"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
lundi 29 juillet 2013
Carte postale
Lire sur la plage est un exercice plus que périlleux et demande une concentration extrême.
Tout d'abord, il y a les conditions climatiques qui sont un peu contre le courageux lecteur. Le vent, bien entendu, mais aussi le sable qui vient se coller partout!
Parlons aussi du son ambiant (les cris d'enfants, celui-là qui appelle sa dulcinée, celui-ci qui pense que tous le monde doit absolument connaître les résultats du Loto, et puis, hélas, la musique; disons plutôt ce bruit sourd qui vient d'on ne sait où.
Enfin, il y a aussi ce que j'appellerai les éléments extérieurs. C'est à dire, tant d'autres histoires de la vie ordinaire qui se jouent, là, juste au pied de notre transat. Alors, on ne peut que lever les yeux de notre roman pour en suivre un autre. Comme l'histoire qui suit, publiée il y a déjà trop longtemps.
A bientôt
Julius
Comment j'ai rencontré le chien de Fellini
Août 2003. Rosetto Degli Abruzzi. Italie.
Incontestablement, le ciel est de couleur bleu azur.
Après un bon café au bar Delle Rose, une visite au marché, je rejoins notre place réservée sur cette longue plage de sable fin de l'Adriatique.
Rangée numéro trois : deux parasols et quatre transats.
Ce village et ses habitants vous donne une petite idée du Paradis. Au Bar de plage de l'hôtel voisin, on vous sert le Campari avec des olives, du fromage et une assiette de friture, sans aucun supplément de prix, même le sourire est toujours compris.
J'ai emporté Nouvelles pour une année de Pirandello. Les 247 nouvelles qui composent le bouquin naissent dans les 3600 pages du livre et s'achèvent devant mes yeux, sur le sable, parmi les familiers de la chaise-longue.
Pour que débute cette histoire, il faut attendre 17 heures. Laissons donc le temps s'étirer lentement entre les rires lointains des enfants, la musique au tempo saccadé venant de la piscine de l'hôtel poussée sans ménagement par la brise marine entre les branches des palmiers, le cri du marchand ambulant de noix de coco et la voix sourde, noyée dans le grésillement familier du haut-parleur fixé sur le toit d'une voiture, qui annonce le spectacle de cirque de la soirée, l'élection d'une Miss ou le grand film projeté dans les jardins de la Mairie.
Juste le temps d'achever la nouvelle intitulée Rien et voici qu'arrive le héros de cette fin d'après-midi.
Comme chaque jour à la même heure, il redescend tranquillement l'allée centrale de notre plage.
A son passage, les occupants de la rangée quatre se relèvent. Un papy de la rangée deux réveille sa compagne qui dormait avec un journal sur le visage. Quelques enfants courent derrière lui en chantant ses louanges. Et puis, les baigneurs l'accueillent chaleureusement comme l'un des leurs. Il plonge dans l'eau claire et batifole sous les acclamations, les applaudissements, les rires. Notre héros n'est pas un héros comme les autres. Court sur pattes, le noir et le blanc se disputent la suprématie de son pelage. On retrouve également cette pacifique bataille autour de ses yeux : le gauche est entouré de noir et le droit de poils blancs. Personne ne prend le risque d'annoncer son appartenance à une race quelconque, mais à quoi bon? Cette singularité le classe illico dans la grande famille des chiens de cirque ou de cinéma.
Son bain quotidien achevé, il s'ébroue au milieu d'un cercle d'enfants qui piaillent de joie.
Maintenant, il a quelque chose de très important à faire, le temps du jeux et du divertissement est terminé. Là-haut, sur la longue route droite qui souligne la plage, quelqu'un l'attend.
Sur les conseils de notre maître-nageur je décide de le suivre.
Comme le ferait un promeneur nonchalant, il remonte la route en accordant, çà et là, ses faveurs à quelques jolis troncs de palmiers.
Celle qui l'attend est une femme. Elle est vêtue d'une large blouse fleurie. Cette blouse, c'est le véritable uniforme des femmes des Abruzzes d'un certain âge. Le touriste égaré la pendrait par mégarde pour la femme de ménage de l'hôtel mais, il devrait très vite réviser son jugement hâtif car c'est en fait la patronne très autoritaire de l'hôtel Bella Vista.
Les deux mains posées sur ses hanches généreuses, le regard droit, fixé sur l'interminable rangée de palmiers, elle attend son intrus, son malotru de 17 heures.
L'indésirable, c'est bien entendu notre héros. Pour l'instant, il se fait oublier, caché derrière le tronc imposant d'un palmier.
La matrone jette un regard circulaire, frappe du pied sur le trottoir et décide de retourner à ses affaires. Aussitôt, le chien sort de sa cachette et trottine jusqu'à l'endroit précis où se trouvait la femme quelques secondes auparavant.
