jeudi 26 avril 2012

Histoires comme-ci, comme çà (5)




Comment je suis devenu un dangereux révolutionnaire.

Tunis, juin 2005.
En Tunisie, on peut considérer que la période des fêtes est celle du Ramadan. La télévision  occupe évidemment une part importante des longues soirées. Les séries ramadamesques tout spécialement écrites pour l'occasion  sont  les plus populaires de la télévision d'Etat.
Cette année-là, je viens d'arriver dans le pays et un producteur me confie la tâche d'écrire la quasi-totalité des 30 épisodes de l'une  de ces séries appelée : Halloula et Slim.
L'histoire est simple, nous suivons la vie quotidienne d'un couple de jeunes mariés.
Nous sommes assis, ce matin-là, à la terrasse d'un café de Sidi-Bou-Saïd. Si le vent me caresse agréablement, le café est un des plus amers que j'ai jamais bu.
(Grimace)
-C'est gentil, mais je ne connais pas grand-chose de la vie des jeunes d'ici.
-T'es méditerranéen ou pas?
-Oui, mais..
-Pas de mais, vas-y. On perd du temps à discuter.
(Autre grimace)
Dans un premier temps, je visionne les séries des années précédentes. Sans comprendre  un mot, je décide de focaliser simplement mon regard sur les structures.Je comprends assez vite pourquoi dans le métier on appelle ces feuilletons les séries "canapé". Pour ne pas perdre trop de temps en changeant l'angle des prises de vues et la lumière, l'action se déroule en quasi-totalité dans le salon, sur le canapé. Après de longues heures d'effort, sans avoir déniché la plus petite ligne dramatique, je décide de jeter l'éponge. Je mange un des petits gâteaux apportés par la secrétaire. J'ai l'impression d'avaler une bonne cuillère de sable du désert.
(Téléphone)
-Alors, tu avances ?
-Ca , ça va...
-Tu veux un café, quelque chose?
(Gargouillis d'estomac contrarié)
-Non, merci.
-J'ai oublié de te prévenir : pas de baisers ni d'étreintes entre les mariés, et puis, impossible de les voir siroter un petit verre, le ramadam tu comprends ?
-Oui, bien sûr.
Le lendemain, j'ai tout de même pondu quelques sujets  articulés à partir de trucs universels comme la jalousie, la cupidité etc. Le producteur s'arrache ce qui lui reste de cheveux pour la traduction.
Quelques semaines plus tard, nous sommes en tournage dans une banlieue chic de la capitale.
L'appartement des jeunes mariés est assez joliment décoré et l'atmosphère serait propice à la création si la température intérieure n'avoisinait pas les 50 °! Entre chaque prise, les comédiens et les techniciens se ruent sur les deux balcons pour respirer un peu d'air à 35°. L'emploi des deux énormes ventilateurs fait sauter l'installation électrique, nous capitulons.
J'apporte le script de l'épisode 18, remanié. Dans cette histoire, la mère d' Halloula soupçonne son mari d'être infidèle. Elle vient pleurer sur le canapé trois-places de sa fille qui lui demande comment elle a découvert la chose. La maman répond que son mari s'est subitement teint les pattes jusque-là grisonnantes. A la lecture du manuscrit, le producteur éclate subitement de rire. Il appelle le chef-opérateur qui, après consultation de mon chef d'oeuvre se tord lui aussi de rire. Bientôt, c'est l'équipe toute entière et les comédiens. J'apprends que le président se teint les cheveux lui aussi depuis belle lurette!
-Comment as-tu deviné?
-J'ai pas deviné...Mais, t'es sûr de ça?
-C'est évident. Tu as vu les affiches, il a l'air d'avoir 40 ans, pas plus.
Mais, ce n'est pas tout. L'épilogue va déclencher une fois encore l'hilarité générale.
Dans la dernière scène, nous apprenons que le papa est amoureux d'une coiffeuse. Cette fois-ci, le costumier et le décorateur sont au bord de l'évanouissement, on ranime l'assistant-opérateur.
- Qu'est-ce qu'il y a encore, le président a travaillé dans la coiffure?
-Non, sa femme, souffle à voix basse le producteur en tentant de reprendre une respiration normale. Toi alors, t'es un rapide, tu sais déjà tout cela... Tu veux nous envoyer en prison ou quoi?
Devant ma mine défaite, il comprend  que tout ceci n'était que le fruit du hasard. Il me tape sur l'épaule et me demande :" Tu veux un café?"
Voila pourquoi,  sans même porter ni la barbe ni le béret, on m'a surnommé pendant toute la durée du tournage le Ché.
Julius Marx



lundi 23 avril 2012

Avant d'aller voter (suite)


 



 
Lors des élections législatives de 1898, le journaliste satirique Zo d’Axa – pseudonyme d’Alphonse Gallaud de La Pérouse et descendant de l’illustre navigateur – surnommé le « mousquetaire de l’anarchie », informe les lecteurs de son journal La Feuille, dont 25 numéros paraîtront entre octobre 1897 et mars 1899, qu’il a trouvé le candidat idéal à même de réconcilier les abstentionnistes avec le vote : un âne blanc appelé Nul. Le jour des élections, « la Bête qu’il faudrait à la Belle Démocratie » traverse Paris entourée de ses partisans, déclenchant une bagarre et entraînant l’intervention de la police
Ces élections sont pour Zo d’Axa l’occasion de consacrer trois numéros de sa Feuille à l’abstention et aux travers du système électoral, son âne offrant enfin la possibilité aux mécontents refusant d’ordinaire d’apporter leurs voix, « de voter blanc, de voter Nul, tout en se faisant entendre ».

