jeudi 31 mars 2016

Le Polar Est Populaire



La môme Cri-Cri et le « fondu » sont planqués dans la charcuterie d’un ami.
Elle
-C’est pas dommage qu’on quitte ce trou. A force de me taper de la charcuterie, je suis pourrie de boutons.
Lui
-Te cailles pas. Bientôt, tes boutons t’iras les tremper dans la baie de Rio.
Elle
-Tu parles !
Lui (rangeant ses affaires dans une valise)
-Qu’est-ce qui reste. Ha ! Le principal ! Mon fétiche…
(Il caresse une grenade.)
Elle
-Ha ! T’as pas volé ton nom, toi. Faut vraiment être fondu pour balader un bijou de ce genre entre les cannes.
Lui
-C’est pas être fondu, c’est être prudent.
Elle
-Possible. Seulement, t’avises pas de venir te frotter après moi. Que je sois devenue à moitié saucisson, passe encore, mais je veux pas être transformée en rillettes !
Lui
-Mais ça risque rien voyons ! Pour que ça explose, faut tirer la petite languette, là. Pis après, t’as encore huit secondes avant le feu d’artifice !

Charles Vanel et Bella Darvi dans Rafles sur la Ville de Pierre Chenal (1958)

Dialogues : Pierre Vial-Lesou et Paul Andréota.

lundi 28 mars 2016

L'Ange de personne





Depuis son berceau jusqu'à son tombeau, mon ami Jim Harrison fut toujours poussé par une brise de prospérité. Et je ne me sers pas ici du mot prospérité dans son sens purement mondain. Je l'emploie comme synonyme de bonheur. La personne dont je parle semblait avoir été créé pour symboliser les doctrines de Turgot, de Price, de Priestley et de Condorcet, — pour fournir un exemple individuel de ce que l'on a appelé la chimère des perfectionnistes. Dans la brève existence d'Ellison, il me semble que je vois une révélation du dogme qui prétend que dans la nature même de l'homme gît un principe mystérieux ennemi du bonheur. Un examen minutieux de sa carrière m'a fait comprendre que la misère de l'esprit humain naît, en général, de la violation de quelques simples lois d'humanité ; — que nous avons en notre possession, en tant qu'espèce, des éléments de contentement non encore mis en œuvre, — et que même maintenant, dans les présentes ténèbres et l'état délirant de la pensée humaine sur la grande question des conditions sociales, il ne serait pas impossible que l'homme, en tant qu'individu, pût être heureux dans de certaines circonstances insolites et remarquablement fortuites.
Edgar Allan Poe


De Noirmoutier brassé par les vents du large...A m’a prévenu avec une grande délicatesse. ...j'ai pensé à toi ...Mais, c'est la résurrection alors, il gambade dans le grand Ouest en ours ou en chienne humant le vent...
Une Amie

Il était beau, étrangement beau. Si beau qu’à San-Francisco, par jour de grand vent, on le prenait souvent pour le beau temps.
Mark Twain

Grâce à lui, j’ai décidé de consacrer plus de temps aux livres ouverts qu’aux hommes fermés.
Sherman Alexis

We may live without poetry, music and art; We may live without conscience, and live without heart; We may live without friends; We may live without books; But civilized man cannot live without cooks.
Owen Meredith

Welcome home! Big Jim.
Richard Brautigan

L’éternité est une maîtresse qui se donne à toi grande ouverte. Les cerfs s’abreuvent en bord de route et les pies s’écartent devant ta voiture. Bien loin de toute cité, ta radio claire et nette diffuse un surprenant Mozart de Belgrade, ou un rock and roll de Butte. Qu’importe l’air qui vient, tu veux l’entendre. Jamais ta Buick n’a connu telle allure.
Richard Hugo

Tu ne seras l’Ange de personne.
Thomas Mc Guane

Une douzaine de petits oiseaux, pas plus gros que des tasses à thé, sont perchés dans les branches devant ma fenêtre. Soudain ils cessent de chanter et tournent la tête. A l’évidence ils ont senti quelque chose. Ils plongent dans le ciel.
Raymond Carver

Quand quelqu'un que j'aime est touché par un événement horrible, ou quand je le suis moi-même, des choses familières -les pins le long de la route qui traverse les bois, la lune accrochée à la dernière neige- prennent soudain un aspect menaçant et deviennent même le présage de nouveaux désastres. Le chuchotement de la marée montante, qui auparavant était un rappel confortable de l'éternité, se transforme en sifflement pour m'avertir que rien, absolument rien, ne dure.
Je vois une mauvaise intention cachée dans le plus franc des sourires.
Thomas Savage


Comment se défait-on d'un personnage comme Dalva ?Comment as-tu vécu sa mort? 
JM
- Il y a, autour de la frontière mexicaine, un oiseau très rare. Tellement rare que je connais un type qui vit dehors depuis trente ans et qui n'en a jamais vu un seul. Au moment où j'en ai eu fini avec Dalva, j'ai été attiré par un mouvement à l'extérieur, j'ai regardé par la fenêtre de mon bureau de la Hard Luck Grange, et je l'ai vu : une femelle parée de toutes ses couleurs incroyables.
(Conversation entre Colum Mc Cann et Jim Harrison)

 Ces temps-ci, mes héros ont tous une fâcheuse tendance à disparaître. C’est très étrange, mais je ne cherche pas à les remplacer.

