mardi 31 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (31)



Monsieur porte un costume deux-pièces en flanelle grise
La coupe est impeccable, les rayures fines. Il porte aussi une chemise bleu pâle au col strict et une cravate sans motif décoratif au ton gris bleuté.
Ses bottines marron avec talonnettes reposent au pied du sofa où il est assoupi.
Monsieur respire bruyamment, bouche ouverte, lèvres frémissantes.

Un parterre de linoléum vert
Outis pose son regard. Une table surchargée de prospectus au fond du couloir. .
Il en attrape une brassée au passage / colombes, colombars, colombi-gallines, pigeons romains...
Pourquoi pas? Il poursuit son chemin.

Mamadou a les yeux fixés sur cette maudite casserole
Nez de boxeur passe sa grosse tête dans l'entrebâillement de la porte
-Blondin demande ce que tu fabriques..
-C'est ce truc là ! répond Mamadou en jetant un regard méchant sur l'eau qui se refuse toujours à bouillir.

Une employée 
Elle oppose au sourire d'Outis une neutralité toute secrétariale, garde la tête baissée, les bras croisés sur ses dossiers. Au revoir..
Sur la droite, un petit panneau annonce "service des archives"
Bien, c'est un bon début.

La porte s'ouvre, Sarah Baum sursaute
L'homme se casse en deux, présente sa grosse main aux doigts boudinés.
-Jean Baptiste Berne.. Je ne vous ai pas fait peur au moins ?
-Non, pas du tout, répond Sarah.
La main est moite, le corps enveloppé d'une épaisse couche de graisse flasque difficilement contenue dans un costume de laine brun.
-Alors, que puis-je faire pour vous petite madame ? fait le poussah en calant son fessier dans le fauteuil qui gémit instantanément.

Monsieur ouvre un oeil
On tambourine à la porte, on a manifestement pas l'intention de s'en aller.
-Oui !
Mamadou entre le premier. Il porte le plateau avec la tasse de café fumante, les petits gâteaux secs.
Nez de boxeur et le blondinet suivent. Ils marchent en fixant le sol.
Monsieur suit des yeux les trois hommes.
-Je suppose que vous avez une très bonne raison pour m'avoir dérangé?
Le blondinet se pétrifie . Il se force à tousser.
-Oui...Heu...
-Dépêche-toi !
-Le détective n'est pas mort... Celui que Charles à tué
(Nez de boxeur grimace)
Est  un minable sans importance qui s'appelle Davis.
-Mon petit, répond Monsieur, laisse-moi décider de ce qui est important ou pas!
-Oui, Monsieur

Une porte capitonnée, très lourde
Outis entre. Des étagères, des dossiers... Des tonnes de dossiers, de toutes les tailles , de toutes  les couleurs.. Personne.. SI ... Un petit homme rondouillard se matérialise. Il est perché sur un tabouret haut, ses pieds pendent dans le vide.Il déchiffre le texte d'un gros registre en suivant les lignes avec son index.
Outis abandonne Humpty-Dumpty et se glisse dans  passage étroit entre deux murs de classeurs archivés.

Sarah Baum sourit, Berne frémit
Sarah Baum se lance
-Je suis journaliste à l'écho de Veninsart...
Elle fixe Berne
-Vous connaissez notre journal?
-Mais ! j'en suis un fidèle lecteur ment maladroitement  Berne
-Alors, vous connaissez aussi notre rubrique "les hommes de notre citée"?
-Heu... oui, fait Berne en se grattant le menton...

Monsieur s'amuse à faire tourner sur lui même un petit galet d'une belle couleur orangée.
Le blondinet a les yeux fixés sur la pierre.
Nez de boxeur préfère les tringles dorées qui supportent les double-rideaux.
Mamadou a  été prié de ramener la tasse, le plateau et les petits gâteaux, dans la cuisine.
-Bon, nous savons que Richard a embauché un minable pour récupérer le film, dit Monsieur. Probablement dans le but de nous discréditer ou de nous faire chanter, qu'importe!
(Un sifflement  bref et strident ponctue la fin de sa phrase)
Cet imbécile a évidemment échoué..
-A cause du détective, souligne le blondinet.
Il se repend aussitôt  de ses paroles et se mord l'intérieur de la joue.
-Oui, du détective que tu as laissé filer, ajoute Monsieur avec un sourire doucereux.
 Lancé ... Le galet frappe la pommette gauche du blondinet provoquant tout de suite une large entaille..Le blondinet  fait un gros effort pour ne pas crier. Il tombe à genoux.
(A suivre)

vendredi 27 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (30)

Lendemain de fête
Sur la grand'place, des hommes au nez de fraise et longs paletots touchant presque le sol, démontent la grande roue. Sur le sol, les branches de sapin  se mélangent au détritus. La neige est sale, le ciel poudré de brouillard.
Un vieillard enveloppé dans deux morceaux différents de pardessus et coiffé d'un grand feutre, tourne sur lui même en hurlant Y'a de la joie !
Les rares passants ne tournent même pas la tête.
-Bonjour, bonjour les hirondelles !


-Au fait, où se retrouve-t-on ?
Plongé dans sa réflexion, Outis sursaute.
Ils ont maintenant dépassé la grand'place.  Un immeuble, ancien, décrépie; "L'unique cinéma d'arts et d'essais de Veninsart" annonce fièrement une affiche sur sa façade.
-Qu'est-ce que tu penses de ça? demande Outis en désignant le cinéma
Sarah tourne la tête et croise le regard de Gene Tierney
-L'aventure de Madame Muir... je l'ai déjà vu... A chaque fois, je pleure à la fin..
-C'est une réaction plutôt saine, répond Outis en se faufilant à l'arrière de la voiture.
Il s'allonge sur le siège, se recouvre d'une grande couverture.
-Moi aussi je pleure
Le son de sa  voix est étouffé par l'épaisseur de la couverture.
-On arrive, fait Sarah d'une voix devenue brusquement chevrotante. Je suis devant la porte du parking
-J'écoute, fait une autre voix métallique, grésillante.
-Sarah Baum, j'ai rendez-vous..
-Ok
Un tunnel vert lumineux avale la voiture et la projette contre une rampe incurvée qui plonge dans un gouffre
aux parois lisses.
-Je suis rentrée...
-Ne parle pas...trouve une place dans un angle mort, à l'abri des caméras.
Le regard de Sarah se promène sur les murs barbouillés de blanc, se fixe sur un emplacement près des ascenseurs. Elle coupe le contact, demeure silencieuse.
-A toi de jouer, fait la voix étouffée d'Outis
Sarah pousse un soupir et sort de la voiture.
-Je te rejoindrai avant la fin du film, dit Outis, j'ai horreur de te voir pleurer.
Les talons de Sarah résonnent sur le sol du parking. Et puis,  un long silence s'installe.

Sir Toby accueille ses visiteurs en rotant
-Ah, ces harengs marinés, quelle plaie!
Ducasse se racle la gorge , recule de deux pas.
-Tout est en place? demande le notaire
Ducasse ouvre la bouche pour répondre / Blanquart entre dans la cuisine. La porte va frapper le mur.
Il porte un vieux treillis de l'armée française. La veste est un peu trop bien ajustée pour sa bedaine.
Après un salut militaire en règle, il annonce
-Les hommes sont prêts
-Parfait, répond Richard en tamponnant  délicatement ses grosses lèvres et son menton avec une grande serviette à carreaux.
Blanquart louche sur la bouteille de Riesling
-Un petit verre avant le combat, dit le notaire avec un sourire narquois.
-Pas de refus, répond Blanquart en se projetant vers la table
-Après tout, c'est peut-être le dernier hein, celui du condamné ! rigole le notaire
Il se lève, sa grosse carcasse chancelle. Puis, il avale  son verre cul-sec, attrape la bouteille, la lève bien haut au-dessus de sa tête et crie
-Sus aux ennemis !
Ducasse recule encore de deux pas. Il pince les lèvres. Son visage a le teint cireux d'un mannequin de cire.
-Sus aux ennemis ! crie à son tour Blanquart, rigolard.
A suivre

jeudi 26 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (29)



Page 325.Une lettre d'Ernest Hemingway à Scott
"Je me demande quelle pourrait-être ton idée du paradis ? Un splendide vide plein de riches monogames, tous puissants et membres des meilleures familles se saoulant tous à mort.
Et l'enfer serait probablement un affreux vide plein de pauvres polygames incapables de se procurer de la gnôle ou atteints d'affections gastriques chroniques qu'ils appelleraient chagrins secrets. "
Outis repose le livre sur l'étagère de la bibliothèque. Il penche légèrement la tête pour capturer Sarah dans son champ de vision. C'est très furtif mais, il apprécie. Puis, tout d'un coup, elle disparaît . Il ne reste que le son d'ambiance : Sourd/ casserole sur la plaque du fourneau, plus aiguë / couverts qui s'entrechoquent.
-Si tu me parlais de Richard
Elle apparaît sur le pas de porte de sa cuisine, un grand couteau à lame effilée en main.
-Le notaire?
-Oui, en tout cas, c'est comme cela qu'il s'est présenté cet après-midi.
Sarah grimace.
-Tu as décidé de gâcher la soirée?
-Non, j'essaie seulement  de comprendre comment fonctionne cette ville, répond Outis.
-C'est un sale type.
-C'est quoi son racket?
Elle grimace une nouvelle fois puis soupire
-Il dirige le bureau de relogement de la ville. Une commission décide qu'une famille ne peut plus habiter dans un des taudis des anciens quartiers et..
-On construit des logements sociaux aux loyers plus élevés dans d'autres quartiers, la coupe Outis
-Oui, Richard touche sur les deux tableaux. Il récupère les taudis qu'il loue à des immigrés et entre en participation dans les sociétés qui gèrent les logements sociaux.
-Et ça rapporte?
-Sûrement, répond Sarah en disparaissant de nouveau dans sa cuisine. Il y a cinq ans, il habitait encore dans une banlieue crasseuse. Aujourd'hui , la moitié des maisons de l'Avenue de l'Hippodrome lui appartient.
Outis soupire longuement.
-C'est prêt, annonça Sarah d'un ton solennel.