Zo d’Axa, pseudonyme
d’Alphonse Gallaup de La Pérouse
LE CANDIDAT DE LA FEUILLE (La Feuille n°9)
Simples Réserves 
J’avais toujours cru que l’abstention était le langage muet dont il convenait de se servir pour indiquer son mépris des lois et de leurs faiseurs. Voter, me disais-je, c’est se rendre complice. On prend sa part des décisions. On les ratifie d’avance. On est de la bande et du troupeau. Comment refuser de s’incliner devant la Chose légiférée si l’on accepte le principe de la loi brutale du nombre ? En ne votant pas, au contraire, il semble parfaitement logique de ne se soumettre jamais, de résister, de vivre en révolte. On n’a pas signé au contrat. En ne votant pas, on reste soi. On vit en homme que nul Tartempion ne doit se vanter de représenter. On dédaigne Tartalacrème. Alors seulement on est souverain, puisqu’on n’a pas biffé son droit, puisqu’on n’a délégué personne. On est maître de sa pensée, conscient d’une action directe. On peut faire fi des parlottes. On évite cette idiotie de s’affirmer contre le parlementarisme et d’élire, au même instant, les membres du parlement.Je me garderai d’insister. Dans le peuple même on perd la foi : les derniers électeurs ricanent. Le paysan renonce à implorer. L’ouvrier songe à d’autres moyens… Rien de bon n’est sorti de l’Urne. Jamais, pour cause de misère, il n’y eut autant de suicides. Qu’a-t-on fait contre le chômage ? Que n’a-t-on pas fait contre la pensée ? Lois d’exception, lois scélérates… Bientôt, plus que le suffrage, le dégoût sera universel. Je tiens pour prudent de décréter vite le fameux vote obligatoire. Sans cela, au vingtième siècle, je présume que les fonctionnaires seraient seuls en carte d’électeur. Voterait, par ordre, l’état-major. Voteraient aussi les magistrats, les recors [officier de justice] et les gens de police. L’Urne, dont rien n’est sorti de bon, serait la boîte à Pandore — le gendarme.
(...)
Le plus Digne 
La conquête de quelques fiefs électoraux par tels ou tels chefs de partis serait d’ailleurs insuffisante pour modifier la situation. On rêve plutôt d’une sorte de boulangisme qui permettrait aux honnêtes gens de manifester à la fois, et sans la moindre ambiguïté, sur toute la surface du pays. On voudrait qu’un cri populaire résumât les aspirations, les colères, ou, tout au moins, les mépris d’une nation qu’on a trop bernée…
C’est pénétré de cette pensée que nous sommes allé, dans sa retraite, trouver un Maître auquel personne n’avait songé, un modeste dont personne pourtant ne niera la signification précise. Aujourd’hui, l’honneur m’échoit de présenter ce maître au peuple. On l’appelle Maître Aliboron. Ceci soit pris en bonne part. L’âne pour lequel je sollicite le suffrage de mes concitoyens est un compère des plus charmants, un âne loyal et bien ferré. Poil soyeux et fin jarret, belle voix.
Un âne, vous dis-je — quatre pattes et deux grandes oreilles. Un âne qui brait et doit penser, en voyant grouiller les bipèdes,
… les juges, les huissiers,
Les clercs, les procureurs, les sergens, les greffiers ;
Ma foi, non plus que nous, l’homme n’est qu’une bête !



Pour lire la suite et la fin de cet article qui nous réchauffe le coeur , il faut aller sur le site de la mairie de Vieille-Eglise : V.eglise.online.fr
Si vous vous demandez ce que je vais faire sur le charmant site de la charmante bourgade de  Vieille-Eglise, la réponse viendra elle aussi très bientôt 
Julius-Marx



samedi 21 avril 2012

Avant d'aller voter


Juste un petit texte à lire (à relire pour les anciens de ce blog) avant d'aller déposer son bulletin dans l'urne.

