de la marmelade d'abricot?












Nous sommes dimanche. Les hommes et les femmes apprêtés traversent la grande place centrale pour se rendre à l'église. Et croyez-moi, les églises ici ne manquent pas! Sur cette place entièrement carrelée et limitée par des bancs de pierre, je remarque pour la première fois un curieux rituel . Des groupes d'hommes,par deux ou par trois, arpentent la place dans sa longueur et sa largeur en échangeant des paroles à voix basse.C'est probablement sur cette place que se règlent les conflits ou les affaires courantes. Dans ma tête, en observant le manège, j'ai enfin résolu mon propre conflit interne : je prendrai un cornetto à la marmelade et un autre à la crème.

Enna 
En Sicile, entrer dans une ville de moyenne importance comme Enna et en sortir sans se tromper de chemin relève de l'exploit. Mais, il faut bien avouer que grâce à ce coup de pouce involontaire des services municipaux, la chance nous  sourit.  En remontant une grande route bordée d'arbres que nous croyons être la nationale menant à Grammichele nous nous retrouvons subitement face à l' immense parking du cimetière de la ville. Nous sommes à quelques jours seulement de la fête des morts et les marchands de fleurs ambulants ont poussés plus vite que les géraniums. Nous décidons de visiter le cimetière.
Dans les allées, hommes, femmes et enfants sont occupés au nettoyage des caveaux familiaux (vous n'avez pas oublié l'éruption de l'Etna, j'espère).


Ce cimetière est une véritable petite ville et les caveaux sont tous d'une beauté solennelle.


 Tout est si calme, si apaisé, que c'est à peine si l'on entend le vent qui souffle entre les stèles et les petites chapelles.



Ce dialogue particulier entre un peuple et ses défunts nous laisse songeurs. Je n'ai plus rien à ajouter, je vous laisse avec le vent.
(A suivre)
Julius Marx


dimanche 10 novembre 2013

Les portes du Paradis (3)

Ritratto di ignoto
(le sourire d'un inconnu)
En rentrant de Bagheria, nous faisons halte dans un charmant bed and breakfast( prononcez lo béd ande ze braaakfaast). Nous nous attardons sur la  terrasse devant notre chambre qui  donne sur une petite rue. Toutes les portes et fenêtres sont ouvertes.Les rires des enfants, les applaudissements  jaillissant d'émissions de variétés télévisées, les chants et les quelques pétarades de moto tourbillonnent dans le vent frais et léger. La nuit, je tente d'écrire quelques lignes et renonce. Je relis les quelques strophes du poème de Mallarmé.
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que les oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature.

Cefalu

Au matin, après un copieux petit-déjeuner sur la même terrasse ( les animateurs de la soirée ne sont pas encore levés) nous partons en direction de Cefalu.
Avant de quitter le village de Santa Flavia, nous nous arrêtons pour acheter du pain frais.
Derrière la vieille femme qui nous vend le pain, j'aperçois le boulanger ; un homme à la chevelure blanchie, autant par la farine que les années, qui se tient assis, les coudes sur les genoux, la tête basse, le regard fixé sur le carrelage de son laboratoire.

La route côtière n'est qu'un fin ruban  qui serpente entre de luxueuses villas, des baraques croulantes ou des hôtels abandonnés. Ca et là, les services des ponts et chaussés ont plantés, il y a très longtemps, quelques panneaux indicateurs qui désignent tour à tour le ciel, les profondeurs marines ou quelques lieux improbables... De toute évidence, c'est à l'automobiliste de deviner la bonne direction.
Enfin, voici Cefalu. 
La ville ne vit, ou ne survit, que grâce au tourisme. Sur le front de mer, les restaurants se succèdent, amarrés les uns aux autres, et les serveurs vêtus de petits gilets rayés et noeuds papillon, font le guet, comme des hommes de vigie, menus en main, pour accrocher au passage de providentiels clients ramenés par le ressac.




