lundi 28 février 2011

Bons baisers de Tripoli


La toute nouvelle république tunisienne est occupée à réaliser sa première bonne action : accueillir les réfugiés venus de Libye.
Entre les deux peuples, c'est de l'histoire ancienne, même si, avouons-le, les voisins sont souvent victimes des mêmes clichés que par exemple les Belges vis à vis des Français.
Que d'anecdotes, de récits de voyage croustillants, ou de blagues n'entendait-on pas avant!
C'était hier, dans les stations  balnéaires de la côte, rien n'était laissé au hasard lorsqu'il s'agissait d'accueillir  ces touristes d'un genre si particulier. Pour eux, le typique se résumait surtout  à l'alcool et aux filles faciles.
Même les automobilistes locaux, dont le sens de l'hospitalité n'est plus à démontrer, savaient bien traiter de "ploucs" ces jeunes hommes à la barbe naissante, roulant au pas, vitre et bouche grandes ouvertes, le long du boulevard de la plage, pour admirer et sanctifier le spectacle de la vie, la vraie..
Et puis, après deux ou trois semaines de gaudrioles et un nombre impressionnant de descentes et de remontées du boulevard de la plage , les jeunes hommes repartaient dans leurs belles voitures blanches toutes neuves, le coffre bondé de cartons de lait, de pâtes alimentaires et de babioles invendables.
A, ça oui, on peut le dire, c'était le bon temps!
Aujourd'hui, c'est dans le grand Sud que ça se passe. Là-bas, pas de débauche, juste le vent et le sable qui s'affrontent pour savoir enfin qui sera le plus fort.
Aucun tour-opérateur, pas même les spécialistes habitués à vendre le forfait tout compris "désert en quatre jours avec nourriture locale et rencontre avec l'habitant" n'a daigné s'occuper des réfugiés. Ils ont préféré abandonner le marché à l'armée qui a installé de beaux villages de tentes, comme à la grande époque du Club Med.
Dans ces tentes, s'il y a bien des Libyens, c'est surtout les Tunisiens de retour au pays après l'aventure qui priment. Les chiffres sont impressionnants et demandent encore à être vérifiés.
Pour les autres, Egyptiens et travailleurs du Bangladesh, l'avenir s'annonce plus sombre encore.
Ce n'est pas le cas, enfin, des frères chinois et sud-coréens qui attendent les navires venus du pays dans les hôtels de Djerba. Ca tombe bien, il y a pas mal de chambre libres en cette période.
Les hommes du Sud se sont donc bien organisés pour recevoir et nourrir tout ce monde ; une sorte de resto du coeur, tout comme chez vous, mais sans pub ni bêlements, à part ceux des moutons.
Dès la tombée de la nuit,  quand le vent vient chahuter les tentes, ils ont sûrement l'impression d'être en mer, d'entendre la voile claquer contre le grand mât, de percevoir les quelques mots brefs du capitaine qui demande à son quartier maître de garder le cap ; droit sur l'Europe...
Julius Marx 

samedi 26 février 2011

Le cas Ellroy (1)