Tu me flattes, dit Gohar. Les affaires vont bien?
-Dieu est grand! répondit le mendiant. Mais, qu'importe les affaires.
Il y a tant de joies dans l'existence. Tu ne connais pas l'histoire des élections?
-Non, je ne lis jamais les journaux.
-Celle-là , n'était pas dans les journaux. C'est quelqu'un qui me l'a racontée.
-Alors, je t'écoute.
-Eh bien, cela s'est passé il y a quelques temps dans un petit village de Basse-Egypte, pendant les élections pour le maire. Quand les employés du gouvernement ouvrirent les urnes, ils s'aperçurent que la majorité des bulletins de vote portaient le nom de Barghout. Les employés du gouvernement ne connaissaient pas ce nom là; il n'était sur la liste d'aucun parti. Affolés, ils allèrent aux renseignements et furent sidérés d'apprendre que Barghout était le nom d'un âne très estimé pour sa sagesse dans tout le village. Presque tous les habitants avaient voté pour lui. Qu'est-ce que tu penses de cette histoire?
Gohar respira avec allégresse; il était ravi. "Ils sont ignorant et illettrés, pensa-t-il, pourtant ils viennent de faire la chose la plus intelligente que le monde ait connue depuis qu'il y a des élections." Le comportement de ces paysans perdus au fond de leur village était le témoignage réconfortant sans lequel la vie deviendrait impossible. Gohar était anéanti d'admiration. La nature de sa joie était si pénétrante qu'il resta un moment épouvanté, à regarder le mendiant. Un milan vint se poser sur la chaussée, à quelques pas d'eux, fureta du bec à la recherche de quelque pourriture, ne trouva rien et reprit son vol.
-Admirable! s'exclama Gohar. Et comment se termine l'histoire?
-Certainement, il ne fut pas élu. tu penses bien, un âne à quatre pattes! Ce qu'ils voulaient, en haut lieu, c'était un âne à deux pattes.

Albert Cossery - Mendiants et orgueilleux -1955
(Julliard)

vendredi 20 avril 2012

Histoires comme-ci, comme çà (4)



Comment j'ai raté l'occasion de me faire un ami

Londres, 1984. Exposition sur le thème de la nature morte au fil du temps.
Après une petite heure de déambulation, je m'arrête devant un Paul Klee.
Rien de tel pour souffler un peu, réfléchir.
En route pour le pays des songes, je maudis celui qui me fait retomber dans la morne réalité en toussant derrière moi. Peut pas aller s'éclaircir la gorge ailleurs, non mais des fois!
Je me retourne, j'vais lui montrer au malotru comment il faut se comporter devant un Paul Klee.
Le type se tient droit comme un I. Impossible de lire quoi que ce soit sur son visage.
-Pas possible, mais c'est Michael Palin ! Bon sang...je dois rêver.
Arrêtes de le dévisager comme ça mon bonhomme, remets-toi. Il va croire que t'es louf.
Je retourne au tableau. Mais, le coeur n'y est plus. Qu'est-ce que je peux faire?
Je dois lui parler franchement, lui dire "J'aime beaucoup ce que vous faites"... Non... Trop ringard.
Et puis, il faudrait plutôt dire j'adore. Comment dit-on j'adore déjà en anglais?
Je pourrais lui faire signer la cassette que j'ai acheté ce matin avec les épisodes 6-7-8 et 9 de la série.
Non, c'est n'importe quoi.. Pourquoi pas un autographe pour ma soeur!
Il est toujours là.. Je sens son souffle dans mon dos.
Ca y est, je vais lui demander comment il trouve le Paul Klee. Non, encore plus nul. S'il l'admire depuis aussi longtemps que moi, c'est qu'il l'aime, logique..
Je cherche une blague, un bon joke. J'ai bien des sketchs dans la tête, un bon paquet même, mais pas  une seule phrase typique, à part "It's", mais, c'est un peu court, trop court. Et puis, côté humour, c'est moi qui suit court, impossible de rivaliser.
Ca y est, j'ai trouvé. Je vais simplement lui tendre la main ; une main fraternelle. Et je lui dirais seulement un mot, rien qu'un mot : "merci". Voila, c'est tout.
Allez, c'est le moment, pas de temps à perdre.
Je me retourne. Plus personne.
C'est de ma faute, tout ce temps à réfléchir..
Allez, maintenant, passons à autre chose de tout à fait différent.
Julius Marx


jeudi 19 avril 2012

Histoires comme-ci, comme çà (3)