Entre deux échoppes de souvenirs, nous trouvons le palais de la fondation Mandralisca.
Le baron Enrico Piraino di Mandralisca, grand collectionneur, a rassemblé dans sa demeure de nombreuses collections. Après les animaux empaillés, les porcelaines, la vaisselle et les coquillage, nous sommes enfin devant " l'inconnu".
C'est un vrai choc, une émotion. Cet homme qui nous regarde, nous sourit, c'est un peu tous les hommes de l'île. Il y a tellement de vie dans cette toile  que je me demande si l'art n'est pas justement une histoire de communication, de transmission, de partage. Je laisse  aux savants et aux érudits les explications  ou les différents éclaircissements pour ne garder que l'émotion. (1)



La petite Madone
L'après-midi, loin des côtes, nous sommes perdus dans la montagne. Le vent est plus frais. Nous sommes entourés de vallons ou toutes les nuances de vert se disputent la primauté ( un vrai cauchemar pour le daltonien que je suis.) Les clochettes des troupeaux assurent l'ambiance musicale. Dans ce Paradis qui incite à la méditation, je remarque deux hommes, au loin, assis sur un talus. Lorsqu'ils se lèvent, quelques minutes plus tard, je vois bien qu'ils portent des fusils en bandoulière. Je préfère regarder plus bas, vers la vallée. Mais, au fond du ravin, c'est la carcasse d'une voiture calcinée qui monopolise mon attention.
-Nous sommes en Sicile,  me dit ma compagne avec un petit sourire.



Voilà que nous avons perdu la route de Calascibetta !Cette fois-ci, les panneaux indicateurs ne sont plus énigmatiques, ils n'existent plus!
Heureusement,  nous découvrons, perché sur un rocher, la seule habitation visible.C'est un café-restaurant à peine plus grand que l'échoppe d'un marchand ambulant. A l'intérieur, une jolie serveuse tente de nous expliquer comment rejoindre Calascibetta. Les explications sont toujours compliquées parce qu'ici, on ne cite jamais les noms de rue ou les numéros de nationales pour composer son explication. On choisit plutôt un olivier aux formes tortueuses qui incite à tourner à gauche, une maison d'angle au toit rouge  qui force à virer à droite ou une place à la géométrie toute particulière après laquelle le voyageur égaré devra compter sept ronds-points avant d'arriver à bon port.
Alors que nous sommes concentrés sur les données du rébus énumérées par la jolie fille, un policier municipal entre dans le jeu. Nous voyons tout de suite qu'il a du arriver dans le café de bonne heure ce matin. Il est rougeaud, il souffle, il a beaucoup de mal à respirer. Pourtant, il nous explique que quatre kilomètres plus loin, pas plus, la route se divise en deux, à l'endroit précis où s'élève la statue de la petite Madone. C'est donc en voyant la Madone que nous tournerons à droite pour rejoindre la route qui mène à Calascibetta. Il constate que nous sommes encore perplexes. Alors, il sort son portefeuille et en retire la cartolina (2) de la petite Madone qu'il nous offre.
Nous l'avons gardé sur notre tableau de bord pendant tout le voyage.
(A suivre)
Julius Marx

(1) Sur  Ritratto di ignoto ( le sourire d'un inconnu ou le sourire du marin) de Antonello de Messina, lire le merveilleux livre de Vincenzo Consolo Le sourire du marin inconnu. (Cahier Rouges-Grasset)
(2) Petite carte

jeudi 7 novembre 2013

Les portes du Paradis (suite)

Palermo
Dès la descente de l'avion, je ressens une étrange sensation. Croyez-moi si vous voulez mais j'ai l'impression d'être de retour à la maison. Moi, un natif de Seine-et-Marne qui choisit toujours de marcher sur le trottoir ombragé et qui n'aime pas particulièrement la pastèque ou la figue de barbarie. Mais c'est ainsi ; c'est avec un sourire béat que je passe les différents contrôles. J'ai envie de dire bonjour à tout le monde, de caresser les chiens policiers qui reniflent mes bagages. Les passagers qui attendent leurs valises, dans la longue file bruyante, doivent certainement me prendre pour un fumeur de crack.Je soupire, je me sens apaisé, au-dessus de cet aéroport grouillant de monde, assis tranquillement sur un charmant petit nuage tout  spécialement crée pour moi par le Dieu palermitain du ciel bleu.
Beaucoup plus tard, après deux bousculades suivies de scènes de panique,une confrontation musclée avec un loueur de voitures sourd-muet, nous sommes enfin sur la route. Je reste les yeux fixés sur la mer et puis sur la montagne qui dégringole jusque sur les plages.Je tourne tout juste à temps la tête pour entrevoir furtivement la grande stèle en forme d'aile d'avion, à la mémoire du juge Falcone, plantée sur le bord de l'autoroute. C'est peut-être un des nombreux problèmes de l'île : on admire trop la mer et le paysage et pas assez les stèles commémoratives ?

