« Attendez
ici, monsieur Griffin, s’il vous plaît », dit-il, indiquant des dizaines
de chaises en plastique attelées les unes aux autres qui me font toujours
penser à des bancs d’églises de bas-fonds. « Un médecin va s’occuper
de vous tout de suite. »
Tout de suite se révéla être près de trois heures
plus tard.
L’endroit
ressemblait plutôt à une gare routière. Même sensation d’être coupé du temps,
même style d’aménagement et même misère. Tout puait la fumée de cigarette, le
tabac froid et les odeurs corporelles. Les sièges, le sol, la plupart des murs
étaient maculés de tâches. Un chapelet continu de monde entrait et sortait.
Certains pique-niquaient, seuls ou en groupes autour de boites de fast-food ou
de sacs d’épicerie dans lesquels ils avaient apportés leurs sandwichs,
quelques-uns, à en croire leurs biens empilés autour d’eux, avaient élu
résidence.
La police ou
les ambulanciers passaient régulièrement les portes automatiques accompagnés d’ivrognes,
de victimes d’accidents, de jeunes gens aux yeux vides, de SDF au sexe
indéterminé emmaillotés dans des couches de chiffons, de violeurs et de violés,
de patients en cours de
résurrection, de corps en cours de refroidissement. Environ
tous les quarts d’heure, un nom jaillissait, tonitruant, des haut-parleurs, et
une personne de plus disparaissait dans les boyaux de la bête. Aucune ne
semblait jamais reparaître. Infirmières et autre employés traversaient périodiquement
la salle pour aller fumer dehors.
Une jeune
femme du zoo Audubon arriva avec le faucon qu’elle était allée nourrir agrippé
à elle par les serres qu’il avait plantées dans sa joue gauche.
Un inspecteur
de police vint prendre des renseignements au sujet d’un cadavre qui avait été
jeté devant l’entrée des urgences, plus tôt ce matin-là, apparemment par une
maison de pompes funèbres qui déclarait que la famille refusait de les payer.
Une vieille
dame entra, s’avança vers le bureau d’accueil à petits pas lents et demanda si
on pourrait lui dire si son mari avait été amené ici après une crise cardiaque
la nuit précédente, elle ne se souvenait plus où ils avaient dit qu’il l’emmenait,
elle avait déjà essayé plusieurs autres hôpitaux et elle n’avait plus d’argent pour prendre un
autre taxi.
En fin de
compte, Clare avait eu raison sur toute la ligne. Une fois que mon tour arriva
finalement d’être avalé par la baleine, elle me recracha affublé d’une douzaine
de points de suture.
James Sallis
Papillon de nuit
Folio
Policier (622)
Un roman de
Sallis, du moins dans la série des Lew Griffin, c’est l’assurance d’une belle
plongée dans le Paradis américain. Un
voyage au pays de la démocratie, des droits de l’homme et de la liberté. Même
si l’auteur oublie trop souvent à mon goût son intrigue pour abandonner la
parole à son personnage, pour le laisser
se perdre dans les méandres de ses propres réflexions. Le style (une sorte d’anti-Ellroy)
évoque plus le roman français et européen que Lew, l’ancien garde du corps
devenu professeur de littérature et écrivain, ne cesse de citer. Heureusement
pour nous, et pour le roman noir, il y a la violence ; violence
quotidienne, beaucoup plus insidieuse et de fait, insoutenable.
Julius Marx
image: Joe Morton dans le Brother de John Sayles(1984)