Article paru dans l'indispensable revue "L'indic"(revu et corrigé)
Les tueurs ont tous
une bonne raison
"Des
hommes meurent avec le désespoir dans le coeur et des convulsions dans le
gosier à cause de l'horreur des mystères qui ne veulent pas être
révélés."
Edgard Allan Poe (L'homme
des foules).
Qui d’autre
qu’Edgard Poe, véritable père fondateur de notre littérature préférée, pour
ouvrir cet article consacré aux tueurs ? Poe qui n’a cessé dans ses écrits
de mettre en scène les dérives meurtrières des humains. Voyons donc ensemble
ces horribles mystères.
Dans le
roman noir, le personnage du tueur est devenu un archétype, comme le flic
divorcé qui avale plusieurs bouteilles de gnôle par jour ou la blonde
incendiaire spécialement chargée de coller le plus grand nombre de types dans
le pétrin. Mais, pour l’auteur de romans noir, le tueur est surtout un
véritable révélateur de l’horreur des
mystères que les hommes conservent tous dans leur esprit. Il est celui qui transgresse,
qui passe à l’acte. Pour composer son personnage un écrivain se sert bien
évidemment de la réalité mais, il se doit de compléter aussi sa biographie de
détails importants qui vont rendre sa création
crédible (tout du moins dans la fiction). Etudions par exemple le cas de
Martin Terrier, le tueur à gages de La position du tireur couché
de Jean-Patrick Manchette. L’auteur a fait naître son personnage dans une
sous-préfecture de moyenne importance clairement divisée en deux castes ;
les ouvriers et les bourgeois. Terrier vit une adolescence compliquée, élevé
par un père autoritaire, simple serveur dans une brasserie. Un homme, devenu
alcoolique à la suite d’échecs lamentables et répétés qui finira ivre-mort «
dans le ruisseau. » (1) Le jeune Terrier est Humilié par la bonne société de la ville (en visite
chez les parents de la fille dont il est amoureux, il ressortira par l’escalier
de service). Il n’a donc pour seule issue que la fuite. Ceci est son histoire
personnelle qui va évidemment compter dans le « jugement dernier ». Pour
le reste, Terrier se borne à suivre d’après ses propres mots ce qu’il appelle
« un plan de vie ». Il reviendra dans la ville de l’humiliation pour
enlever sa belle. Si cette face du personnage de tueur est assez proche de la
réalité (on peut s’en rendre compte en étudiant les différentes affaires
criminelles) l’auteur veille à ce que cette « caractérisation »
s’accompagne d’une somme de détails importants. Nous apprenons donc par exemple
ce qu’il boit, ce qu’il mange, sa façon de se vêtir et surtout nous découvrons
son environnement. Autres détails, plus poétiques, qui viennent couronner ce
travail, le tueur professionnel qu’il est devenu est fasciné par la voix de
Maria Callas et collectionne les disques de la Diva. Et, il devient aphone à la
suite d’une grande émotion (tromperie de sa dulcinée) (2). Sa chute sera, elle aussi, plus allégorique que dans
la triste réalité. Il finira seul et raillé par les habitués du café où il
travaille, comme son père avant lui, montrant à l’évidence qu’on ne sort jamais
de sa condition. Dans la réalité, le tueur est pris en charge par un bataillon
d’experts psychiatres avant un procès aux assises où il ne révèlera jamais aux
familles des victimes présentes l’explication de ses crimes.
Bien
entendu, les pathologies des personnages de tueurs sont différentes mais
évidemment toutes d’une gravité extrême. Voyez, par exemple, la grande famille
des tueurs de cinéma dont certains ont un sérieux problème avec leur maman,
cette fois-ci. Citons, Psycho d’Alfred Hitchcock ; son
jeune homme si fusionnel et sa fâcheuse tendance à porter perruque et robe. Le lipstick-killer de While the City Sleeps
de Fritz Lang, si féroce et
déterminé face aux jolies blondes et qui redevient petit garçon lorsque
sa maman lui demande de ranger sa chambre. N’oublions pas le merveilleux
White heat de Raoul Walsh, avec
le grand James Cagney et cette très célèbre scène d’hystérie lorsqu’on lui
apprend la mort de sa mère bien-aimée.
On l’aura compris, un bon auteur de polar se doit d’exposer les raisons
profondes de son tueur, de dévoiler ces fameux mystères en veillant à ne pas
l’abandonner trop longtemps sur le divan du barbu viennois. J’oserai même
écrire que c’est probablement ce travail essentiel qui imprime à jamais la
différence entre une oeuvrette bon marché et un vrai roman noir. Ces raisons
profondes ne visant pas à « excuser » le tueur mais plutôt à mieux le
situer dans la société des humains. La société justement, avec ces honnêtes
gens qui se demandent toujours pourquoi un garçon si gentil, si « bien de
sa personne », a trucidé, un soir, la totalité des membres de sa famille,
en épargnant simplement le chien.
Pour finir, laissez- moi vous raconter cette histoire bien réelle
glanée lors de mes très nombreux visionnages d’émissions télévisées
spécialisées dans les affaires criminelles. L’affaire concerne une jeune femme
qui a froidement assassiné son patron de trois balles dans le dos à l’orée d’un
petit bois charmant avant de l’enterrer. Pour expliquer son geste insensé, les
enquêteurs de la gendarmerie ont avancé l’hypothèse d’une jalousie maladive et
du harcèlement dont elle était victime. Si le patron abusait bien de sa dévouée
secrétaire, est-ce vraiment suffisant pour en conclure qu’elle n’avait pas
d’autre moyen de se venger ? Interrogé par la télévision, le père de la tueuse,
finit par révéler qu’à l’âge de 12 ans, sa fille a bien été violée plusieurs
fois par un couple « d’amis » qui l’avait emmené en vacances.
Personne n’a jamais porté plainte et l’affaire ne s’est pas ébruitée. Lorsque
le journaliste lui demande pourquoi, le bon père de répondre :« Voyez-vous
monsieur, dans notre pays on garde ces choses-là pour soi ».
Si après cela, vous pensez que la civilisation s’enfonce lentement dans
la barbarie, vous n’y êtes pas du tout. Nous sommes déjà entrés dans le dernier
cercle de l’Enfer.
Julius
Marx
(
1) Tout comme Edgard Poe, d’ailleurs.
(2)
Ce merveilleux rebondissement que Manchette a
probablement « piqué » dans le Sérénade de James Cain.