Expliquer Ellroy, t'es pas cinglé?
Oui, je sais. Mais, je vais juste tenter d'expliquer pourquoi j'aime tant cet auteur. Et puis, deux de mes copines m'ont avoué (le mot n'est pas trop fort) qu'elles avaient laissé tomber son dernier opus avant la cinquantième page, alors...
Ellroy c'est d'abord un style (je devrais dire, LE style). Un style purement cinématographique avec ses liaisons images sur images, scènes à scènes, chapitre à chapitre et surtout son temps elliptique.
C'est donc au spectateur/lecteur de compléter mentalement les parties manquantes de la ligne dramatique.
A la réflexion, c'est peut-être ça qui chagrine le lecteur, il doit se mettre au boulot. Oui, mais, il devient presque l'organisateur de l'ensemble, une sorte de narrateur bis, qu'est-ce que vous dites de ça ?
Pourtant, à  la différence de la structure cinématographique où un seul personnage prend en main le récit et le mène jusqu'à son terme, chez Ellroy,  le nombre élevé de personnages surprend.
Il surprend  parce tous sont impliqués dans le récit et de plus, ils ont tous une fonction précise .
Le principe de composition : entrelacer sans arrêt, d'un bout du texte à l'autre, le cours de plusieurs existences, sans qu'aucune ne domine complètement les autres, sans héros autour de qui tout s'organise.
On pense bien entendu à Dos Passos et sa trilogie USA, d'autant plus qu'Ellroy prend soin, comme son aîné, de placer des marques temporelles dans le texte, les unes ont trait à l'ancrage historique, les autres à la chronologie interne (lettres tapées à la machine, bulletins télévisés ou radio etc..)
Lisez maintenant cet extrait et puis, on en reparle..
Tout ce qu'exigeait ma mère, c'était que je maintienne un niveau raisonnable de silence et que je ne lui encombre pas l'existence de questions sur ce qu'elle pensait. S'y ajoutait son désir implicite que je sois discret en classe et à la maison comme dans mes jeux. Si elle considérait ses diktats comme des punitions, elle avait tort : dans ma tête, je pouvais aller où je voulais.
Comme tous les autres mômes du voisinage, je fréquentais l'école primaire de Van Ness Avenue, j'obéissais, je riais des bêtises et j'en étais blessé. Mais les joies et les blessures des autres enfants provenaient de stimuli  extérieurs alors que les miennes se réfléchissaient sur un écran que nourrissait tout ce qui m'entourait, cinéma strictement personnel dont les productions étaient réservées à mes propres séances à-l'intérieur-de-mon-cerveau; la séance débutait  grâce à un déclencheur mental dur et lisse comme l'acier qui savait toujours avec exactitude ce dont j'avais besoin pour m'empêcher de m'ennuyer.
James Ellroy - Un tueur sur la route- Rivages Noir (1999)

Les scènes également sont elliptiques (voir l'article Uppercut dans ce blog). L'auteur privilégie toujours l'action au détriment des descriptions de personnages ou de lieux. Il va vite, très vite. Si vite que parfois, c'est vrai, il prend tant d'avance qu'on doit foncer pour le rattraper.
Ce qui explique sa "mutation"depuis les premiers romans comme Un tueur sur la route  dont vous venez de lire un extrait , c'est certainement l'urgence. L'Amérique  décrit dans la trilogie se retrouve plongée dans un chaos permanent. C'est évident, on ne peut parler de cette époque calmement!
Un dernier détail. Si vous lisez le dernier opus Underworld vous vous apercevrez que la première scène clé (celle de l'attaque du fourgon blindé) est écrite de manière classique (voir très classique) détaillée, découpée et presque légendée.Un peu comme ci l'auteur nous disait  "cette scène fait partie d'un autre temps, d'une époque où l'on écrivait comme ça" Et puis, ensuite, c'est la course poursuite qui débute pour finir par l'apocalypse.
Ceci me rappelle la première scène de "La cinquième victime" de Fritz Lang (voir la photo d'illustration de l'article)  ou le cinéaste  met en scène le premier meurtre. Nous avons ici la quasi totalité des clichés du film noir. Ensuite, Fritz Lang s'intéresse plus aux personnages et à leurs motivations.
Un peu comme s'il nous disait "bon, maintenant que vous avez eu ce que vous vouliez, passons aux choses sérieuses".
Prochainement, nous parlerons, avec les courageux qui ont vaillamment résisté à cet article, de la filiation Ellroy/ Moisson Rouge.