Julius 

jeudi 24 mars 2016

Jeu

Parce qu'après tout, nous avons bien le droit, nous aussi, comme les anciens égyptiens, de nous amuser un peu avec le soleil.



Luxor/Egypt-Décembre 2015

mardi 22 mars 2016

Les patriotes




Frileux comme des enfants recroquevillés dans les plis d’un drapeau fraîchement abandonné, les patriotes cherchaient un père. A l’acclame et au soulagement général, un vieux maréchal nouvoila le premier ses services. Outre un fameux toupet, le respect dû à ses feuilles de chêne et une santé féroce, ce Philippe Pétain avait pour lui un profil de timbre-poste. Héros de la Quatorze, par surcroît. Verdun, vision de ce que vous savez. Ce cacochyme-là parlait au nom des morts. C’est dire assez les références. Essayer pépère, c’était l’adopter. Il fit don de sa personne à la France. Il devint emblématique. On battit monnaie. On nicha à Vichy.
La suite est dans les livres. Une époque avec du crêpe autour des cornes. Un temps d’escargot. Rien n’avançait plus pour le pays. Une lenteur désespérante  sous un ciel bas. Plus de beurre avec ça. On se tringlait la ceinture. Question bidoche, on couponnait. Le pain ? De la sciure et du son. Et pour marcher, les tatanes en carton, les lacets en papier. A ce train-là, le civisme en prit un pet. On délatait son voisin pour un oui. Pour un rien, la police vous faisait descente. Hop, hop ! Les mains en l’air ! Que ça valse ! Juden ! Terroristes ! On vous déculottait. Pattes blanches ! Etoile jaune ! Marché noir ! A chacun sa couleur. A chacun sa débrouille. Système D. Bas peints en trompe l’œil sur les cuisses des élégantes. A l’orée du Bois, on s’envoyait en l’air avec les feldwebels. Ausweiss ! Kommandantur ! Ja, ja, mein Fürhrer ! Le françoze moyen, retourné façon IIIe Reich, ne croyait plus qu’à la saumure, à l’ersatz, à l’acier Krupp. C’était le temps des rafles et de la riflette, des mots de passe et du succédané. Où était passé le courage ? Où était le chemin ? Même les intellectuels gîtaient dans la tourmente. Valsez saucisses ! Pierre Blanchar tournait pour la Tobis. Arletty affichait cul international. Là-dessus, Ferdinand ferdina. Drieu à dia. Et Bardèche attigea. Mais, puisqu’on en parle ; Travail Famille Patrie, en ces temps de gazogènes, de biscuits caséinés et de doryphores en tous genres, personne, hormis un général factieux, ne trouva le courage de dire tout haut que la francisque, après tout, était une arme à double tranchant.
On arguëra que c’était une autre façon de ramasser l’Histoire. Mille fois raison ! Tout était en miettes. Le grand Gaulle en prenant tout ce qui restait sous son bonnet deux étoiles n’était peut-être pas du dernier blanc-bleu. Orgueil ? Ambition personnelle ? Sens mystique de l’Histoire ? Il y a toujours du périlleux à l’aube des destins qui poussent vers le Pouvoir. Souvent aussi à leur crépuscule.
Jean Vautrin
Le voyage immobile (de Kléber Bourguignault)

Mazarine-1985
Image: Pierre Blanchar dans l'Atlantide (G.W. Pabst-1932)

vendredi 18 mars 2016

Le polar Est Amour (26)