Dans le jardin zoologique
Des cages rouillées, certaines décorées de fientes d'oiseaux. Au centre, un gros rocher pointu austère, gris, dressé dans un ciel de drap blanc.
La cabane du gardien, empilage imprécis de rondins, a de vagues allures de chalet Suisse.
Maître Richard attire l'attention du gardien  en frappant contre la vitre de la cabane avec une pièce de monnaie. L'employé, un sexagénaire en blouse grise et béret, abandonne son feuilleton réservé à la ménagère de cinquante ans à contre-coeur. Il déchire deux tickets de son carnet d'une main tremblante.
Un couple d'échassiers au plumage terne salue le passage de Richard et Ducasse avec de grands cris rauques.
Les deux hommes avancent têtes baissées, dans un cimetière d'animaux en plâtre.
Ducasse, maladroit, enjambe  ce qu'il reste de la carcasse d'un zèbre couché sur le flanc. Richard contourne la dépouille d'un rhinocéros barbouillé de peinture verte. Sur la fesse droite de l'animal, des visiteurs ont écrit, au centre d'un coeur imprécis Gilles et Martine pour la vie.

Pavillon des insectes
Une presse d'invertébrés / brillante/ rouge et d'or.
Un coléoptère roux  fait de la varappe sur la tranche de son cube.
-Voila, je vous ai tout dit, fait Ducasse.
Richard ne répond pas. Il a les yeux fixés sur les cubes. Puis, sa lèvre inférieure, tendue vers l'avant, tremblote.
-Il semble que nous n'avons plus le choix, lâche-t-il d'une voix onctueuse.
Ducasse frissonne
-Vous voulez dire que ..
-Oui, bien sur! tonne le notaire. Qu'est-ce que vous croyez  à la fin, que je vais me laisser massacrer?
Nous devons recruter quelques hommes. Des hommes sachant se servir d'armes, c'est indispensable, évidemment..
Ducasse est aussi blanc que le ciel. Il incline sa petite tête ronde, bredouille..
-Mais, des hommes..
-Oui, des mercenaires, reprend le notaire en donnant un grand coup de poing sur un cube de verre.
Un scarabée sonicéphale, qui avait presque atteint le sommet de l'arête, dégringola sur ses congénères.
Richard pointe le doigt
-Regardez nos petits amis, eux, n'abandonnent jamais !
Ducasse jette un  regard distrait sur la blatte qui reprend son ascension, antennes  frémissantes.
Une énorme boule de feu se forme au niveau de son plexus solaire. Il parle en baissant la voix.
-Peut-être qu'un plan?
-Au diable les plans! explose le notaire.
 Ses petits yeux noirs transpercent son complice.
-La seule tactique, c'est de faire exploser le bunker !
-Le... le siège?
-Oui, le siège !
Richard se prend pour un acteur / il déclame
-Faisons griller les colombes.. provoquons l'apocalypse chez les ramiers !
Ducasse baisse la tête, jette un regard derrière lui.
Ah! malheur, il est devenu fou...


-Merde !
Nez de boxeur donne un  grand coup de poing sur le volant.
-Alors, c'est qui l'autre?
-Un minable, répond le blondinet avec une sale grimace.
D'un seul coup, son visage s'éclaire. Il fixe son pote avec un grand sourire.
-Allez, je te le fais à pile ou face .
-Quoi? grogne nez de boxeur
Le blondinet fouille dans la poche de son pantalon, ressort un pièce de monnaie.
-Face c'est moi qui l'annonce au patron et pile c'est toi.
Nez de boxeur devient face de bouledogue
-Et pourquoi que je jouerais avec toi hein ?
Le blondinet devient affable, très vendeur de voitures
-On travaille en duo non?
Nez de boxeur baisse simplement sa grosse tête.
 La pièce fait trois tours complets.
-Merde ! lâche le blondinet en découvrant la pièce sur le dos de sa main.
-Ouais ! crie nez de boxeur en serrant le poing.
De la banquette arrière, le rire de Mamadou résonne dans l'habitacle de la voiture.
(A suivre )

mercredi 25 mai 2011

Manchette, enfin!


Et il arrive ce qu'il devait arriver : au seul nom de ce blog, je  me devais de vous parler un jour de Jean-Patrick Manchette. Hier soir, j'ai donc adopté la position du lecteur couché et tenté l'expérience suivante : relire "La position du tireur couché". Cent-quatre-vingts pages  de violence, de haine, d'amour et de poésie, sans  me permettre le plus petit cigare, la moindre tasse de café du Guatemala, bref, sans aucune pause.
Alors,  quel résultat ?
Bon, la première chose dont je veux parler c'est le rythme. Aucun temps morts, là aussi, pas de pause.
Souvent, dans nos lectures, nous sommes parfois obligés de survoler un peu le texte. La raison ? Sûrement le besoin de littérature de certain auteurs. Les pauvres se découvrent possesseurs d'une mission quasi-divine, adjectiver les différentes nuances de blanc d'un ciel d'hiver  dans la forêt de Fontainebleau ou la description  rigoureusement stupide de la voiture personnelle du tueur à l'arbalète.
Ici, tout est utile et agréable.Manchette parvient  donc à rendre le temps mort captivant ? Non pas, car de temps morts, il n'y a point!
Puis, vient la description des lieux et des personnages : extrait

"C'était l'hiver et il faisait nuit. Arrivant directement de l'Arctique, un vent glacé s'engouffrait dans la mer d'Irlande, balayait Liverpool, filait à travers la plaine du Cheshire (où les chats couchaient frileusement les oreilles en l'entendant  ronfler dans la cheminée) et, par-delà la glace baissée, venait frapper les yeux de l'homme assis dans le petit fourgon Bedford. "
 Que vous faut-il de plus ? Un vrai plan de cinéma millimétré qui positionne le lieu dans le temps. Il ne manque que la musique pour caractériser encore le genre dramatique.
Ensuite, il convient de présenter au mieux les personnages. Le principal, bien entendu, mais sans délaisser les secondaires qui, s'ils n'apparaissent  qu'une fois, comme dans l'extrait qui suit, ne sont pas négligés et dont le portrait fait frissonner de plaisir le lecteur.
"Une fausse rousse vêtue d'un trois-quart en pseudo fourrure  acrylique rouge coquelicot, avec un rouge à lèvres écarlate, trop de noir aux yeux et des bottes à très haut talon en plastique noir, sortit de la salle de projection et quitta la cinéma. Un sac rouge en bandoulière, elle avait les mains dans les poches et une expression maussade et calculatrice."
Enfin, parlons de l'action parce que, évidemment, dans un vrai et beau roman noir, la virtuosité se révèle aussi ( ou devrais-je dire surtout ) par les scènes violentes.
"Le choc avait précipité Terrier  au bas de l'escalier de la cave. Il l'avait plaqué sur les mains et les genoux contre le sol inégal semé de poussier. Des grains de carbone s'incrustèrent dans les paumes de l'homme. Une avalanche de débris rebondit dans l'escalier à sa suite. Des kilos de bout de planche et de morceaux de parpaings heurtèrent le dos de Terrier et sa tête.///
.... Il traversa rapidement ce qui restait de la salle à manger. autour de lui des sections de toitures et des pans de mur s'abattaient solennellement et percutaient le sol avec des bruits sourds et des rebonds. Terrier enjamba le Valmet tordu et inutilisable, faillit marcher dans la cage thoracique rouge et blanche, de Stanley  et sortit de la maison par le mur du fond."
Bon, après la forme, nous parlerons bientôt du fond, c'est promis.
Et il arrive ce qu'il devait arriver : Julius dit "à suivre".
Julius Marx


Jean-Patrick Manchette "la Position du tireur couché" (Série noire)
Le chat est le chat du Cheshire d'"Alice au pays des Merveilles " et la photo est extraite d'un film du grand Fritz Lang que Manchette adorait. A vous de découvrir lequel...

mardi 24 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (28)



C'est du beau travail... On lui a fait exploser la tête !
-Ca va comme ça, grogne Blanquart.
-C'est propre... net, sans bavure.
-Tais-toi je te dis!
Blanquart repose le drap sur ce qui reste du visage de Martial Davis. Il crache l'embout de plastique de son cigarillos sur le sol carrelé.
Dans la chambre froide,  seul le ronflement poussif du moteur assure la musique d'ambiance.
-Recolle-le au frigo
Klax esquisse un bref salut militaire
-A vos ordres
La porte refermée, Klax demande à Blanquart
-Et après, qu'est-ce que j'en fait?
-Après, tu creuses... répond Blanquart
-Je creuse, je creuse... Tout ça c'est bien joli, marmonne le médecin. Si ça continue, j'aurai plus de place dans le parc..
-Quoi, t'appelles ça un parc ?
-Parfaitement, répond Klax, la Duchesse de Beaumont à joué au tennis dans ce parc.
Blanquart est déjà sorti de la pièce. Du couloir, il lance :
-Et aujourd'hui, elle joue avec les asticots ta duchesse de mes deux.
Le doc soupire, lève les yeux au ciel.

Figure le soir, encore..
-Avec ton boulot, tu pourrais obtenir un rendez-vous avec le boss de l'association, non?
-Oui, probablement, répond Sarah. Tu veux que je le décroche du mur?
Outis sursaute
-Excuse-moi..
Il abandonne Figure.  Sarah est assise à ses côtés. Il prend sa main.
-Et une fois à l'intérieur, qu'est-ce que je fais?
-Rien.. Tu observes, c'est tout. C'est ma seule piste pour l'instant. Il y a forcément quelque chose de louche à découvrir..
-Dans une association colombophile?
-Oui, dans une association colombophile. Une simple association où la porte d'entrée est protégée par quatre caméras de surveillance. De quoi ont-ils peur, que les pigeons prennent la fuite?