Pour finir, et pour nous délasser un peu,  je publie maintenant l'interview que James Ellroy aurait du m'accorder lors de son dernier passage à Paris.
Il me reçoit dans sa chambre d'hôtel. il est couché sur le lit, baskets aux pieds. Ses petits yeux m'observent. On dirait des yeux de doberman, ou d'un autre chien dressé à tuer. Un court instant, j'ai envie de miauler, juste pour l'emmerder mais, je renonce. Allez, je me lance.
JM- Il y a la phrase de Chandler, j'ai cessé de voir le vie en Technicolor le jour ou j'ai arrêté de boire.
C'est pour cette raison que vous faites du roman noir?
JE- Question à la con.
JM- Oui, bon... Et Hammett, la Moisson rouge?
JE- Merde mec ! Ces deux types sont  crevés !
Il s'est subitement redressé. Il me balance tout ce qui se trouve sur sa table de chevet : verre de whisky, pot de fleurs et gros bouquin.
J'esquive, et plonge sur la carpette. Lorsque je refais surface, il se trouve face à moi, à quatre pattes.
Il grogne. Un léger filet de bave coule depuis la commissure de ses lèvres pincées.
On frappe à la porte de la chambre. C'est le garçon d'étage.
-Monsieur, tout va bien?
D'un geste lent, calculé, j'attrape le bouquin à mes pieds. Je regarde la couverture : Jean-louis Debré, Meurtre à l'assemblé.
Le cabot n'a pas bougé, il empeste le whisky.
Je balance le bouquin. Les 275 pages, à 17 euros et 1O centimes( livraison gratuite) lui ratatinent le museau.
Il jappe, puis, hurle à la mort.
Derrière la porte, le garçon d'étage à rameuté la moitié du personnel de l'hôtel : on crie, on vocifère, on invective.
Je n'ai plus qu'une solution, la fenêtre..
Avant de sauter, j'ai tout juste le temps d'apercevoir la porte de la chambre qui se pulvérise en mille éclats et puis, la meute de hyènes qui se précipite en poussant des cris pointus.
Dehors, je me relève. Heureusement, ce salopard de clebs a loué une chambre au rez-de chaussée .
Logique, beaucoup plus facile pour sortir faire ses besoins..
Je crache dans l'ombre de velours noir d'un manzanitas.
Après tout, c'est peut-être ça lire Ellroy, un putain de combat..
Julius Marx

vendredi 25 février 2011

Amici miei (2)


J'ai aussi beaucoup d'autres amis dont un qui ne joue pas d'instrument indien au nom poétique mais simplement de la guitare.
Il faut allez voir son blog (12Bb) et vous comprendrez illico pourquoi il a appelé son blog comme ça.
Lui et sa compagne sont des inconditionnels de Westlake , ce qui me fait dire qu'ils ne peuvent pas être foncièrement mauvais.
Pour ceux qui ne connaissent pas  encore Westlake (les veinards, que de choses encore à découvrir!) j'en parlerai prochainement.
Julius Marx

jeudi 24 février 2011

Amici miei


Et bien voilà, l'histoire débute à Paris. Dans un premier temps, il faut ré-apprendre à marcher, c'est essentiel et pour tout dire, une vraie question de survie. Je bouscule, j'évite et me faufile habilement.
Et puis, il ne faut pas regarder les gens dans les yeux en évitant, si possible, de leur poser la moindre question.
D'ailleurs, celui qui s'aventure à demander  est un imbécile car, voyez-vous, ici, tout est prévu, expliqué , pré-digéré, organisé pour votre confort et votre sécurité. Dans le bus, le plan média commandé par la RATP nous l'annonce clairement : "si tout le monde fait ses propres règles, il n'y a plus de règles".
Donc marcher, tête basse, et vite.
Je sors de la file pour entrer dans un super-marché, m'attarde devant le rayon (oui, un rayon complet) de sacs plastiques. Dix mètres linéaires de sacs congélation, poubelles ou "fraîcheur"!
J'ai la tête qui tourne, trop de bouffe, trop de tout!
Je me retrouve devant  le rayon animal de compagnie. Deux femmes (sans se regarder, évidemment) se parlent..
-Avec ces croquettes, il m'a fait une diarrhée
-Non..
-Si, si
-Non, pas moi.
Au secours, la sortie, fissa !
Enfin, le calme, je retrouve mes chers amis.
Dans un premier temps, je m'enfile un sandwich au jambon et une bonne bière.
Puis, nous parlons de la Tunisie et de sa belle révolution.
Question envolée lyrique, pas de problème. Mais, il faut bien parler des nuages noirs qui arrivent, poussés par un vent frais venu d'Europe. A ce moment, mes chers amis deviennent pensifs ; est-il  en train de perdre un peu la boule,  lui si vif, si réactif, autrefois ?
Je poursuis, j'assène même.
L'info-pub de vos médias est révoltante.Bien sûr, l'info est truquée, préparée et mise en scène comme une vraie pub pour des croquettes pour chats et chiens...Et, j'ajoute qu'elle me donne la diarrhée leurs saloperies  de croquettes!
A ce moment, mes chers amis ne sont plus dubitatifs, ils me demandent si je veux reprendre une bière, histoire de me calmer.
 Pendant qu'ils vont la chercher dans le frigo, je poursuis.
Notre économie  est prisonnière de l'Europe, de ses tours-opérateurs, de sa grande distribution et de sa sur-consommation, voila une info vérifiée et vérifiable.
La question est de savoir comment et à quelle sauce vont-ils nous manger maintenant qu'ils sont en position de force?
Oui, car les mots  révolution, idéalisme et liberté ne font pas vraiment partie de leur vocabulaire et ne sont pas encore enseignés dans leurs séminaires.
Après plusieurs autres boissons avec mousse, nous achevons la soirée réflexion chez un sicilien qui parle trop et dont les pizzas sont beaucoup trop épaisses.
Heureusement, un de mes chers amis, nous apprend l'existence d'un instrument de musique indien appelé "la vague et le rossignol" et se met à en jouer. Nous écoutons, sous le charme..
Entre nous, combien d'hommes et de femmes dans ce monde ont la chance d'écouter, calmes, rassérénés, un de leurs congénères leur offrant une vague et un rossignol ?
Julius Marx