Comment je suis devenu un roi du sprint


Londres, 1974. Une bande de français très mal élevés.Tous les membres de la bande ne sont dans la capitale britannique que pour une seule chose: le rock and'roll.
Pendant qu'à Paris, les années plombées débutent avec, sur la télé auvergnate, les braillements continus de Claude François, Joe Dassin et Dalida, nous sommes tous les soirs au Marquee sur Wardour Street, au Round house et au Rainbow. 
L'IRA fait péter les pubs à Birmingham et ailleurs, une seule chose pourtant nous préoccupe : comment ne pas payer les transports en commun ?
Dans les fameux bus à étage, la chose est plutôt facile. On emprunte  tout de suite le grand escalier. Pendant que l'unique contrôleur s'occupe du rez-de-chaussée, on a largement le temps de faire plusieurs kilomètres gratis avant qu'il ne s'intéresse à nous. Et puis, le pauvre a aussi un autre handicap. A chaque arrêt du bus, il doit tirer sur sa chaînette magique pour signaler au chauffeur qu'il peut repartir. Alors, il lui arrive très souvent de monter et descendre comme une bille de flipper.
Un soir, M et V se sont collés bien au fond du bus.Sur ses gardes, l'employé les a bien visualisé.  Lorsqu'il est redescendu pour tirer la chevillette, ils ont échangés leurs places et leurs vêtements...hilarité générale...
En remontant, essoufflé, rougeaud, il a bien cherché les deux frenchies... Mais,  impossible de remettre la main dessus...
Pour le métro, c'était beaucoup plus difficile. Mais, en ces douces années d'euphorie générale, heureusement les types déterminés et imaginatifs ne manquaient pas.
La technique était simple, on filait cinq pences, en douce, dans la main du contrôleur qui, à cette époque se trouvait à la sortie, en lui disant que l'on venait de la station d'avant. Je ne sais pas si c'est un français qui a inventé la combine, mais ses  compatriotes s'en servaient tous.
Ce soir là, à la station Holloway road , tous les membres de la bande écoutaient attentivement M.
Son discours était simple. Pour lui, nous n'avions même pas besoin de dépenser inutilement cinq pences. La seule solution pour échapper à la dîme, c'était la course à pied. Il nous expliquait calmement comment procéder en remontant le quai.
-C'est simple les gars. On se met à courir, on passe à toute vitesse devant le contrôleur assis et on sort, c'est tout.
-T'as oublié les escaliers, dit F
-T'es négatif, murmura P
-Et l'autre type, là-haut, dans sa guérite, ajouta, B
-Quoi, Vous êtes plus rapides qu'eux, non? cria M.
Nous étions déjà comme des athlètes à l'échauffement, en petites foulées. La piste s'ouvrait devant nous, la gloire nous attendait.
Je tâtais la pièce de 5 au fond de ma poche en pensant que le sacrifice valait bien une petite course.
-Maintenant ! lâcha M.
En voyant une bande de chevelus débouler à toute vitesse avec l'évidente intention de ne pas s'arrêter pour le saluer, le contrôleur ne perdit pas son flegme. Il fouilla au fond de sa poche,  attrapa son sifflet et souffla comme un forcené.
Les coups de sifflet stridents retentirent alors que les coureurs venaient d'attaquer la volée de marches du grand escalier.
Nous passâmes devant la guérite alors que le préposé venait seulement de se lever, alerté par les coups de sifflets.
Et puis, la route...
Fier de sa méthode M se demanda s'il n'allait pas la faire breveter.
-C'est trop d'effort, répondit F en tentant de reprendre son souffle.
-T'aurais pu choisir une station sans escalier, grogna B.
-Z'êtes jamais contents les mecs, trancha M en levant les yeux au ciel. C'est P qui a raison, vous êtes négatifs.
L'ironie de l'histoire c'est qu'aujourd'hui, je suis ami avec un contrôleur des transports publics londoniens. Il m'a raconté qu'un collègue qui partait à la retraite, il y a une dizaine d'années, avait encore dans son placard personnel, un sac entier de pièces de five cents. Etonnant, non?
Julius Marx




mardi 17 avril 2012

Histoires comme-ci comme çà (2)

Comment j'ai été converti au mormonisme.