-Ton Kaboré, c'est un bourricot!
Le blondinet argumente.
-Un trouduc qui panique devant le but, rien de plus! Ce type a les pieds carrés.
Mamadou fixe la fourchette dégoulinante de sauce tomate pointée vers lui.
-Non, cet homme là, c'est un seigneur
La bouche pleine, blondinet poursuit
-Tu parles ! c'est mathématique!
Mamadou use de son sourire
-Te marres pas, reprend blondinet. Toi et tes frères, vous avez jamais porté de chaussures. Voila la réalité!
Pour galoper dans la brousse d'accord, mais, sur un terrain de foot, c'est pas la même chose!
Mamadou demeure perplexe. Il s'interroge sur la définition du verbe galoper.
D'un seul coup, il voit le blondinet se lever d'un bond et hurler
-Bon Dieu, Mamadou, la police !
Le Burkinabé dégringole de sa chaise. Dans sa chute, il emporte la nappe et son assiette.
D'un bond de côté, l'inspecteur Blanquart évite la carafe d'eau et les couverts qui suivent le même chemin.
Devant ce spectacle, le blondinet s'étouffe de rire.
-Quels cons! lâche Blanquart en attrapant le dossier d'une chaise.
Pendant que Mamadou rampe vers la porte de sortie, Blanquart saisit la bouteille de vin et se sert une bonne rasade.
-J'en ai rien à foutre de vos combines, attaque Blanquart  en fixant le litre de 13°, mais y'a un os.
Le blondinet ne rit plus. Il fixe l'inspecteur avec les yeux d'Argus.
-Quel os?
-Le type que j'ai vu dans le frigo n'est pas le détective qui a foutu la merde à la poste, répond Blanquart, avec un petit sourire satisfait.
Blondinet accuse le coup.
-T'es sûr?
-A cent pour cent. Ce type s'appelle, enfin s'appelait, Davis.
Il repique à la chopine
-Davis.. Répéta le blondinet, connais pas.
-Moi si, reprend le flic. C'est un minable.. Je l'ai chopé l'année dernière, il faisait bosser deux gamines derrière le grand marché.
Blanquart rigole
-Une combine au poil.. Les péquenots venaient fourguer leurs légumes et se vidaient les burnes vite fait avant de retourner dans leur cambrousse retrouver  bobonne. Moi, je l'aurais bien laissé continuer son business mais ce con voulait pas casquer..Un vrai cave !
Blondinet réfléchit, ne commente pas.
-Ca signifie que l'autre est toujours en circulation , poursuit Blanquart toujours rigolard. Faut faire quelque chose non?
-Ouais, lâche simplement le blondinet en se levant.
-Sinon, ça risque de sentir mauvais, dit le flic avec un sourire moqueur.
-Quand t'es là, ça sent toujours mauvais, crache le blondinet avant de sortir.
Blanquart attrape le litron en ricanant.
(A suivre )




La mer couleur de sang



On sait combien le roman policier classique ( à énigme) nous, on l'aime pas.. Oh que non.
On préfère l'autre, le violent, le méchant, le mauvais.
Aussi, si nous parlons d'Andrea Camilleri  et de son commissaire Montalbano, les mauvaises langues, elles vont encore s'agiter . Alors, nous prouvons que Camilleri  y s'acoquine plus avec le roman noir qu'avec celui de Simenon, oh que si!
Dans l'oeuvre du maestro, le personnage principal c'est la Sicile. Et en Sicile, l'ordre du droit n'est pas bon.
On peut même affirmer que le mal domine historiquement. La domination du mal est sociale et politique donc, le terrain est propice au roman noir. Inutile de s'étendre sur la corruption, ni sur le pouvoir politique exercé par des salauds (pour des raisons évidentes de sécurité) mais concentrons-nous  plutôt sur le peuple des personnages.
Le premier d'entre eux, bien sur, c'est Montalbano. S'il occupe les fonctions de commissaire, Montalbano a tout les atouts du privé, il est le redresseur de torts d'un monde sans vertu. Il agit toujours "à sa main", et avec des méthodes de privé (subordination de témoins, falsification de preuves, oublis volontaires etc)
Bref, c'est un solitaire, un brin nostalgique et idéaliste. Bien entendu, il ne peut cacher son amertume et tente de la rendre plus supportable, non pas avec de l'alcool américain mais plutôt avec du vin blanc et en se faisant des bouffes mémorables  "à en appeler le médecin".
Côté femmes, il n'a rien à envier à Marlowe. Il a sa régulière, qui ne vit pas avec lui ( on voit mal un privé  rentrant chaque soir et se mettre devant la télé en pantoufles en attendant que bobonne apporte la soupe. )
 Il y a aussi  les occasionnelles, sur lesquelles on ne va pas s'étendre, si j'ose dire, et qui le font toujours  progresser dans son enquête sans attendre la plus petite reconnaissance (Anna la flic et Ingrid la suédoise par exemple).
Ensuite, on peut classer les autres personnages  comme suit :
-Les exploiteurs (potentats locaux, mafieux, hommes politiques)
Montalbano ne refuse pas la confrontation, au contraire, on a l'impression qu'il aime le combat direct avec les puissants.
-Les exploités ( petit peuple: chômeurs, travailleurs immigrés, paysans )
Montalbano  se situe bien évidemment du côté des exploités. Il cherchera toujours un moyen pour leur venir en aide, même s'il doit transgresser la loi.
-Les déclassés  souvent des intellectuels (anciens instituteurs, employés administratifs etc)
 Montalbano apprécie leur compagnie . Ces personnages "d'une autre époque" comme l'écrit Camilleri dans "La forme de l'eau" représentent le passé, certes, mais aussi la culture (dans sa forme la plus large) envolée de la Sicile.
Et puis, terminons par le personnel du commissariat. De l'hilarant Cattarella  au très sérieux adjoint Augello,ils sont tous dignes du grand Mc Bain et de son 87e district.
C'est ainsi, nous puisons nos références dans le roman noir et non pas chez cette vieille chèvre d'Agatha ou chez le  célèbre fumeur de pipe belge.
Nous irons même jusqu'à conclure que l'écriture de Camilleri est aussi vive et appliquée que celle des grands.  Tentons la comparaison avec  Donald Westlake, par exemple,  quand il écrit  dans "Surveille tes arrières"
"Eduardo  gravit les marches du perron au petit trot. Il s'était rasé cette semaine, mais pas aujourd'hui. Il paraissait sympathique, tout en ayant l'air absent, comme si dans un autre coin de sa vie il était occupé à confectionner un déjeuner élaboré."
Ou alors, plus loin..
"-C'est vide depuis trois semaines. J'ai fait le ménage.
C'était propre, en effet. Miteux, mais propre. Tous les meubles semblaient avoir été rongés, comme si le locataire précédent hébergeait de petits animaux sauvages nerveux."
Cherchez vous même chez Camilleri, je suis persuadé que vous allez trouver nombres d'exemples comme celui la.
Ah ! Que Montalbano, nous on l'aime... oh que oui.
Julius Marx


Andrea Camilleri "La forme de l'eau" (Fleuve noir)
traduction Serge Quadruppani avec l'aide de Maruzza Loria.
(Toute la série est disponible chez Pocket)
Ed Mc Bain  (Série noire -Gallimard)
Donald Westalke "Surveille tes arrières" (Rivages/thriller)
A lire aussi pour tenter de comprendre la Sicile
-Leonardo Sciascia  "Le Jour de la chouette" (Flammarion)

vendredi 20 mai 2011

Une histoire de moi


Celui qui trucide son prochain est psychologiquement dérangé, c'est un fait.
Qu'il tranche la gorge de sa douce moitié ou qu'il s'arrange pour faire avaler du poison à son frère qui vient d'hériter injustement à sa place, qu'importe. Les raisons qui poussent cet être humain, que tous le monde trouvait gentil dans le quartier au demeurant, a passer à l'acte sont bien entendu multiples mais toujours d'ordre psychologiques.
Hé oui, c'est dans le cerveau que tout ceci prend naissance mon bon monsieur!
Alors,  l'auteur de polar consensuel, qui connait l'intérêt de ses lecteurs pour tout ce qui touche de près au moi et au surmoi, ne se prive pas d'étaler toute la palette de ses connaissances.
Ainsi, le tueur nous parle de son père boucher dans le 15 ème arrondissement qui venait lui faire une petite bise avant qu'il ne s'endorme sans prendre la peine d'ôter son tablier.. Nous confesse que sa maîtresse d'école  a réveillé sa libido  beaucoup trop tôt en ne portant pas de culotte pendant le cours de sciences naturelles, nous apprend qu'un copain d'enfance, qui collectionnait les armes blanches à  l'âge ou d'autres préféraient  les papillons, l'a initié au maniement du couteau de chasse . Mais surtout, il nous révèle que sa maman qui l'habillait en petite fille jusqu'à son départ précipité de la maison, la veille de ses quinze ans, après une regrettable scène de famille où notre héros découpait la vieille en petits morceaux réguliers avant de les fourrer dans une grosse marmite pour une période de cuisson indéterminée, ne l'aimait pas !
Bref, le tueur nous emmerde avec ses histoires personnelles . Nous savons qu'il ne tourne pas rond et nous n'avons pas besoin de connaître SON point de vue. L'auteur est là pour ça.
Si vous tenez absolument à savoir pourquoi, lisez, c'est écrit.
Ainsi, dans  La position du tireur couché de Jean-Patrick Manchette, vous savez pourquoi  le personnage principal est devenu cette machine a tuer. Ou  au moins, vous en avez une petite idée non?
 Au passage, notez l'extraordinaire crise d'extinction de voix, qui apporte des scènes surréalistes .
Le symptôme, toujours le symptôme  et seulement le symptôme! Le moi révélé par les actes et l'action uniquement.
Ellroy y ajoute la petite voix intérieure. Ce n'est pas la voix du personnage mais, bel et bien celle du narrateur qui sait absolument tout sur celui qu'il nous présente. Attention, il lui arrive même de mentir.
Bon, pour finir regardez cette magnifique scène de meurtre. Aaaaaaaaahhhh.... C'est comme ça que je veux partir pour l'au-delà, en fixant une dernière fois Gene dans les yeux..
Julius Marx

jeudi 19 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (27)