vendredi 11 février 2011

La position du lecteur en voyage



Vingt-huitième jour (après B.A.)
Julius Marx, qui s'était transformé depuis quelques temps en Julius Rosenberg, doit partir pour la cité lumière.
Il va donc éviter de parler de la Tunisie pendant une petite semaine, c'est plus sage.
Mais au retour, c'est promis, nous ferons le point sur cette sacrée révolution.
Julius Marx

jeudi 10 février 2011

Peur sur la ville et Tohu-bohu


Vingt septième jour (après B.A.)
Il y a cette image qui fait dorénavant partie des bêtisiers, la tête du Roger Gicquel , gros toutou, les babines pendantes, qui lâche : "la France a peur.."
Chez nous, moins de mise en scène, pas de gros toutou, mais une population qui se sent menacée.
D'où vient le danger?
Dans un premier temps, de la nuit. Pendant les heures claires, le bourdonnement d'une cité qui vit  a remplacé celui de la foule en colère. Mais, dès les premiers signes du déclin de l'astre, les enfants sortent de l'école.
Alors, les parents qui ont la chance de travailler, quittent à leur tour leur travail, suivis de très près par les employés des usines.
Une ville se vide de ses habitants dans le calme, mais dans un curieux climat, avec une étrange sensation de peur.
La nuit tombée, les groupes de citoyens chargés de surveiller les biens et les habitations s'installent à leur tour.
Puis, vient la période des rumeurs : on aurait attaqué le magasin X, l'armée est sur place, certains auraient aperçu des tireurs d'élite...
Malheureusement, il faut bien admettre que certaines sont bel et bien fondées.
Hier soir, une demie-heure avant le couvre-feu, nous remontons la rue principale (à grande vitesse, car nous sommes pressés de rentrer). Nous remarquons les petits groupes de "guetteurs"  devant un immeuble en construction,  ou au coin de notre rue, avec leurs bâtons de fortune.
Ils ont l'air aussi sombres que la nuit.
La police, qui vient de passer elle aussi des heures sombres, ne montre toujours pas le bout de son nez.
Nous, on s'enferme, on se barricade..




Pendant ce temps là , la télévision est devenue folle.
Habitués jusqu'ici  à une programmation  fortement teintée de la vie et l'oeuvre du grand chef, les téléspectateurs n'en reviennent pas !
Tout le monde parle, s'exprime, crie et vocifère. Ce tohu-bohu ( et je n'emploie pas cette expression par hasard 1 ) rappelle le souk. Une amie traduit pour nous...
Une femme demande à un ministre (oui, la version homme politique face au peuple existe déjà ici) de lui trouver un mari. L'homme s'étonne. La femme argumente, du travail pour tous cela veut dire de l'argent pour tous et donc, un homme fortuné pourra  enfin la choisir et financer un beau mariage!
Un autre vient du Sud. C'est un paysan à la peau cuivrée et fripée  par le soleil. Il demande une parabole et une télévision, comme tout le monde!
Un participant se permet même d'insulter le ministre en lui disant "toi, t'es un imbécile" ou quelque chose du même ordre.
Côté  présentateur, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne cherche pas à cultiver son égo. Il est totalement absent , ne dirige rien du tout, et surtout pas le débat, et se contente de hocher la tête comme un benêt.
Mon Dieu ! Ils sont devenus fous, ils ne pensent pas  aux écrivains, aux cinéastes, aux hommes de télévision. Mais comment vont-ils faire maintenant pour écrire des histoires  passionnantes et originales?
Julius Marx
1/ le tohu-bohu, c'est le chaos  primitif, l'état confus des éléments qui précéda la création du monde. 

mercredi 9 février 2011

Parle plus bas...