Août 1975. Interstate n°90 en direction des Chutes du Niagara. 21 heures.
Le conducteur m'a déjà donné son nom, mais impossible de m'en souvenir ; quelle importance?
Si je suis assis devant, à la place du passager, c'est à cause de cette fichue alternance.
Mon pote lui, est allongé sur le siège arrière. Il  s'est mit à ronfler à la sortie d'Albany.
Nous avons absolument tout planifié dans ce voyage, nous, les deux petits Frenchies, les deux Kerouac à la manque. En premier lieu, l'hôtel : nous louons une chambre avec un seul lit, beaucoup moins cher, et l'un de nous dort par terre, sur la moquette, avec son sac de couchage. Heureusement, les moquettes sont épaisses, de celles où un chihuahua peut se perdre, comme disait Chandler.
Le lendemain, le veinard qui a dormi dans un bon lit, doit remplir la corvée dite de conversation.
Voilà pourquoi j'ai la chance de répondre oui, de hocher la tête ou de me gratter le menton face à ce type sympa qui me raconte sa vie, à 21 heures, sur la plus longue autoroute des Etats-Unis.
Jusqu'ici tout va bien. L'autochtone parle tout seul ; les enfants, la maison, le boulot...
Je gagne du temps. J'espère qu'il va poursuivre encore son soliloque, au moins  jusqu'à la prochaine ville, qu'il va me parler de ses aïeux, et même de tout son arbre généalogique.J'ai envie de voir les chutes. Allez, encore un petit hochement de tête.
Mince, c'est à moi d'entrer en scène, c'était trop beau..
-Croyez-vous en Dieu ?
Et en plus la question piège... Je la redoutais celle-là... Pourquoi moi ? Et l'autre qui roupille!
-Yes, just a little.
-A little ?
Oui, bah, regarde la route mon vieux... Ma réponse l'a totalement sidéré. Il en reste bouche bée.
Pourquoi je n'ai pas répondu simplement yes, et on en parlait plus... Malheur.
Il se redresse, pousse un léger soupir, passe la main dans ce qui lui reste de cheveux et tourne la tête dans ma direction.
Il a le sourire d'un vendeur de voitures d'occasion et des dents aussi blanches que dans une pub.
-God is love my friend.
-Yes
-You see, I'm a Mormon
-Yes
Je tiens encore à ce rythme là pendant une vingtaine de kilomètres et puis, je me retrouve avec sa grosse paluche sur mon front. Je dois répéter ce qu'il me dit. Sa voix est douce, il prend bien soin d'articuler le moindre mot. Je répète..
La cérémonie a duré un bon quart d'heure. Enfin, après le baptême, il m'annonce, son bon sang de sourire de vendeur toujours accroché sur ses lèvres, que nous devons descendre.
Quoi, qu'est-ce que j'ai fait de mal ?
Rien du tout, il doit quitter l'autoroute ici pour rejoindre sa maison. Je réveille mon pote.
Le prêtre nous serre chaleureusement la main, nous souhaite bonne chance en nous abandonnant avec nos sacs à dos, à 200 bornes des chutes.
Et après ça, il y en a qui croient encore au miracle.
Mon pote baille, puis me fixe en fronçant les sourcils.
-Tu lui as parlé au moins?
-Bien sûr, qu'est-ce que tu crois!
Il soupire.
Beaucoup plus tard, nous nous retrouvons devant une tasse de café à regarder défiler les voitures sur l'autoroute inter-états numéro 90 à travers la vitre d'une cafétéria.
-Dis, tu crois en Dieu, toi?
Mon pote lève lentement la tête et me dévisage comme si je venais de lui annoncer que Kerouac, Dylan et les autres étaient de simples fumistes.
-Tu crois que c'est le moment ?
Nous sortons de la cafétéria, il faut reprendre la station debout, le pouce en l'air. Je m'en moque, ce soir, je serai très content de dormir sur la moquette.
Julius Marx


dimanche 15 avril 2012

Histoires comme ci comme ça...

Comment j'ai été attaqué par un éléphant et des guerriers Mossis.
Avril 1977, Ouagadougou  capitale de la Haute-Volta (devenue aujourd'hui le Burkina-Faso).
La grande librairie centrale est un commerce tenu par des Libanais (tous les commerces importants sont aux mains des libanais, c'est ainsi) et on y trouve tout , ou à peu près tout.
J'entre. Une rombière grimace et pince les lèvres  en fixant ma tignasse.Je lui rend sa grimace et me  dirige tout de suite vers l'étagère où j'ai l'habitude de trouver chaque semaine mon Charlie-Hebdo.
Ensuite, la routine; les vendeurs me sourient, le gérant me demande des nouvelles de ma famille et la rombière lève les yeux au ciel.
Je dépose mon canard plié en deux sur la caisse. La souriante petite caissière l'attrape, le déplie et reste subitement interloquée, la bouche grande ouverte. Elle appelle son acolyte, occupé à ranger d'autres bouquins, juste à côté d'elle. Il nous rejoint  en deux enjambées. Lui aussi jette un oeil sur la couverture du Charlie.Le résultat est le même mais le type à l'air beaucoup plus méchant. Il appelle d'autres vendeurs.
Je baisse les yeux à mon tour... merde... un dessin de Reiser... Je sens mes jambes qui m'abandonnent. J'ai subitement chaud...
Bon sang, elle en met un temps à me rendre ma monnaie, qu'est-ce qu'elle fiche.... et moi qui lui ai refilé une grosse coupure, quel andouille! Il faut que je file maintenant, pendant que la voie est dégagée.
 La sortie, enfin... Des guerriers armés de sagaies veulent me transformer en écumoire, je plonge!
Je déboule dans la rue...Libre... Sain et sauf!  Ils m'observent depuis la vitrine. Je cours...
Il va falloir que je prenne les petites rues pour les semer. Je suis devenu un paria. Je vais finir dans un fossé parmi les détritus comme le héros du Linceuil.
Les voilà ! Cours !
J'ai de plus en plus chaud... Salaud de Reiser!
Julius Marx



jeudi 12 avril 2012

Pour les indécis


La campagne électorale. On en parle aussi dans ce blog, évidemment.
Voici un extrait de l'émission "Des paroles et des actes". Dans ce court extrait,  notre candidat préféré  répond aux questions  perfides de quatre journalistes d'investigation très très affûtés.
Mais, heureusement, notre candidat fait face avec le brio qu'on lui connait. Il ne flanche pas et expose les grandes lignes de son programme sans se soucier des perfides attaques de ses interlocuteurs.
 Il faut aussi remarquer que c'est au cours de  cette émission  qu'il va prononcer sa très célèbre phrase : "Je n'accepterais jamais d'être membre d'un club qui voudrait de moi pour membre."
VIVE GROUCHO !
Julius Marx