Oui, c'est vrai, il y a  la fine pellicule de mousse  résillée.
Mais, cette couleur, et ce nez de détergent..
-Vous ne buvez pas?
-Non, répond Outis, en repoussant sa tasse de café.
Elle le regarde, dans ses yeux il voit chaleur, réconfort et un peu de tristesse, quand même.
-Vous vous posez pas mal de questions à mon sujet, évidemment?
Elle hausse les sourcils / joue admirablement la fille qu'elle n'est pas du tout.. Détachée, presque distante.
-Qui est ce type? poursuit Outis... Hein?
Elle sourit / que peut-il faire contre ça?
-Je suis détective privé.
La cafétéria est quasiment vide, pourtant, une mère accompagnée de ses quatre rejetons choisit la table voisine.Les gosses sont fiers de leurs ballons rouges et jaunes.
Outis se rapproche de Sarah.
-Qu'est-ce que vous dites de ça, mademoiselle Baum?
-Intéressant, répond Sarah.
-Vous savez, dit Outis, en général, c'est moi qui fait parler mes interlocuteurs.
Nouveau sourire/ Ah ! la mèche revient sur son oeil.
Les gosses se sont lassés des ballons. Ils veulent  du solide. Braillements et paires de claques, la mère s'énerve.
C'est au tour de  Sarah de se rapprocher
-Pourquoi Veninsart?
-C'est une longue histoire.. soupire Outis
Un des gosses dégringole de sa chaise. Derrière sa caisse, le gérant de la cafétéria grogne .L'employé modèle rapplique ventre à terre.
-On sort, propose Outis.

-Blanquart ! J'ai horreur que l'on jure, Blanquart, j'ai horreur que l'on fume !
-Merde, merde, merde, fait l'inspecteur Blanquart avant de téter comme un forcené l'embout de son cigarillos.
Il crache un gros nuage de fumée bleue vers le ciel.
-Je t'emmerde Monsieur de mes deux!
Le gardien se recroqueville encore un  peu plus au fond de sa guérite, décidant qu'il n'avait rien entendu, reportant son attention sur la tranche de pâté de foie , sur la table, devant lui.
Lorsqu'il attrape sa baguette, Blanquart n'est plus qu'un mauvais souvenir. Il soupire. Il tranche la baguette en deux.

Outis pénètre dans un sous-bois.
Une puissante odeur de moisi. Un remugle de champignons et de feuilles.
Sarah s'installe au volant. Son regard dit " j'ai autre chose à faire que de m'occuper de l'entretien de ma voiture."
On remonte un grand boulevard. On dépasse plusieurs statues de même facture. Les piétons traversent sur les passages réservés, aucun véhicule ne cherche à quitter sa file.
Plus tard, nous sommes devant un alignement rigoureux de constructions récentes. Même style, même nombre d'étages , seul leur  numéro est différent. Sarah s'arrête devant le 6.
Un panneau en faux marbre annonce : Résidence des bords de Veûle.Propriété privée 
Ils descendent. Outis  remarque, là-bas, une péniche qui remonte le canal. Sur le pont, flip, flop, la lessive de la semaine.  Sarah le rejoint.
-C'est sympa ici, non?
Outis lui prend la main.
-Tu as bien réfléchi?
-Oui, bien sûr, répond Sarah dans un mouvement de tête.
Bien . La mèche rebelle est maîtrisée.

Dans son trois-pièces
Statuette hindoue, meubles exotiques, imposant canapé de cuir blanc et au mur,  une reproduction  de figure le soir de Paul klee.
La neige virevolte devant la grande baie vitrée, orientée face au canal.
-Installe-toi, dit Sarah, je vais faire du café.
Outis  s'enfonce dans le canapé.
De la cuisine, la voix de Sarah annonce :
-Alors, si tu me racontais tout?
-Si tu me parlais d'abord de l'association colombophile du Nord.
-Quelle association ? dit Sarah en revenant dans le salon, un plateau à la main.
(A suivre)

mardi 17 mai 2011

Times they are a changin'


Bon, maintenant, il s'agit de mettre en scène la violence. Pour un auteur de romans noirs, c'est comme qui dirait, le passage obligé. Là encore, les styles s'opposent. Il y a ceux qui "évitent" le problème avec plus ou moins de talent, d'autres qui "recopient" et d'autres enfin qui basculent dans la surenchère.
On dépece , on empile les boyaux, on fait blanchir les os dans le bouillon de tripes et on se garde les meilleurs morceaux (foies, rate etc) pour le dîner.
J'invente pas... je recopie.
Ce n'est plus le sérial-killer sanguinaire qui tue, mais le ridicule.
En réalité, la violence n'est pas imposée, elle s'impose d'elle même.
Lisez cet extrait du magnifique They don't dance mutch (une poire pour la soif) de James Ross (1940)
traduction de l'indispensable Philippe Garnier.
"Smut l'a saisi par les pieds et l'a fait tomber du lit . Mais Bert était pas du genre  à se laisser faire sans se rebiffer. Je crois qu'il savait qu'on le buterait pas avant de savoir où était l'argent. Il a chopé Smut par le cou et ils ont roulé  ensemble par terre. J'ai enlevé la lampe de la table, pour la poser sur la cheminée. Une bonne chose, en plus, parce qu'ils ont roulé contre la table et la bible qui était dessus a glissé directement dans l'âtre.
Je me suis reculé et je les ai laissés se battre. J'aurais pas été d'une grande aide pour Smut, de toute manière.
/////.... Smut l'a frappé au visage de toutes ses forces , et finalement Bert a arrêté de se défendre. il est resté allongé là, à bout de souffle, les yeux fermés. Smut m'a fait signe ." Va au camion. Regarde à l'arrière. Ramène la corde." Il était hors d'haleine, et la sueur  lui coulait  le long des tempes. Il a levé la main et cogné Bert encore un coup sur l'oeil droit. Bert a gémi en essayant de tourner la tête.///
///... Smut s'est remis debout."Bon, il a fait en s'étirant, enlève lui ses chaussures".
Pendant que je délaçais les souliers de Bert, Smut est allé prendre les pincettes qui étaient placées debout contre la cheminée. Avec les pincettes il a pris un charbon incandescent dans la cheminée. Il est revenu s'asseoir sur les tibias à Bert. Il a mis le charbon contre le pied droit à Bert, juste à la base des orteils.
Au bout d'un moment, j'ai entendu grésiller. Bert avait la bouche ouverte et les yeux fermés. Sa figure était tordue comme si elle allait tout d'un seul côté. Moi j'aurais bien voulu qu'on cherche une autre façon de gagner de l'argent.


L'action se déroule pendant la grande dépression  et la violence y est donc aussi sordide, brutale et cynique que l'époque. La dernière phrase montre bien qu'il s'agit en quelque sorte d'une violence de  classe.



Un bond jusque ans les années 90 avec Lawrence Block et sa Danse aux abattoirs.
"-Mick, il a un flingue!
Dans un film,on montrerait la scène au ralenti, et chose curieuse, c'est  que c'est ainsi que je me la rappelle. La main de Stettner entrant dans le coffre- fort, se posant sur un petit pistolet automatique en acier bleuté. La main de Mick serrant le couperet, l'élevant au-dessus de sa tête puis l'abattant en lui faisant décrire un funeste arc de cercle. La lame tranchant net , chirurgicalement, le poignet. La main qui semblait s'envoler, comme libérée du bras.
Stettner pivota, tournant le dos au coffre-fort ouvert et nous faisant face. Son visage était pâle, sa bouche ouverte en une grimace d'horreur. Il tenait son bras devant lui, comme un bouclier. Le sang artériel, aussi brillant qu'un lever de soleil, jaillissait du bras mutilé. Il avança en titubant, en remuant silencieusement  les lèvres et en nous aspergeant du sang de son bras jusqu'à ce que Ballou émette un horrible son guttural et lance à nouveau le couperet qui s'enfonça à la jointure du coup et de l'épaule de Bergen Stettner. Le coup  fit tomber à genoux l'homme mutilé, et nous nous écartâmes.
Stettner s'affala en avant et ne bougea plus.Son sang se répandait sur la moquette grise.
Olga se tenait immobile. je ne crois pas qu'elle ait fait un  geste pendant toute la scène. Elle avait la bouche molle, elle tenait ses mains de chaque côté de sa poitrine, et son vernis à ongles était parfaitement  assorti à la couleur de ses bouts de seins.
Mon regard alla d'Olga à Ballou. Il était en train de se tourner vers elle. Son tablier était rougi par le sang frais, sa main agrippait le manche du couperet.
Je pointai le Smith et Wesson . Je n'hésitai  pas un instant. Je pressai la détente, et l'arme tressauta dans ma main."
Block écrit cette scène finale dans le genre règlement de compte en effleurant la violence. L'image du ralenti cinématographique est parfaitement adaptée à la situation. Il enchaîne les visions et les actes concrets dans un tempo saccadé et démoniaque.



Allez, on boucle avec l'écriture du maître avec un extrait  de Underworld USA .
Visions/ actes/ pensée/ point de vue du personnage et  narrateur omniscient entremêlés.
Et rythme évidemment..
"-Nous sommes détectives privés.
Arnie se leva. Arnie s'agrippa l'entrejambe et dit:
-Détectez-moi ça.
Crutch vit ROUGE. Une pièce ROUGE, des lumières ROUGES, un univers ROUGE.
Il flanqua un coup de pied dans les couilles d'Arnie. Il le plia en deux d'un coup de poing à l'estomac. Il lui frappa la nuque d'une manchette.Il le projeta à plat ventre sur le plancher. Le nez d'Arnie craqua. Du sang jaillit. Arnie s'affala  et chercha à tâtons le fil de son téléphone. Crutch arracha le fil du mur et balança ce putain d'appareil à l'autre bout de la pièce.
Buzz tremblait. Ses lèvres faisaient des choses bizarres.Crutch vit une tâche de pisse sur son jean et capta l'odeur de merde qui provenait de son caleçon.
Arnie battait l'air de ses bras. Le sang qui lui coulait du nez formait une flaque. Crutch posa un pied sur son cou. Arnie cessa de s'agiter. Crutch dit:
-Gretchen  Farr.
Anie émit des gargouillis. Buzz fonça vers les toilettes. Il semblait prêt à vomir. Crutch jeta un mouchoir par terre. Arnie roula sur le dos, se couvrit le nez pour étancher le flot de sang.
Crutch sortit sa fiole. Arnie fit signe de lui donner à boire et renversa la tête. Crutch lui en versa deux petites gorgées. Du Jim Beam, 50 degrés. Arnie suça le goulot, s'étrangla, toussa. Arnie puisa dans son savoir-faire.
Arnie dit:
-Espèce de petit merdeux malfaisant.
Crutch s'accroupit. Il resta à l'écart des mares de sang. Ses circuits fonctionnaient de nouveau tandis que le décor faisait des bonds et tournoyait."