Vingt-sixième jour (Après B.A.)
L'image préférée des médias français  (et elle arrive largement en tête devant  l'homme occupé à s'essuyer les pieds sur un portrait de BA ou le reportage du " fantastique destin" de ce blogueur devenu ministre) est incontestablement celle montrant une petite troupe de badauds s'agglutinant  devant la vitrine d'une grande librairie de Tunis. Mais, que peuvent bien regarder ces passants? Les couvertures (car de livres il n'y a point) des ouvrages interdits jusqu'ici dans l"empire BA. Dieu comme la démocratie est belle! Pouvoir enfin admirer la photo du courageux opposant, s'enivrer du doux parfum de  la rébellion !
La réalité est tout autre. Tout ce que ces livres révèlent sur le couple diabolique et bien d'autres choses encore, tous le monde le savait, et depuis pas mal d'années.
Le journaliste français reste donc persuadé d'écrire un bien beau billet et même, pourquoi pas, d'apporter sa modeste contribution à la belle révolution.
Le journaliste (qui, on le sait, n'a pas le temps de creuser un peu les choses, c'est comme ça, l'Egypte n'attend pas..) devrait pourtant savoir que la censure, dans ce pays, est une affaire plutôt complexe.
Parlons tout d'abord de livres. Dès notre arrivée, après une marche forcée de six jours ouvrables dans les méandres du port (je n'exagère pas, croyez-moi) nous avons enfin  pu repérer nos deux malles envoyées de France. La première question du douanier, en nous voyant nous jeter sur les deux trésors et les couvrir de baisers, fut la suivante : avez vous des livres à l'intérieur de ces malles?
La réponse positive qui suivit lui arracha un demi sourire. Il nous fallait donc nous rendre au ministère de l'intérieur  avec la liste des ouvrages (à l'intérieur des malles) dans le but d'obtenir un visa d'entrée pour les dits ouvrages.
Et ce n'est qu'avec cette liste tamponnée et biffée par un haut responsable que nous avons pu enfin récupérer nos malles. Nous avons donc eu le loisir de détailler  les critères subversifs de ce haut fonctionnaire. En premier lieu, pas de manifestes religieux et radicaux. Ensuite, surtout pas de livres politiques et enfin, pas de cassettes vidéos.
La semaine suivante, je me rendais dans la fameuse librairie et achetais sans aucun problème "La violence et la dérision" d'Albert Cossery ! Lisez-le et ensuite, vous comprendrez...
L'autre forme de censure est la censure morale. Au nom de la sainte morale, on interdit par exemple; les images de sexe sur internet (même si le message a changé, elle existe toujours) ou les personnages qui s'embrassent dans les feuilletons.
Plutôt cocasse comme morale, dans un pays où les hommes mariés se livrent à toutes sortes de petits "jeux", tromperies, corrections, viols etc...
Enfin, c'est aussi au nom de la morale que l'on ne parle jamais d'alcool car, on le  sait, chez nous, il n'existe pas.
C'est donc pour une tout autre raison que l'on retrouve régulièrement des conducteurs ivres lorsque l'on porte secours aux accidentés de la route.
Ivres de quoi, de liberté probablement.
Julius Marx