mercredi 11 avril 2012

Le voyage de Niko



Aleksi Einojuhani est un auteur finlandais qui vit à l'Est de la Finlande, dans la province de la Carélie du Nord, bordée par la frontière Russe. Son troisième roman  Continuum  met encore une fois en scène le personnage de Niko Kapanen détective privé, installé dans la capitale de la région: Joensuu (prononcez Yoensou.)
Dans ce troisième opus, Niko s'ennuie encore plus que dans les deux premiers. La situation est grave. Le détective est au bord de la dépession. Ce ne sont pas la ville et ses habitants  les responsables ( les caréliens sont de solides gaillards, toujours prêts à fêter le plus petit évènement qui se présente) mais son travail.
Il y a bien les traditionnelles filatures pour le compte de maris à cornes ( La tragédie Niklas Hagman) et les enquêtes forcément discrètes dans le milieu des affaires et de la politique (L'affaire Holmlund).
Mais Niko veut plus que ça, il veut du sang! Un bon sérial-killer, un cannibale, une bête féroce qu'il serait le seul à traquer et puis, à éliminer sans états d'âmes, pour le bien de la société.
Alors, notre détective à la dérive quitte un beau matin son bureau avec dans la tête une seule question: Pourquoi n'a-t-il jamais la chance d'affronter un tel spécimen de criminel?
Cette question sera le point de départ du roman. Bien entendu, je vous laisse découvrir la réponse au fil du voyage de Niko et des 28 petits chapitres du livre. Aleksi Einojuhani écrit dans un style épuré, dépouillé, neutre, voir régressif.
Lisez cet extrait ou le détective visite une université.
"Je sors, je traverse la grande cour ensoleillée et très animée. Ces jeunes ont l'air plutôt heureux de vivre. Ces trois chevelus affalés sur un banc peuvent bien dormir tranquilles, personne dans le coin pour leur trancher la tête à la hache. Les charmantes blondinettes qui les accompagnent avec leurs jolies tresses et leurs robes à volant n'ont aucune raison de s'inquiéter, pas de candidat pour les violer dans un périmètre aussi large que le lac Pielinen.
Dans la salle de cours, un jeune type en costume de velours est assis à la place du professeur, la tête plongée dans un gros livre à reliure de cuir.
-Vous êtes le professeur?
Il lève la tête, ôte sa paire de lunettes à fine monture dorée.
-Bonjour.
Il  me sourit. L'imbécile!
-Je t'ai posé une question.
-Et je ne suis pas tenu d'y répondre.
Qu'est-ce que c'est que ce langage. Il se fiche de moi?
Il se lève. Toujours ce bon sang de sourire, un comble!
-Pas de mouvements brusque, petit.
Il écarte les bras, sans cesser de sourire. Je remarque que la poche droite de son costume est bien déformée. D'un signe, je lui montre la poche.
-Qu'est-ce que t'as là-dedans?
Il  baisse la tête, regarde la poche à son tour.
-Un livre, c'est tout.
-Joue pas au plus malin avec moi.
Monsieur Sourire plonge la main dans sa poche. Il en ressort un petit livre à la couverture pliée,  toute déformée. Je lis le titre ; Le voyage au bout de la nuit.
J'avance et je balance un swing du droit pour commencer. J'ai jamais aimé les gars qui sourient sans raison."
Bref, il faut lire Aleksi Einojuhani au plus vite.
Julius Marx

lundi 9 avril 2012

Gone with the wind



Ce matin, grand vent.
Les bourrasques indiscrètes, sans gêne, giflent les fenêtres, s'infiltrent sous les portes.
Le jardin est réveillé, bousculé. On le somme de bouger un peu, d'aller voir ailleurs.
Les arbres jouent aux quilles de bowling. Les branches se prennent pour de gigantesques éventails de Divas coléreuses.
Le chant des oiseaux, les appels de marchands ambulants, sont remplacés par le bruissement continu des éléments, par le tintement métallique des différents objets qui dégringolent.
En tentant une sortie, je pense à une phrase de Mark Twain :" Jeune homme, j'étais beau, étrangement beau. A San Francisco, par jour de gros vent, de très mauvais temps, on me prenait souvent pour le beau temps."
Sur les toits, comme pour honorer une coutume locale, les couvertures, tapis et draps s'envolent.
Dans les petites rues autour de la maison, c'est le moment que choisissent les habitants pour grimper sur des escabeaux , échelles ou simples tabourets.
En équilibre précaire, on récolte les fleurs d'oranger.
Grâce au vent, tout de même, le parfum enveloppe le village tout entier qui devient un gros gâteau doré par le soleil.
Dans sa rue propre, je salue le philosophe. Il me parle de ses trois arbres, de la taille obligatoire dont personne dans la rue ne maîtrise vraiment la technique. Puis, nous passons vite à la politique, aux traditions qui disparaissent, aux bons, aux méchants...
La couturière a cédé sa boutique à deux jeunes barbus qui l'ont vite transformé en salle de jeux.
Six ordinateurs flambant neufs et autant de consoles de jeux; les gamins du quartier attendent patiemment l'ouverture, assis sur le trottoir devant les grilles de la boutique.
En les croisant, je ne pense plus à Mark Twain mais au Pape qui a lancé ce matin devant les fidèles un appel à la raison aux dirigeants Syriens. C'est le marchand d'armes qui plaide pour la paix!
J'en ai assez de me faire gifler. J'amorce un repli stratégique.
Si ça continue comme ça, j'ai peut-être une chance d'apercevoir des cloches, poussées par les vents marins, qui sait ?
Julius Marx