Toutes les violences qui semblent se rejoindre. Une sorte de concentré explosif.
Ce qui a changé ? Le monde messieurs-dames, le monde...
Julius-Marx

lundi 16 mai 2011

Travail au noir


Le fond du problème c'est que l'on appelle tout, ou à peu près tout : polar.
Car, le roman Noir fait vendre, le thriller frissonner et le policier policer.
C'est ainsi, le lecteur aime les héros cicatrisés et les innocents découpés en petites  parts égales dans une boite à chaussures. Le lecteur aime les méchants qui dégustent les parties génitales cuisinées à la mode de leur pays. Le lecteur vibre... le lecteur achète.
Alors, les écrivains bossent tous au noir.
Vous l'aurez compris, il faut de l'intrigue, du sang et une solide documentation sur les lieux où vont se dérouler les faits. Dans les recommandations, il faut aussi ajouter, c'est indispensable, une certaine vision fataliste du monde. (Bah oui... noir!)
Mais de style, personne ne parle. On utilise généralement celui qui donne satisfaction depuis si longtemps.. Pourquoi s'en priver?
Voici pourquoi on peut lire bien souvent d'honnêtes romans noirs avec de la violence moderne, des paysages et de la musique branchés et puis des personnages qui causent comme des d'jeun's. Et tant pis si  le roman à l'air d'avoir été écrit dans les années soixante par un nègre de Jean Bruce. Ce qui compte c'est le frisson et l'intrigue.
Même si une bonne douzaine de "suiveurs" Hammettiens ou Chandleriens ont assurés la relève avec bonheur, il n'est plus question aujourd'hui  de suivre cet exemple.
C'est la raison pour laquelle il faut trouver une autre forme-polar . Une forme à l'image de notre monde : encore plus directe et brutale. Une forme elliptique, proche du cinéma, de ses plans, de son découpage et surtout de son rythme.
Le roman noir, c'est l'urgence.
Lisez  ce texte du grand Chester Himes écrit en 1965
"A peine entrés dans la pénombre du hall, Fossoyeur et Ed Cercueil furent assaillis par une odeur d'urine.
-La première mesure à prendre dans la lutte contre le taudis, c'est d'installer des urinoirs, déclara Fossoyeur.
Ed Cercueil qui commençait à percevoir des relents plus complexes de cuisine, de corps humains, de chien et de cosmétiques de basse qualité, répondit:
-A quoi bon?
Puis ils remarquèrent les graffiti sur les murs: des noms, des coeurs, des formules obscènes, des organes génitaux, les mille et une manières de s'accoupler dans un espace restreint. Mais, la puanteur diminuait au fur et à mesure qu'ils escaladaient les cinq étages, et les murs portaient moins de tatouages.Le palier de Sarah leur parut presque propre.... ////
...//// Elle avait laissé la porte entrebâillée et  les deux policiers pouvaient voir le salon que Sarah appelait sa" salle de réception".Le plancher était recouvert d'un simple lino, uni et ciré.Des sièges s'alignaient le long des murs, sauf dans le coin réservé à un juke-box illuminé. Pour les clients, il y avaient des fauteuils, pour les filles des chaises à dossier droit. Mais la plupart étaient installées sur les genoux du client, à moins qu'elles ne fussent en train de danser, ou d'accomplir de menues corvées pour le miché- lui apporter à manger ou à boire par exemple .
Toutes les filles étaient vêtues de la même et sommaire tunique qui s'arrêtait à mi-cuisse, mais les couleurs de ces tuniques étaient différentes. Toutes les filles étaient des Portoricaines au teint clair, certaines blondes, d'autres châtaines, d'autres brunes. Toutes avaient des chaussures dorées aux talons hauts, toutes étaient jeunes. Elles virevoltaient à travers la pièce, offrant un spectacle plaisant et pittoresque.
Près du Juke-box, s'ouvrait un long couloir peu éclairé, sur lequel donnait de petites chambres fonctionnelles, deux salles de bains et un boudoir mitoyen à la cuisine pour les clients avides d'intimité."
La description est percutante, l 'usage de l'adjectif modéré et la caractérisation indispensable , livrée avec une poésie sans égale.
Ici, on ne risque pas de trouver quelqu'un qui se recule vivement ou qui attend une poignée de secondes.
Alors, s'il vous plaît  les gars, laissez-nous notre noir, adoptez une autre couleur!
Julius Marx

dimanche 15 mai 2011

Leçon de morale


Il faudrait que James Ellroy soit beau. Il faudrait aussi qu'il affiche des opinions de gauche. Qu'il vote Obama, qu'il se promène en voiture électrique et qu'il soit le président-donneur  d'un paquet d'associations luttant contre la faim dans le monde. Bien sur, il ne serait pas à l'abri de petites contradictions comme par exemple faire de la pub pour Nestlé (l'affameur numéro1 du tiers-monde). Mais, pour tout le monde, il inspirerait le respect et  représenterait à lui seul le sérieux dans le travail.
Il écrirait des choses comme celles-ci :
"Il balança son pied dans la porte d'entrée, recula vivement, attendit une poignée de seconde et se jeta à l'intérieur. Un silence moqueur accueillit son intrusion. Le taudis sentait la poussière, le vieux en boite et l'hygiène ancestrale. Un évier fissuré se cramponnait au mur, une paillasse se répandait à terre en un amas de couvertures entassées.Quelques objets ménagers piquaient du nez dans une bassine d'eau stagnante, une caisse renversée provenant des docks remplaçait la table à manger; seule fantaisie dans cet antre crasseux, un heï-tiki à la face grimaçante planté au mur... X  passa son doigt sur l'évier fatigué: un mince filet de poussière, comme électrisé, se colla à sa peau. L'homme qui habitait ici était parti depuis plusieurs jours.
Il fouilla la bicoque de fond en comble, sans résultat . Le géant avait disparu sans laisser de traces, X quitta cet endroit nauséabond avec la perspective d'envoyer une équipe pour relever les empreintes.."




Bref, il serait l'idole, celui que l'on doit absolument imiter.
Mais, malheureusement, l'homme ne joue pas le jeu. Il n'est pas un apollon (nous pouvons même nous risquer à dire qu'il est moche) et il affiche clairement des idées réactionnaires.
De plus, il écrit des choses comme celles-ci :
"10,9,8,7,6,5,4,3,2,1,0- partez.
Ils montèrent l'escalier en courant. Ils dévalèrent les couloirs et trouvèrent le 311.Buzz ouvrit la porte. Crutch brandit son Rollei. Ils suivirent les gémissements d'extase jusqu'à une porte qu'ils ouvrirent à la volée.
C'était  grec en diable. Ils ne pouvaient rien manquer du spectacle : devant eux ,le Mutant trombinait le petit mari avec son engin monstrueux. Crutch pressa le déclencheur. Pop pop pop pop - la chambre fut illuminée  quatre fois par l'éclair aveuglant du flash. Le petit mari se mit à beugler le blues classique des pièges à pédés:
Comment as-tu pu me faire ça ? Le Mutant renfila son pantalon  et sortit par l'escalier de secours.
Buzz repéra un sac d'herbe  sur la commode et le rafla. Crutch se dit : C'est ça, la grande vie."


Eh bien oui, comme l'écrivait Céline (autre réac) dans Semmelweis : "Si les génies, en apparaissant au monde, savaient sur quel genre de musique  on les ferait danser, ils se tiendraient à carreau."


Julius Marx
ps: le texte "nauséabond" est d'un auteur très connu et très à la mode et très sympathique semble-t-il..
Quant à celui du maître, il est extrait de Underworld USA évidemment .

samedi 14 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (26)



Dès qu'elle eût fini de jouer avec les graviers blancs,
La voiture stoppa devant la clinique. Ancienne demeure de maître plantée au centre d'un parc à défricher, la bâtisse de quatre étages  résiste sans grande conviction aux assauts répétés du vent, de la pluie et de la neige.
S'échappant des gouttières, des coulées d'écumes verdâtres dégoulinent des murs et viennent  jalonner le grand perron. Là-haut, au premier étage, un volet mal assujetti  claque.
Nez de boxeur jette un oeil sur le parc et grimace. Un obus était peut-être tombé dans la piscine  et sur le court de tennis,depuis sa dernière visite, qui sait?
Derrière, le blondinet frappe l'épaule de Mamadou.
-Viens m'aider, le gros pèse une tonne.
Le maire dort, recroquevillé comme un gosse, la bouche ouverte, la tête dévissée du corps, une joue écrasée contre la vitre.
Mamadou fait le tour de la voiture, ouvre la portière et récupère le paquet avant qu'il ne s'aplatisse sur le gravier.
Puis, il l'attrape comme un sac d'arachides sur le port d'Abidjan. Le blondinet s'occupe des jambes.
Une forte bourrasque de vent et de neige mêlés pousse sans ménagement  les deux hommes vers la clinique.
Nez de boxeur admire toujours le parc. L'obus a probablement finit sa course sur le toit de la rotonde, conclut
nez de boxeur l'observateur, en hochant  sa grosse tête.
Le blondinet donne un coup de pied dans la porte.