dimanche 6 février 2011

Arts


Vingt et unième jour (après B.A.)
Sur la route à grande circulation qui divise notre village en deux parties,comme un coup de crayon donné par notre gabelou suprême, le jeune Hatem  tient une charmante boutique. Son commerce : les tampons encreurs, les plaques minéralogiques, les panneaux publicitaires et surtout, les tableaux artistiques et les miroires (non, ce n'est pas une faute d'orthographe.)
Hatem  travaille vite (quelquefois un peu trop vite ) et bien. D'ailleurs, sa devise est peinte sur la façade de son échoppe : "La qualité, le secret de notre réussite".
Depuis la chute de B.A l'activité "portraits et cadres" a beaucoup chuté. Chez lui, comme chez tous ses concurrents, on trouvait  quelques peintures religieuses, des reproductions de grands monuments comme la Tour Eiffel ou les chutes du Niagara, mais surtout, des tableaux de B.A.
Le grand timonier de la nation; de plein pied, en buste, avec la main sur le coeur, assis devant son ordinateur, ou de profil, en bain de foule photoshopé, le bras levé bien haut désignant l'horizon ou peut-être déjà l'Arabie Séoudite, qui sait?
Il est inutile de préciser que ces magnifiques expressions de l'art dictatorial ont aujourd'hui rejoint des collections privées ou plus simplement la grande poubelle devant le magasin d' Hatem.
Si les paysages (valeurs sûres) demeurent, les autres ont étés remplacées en vitesse par le Ché, Bob Marley ou quelques rappeurs américains.
Un observateur avisé ne peut que constater la surprenante rapidité avec laquelle les sujets de B.A ont occulté leur ancien protecteur (au moins dans la partie picturale.)
Pour rester dans la peinture, il faut savoir aussi que les monuments de couleur violette (couleur du parti) ainsi que les ouvrages d'art comme les ponts ont eux aussi étés recouverts d'une épaisse couche de peinture blanche beaucoup plus neutre.
Ce qui frappe les occidentaux que nous sommes c'est la faculté d'effacer, d'oublier, pour  se concentrer au plus vite sur l'instant présent, comme si le passé n'avait jamais existé. C'est un pays à un seul temps.
Ici, rien n'est fait pour durer...Il suffit de regarder les maisons et la plupart des bâtiments, éphémères constructions à peine construites et déjà bancales, rongées par l'humidité. Qu'importe, on rebâtira ailleurs!
L'expression de Lope de Vega "bâtissant des tours sur du sable" illustre parfaitement cet état.
It's
Julius Marx

vendredi 4 février 2011

Une petite visite chez Franz


Vingt et unième jour (après B.A.)
Ce matin, une charmante petite excursion jusqu'au bureau des étrangers.
C'est une sorte de rite, de passage obligatoire pour nous tous ; les immigrés.
Le bureau est planté en plein coeur de la zone touristique. D'habitude, on a souvent beaucoup de mal à se garer à proximité des hôtels mais, ce matin, l'endroit est désertique, c'est un coup de chance, enfin, façon de parler. De la chance, il en faut une bonne dose pour réussir dans les nombreuses démarches. Si, dans cette respectable administration, le pourcentage d'employés à avoir lu totalement l'oeuvre de Kafka, est moindre, il faut pourtant admettre que tous s'emploient à faire perdurer  avec une ténacité rare son univers.
Le premier obstacle, c'est de deviner les heures d'ouverture et de fermeture. Le deuxième est de trouver un employé à son poste. Si l'on passe avec succès ces deux tests importants, on a le droit de poursuivre sa course. L'ultime épreuve étant à géométrie variable selon la nature de votre problème.
Dans tout les cas, il faut posséder des notions conjuguées de comptabilité, de psychologie et d'art dramatique. Mais surtout, il faut être tenace, ne jamais se décourager et comprendre que Dieu lui même veille sur  l'administration. Il serait donc malséant, voir blasphématoire, de remettre en cause son fonctionnement.
Dans l'escalier, nous croisons une connaissance. Nous échangeons une fois encore nos points de vue sur la situation. Il nous révèle que la veille, des hommes sont passés par-dessus le grillage de son usine avec des couteaux et des bâtons. Ils demandaient du travail. Il nous apprend également qu'une partie des employés du Port de Tunis est en grève. D'après lui, la situation ne risque pas de s'améliorer de sitôt.
A l'étage. Il fait froid, très froid même... Ici, tous les fonctionnaires travaillent avec leur manteau sur les épaules. Dans son petit bureau d'angle, nous retrouvons la jeune femme qui peut nous aider.
Elle porte un joli bonnet , une écharpe et des gants tricotés dans la même pelote. Je pense que j'ai souvent pesté dans mes rapports avec l'administration en général et tant de fois encore  ironisé sur les fonctionnaires qu'une jeune femme portant ce genre d'uniforme m'aurait permis d'étaler tout un tas de situations comiques. Mais, ce matin, en fixant la fille qui ne doit pas avoir plus de 25 ans, je n'ai pas vraiment envie de plaisanter.
Le contenu de notre conversation tourne autour de la somme que l'on va devoir débourser pour avoir le droit de sortir du territoire.Timbre de voyage, timbres amendes à montants divers....  C'est un fait, sous B.A, nous sommes tous devenus des philatélistes! Une fois que les deux parties en présence sont  d'accord sur le montant, la situation se décrispe et devient beaucoup plus chaleureuse. En découvrant, sur son  passeport, la photo de ma fille, l'employée nous félicite.
-Elle est belle cette demoiselle.
Les parents sont aux anges.
Nous parlons de la difficulté d'élever des enfants, dans ce monde qui, on le sait, est de plus en plus dur  et implacable etc..
Plus tard, ma compagne me demande combien de personne, à mon avis, parle de leur belle petite fille avec une préposée de l'administration.
-Il y en a peut-être plus que l'on ne croit, je réponds, en comptant une dernière fois les timbres sur mon passeport.
Julius Marx
 