jeudi 5 avril 2012

Petit hommage à Léonard de Vinci



Par ce dimanche dégueulasse de pluie sur San Francisco, j'ai eu une vision de Léonard de Vinci.
Ma femme est au boulot, elle n'a pas de jour de congé, elle travaille le dimanche. Elle est partie ce matin à huit heures pour Powell and California.
Je suis resté là accroupi comme un crapaud sur une souche à rêvasser de Léonard de Vinci.
J'ai rêvé qu'il était employé par la South Bend Tackle Compagny , qui fabrique des accessoires de pêche. Naturellement, il ne portait pas les mêmes vêtements, et il ne parlait pas de la même façon. Peut-être même son enfance avait-elle été différente: une enfance américaine, par exemple passée dans une ville comme Lordsburg, au Nouveau-Mexique, ou à Winchester, en Virginie.
Je l'ai vu inventer une nouvelle cuiller pour la pêche à la truite en Amérique. Je l'ai d'abord vu qui faisait fonctionner son imagination, puis travailler le métal, la couleur, l'hameçon, essayer ceci et cela, avant d'y ajouter le mouvement, pour l'ôter ensuite, puis le remettre, différent, inventant finalement la cuiller.
Il a appelé ses patrons, ils ont regardé sa cuiller et ils sont tous tombés évanouis. Seul debout au milieu de ces corps étendus, il tenait sa cuiller, qu'il baptisa "la Cène". Ensuite, il a porté secours à ses patrons.
Cette cuiller fut bientôt la révolution du siècle, dépassant de beaucoup en sensationnel Hiroshima ou le Mahàtmà Ghandhi.
On vendit en Amérique des millions de "Cène" . Bien que n'ayant pas de truites, le Vatican commanda dix mille cuillers.
Les lettres de félicitations arrivaient par pleins sacs. Trente-quatre présidents des Etats-Unis affirmèrent: "Grâce à" la Cène ", j'ai battu mon record personnel."
Richard Brautigan 
(La pêche à la truite en Amérique)
(10/18)

J'ai lu dans un bouquin (je préfère pas me rappeler lequel) que Brautigan était un auteur pour adolescents boutonneux. Alors, disons que je rajeunis et que je ne vois aucune raison valable (au moins pour le moment) de ne pas me faire plaisir une fois de plus. Ce texte était pour nous : les adolescents.
Julius Marx

mercredi 4 avril 2012

Des nouvelles de nos amis d'Isola


Dans la ville d' Ed Mc Bain ; Isola, il semble que le climat se dégrade sévèrement (je parle du climat social pas de la météo off course).
Roman après roman, on sent la ville et ses habitants totalement dépassés par les évènements.
Dans Branle-bas au 87, nous assistons à une sorte d'apothéose. Ne n'invente pas, lisez plutôt ces quelques lignes extraites des toutes premières pages :
"Trois hommes, deux adolescentes et un bébé gisaient dans le fossé. L'une des filles serrait l'enfant dans ses bras. Carella ne se détourna que lorsqu'il aperçut le bébé. Jusqu'alors, ce n'avait été qu'un assassinat comme tant d'autres, plus macabre peut-être, mais il faut bien affronter tous les crimes sous peine de ne plus pouvoir en affronter aucun. A la vue du bébé mort, il sentit une brève douleur, comme un coup de poignard derrière les yeux."
Puis, l'enquête se déroule avec la traditionnelle narration éclatée, qui divise le récit en séquences  proches de séquences cinématographiques pour aboutir enfin à la solution.
Mais, passons sur la forme, c'est bien  le fond qui prime dans ce roman là.
Ainsi, lorsque tout ou presque est enfin résolu, nous pouvons lire ces dernières lignes :
"Meyer Meyer, qui avait croisé Nesbitt et les policiers qui l'escortaient dans l'escalier, entra dans la pièce, enleva son pardessus et son chapeau et demanda :
-Qui c'était?
-C'était le président, répondit Carella. Et en bas, nous avons toute une cage remplie de ses adeptes. Et Broughan, du 101e, a coffré deux autres gangs. Ils étaient trop nombreux pour tenir dans un seul commissariat.
-Ah ouais? fit Meyer. Et lui, qu'est-ce qu'il a fait?
-Il a mit fin à la guerre, dit Carella.
-D'où viens-tu, toi? lui demanda Kling.
-Moi, j'ai été invité à dîner par un écrivain.
-A dîner? Kling leva les yeux vers la pendule ; il était onze heures vingt.
-A dîner,oui. Dans un restaurant très chic. Et ensuite nous nous sommes baladés sur Hall Avenue pendant que je lui exposais mon point de vue sur les relations entre la télévision et les actes de violence.
-Qu'est-ce que tu lui as dit? demanda Carella.
-Je lui ai dit qu'il existait dans ce pays des influences bien plus néfastes que celle de la télévision. Je lui ai dit que si quelqu'un cherchait des héros violents à imiter, il pouvait en trouver autant qu'il voulait autour de lui sans avoir besoin d'allumer la télévision.
-Tu pensais à qui, au juste? demanda Carella."
Très bonne question, très actuelle. Vos réponses dans la case commentaire.
Julius Marx