Le hall ?
Large, très large. Avec des pans entiers de murs qui dégringolent sur le carrelage de type jeu d'échec.
Des effluves amoniaquées  flottent dans l'air.
Mamadou renifle / le regrette aussitôt.
L'infirmière porte une blouse fripée et jaunie par les trop nombreux lavages.  Elle ouvre de grands yeux outrageusement maquillés.
-Qui c'est celui la?
-T'occupes! répond le blondinet, amène un brancard.
Demi-tour. Mamadou admire sa croupe.
-Touche pas à la femme blanche, grogne le blondinet.
Mamadou éclate d'un grand rire. La fine kapéle de neige sur sa toison crépue disparaît.


C'est une vaste cuisine à l'ancienne
Piano, casseroles en cuivre, chinois: et large table posée au centre d'un carrelage de mosaïque éclatée.
Au-dessus d'un pantalon de travail avachi aux genoux et d'une chemise sans col , un singulier visage tavelé aux yeux de lapin russe cligne des paupières derrière ses grosses lunettes à montures de bakélite.
Au fourneau, officie le docteur William Klax. Ses mains longues frémissent. Un bouquet de sarriette s'envole.
Le docteur se hisse sur la pointe des pieds pour humer. Ses narines se dilatent, ses verres de lunettes deviennent opaques.
Bang!
La porte tape contre le mur. Le chariot... Mamadou et le blondinet entrent dans la cuisine.
Mamadou renifle. Blondinet lui fait signe. Ils balancent le corps du  maire sur la longue table.
Entre la mirepoix d'oignons et de carottes, la viande hachée et les feuilles d'une longue branche de cèleri, le Maire ouvre une paupière.
-Du travail pour vous, chef. Annonce le blondinet.
-Encore, soupire le docteur sans regarder ses visiteurs, la tête toujours penchée au-dessus du grand faitout .
Je viens à peine de finir celui de ce matin. On dirait que la maison est en super-production en ce moment.
-On dirait..
Mamadou renifle une nouvelle fois.
-Hé,ça sent bon doc, qu'est-ce que c'est , le type de ce matin?
-Très drôle, répond le docteur en descendant de son tabouret.
Il attrape le grand torchon qui pend à sa ceinture, s'essuie les mains et, pour la première fois, regarde le corps sur la table. Il se penche au-dessus du malade, son expression ne change pas.
Son doigt remonte la paupière de Stanislas Valke. Le maire de Veninsart pousse un petit gémissement à peine perceptible.
-Alors? demande le blondinet.
Le docteur fait la moue
-Le foie, sans aucun doute.
-Monsieur préconise une bonne cure de sommeil, ironise le blondinet.
-Oui, il a tout à fait raison, répond Klax en exhibant une rangée de longues dents malsaines,rien de tel...
Le calme et le repos..
-Oui, le repos éternel... glisse le blondinet.
-Celui auquel nous aspirons tous...approuve le doc en levant les yeux au ciel.
(A suivre)

lundi 9 mai 2011

Un dimanche comme les autres



-Moi j'dis qu'on protège pas assez la nature !
L'homme est petit, râblé. Des cheveux filasses dépassent de son chapeau de cuir très à la mode dans les années soixante-dix. On ne peut voir ses yeux, dissimulés derrière une paire de Ray-ban Aviator. 
-T'as raison, fait l'autre, un quadragénaire filiforme aux yeux de fouine qui porte un tee-shirt de Ché Guévara.
Le pilote au chapeau grimace.
-C'est dingue toute cette merde..
-Ouais, approuve l'autre en dodelinant de la tête.
Les deux  avalent une généreuse lampée de rosé-pamplemousse. Le geste est parfaitement synchronisé, la descente  identique.
-Regarde ma fille, reprend l'aviateur. Elle est allé chercher une yourte en Mongolie...
-Pas possible?
-Bah si..Ce truc, c'est vachement bien. Et pis, c'est écolo..
-Oui, j'ai un copain qui..
-Eh ben, la yourte, elle a coûté 7000 euros.
-Non ! Tu m'aurais annoncé le double, j'aurais pas tiqué..
(Deuxième tournée de rosé-pamplemousse)
Nez de fouine achève le premier. Il tente de reprendre l'offensive.
-Mon pote, il est écolo à mort... Chez lui, c'est...
-5o mètres carrés qu'elle fait la yourte.. C'est bien suffisant.
-Oui, c'est sûr. Et pour le chauffage?
-Y'a un poêle .. Pis c'est étanche, faut voir ça!
-Ouais, c'est ce que m'a dit mon pote..
-C'est bien que les gosses y soient écolos.. Ca me rassure.
Un long cri strident vient interrompre la conversation. C'est la maîtresse de maison qui rappelle à l'ordre son mari. La viande est en train de carboniser sur le barbecue.
Les deux en profitent pour s'installer à table.
-C'est comme la bouffe... on mange que de la merde, attaque l'homme au chapeau en casant sa bedaine.
-J'ai grossis de quatre kilos depuis que j'ai arrêté la clope, répond nez de fouine.
-T'as pas arrêté le pinard au moins ? ironise l'homme au chapeau en saisissant la bouteille de rosé.
-Non, ça risque pas, rigole l'autre en tendant son verre.
Les deux regardent les petits morceaux de charbons qui dégringolent dans leurs assiettes . Ils avalent la salade de pomme de terre, les légumes, les saucisses, les côtes de boeuf , dans le même rythme, le même tempo.
A la question : de la crème anglaise avec le gâteau au chocolat ? les deux répondent oui en même temps.
-J'sais pas où va le monde mais, il y va, philosophe l'aviateur en se carrant un cure-dents entre deux incisives .
-C'est sûr, approuve celui qui est devenu son pote, en  s'apercevant qu'il a fait une tâche sur le béret du Ché.
-Le pire c'est que les gens s'aperçoivent  même pas de leur connerie !
-Ca c'est bien vrai ! Au fait, qu'est-ce que tu fais dans la vie?
-J'travaille  dans le pétrole. Pour une grosse boite.
Nez de fouine est impressionné.
-Et ça marche... J'ai un copain qui m'a dit qu'on aurait pu de pétrole bientôt.. C'est pour dans dix ans, à ce qui paraît.
-Pfff ! J'men tape. Moi, encore six, sept ans, et je me casse.
-Tiens, j'ai senti une goutte, annonce nez de fouine.
-Y'a pu de saison, grimace l'homme au chapeau.
-Thé ou café? demande la maîtresse de maison.
-J'reste au pinard, pas de mélange, répond  nez de fouine.
Tous le monde se marre. Un gros nuage noir vient cacher le soleil.
-J'me gèle, dit une femme.
-Hé, vous avez vu, ils ont remis le couvre-feu à Tunis, lance quelqu'un.
En bout de table, on réagit:
-Ouais, on s'demande bien comment ça va finir cette p..... de révolution !
-Si ça continue, y vont regretter B.A.
-Nous, on a commencé à rassembler nos affaires...
-Chut ! dit la maîtresse de maison.
-Pourquoi, t'as peur d'être enregistré, blague son mari. On n'est pas à la fédé !
-Combien t'as dit pour ta yourte? demande nez de fouine.
Julius Marx

vendredi 6 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (25)

-Relevez-vous !
-Vous êtes pitoyable! 
Mais, pourtant, le Maire reste à genoux, les yeux baissés.Il sanglote.
Le blondinet grimace, laisse son regard errer sur les tableaux des grands hommes, encore..
Il s'arrête sur Robert Guiscard. Cheveux noirs très frisés avec un menton carré, volontaire. Son visage buriné d'homme de la terre ne colle pas avec la classe de ses vêtements.
-Ca suffit ! hurle Monsieur
Le blondinet détaille les mains de Guiscard . Des mains puissantes aux ongles soignés, croisées sur ses genoux.
Il se demande combien de coups de poing ces jolies mains manucurées ont dû flanquer pour conserver le pouvoir. (1956-1986) le blondinet soupire.
Un claquement sec, une gifle.
Le blondinet voit le corps du maire qui s'étale sur le parquet. Penché au-dessus de lui, Monsieur ordonne:
-Tu vas aller te reposer  un peu pendant que je règle cette affaire.
Le blondinet sait qu'il dot maintenant entrer en jeu. Il s'avance.
-Quelques jours de clinique et tu nous reviendras en pleine forme, ironise Monsieur.
Le Maire veut se relever mais glisse, il est maintenant à quatre pattes comme un petit chien.
Le blondinet l'attrape par le bras.
-Non, non, laissez-moi, je ne veux pas! 
Le blondinet ressert son étreinte. Sa poigne fait grimacer de douleur le maire.
-Vous me faites mal! Brute !
Le blondinet grogne et jure entre ses dents. Il pense aux deux autres, le cul bien calé dans la voiture.