jeudi 3 février 2011

Démocratie !



Vingtième jour (après B.A.)
Ce matin, je me rends chez M. Oui, rappelez-vous, celui que nous appelons  l'opposant... qui tient une quincaillerie en face du marchand "des 5 saisons".. Ca y est ? Bon, allons y.
Avant M, un petit tour à l'agence de voyage.
S. est  fidèle au poste, recroquevillé devant son ordinateur. Le cendrier devant lui  est déjà rempli à moitié.
Sa tête toute ronde avec sa tonsure en couronne, genre moine, émerge de la fumée. Il a les yeux très cernés, les paupières tombantes d'un fêtard qui n'aurait pas fermé l'oeil de la nuit.
Il me salue, me demande ce qui lui vaut le plaisir de ma visite.
Je lui réponds que je viens faire des changements dans mes réservations.
Il sourit.
-Du changement... y'en a pas mal en ce moment, me dit-il.
J'admets qu'il a raison. Je lui donne mes dates, il disparaît  dans la fumée.
Plus tard, chez l'opposant.
Deux hommes en burnous sont assis sur des pots de peinture et écoutent le tribun. Ils secouent la tête lentement, dociles, approuvant sans condition. Le sujet du jour, c'est la rocambolesque attaque du nouveau ministre des finances. L'homme (qu'on appelle ici Mr Propre)  travaille vite et nettoie bien. Son zèle lui a donc valu cette attaque surprise. Il se trouvait dans son bureau, en réunion avec le fameux général Amar qu'on ne présente plus. Je salue l'assistance et demande par qui ont-ils étés attaqués, des terroristes, des miliciens, des pro BA ? Réponse : par des policiers armés ! Heureusement l'assaut a été repoussé par des fidèles du ministre.
L'opposant marchand de peinture se lance alors dans une violente diatribe contre tous ceux qui ne veulent pas de la démocratie. Il tambourine sur la planche qui lui sert à mesurer la ficelle et les tuyaux de zinc, et martèle d'une voix forte, sans fausse note, que la démocratie se gagne, que tous les Tunisiens ont maintenant des responsabilités et des devoirs.
Les deux hommes se redressent, ils sont à deux doigts d'entonner l'hymne national.
Tranchant d'un coup sec leur élan patriotique, une grosse femme portant deux cabas remplis de légumes entre et demande illico combien coûte ce si joli rideau de douche avec des gros tournesols jaunes?
Vexés, les hommes la regardent ; ils grimacent.
L'opposant, à qui elle vient de couper la parole, soupire, donne le prix. La femme  hoche la tête et ressort sans dire au revoir.
Il se tourne alors vers moi et lance :
-Tu vois, y'a encore du travail!
Je sors à mon tour.
Avant de rentrer, j'achète le journal. La une me fait sourire ... " En pleine révolution, elle passait d'agréables vacances à Tabarka ".
Un homme en costume trois pièces et chaussures pointues, les cheveux lissés avec une demi-livre de fixatif, apostrophe la marchande de journaux, décidément, c'est une habitude!
Il se plaint que plusieurs pages de son journal sont mouillées, il ordonne à la marchande de rentrer ses présentoirs. Elle répond qu'il ne pleut pas assez! L'homme s'obstine. Il ne peut pas lire les trois dernières pages. En souriant, la marchande lui  conseille de regarder la télé. Il lève la tête vers les cieux , frappe dans ses mains et sort.
C'est bon d'être le  témoin d'un vrai débat démocratique.
Julius Marx
P.S. Sur les trois dernières pages, rien d'intéressant. Des mots fléchés avec :  excessif, ordre et gendarme.
 Un éphéméride  où l'on apprend que John Cassavetes, mort un 3 février, a réalisé, entre autres, Basic Instinct. Et puis, surtout que c'est la pharmacie Kardous qui sera de garde ce soir à Hammam Lif.