Kelly ouvrit la bouche, puis la referma lentement. Elle repoussa une mèche de cheveux qui lui était tombée sur le front et regarda tout autour d’elle.
-J’ai une dernière faveur à vous demander d’abord. S’il vous plaît, encore un peu de patience.
-Bien sûr. Tout ce que vous voudrez. Vous m’avez empoisonné, vous menez la danse.
-J’ai besoin d’aller aux toilettes. C’est urgent.
-Essayez la pièce avec le siège blanc.
-Très drôle, Jack. Mais j’ai besoin que vous veniez avec moi.
Kelly l’aida à se lever du lit. Il se rendit compte qu’il se sentait encore un peu flageolant, un peu étourdi et il la suivit, le pas lourd, jusqu’à la salle de bains. Installation hôtelière typique : une baignoire avec douche, une vasque sur un meuble, des serviettes tellement blanchies qu’on pouvait presque sentir l’odeur d’eau de Javel dans la pièce. Jack s’assit sur le bord de la baignoire et regarda Kelly défaire sa ceinture, puis déboutonner son jean. Elle commença à descendre la braguette, puis s’interrompit.
-Vous n’êtes pas obligé de regarder.
La voilà maintenant qui l’accusait d’être un pervers.
- Désolé.
Jack détourna la tête, fixa son regard sur un carreau de céramique blanc sur le mur opposé. Le joint qui l’entourait manquait un peu de précision. Il entendit le froissement du jean qui descendait le long d’une paire de jambes, puis ce qu’il imagina être celui de la culotte. Ca ferait une autre excellente photo pour la légitime : Jack seul dans la salle de bains d’une chambre d’hôtel avec une blonde dont le pantalon était descendu jusqu’aux chevilles. Mais, chérie, protesterait-il. Je n’ai pas quitté des yeux le carreau de céramique sur le mur. Je ne sais même pas si c’est une vraie blonde.
Les hommes sont des créatures visuelles, inlassablement fascinés par l’une ou l’autre partie du corps féminin, même s’ils ne la trouvent pas attrayante. Dans son cas, même s’il s’agissait de la femme qui l’avait empoisonné. Il ne pouvait pas s’empêcher de regarder.
-Hé.
Jack eut la vision fugace de la peau très blanche de Kelly, avec, au milieu, un triangle de poils pubiens roux, bien épilé. Ce n’était pas une vraie blonde.
-Je suis désolé. Je croyais que vous aviez terminé.
-Ouais.
Kelly fit la moue.
-Je suppose que je vous dois au moins un regard. Après tout ce que je vous ai fait subir.
Duane Swierczynski
The Blonde

(Rivages/Noir)
Image : Veronka Lake dans This gun for here ( Frank Tuttle-1942)

mardi 15 mars 2016

Une blonde





C'était une blonde. Une blonde pour laquelle un évêque serait prêt à donner un grand coup de pied dans un vitrail.
Raymond Chandler

vendredi 11 mars 2016

Le grand désert blanc



ll semble que de nouvelles métaphores et autres allégories concernant le désert soient de plus en plus difficiles à dénicher pour le poète. C’est un peu comme la neige et son grand manteau blanc. Ce jour-là, le sable est rouge. N’y voyez aucun phénomène géologique ou météorologique. Non, c’est tout simplement les vitres de notre bus qui sont toutes recouvertes d’un film plastifié de cette couleur. Le bus flotte sur un fin lacet rectiligne où les quelques virages deviennent de salutaires distractions. Après cinq bonnes heures de tangage nous voici à Bahariya. Le moins que l’on puisse dire c’est que notre arrivée ne passe pas inaperçu. L’homme sympathique, embarqué par notre chauffeur une heure plus tôt alors qu’il patientait au bord de la route, nous présente sa carte de police et nous demande de le suivre dans une petite échoppe sombre et sale. Pendant que le gérant photocopie nos passeports, un véritable attroupement se forme autour de nous. Dans un anglais plutôt primitif les chauffeurs de taxi nous demandent tous ce que nous sommes venus faire dans ce village isolé. Nous sommes ici pour le grand désert blanc, évidemment ! Sûrement pas pour visiter la dizaine de bâtiments croulants alignés le long de la route défoncée. Un autre fonctionnaire dévoué de l’Etat nous accompagne jusqu’au campement réservé quelques jours plus tôt. Nous réveillons le gardien des lieux. Pour la chambre, aucun problème, elles sont toutes libres. Pas un chat, mais pas mal de poulets. Enfin, après une longue attente (mais le temps compte si peu lorsqu’on est si proche du grand désert…) voilà le frère du gérant. Une discussion animée s’engage sur notre excursion du lendemain. Inutile d’en relater les détails, sachez seulement que toute palabre repose inévitablement sur le fait accompli que nous sommes milliardaires. Enfin, l’affaire est conclue. Le départ est fixé pour le lendemain matin. En attendant, d’après notre hôte, il serait impensable de ne pas visiter les sources d’eau chaude qui ne se trouvent qu’à quelques centaines de mètres derrière les bâtiments de l’hôtel. Très bien, une petite marche ne peut pas nous faire de mal. Nous dérangeons notre « accompagnateur » qui s’était déjà installé sur une banquette à côté du gardien. L’homme dévoué se lève et nous emboîte le pas. Nous lui demandons s’il a pensé à prendre son maillot de bain. Pas de réponse. Nous ne restons que quelques minutes sur les lieux. Juste le temps de détailler le gros tuyau rouillé d’où jaillit une eau sale qui se jette dans un grand abreuvoir. Demi-tour.
La nuit est tombée et nous levons la tête, remplis d’espoirs, vers le ciel étoilé.  Encore une déception. J’ai personnellement vu des nuits étoilées méditerranéennes beaucoup plus explosives. J’approuve le poète, car lui sait que les étoiles ne regardent jamais en bas. Pas le temps de rêver que le gérant surgit pour nous annoncer que la petite excursion du lendemain est fortement compromise pour cause de véto de la police. Nous décidons de repartir pour le Caire. Alors, une autre discussion animée s’engage à propos de la seconde nuit d’hôtel que nous devons annuler.
Le lendemain matin, notre ange-gardien en personne nous accompagne à la station de bus. En attendant le car, nous jouons à repérer les fonctionnaires de l’Etat. On abandonne notre petit jeu en grimpant dans le bus. L’intérieur du véhicule à l’air d’avoir été ravagé par un ouragan. Qu’importe, les vitres sont blanches (enfin, presque) et nous allons enfin pouvoir jouir du spectacle sur le long chemin du retour.
 Ne vous attendez pas à de nouvelles et très subtiles métaphores.
Julius Marx 