La porte à peine refermée sur le blondinet et son encombrant colis Monsieur dit :
-Alors, qu'est-ce que vous proposez?
Les deux flics de Veninsart reculent ensemble, frappés par le ton volontairement sarcastique de la question.
Le chef Ducasse avale difficilement sa salive et se décide.
-Vous disiez que cet homme, ce détective... était... mort? 
-Je l'ai dit 
-Pourrions nous, si possible, voir le corps?
Monsieur fixe le Ducasse, incrédule.
-Qu'est-ce que vous espérez, une autopsie?
-Il est de mon devoir de..
-Epargnez-moi ce chapitre ! explose Monsieur... Le devoir maintenant ! 
Il tape de nouveau du poing  sur le bureau. Ducasse sent le coup de poing au plus profond de lui-même.
Sa tête de tortue entre à l'intérieur de sa carapace.
Monsieur lève les yeux au ciel.
-Ah! vous et vos méthodes de flics! 
Puis, il pointe son gros doigt en direction de Blanquart.
-Vous trouverez le corps à la clinique
Satisfait de devoir quitter le bureau, Blanquart se précipite. En trois pas seulement, il est déjà devant la porte, agrippe la poignée et file.
Lorsque la tête de Ducasse ressort  de sa carapace, il voit Monsieur fondre sur lui.
Il tente une faible esquive sur le côté mais le chef de l'association Colombophile le saisit fermement par le revers de son imper.
-Ecoutez bien ce que je vais vous dire mon vieux. Je vais régler son compte à celui qui est derrière tout cela, même si je suis obligé de faire sauter cette foutue ville !
Il frappe le front du chef de la police avec son index.
-Réfléchissez un peu , ce détective avait rendez-vous à la poste non? 
Ducasse cligna des yeux
-Bien, et pourquoi, à votre avis?
-Pour vendre le film...
-Exact, le coupe sèchement Monsieur . A qui?
Le revers de l'imper se déchire de 20 bons centimètres. Ducasse ne s'en soucie guère, il grince des dents.
-A qui? crie Monsieur
-Je ne..
Ducasse se sent projeté vers l'arrière. Il fait deux grands moulinets avec les bras, vacille et tombe sur le cul.
La douleur lui arrache une grimace.
-Richard , hurle Monsieur, les yeux injectés de sang.
Ducasse avale sa salive.
-Maître Richard...articule-t-il dans un râle.
-Oui, parfaitement. Richard le gros porc ! Il veut prendre ma place !
Monsieur fait le tour du bureau, il lève le bras au ciel, invective. On jurerait qu'il adresse aussi aux types dans les tableaux.
-Cet imbécile s'imagine qu'il est capable  de diriger une organisation comme la mienne! Il  ne suffit pas d'expulser des loqueteux ou de saigner des commerçants pour pouvoir prendre ma place.Il faut de la poigne ! Vous m'entendez, de la poigne !
Ducasse s'est relevé. Il tente de reprendre contenance.
-Mais... Enfin.. Richard, il est des nôtres..C'est impossible..
-C'est une certitude! reprend Monsieur. Le détective a lâché son nom à mes hommes avant de mourir.
Alors, vous allez me le prendre par les couilles et vite! 
-Mais... se risque Ducasse.. Vous ne pensez pas qu'il faut avertir..
-Laissez-moi décider qui doit être averti. Occupez-vous de Richard, c'est tout.
-J'aimerai mieux, enfin, avec vos hommes, vos méthodes..
Monsieur fait un grand geste du bras. Le chef de la police recule.
-Non, je veux l'avoir d'une manière légale. Vous allez le faire tomber pour pédophilie  ou un autre truc du même style.Il faut que  ça marque les esprits, c'est important. Après ça, il ne lui restera qu'une seule solution : se tirer une balle dans la tête.
Le chef de la police tremble. Son corps tout entier devient mou et  flasque.
Monsieur s'approche de lui. Ses yeux sont deux points brûlants.
-Exécution !
(A suivre) 


mercredi 4 mai 2011

Peur sur la ville



C'est le grand retour de la peur. Evidemment, comme à son habitude, elle ne revient pas seule. Dans ses bagages, la rumeur s'est cachée comme au bon vieux temps de l'insécurité.
L'insécurité qui justement est le sujet de conversation privilégié par tous. Première information vérifiable, deux prisons ont brûlées dans le Sud du pays et la plupart des détenus se sont fait la belle. Il n'en faut pas plus pour titiller l'imagination. Ces hordes de prisonniers assoiffées de sang vont débarquer dans notre ville, spolier nos biens, s'emparer de nos 4x4 et peut-être même brûler nos super-marchés! Du coup, ceux qui n'ont pas encore remplacé leurs vitrines brisées et qui se sont contentés de monter des murs de briques à la place se frottent les mains.
Autre information, mais celle-la malheureusement invérifiable, c'est l' escalade du nombre de petits délits ; cambriolages, vols de voiture etc. Cette affirmation, relayée par tous, du chauffeur de taxi qui refuse maintenant de travailler la nuit et qui me montre fièrement le gourdin caché sous son siège au chef d'entreprise qui  souhaiterait beaucoup plus de fermeté et pourquoi pas le retour d'un dictateur "soft", est devenue une évidence. Impossible de savoir la vérité ni de connaître les chiffres car, de statistiques ici  il n'y a point et puis, depuis le régime B.A. le peuple se méfie des pourcentages, comment lui donner tort?
Et chacun de  raconter son histoire, le plus souvent celle de voisins ou d'amis proches, innocentes victimes de bandits armés de longs couteaux, s'emparant de l'écran plasma ou du four à micro-ondes.
Ce qui est sûr et que l'observateur avisé peut remarquer très facilement , c'est l'inquiétante "mauvaise humeur" des habitants. Le sourire n'est plus de mise, remplacé par le grognement ou la grimace.
L'Europe, qui connait bien ce genre de situation, est donc habituée à gérer le phénomène. Le remède est aussi simple que le mal : on désigne un bouc-émissaire. L'heureux élu, recroquevillé au fond du bateau qui doit le mener à Lampedusa, ne le sait pas encore. Pour l'instant, il se contente de regarder les étoiles en demandant à son voisin, qui fait le voyage pour la troisième fois, si la terre promise est encore loin.
L'autre lui  répond que non. Pour l'apaiser et pour qu'il lui fiche la paix. Il pense à l'odeur du jasmin, des orangers en fleurs, du tabac aromatisé à la pomme que l'on fume dans les chichas, de l'huile d'olive et à
l' indescriptible couleur du ciel, chez lui, à Djerba.
Julius Marx


 

mardi 3 mai 2011

That's entertainment !


Oussama  Has Been Laden. Très bien, Hollywood va donc pouvoir mettre en chantier une super-production.
Les bons, épris de liberté et de justice, qui  combattent le méchant et sa troupe de fanatiques. Le type des effets spéciaux s'en donne à coeur joie dans la séquence finale de l'attaque de la maison au Pakistan. Hémoglobine sur les beaux canapés, taillage de barbes en règle, avec plans intercalées du président qui suit la scène depuis son bureau ovale, télécommande en main. La réalisation,confiée à un ancien des studios Disney, est efficace et soignée et les tee-shirts sont en cours d'impression. Bref, le vilain meurt à la fin et le héros embrasse l'héroïne pendant que l'ambulance s'en va et que les policiers dispersent les badauds.  Générique.
Les britanniques s'essaient  eux aussi à la super-production en remplaçant l'ambulance par un carrosse, beaucoup plus British, et en multipliant le nombre de figurants par 1000.
Le dénominateur commun  de tout cela, c'est le rêve bien sûr. Car, nous avons tous besoin de rêver. Nous avons tous le secret espoir d'embrasser un jour une fille comme Hillary Duff ou les jumelles Olsen dans un   beau carrosse doré ou de porter un magnifique chapeau jaune citron comme celui de la Queen.
Le héros : c'est peut-être lui  le grand absent des révolutions arabes? Impossible de citer le nom  d'un valeureux guerrier défenseur du peuple, idéaliste, sans peur et sans reproche.Un homme capable de rassembler, de fédérer tous les espoirs, et de se marier avec une héroïne.
Celui de la Tunisie s'est immolé par le feu ( image choc, certes, mais pas très porteuse) et il ne reste que des penseurs du onzième , douzième, ou quatorzième siècle.
Alors qui? Une star de cinéma? Impossible, ils sont tous "vieux jeu" (dans tous les sens du terme).
Une icône du ballon rond? N'y pensez pas ! Les pauvres vivent dans l'ombre des plus grands et aucun n'a de contrat avec Nike, Adidas ou une marque de shampoing  anti-pelliculaire.
Et pourquoi pas un écrivain, un poète, de ceux qui font souvent changer le monde? Ah, oui... Pourquoi pas?
Mais, avez-vous déjà vu un homme du peuple avec un livre dans les mains?
Alors, dans ces conditions, il ne reste que les méchants dictateurs, les militaires de pacotille avec leurs médailles en chocolat, leurs magnifiques lunettes de soleil, leurs villas luxueuses et surtout leurs beaux 4x4 avec des roues beaucoup plus grosses que ceux des carrosses.
Avec eux, on peut être tranquilles, pas de soucis pour le scénario : bombardements, courses poursuites, combats à  mains nues, interrogatoires musclés, assassinats et scènes de liesse populaire.
Un seul petit bémol pourtant, la scène finale sera très largement écourtée car le héros ne va pas prendre le risque d' embrasser l'héroïne en public.
Au fait, vous avez noté le nom de code pour l'opération Ben Laden : Géronimo.
Sacré Américains! Le spectacle encore et toujours..
Julius Marx

lundi 2 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (24)

-Sur le podium
Monsieur le maire achève son discours. Rien ni personne n'a été oublié, tous sont récompensés, flattés, caressés.
Les novices, se croyant dans un concert de jazz, avaient applaudis entre chaque respiration de l'orateur. Les autres s'étaient contentés de hocher la tête, en suivant le rythme.
La conclusion est proche. Tous s'en félicite secrètement.
Caché derrière une grosse femme qui scalpe les bouts de sa saucisse cocktail avec une étonnante technique, Outis tend le bras pour saisir une flûte remplie d'un liquide jaunâtre.
-Très risqué, fit une voix derrière son dos.
Outis stoppe net son geste, se retourne. Il se retrouve face à un homme portant une costume pied-de-poule bien trop étroit pour sa corpulence. Sous ses gros sourcils hérissés, ses petits yeux brillaient férocement.
-Sage décision, dit l'homme.
Il fait un geste en direction d'un serveur. L'interpellé rapplique ventre à terre.
-Donne-moi  ma bouteille..
 Happé dans sa course par cet ordre bref, le serveur pivote et repart dans l'autre direction, tête baissée.
-Sans le travail, le talent n'est rien, claironne  le maire.
Le loufiat est de retour. Il sert deux verres avec précaution, prenant garde de ne pas en mettre une goutte à côté.
L'homme et Outis l'observent attentivement. Puis, l'homme prend les deux verres, en tend un à son invité.
Pendant qu'il avale une généreuse lampée du sien, Outis l'imite. L'homme mâche le vin quelques secondes et se décide à le laisser glisser le long de sa gorge.
-Une nouvelle ville va naître, annonce le Maire.
L'homme observe Outis. Les bras croisés, sans mot dire.
-Banyuls, lâche Outis... Je lui donne dix ans, au moins.
L'homme titube. Outis se demande si c'est une petite larme qu'il voit perler sous son oeil droit.
-Maître Richard, notaire à Veninsart annonce l'homme en tendant sa main. Enchanté de saluer un vrai connaisseur.
-Et je vous demande de les applaudir encore une fois, demande le maire.
Les chauffeurs de salle donnent le signal, les autres suivent. Le vacarme dure quelques minutes.
-Où avez-vous trouvé cette merveille? demande Outis, une fois le calme revenu.
Il se trouve devant une femme  au sourire pincé.
-Qu'est-ce que vous dites?
Le notaire avait disparu.