mercredi 2 février 2011

The great dictator



Dix-neuvième jour (après B.A.)
Il y a la phrase de D.W. Winnicott "Tout ce que j'ai pu écrire a déjà été dit par les poètes".
C'est un fait, les artistes se  doivent d'éclairer le chemin. Un artiste dénonce, détruit, brûle.
S'il ne dérange pas les pouvoirs, il n'est pas digne d'être.
Nous parlons aujourd'hui des dictateurs. Il n'est pas question de faire une sorte de hit-parade des plus grands, des plus sanguinaires ou des plus imaginatifs. Non, il s'agit  seulement de montrer. Nous devons prendre la peine de bien  regarder et pas seulement de voir. Question dictateur Chaplin a évidemment déjà dit l'essentiel. D'autres; écrivains, dramaturges, peintres, musiciens et cinéastes, chacun à leur manière, ont suivis.
Depuis Jules César se proclamant Empereur à vie, les codes des despotes n'ont pas beaucoup changés.
Revoyons les ensemble une fois de plus.
Nous parlons d'un grand dictateur qui :
-règne depuis trop longtemps
-a mis la main sur les médias
-a l'appui des banques et des financiers véreux
-a des liens avec les groupes extrémistes
-se moque de la justice
-a modifié  les lois et la constitution de son pays à son avantage
-a recruté des hommes de main pour faire appliquer sa politique de fermeté
-a des problèmes avec sa femme
-se teint les cheveux
-se fait imprimer de bien belles affiches
-a embauché des spécialistes des  médias pour lui construire de bien belles estrades pour ses meetings.
-n'a pas plus de 100 mots dans son vocabulaire lorsqu'il parle au peuple
-s'est fait couper les plus beaux costumes
La liste est longue. Mais, de qui parlons-nous?
Julius Marx

mardi 1 février 2011

Diaporama

Dix-huitième jour (après B.A.)
Petite revue de presse en images.


Cliché n°1
 Journaliste expérimenté dirigeant un grand journal du monde libre expliquant à un autre journaliste, jusque la soumis à la censure dans son pays, comment gérer cette toute nouvelle et stimulante situation.
Dialogue : -Ton premier travail sera de trouver de la publicité. Car, vois-tu, mon garçon, dans notre monde, sans argent tu ne peux faire correctement ton métier.
 (Le journaliste libéré réfléchit)  (L'autre reprend)
-Attention toutefois à bien positionner les annonces publicitaires dans les colonnes de ton journal pour ne pas froisser tes annonceurs.
(L'autre ne comprend pas)
-Par exemple, évite absolument de coller, à côté de ta une du 14 janvier, une pub pour Air France.. C'est très maladroit, tu as compris?
L'autre hoche la tête-il a compris-il soupire.
Le chemin va être long..


Cliché n°2
Artiste d'Etat, engagé pour réaliser une oeuvre personnelle montrant le grand timonier BA guidant la nation.
L'homme se demande s'il doit poursuivre son travail et surtout, qui va le payer ?
Les syndicats des cinéastes, des écrivains et des artistes en général n'en finissent plus de se réunir.
Libres, ils vont enfin pouvoir s'exprimer. Mais, de quoi et de qui vont-ils bien pouvoir parler maintenant que plus personne n'est là pour leur souffler les sujets ?
A suivre.


Cliché n°3
Projet d'affiche pour une nouvelle campagne en vue de ramener les touristes dans le pays.
Texte : "La Tunisie, l'autre pays des différences"


Cliché n°4
Suisse. Gel des avoirs de B.A . Situation logique  si on tient compte de la température ambiante.
Et puis, on ne peut pas être et"avoirs" été.

Cliché n°5
Les US et l'Europe frémissent en constatant le retour du chef du parti islamique en provenance de Londres.
L'homme assure qu'il ne participera pas aux élections. Il dit vouloir seulement la démocratie et la liberté.
C'est bien.. Nous aussi.


Cliché n°6
Scoop. Le nouveau visage de BA après une rapide intervention de chirurgie esthétique.
Ne vous laissez pas berner, méfiance...