samedi 5 mars 2016

Cérémonie





Les murs sont totalement nus, les fenêtres fermées, les rideaux tirés. Le soleil de Californie tente une percée par le vitrail d’une lucarne ovale. Assis devant le vitrail, le clebs fixe le gâteau. Sa tête est rouge, ses pattes jaunes. Sa langue va toucher la moquette.  Le Maître balance une bonne poignée de bougies sur le gâteau qui représente un énorme volume relié. Elles se perdent dans la crème fouettée des pages. Le clebs se met à japper. Le Maître enfile une chemise hawaïenne, une casquette de toile et empoigne subitement une chaise. Il la soulève et s’apprête à la lancer à l’autre bout de la pièce. Il soupire et la repose. Il ouvre grand la bouche. Il en sort des cris de bête. Le chien bondit et  bousille totalement le gâteau.
Bon anniversaire, Maître.
Julius Marx

vendredi 4 mars 2016

Le Polar Est musical


Avec le gros appareil à chambre sur son trépied, Brassaï, que son album Paris de Nuit vient de faire connaître, prend en photo Armstrong et ses copains parisiens Al Brown et Wiggins. Ils sont attablés, entre hommes, à la Coupole, devant d’énormes plateaux de fruits de mer. Le roi du jazz, serviette autour du cou, sourit de toutes ses dents. Trois black beauties virevoltantes les rejoignent au dessert, Joséphine Baker, Bricktop et Alpha qui font sensation entre les tables de la Coupole. La vedette des Folies-Bergère adresse des petits signes aux uns et aux autres, se déhanche et sourit. Brassaï charge une nouvelle plaque photographique dans son appareil.
-Moi, j’aime ça que les hommes me regardent ! glousse la gazelle…Je sais que c’est glandulaire chez eux, mais ça m’est égal !...
Alpha regarde par en dessous son seigneur et maître.
-Toi, c’est pas pareil, hein mon Louis ? Toi, t’es un amour, pas vrai ?
Il roule les yeux et entame en sourdine un de ses chevaux de bataille, détachant chaque syllabe du vieux standard… I can’t give you anything but love, baby…du miel de rocaille dans la voix. Tout de suite, Joséphine entremêle ses vocalises au chant rugueux. Les fourchettes des dîneurs restent en l’air. Un vieil écrivain de la NRF, à une table voisine, souffle à son vis-à-vis :
-Ecoutez !... C’est la voix de la tourterelle et la voix du gorille… Ces gaillards-là sont en train d’inventer, sans le savoir, la musique du XXe siècle !...
Michel Boujut
Souffler n’est pas jouer
(Rivages/Noir)
Même si le roman s’apparente plus à un traitement précis et détaillé destiné au cinéma (les cinéphiles se souviennent de l’émission Cinéma/Cinémas) et si l’intrigue disparaît peu à peu au profit des personnages célébrés, la lecture n’en reste pas moins savoureuse et jubilatoire.
Photo : Brassaï

jeudi 3 mars 2016

Alexandrie

Jour


La ville de Durrell est devenue celle du Colonel Sanders.
                                    Où chercher les personnages du quatuor ?
                                    Poésie ?
                                    Poésie des pierres, des ruines…



                                                     Affront de mer
                                                     vestiges d’une guerre sans nom.
                                                     Où chercher les personnages du quatuor ?

                                                     Où trouver l’autre vie, l’autre monde ?




Nuit

Sur notre table ;
harengs marinés
sardines
riz crevettes et poivrons
crabes rouges
beignets de calamar
un loup et une dorade grillés.
Plus tard, lorsque je me lave les mains,
le sourire espiègle du gamin qui distribue 
serviettes et cure-dents.
Ainsi, tout n'est pas perdu?

Julius Marx