Une inscription en lettres dorées  "Bureau de Mr le Maire" 
Le blondinet  écarte l'huissier du bras et pousse la porte à double-battant. Il se retrouve dans une grande pièce  onde au parquet luisant.
Il voit :  au centre du croquis de Giotto, un bureau moderne, des bibelots insignifiants, des dossiers.
Au mur, sept tableaux aux cadres guillochés. Dans les tableaux, les bobines austères des anciens sages de la ville le regardent. Moustaches, lorgnons, cols droits,nez aplatis, lèvres épaisses, crâne de mongols, une centaine d'années d'autocratie poussiéreuse le toise avec dédain.  Les double-rideaux sont tirés, la lumière vient d'une grosse lampe avec abat-jour galonnés d'or  posée sur le coin du bureau.
Monsieur est assis dans le fauteuil du maire. Il fait tourner machinalement un crayon à papier dans sa main.
-Il arrive, annonce le blondinet, sans oser s'avancer plus avant dans la pièce.
Monsieur se redresse légèrement puis, il brise le crayon en deux parties. Les deux parties dégringolent sur l'épais tapis blanc de haute laine , frappé des armoiries de la ville de Veninsart.


Le maire est surpris
Il entre dans son bureau en marchant lentement. Son regard  glisse sur les tableaux puis vient se poser sur Monsieur, assis dans son fauteuil.Ses mains tremblent. Il toussote.
-Qu'est-ce que...
Une porte attenante s'ouvre. Deux hommes entrent. Le premier est Blanquart. Il est semble décontracté, il suçote un petit cigarillos à embout de plastique. L'autre fait une sale tête.Son visage blanc, presque livide, est entièrement défiguré par une affreuse grimace. Blanquart s'arrête. L'autre se dirige vers le bureau.
Ses  grosses chaussures à semelles de crêpe produisent un bruit désagréable au contact du parquet.
Monsieur se penche en avant, joint ses mains à hauteur de sa bouche et expulse un profond soupir.
Visage pâle s'arrête net. Il se fige sur place, visage torturé, corps désarticulé.
-Alors ? demande Monsieur
-Nous... nous l'avons perdu, souffle difficilement visage pâle. Son regard est fuyant, dirigé vers le sol.
-C'est ce putain de détective! intervient Blanquart
Monsieur fixe Blanquart. L'inspecteur se sent transpercé. Il se met illico au garde-à-vous, les doigts collés à la couture de son pantalon.
Le blondinet remarque qu'il a les ongles sales et que le bas de son pantalon porte des traces de boue.
-Je n'aime pas qu'on jure, dit  Monsieur
Blanquart vacille
-Et j'ai horreur du tabac !
L'inspecteur cherche des yeux quelque chose, ne trouve pas, écrase finalement son cigarillos entre ses deux doigts. Des flammèches tombent sur le parquet.
-Le détective est mort,reprend Monsieur.
L'inspecteur chef relève la tête.
-Ha, bien..
-Bien ! gronde Monsieur, c'est tout ce que vous trouvez à dire !
Il cogne du poing sur le bureau/ tous sursautent.
-Je veux ce film, vous entendez ? Qui d'autre à pu le visionner, existe-t-il des copies? Comment est-il arrivé dans les mains du détective? Voila les questions qu'un vrai policier doit se poser!
Rien n'est réglé Ducasse... Au contraire, tout ne fait que commencer ! vous comprenez ?
Ducasse hoche la tête.
Subitement, le maire tombe à genoux. Il demeure un instant immobile comme le pénitent totalement absorbé par une prière. Puis, il secoue la tête...s'étrangle
-Foutu, je suis foutu...glapit le Maire de Veninsart.
(A suivre)

dimanche 1 mai 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (23)

Des bruits de pas, elle sursaute, tourne la tête
Une brigade complète de fielleux-domptés. Les vieux en tête, les jeunes derrière, portant cartons, verres et bouteilles.
-Ah! La réception.. Fit-elle en faisant  gracieusement volte-face
Outis admire en connaisseur. Elle s'arrête, pose son regard sur Outis
-Dites-moi, les chercheurs sont-ils toujours aussi observateurs?
-Toujours, répond Outis en dodelinant de la tête . Mais, ça dépend des sujets observés.
Elle sourit/ le quitte et va à la rencontre des employés. Quelques ordres brefs et une grande table aux pieds torsadés est recouverte d'une nappe blanche. Ensuite, les verres et les plats / les employés s'affairent/ Sarah Baum supervise / Outis déniche un fauteuil qui peut facilement contenir trois individus  de même taille et de même corpulence que lui.

Parade
On perçoit des rires étouffés, des éclats de voix venant du grand hall. Un colosse drapé d'oripeaux rouges et flottants fait son entrée. Sur sa tête, on ne peut que remarquer ce drôle de petit chapeau rouge à la forme de cloche. Les fonctionnaires mâles et femelles suivent. En retrait, arrive un jeune asiatique maigrelet aux yeux aussi rapprochés que ceux d'un poisson. Il nage dans un petit costume de drap noir. Il ne marche pas, se contente seulement de glisser sur le parquet.
Pendant ce temps, le sémaphore lève les bras, explique, conceptualise. La basse-cour caquette..
-Les architectes, explique Sarah en revenant près d'Outis.
-J'ai déjà vu le même genre de couple au cirque, dit Outis.Un clown blanc et puis l'Auguste.
La jeune femme sourit.
-On ne s'en lasse pas.
-Comment?
-Votre sourire, on ne s'en lasse pas.
La troupe rejoint le buffet. Les poules se mettent à picorer les petits fours.
-Ces gens-là sont passionnés d'architecture, ironise Outis, ça se sent.
Des cris... Autres entrées en scène... La représentation se poursuit.


Trois sorcières
Une grande brune avec le cou d'autruche de la Demoiselle Rivière d'Ingres. Un autre recouverte de bijoux , corbeille de fruits rouges sur chignon torsadé. La troisième , petite et gironde avec un nez busqué, des verres  de lunettes sans armature, serrant contre sa poitrine un gros sac à main en peau de crocodile.
Puis, entrent enfin les courtisans et gens de suite. Plus silencieux, respectueux, fiers d'avoir étés conviés.
Outis regarde Sarah, un sourie calé sur  sur ses lèvres.

Il arrive par une porte dérobée
Le monarque est rondouillard et porte un costume de collégien. Ses cheveux, coupés en courte brosse, forme une couronne grise sur son crâne ovoïde. Il a le sourire affable.
-Mes amis, bienvenus à tous! crie-t-il d'une voix insupportablement aiguë, stridente.
Sa dame de coeur le suit. Frêle créature d'une pâleur extrême, comme née d'un pan de fumée, elle peine sous le poids d'une imposante chevelure crêpée d'un blond filasse.
Le Roi se plante au beau milieu du colisée, résidentiel, monumental, autocratique.


Ses yeux balaient lourdement la surface des choses: les maquettes, les tables, les employés, les invités.
Sa moitié tente de lui attraper le bras. Il l'écarte comme un bagage encombrant. Chancelante, elle se fait happer par un groupe de rombières en goguette.
Le Roi se dresse alors sur la pointe des pieds. Il a repéré sa proie, il fonce droit devant. En quelques pas seulement, il rejoint le petit asiatique et le capture. L'architecte bat des bras, fait "non" de la tête.
-Je vous présente Stanislas Valke, maire de Veninsart, dit Sarah Baum dans un soupir. Je vais être obligée de vous abandonner, le travail m'appelle.
-Vous me manquez déjà, répond Outis.
La moitié gauche du visage de Sarah se fend d'un sourire câlin, la moitié droite s'occupe du maire et de ses sbires.

Dehors
Une  magnifique et très régulière gerbe d'eau croupie s'abat sur le malheureux passant.
L'homme se retourne , trempé, furieux, prêt à en découdre illico.
-Eh! oh! cavapasnon! Zétesfousouquoi !
Le blondinet ne prend pas la peine de regarder le passant. Il aide Monsieur à sortir de la voiture. Les deux hommes se dirigent vers la mairie.
-Alorsquoi? Bandes de malélevés!
Nez de boxeur jette un regard venimeux sur la figure congestionnée qui s'aplatit sur le pare-brise.
Le passant frappe à la vitre.
Nez de boxeur ouvre brusquement la portière. Le passant est projeté vers l'arrière et dégringole dans le caniveau.
 Installé au volant, Mamadou part d'un grand rire tonitruant en voyant le type dans la boue, agiter ses bras et ses jambes comme un cafard retourné sur le dos.
Nez de boxeur toise le cafard.
-Dégage!
Le passant se met difficilement à genoux puis debout. Il s'éloigne en chancelant.
Nez de boxeur retourne dans la voiture. Il soupire, actionne les essuies-glace puis, tourne la tête en direction de Mamadou. Le Burkinadé lui adresse un beau et grand sourire.
-Pourquoi tu rigoles tout le temps ? demande nez de boxeur
-Parce que... la vie est belle non, patron ?  répond Mamadou.
-Ouais.. Grogne nez de boxeur
-Alors moi, je rigole.
Nez de boxeur n'écoute plus, il fixe le bras de l'africain.
-Chouette ta montre, dit-il en dodelinant sa grosse tête.
(A suivre)