Ed Mc Bain 
Branle-bas au 87 (Hail to the Chief)
Série Noire N° 2484

lundi 2 avril 2012

Voyage dans les Abruzzes



John Fante est de ceux qui donnent envie de conserver longtemps la position couchée. Il fait partie de la petite dizaine d'écrivains dont on ne "saute jamais les pages". Il sait nous faire partager les choses simples et compliquées à la fois, les émotions de la vie, bien sur. Nous éprouvons  toujours un plaisir jubilatoire à lire ces pages.
"Son pied a encore frappé le sol.
-Voila mon rêve. Toi, Miss Joyce, et le petit garçon. Moi et maman un peu plus bas sur la route. Un grand terrain. Quatre acres. Pour toi. Pour les mômes.
-Mais papa...
-Pas de mais. Je suis ton papa. Toutes ces saletés que tu écris. Tu as de l'argent?
-J'ai quelques dollars, papa.
-Tu as deux mille dollars?
-Oui.
-Achètes-le. J'en ai parlé à Joe Muto. Il est mon paysano. Il ne vendra qu'à moi.
Que pouvais-je dire à cet homme- mon papa?
Que pouvais-je dire à ce visage tourmenté par le travail, durci pas les ans, aujourd'hui adouci par son rêve, seulement soutenu par son rêve? Il y avait le ciel bleu et les vieux citronniers, les herbes hautes qui bruissaient comme un ancien amour contre ses jambes; et ses petits-enfants étaient déjà là, déjà ils respiraient cet air, batifolaient dans l'herbe, et leurs os se nourrissaient de ce sol qui était son rêve à lui.
Que pouvais-dire à cet homme? Pouvais-je lui annoncer que j'avais acheté une maison dans ce foyer de perversion  et de chaos qu'on nommait Los Angeles, juste à côté de Wilshire Boulevard, un lopin de terrain de cinquante mètres sur quinze, qui grouillait de termites? Si je lui avait dit cela, la terre m'aurait avalé, le ciel m'aurait écrasé.
-Laisse-moi y réfléchir, papa.Je vais voir ce que je peux faire."

Ces moments rares, on doit tout de suite les partager avec d'autres. Alors, on réveille sa compagne et on lit :
"-Pourquoi cette salopette? je lui ai demandé.
Il s'est regardé.
-Qu'est-ce qu'elle a ma salopette?
-Tu n'as pas de pantalon qui va avec la veste?
-Je l'aime pas.
Il était assis à la table de la cuisine, rasé de près, le visage talqué. Une raie impeccable séparait ses cheveux. Au-dessus du col de sa chemise noire, son cou semblait sur le point d'éclater, tant sa cravate le serrait. Il avait néanmoins l'air distingué de qui entame un long voyage.
-Il est têtu comme une mule , a dit Stella. Il ne veut surtout pas avoir l'air propre.
-Mais je suis propre. Tous mes vêtements sont impeccablement propres.
-Enfin, une salopette! dans un train.
-Je voyageais déjà en train alors que tu n'étais même pas né. N'essaie pas d'apprendre à ton père comment on voyage en train.
-Je trouve ton allure de vieux poseur de briques parfaitement superflue.
-Tu as quelque chose contre les poseurs de briques?
-Que dirais-tu du costume gris? j'ai proposé. Il te tiendrait sans doute moins chaud dans le train.
Alors, rubicond et furibard, il s'est levé.
-Tu veux que j'aille voir ta maison, oui ou non? Tu veux que je t'aide?
Je le désirais sans aucun doute.
-Cesse donc de me donner des conseils vestimentaires. Tu es moins futé que tu parais, ne l'oublie pas. Acheter une maison bourrée de termites!"

Alors, notre compagne, les larmes aux yeux, parle de son grand-papa, là-bas, dans les Abruzzes. De ses vacances d'été, de la maison près de la voie de chemin de fer, des savoureuses petites tomates et de ses nombreuses bêtises aussitôt pardonnées.
C'est sans doute cela un écrivain.
Allez, il est grand temps d'éteindre la lumière.
Julius Marx
-John Fante
(Pleins de vie- 10/18)
Préface de l'indispensable Philippe Garnier