Bagheira
A moins d'une vingtaine de kilomètres d'une capitale bouillante nous nous retrouvons dans un petit bourg calme et apaisé. Nous nous extasions déjà devant les quelques villas qui bordent le corso principal, les devantures de magasin ou les balcons torsadés,  sans chercher à déterminer le siècle de leur construction. Nous venons visiter la Villa Palgonia, une de ces constructions extraordinaires et totalement hors du temps qui font la réputation de l'île. Si tout est moderne dans le jardin public que nous traversons, les bancs de pierre sont occupés par des joueurs de cartes. Les hommes qui jouent et les observateurs (très nombreux) sont tous silencieux et totalement absorbés par le jeu. Pas vraiment difficile de deviner que les mises doivent être importantes. (Pas de photo.)
Nous voici devant la villa à l'heure où le soleil montre quelques signes d'apaisement.
La visite débute par le jardin. Un visiteur pressé le jugerait sans doute « à l’abandon ». Mais, il faut prendre son temps pour découvrir cet inventaire de la végétation méditerranéenne. Cactus, orangers, citronniers, et à peu près  toutes les familles de plantes grasses reposent ici dans le calme.



Grâce  au  petit coup de fatigue du soleil, les fameuses statues  du mur d'enceinte deviennent encore plus lumineuses et souriantes. 


Elles donnent l'impression de se raconter des histoires drôles, sans s'occuper le moins du monde des deux spécimens de la société moderne très occupés à leur tirer le portrait.
A mes pieds, allongé dans l'herbe à l'ombre d'une branche de palmier, ce curieux personnage à la fraise semble méditer sur sa condition.



Nous sommes abasourdis. Pour un premier jour sur l'île, c'est déjà trop..
.

L'intérieur de cette villa magique ne déçoit pas. Il est à la mesure, ou plutôt à la démesure des lieux.



Comme bien souvent dans ce genre d’endroit marqué par le passé, on se prend à rêver. Nous voici conviés  à  une des soirées fastueuses organisées par Francesco Ferdinando II, Prince de Palagonia. Nous saisissons le verre de Marsala  qu’un valet vous présente, en répondant d’un sourire bienveillant au  maître de maison  qui nous invite à nous diriger  vers le salon de musique...
 Pardonnez-moi. Je vous abandonne dans votre siècle...
(A suivre)
Julius Marx

mardi 5 novembre 2013

Les portes du Paradis

Quand la chance(1) nous offre le privilège d'entrouvrir les portes du Paradis Sicilien, on reste un bref instant perplexe. On se demande si dans son futur récit  on choisira de favoriser le présent,



ou bien d' accorder  une  place plus importante au passé.


Et puis, après seulement quelques heures, on se rend vite compte qu'ici, le présent et le passé sont indissociables et qu'il est totalement impossible de  tenter de se glisser dans la vie des habitants de l'île sans garder constamment cette information  dans un petit coin de son  cerveau d'homme du continent.
Alors, par exemple, en dégustant du chocolat dans la ville de Modica, on ne sera pas étonnés d'apprendre que la réputation sucrée de la bourgade est née de la conquête espagnole au XVe siècle.
On ne sera pas surpris non plus en visitant la Médina de Palerme où d'importantes colonies indiennes, indonésiennes, chinoises ou africaines cohabitent dans une cacophonie indescriptible sous le regard  des quelques anciens siciliani qui observent calmement le monde  bouillonner autour d'eux, assis sur le seuil de leur boutique.Il va de soi qu'ici, l'immigration est inscrite dans l'histoire de chaque famille.
Ce regard en direction de l'étranger, ni insistant, ni bienveillant, mais surtout pas sournois ou méchant, intrigue le visiteur. Dans un premier temps, il déroute celui qui cherche à comprendre, à communiquer. Il doit vite s'habituer à être constamment dans la ligne de mire, comme un drôle de Winston Smith, en short et chemisette.
Et puis, enfin, il y a la parole. Ici, elle demeure rare et précieuse. Elle est souvent énigmatique ou mystérieuse et toujours brève. Les mots sont comptés.On les jurerait  aussi précieux que l'eau dans une vallée désertique.
Voilà, je pense que vous êtes maintenant prêts à entrer dans le Paradis.
Ouvrons les portes.



(A suivre)
Julius Marx





(1) Et de généreux donateurs