Tranquillement, il dépose un joli colombin, devant la belle entrée de ce prestigieux hôtel.
Il décide de ne pas rester plus longtemps sur les lieux de son forfait. Et il a bien raison. La femme resurgit telle une furie, en criant. Trop tard, notre héros a déjà disparu.
La patronne de l'hôtel Bella Vista jette sa savate en direction du fugitif et lève les yeux en implorant le ciel.
Cette singulière histoire a débuté avec Pirandello et s'achève donc avec Fellini.
Pendant que la patronne de l'hôtel s'occupe de la pièce à conviction abandonnée par ce sacripant de la gente canine, la voiture de l'animation revient à notre hauteur. Elle annonce un magnifique et impressionnant défilé de mode pour le soir-même suivi d'un concert de l'harmonie Municipale.
Ah ! Bien, encore du spectacle.
Julius Marx
mercredi 24 juillet 2013
Mes aventures de sieste (5)
L'abri sentait la feuille moisie et l'humidité. Smiley s'accroupit derrière la meurtrière, les pans de son manteau de tweed traînant dans la boue, tandis qu'il inspectait la scène devant lui comme si elle offrait toute l'étendue de sa longue vie.La rivière était large et lente, embrumée de froid. Des lampes à arc jouaient sur l'eau et la neige dansait dans leur faisceau. Le pont s'étendait sur de gros piliers de pierres, au nombre de six ou huit, qui s'élargissaient comme de grosses chaussures en atteignant l'eau. Il y avait des arcs entre les piliers, sauf au centre, où le tablier était plat pour laisser le passage à la navigation, mais le seul navire était un patrouilleur gris ancré sur la rive est, et le seul commerce qu'il offrait, c'était la mort.
Derrière le pont, comme son ombre immense, se dressait le viaduc du chemin de fer, mais comme la rivière il était délaissé et aucun train, jamais, ne le franchissait. Sur l'autre rive, les entrepôts se dressaient monstrueux comme les carcasses d'une ancienne civilisation barbare, et le pont avec son passage jaune semblait bondir depuis là-bas à mi-hauteur, comme une fantastique traînée lumineuse qui traversait les ténèbres. De son poste d'observation, Smiley pouvait en balayer toute la longueur avec ses jumelles, depuis le débarquement blanc éclairé par les projecteurs sur la rive est, jusqu'au mirador noir à la crête, puis en redescendant légèrement vers le côté ouest: jusqu'à l'enclos, la casemate qui contrôlait la porte, et enfin le halo.
Guillam n'était qu'à quelques pas derrière lui, mais il aurait aussi bien pu être rentré à Paris pour l'attention que Smiley lui prêtait : il avait vu la silhouette noire et solitaire amorcer son voyage; il avait vu briller la lueur de la cigarette au moment où il en tirait une dernière bouffée, et le rougeoiement qui était tombé en comète vers l'eau lorsqu'il l'avait lancée par-dessus la barrière de fer de l'étroit couloir.
Un homme de petite taille, en vareuse d'ouvrier, avec une sacoche d'ouvrier, en travers de sa petite poitrine, ne marchant ni trop vite ni trop lentement, mais comme un homme qui marchait beaucoup.
Un petit homme, son corps un rien trop long pour ses jambes, et sans chapeau malgré la neige. C'est tout ce qui se passe, songea Smiley; un petit homme traverse un pont.
-Est-ce lui ? chuchota Guillam. Georges, dites-moi ! C'est Karla?
John Le Carré
Smiley's people
Les gens de Smiley
Image :Patrick Stewart and Alec Guinness as George Smiley in “Smiley’s People.” (Everett Collection)
Entrer dans la littérature de John Le Carré c'est comme pénétrer dans une église. On pousse la porte doucement, et on se glisse à l'intérieur. Dans ce sanctuaire au silence glacial, tout est somptueux, pourtant on frissonne. On devine que l'on va apprendre pas mal de choses, des choses probablement essentielles. Mais, le prêtre est assassiné avant la fin de son sermon. On en déduira tout de même que le saint homme voulait absolument nous entretenir des bons et des méchants, bref, de la puissance du Mal et de son pouvoir sur notre pauvre monde.
A la fin de cette expérience éprouvante, inutile de songer à s'endormir.
Julius Marx
lundi 22 juillet 2013
Le frelon (suite et fin)
C'est un monsieur Denis
transi de froid qui pénétra dans la salle d'attente du commissariat
de district numéro quatre,dans les quartiers nord de la ville.
Il vit un agent foncer
dans sa direction, agitant une paire de menottes devant lui avec un
grand sourire carnassier.
Il en résulta une grande
mêlée assez réussie où Denis se fit une forte entaille au-dessus
de l'oeil, en tombant contre l'arête une table. Mais les agents
vinrent finalement à bout de lui, et le commissaire Mangin lui mit
les menottes solidement.
Il se mit à hurler,
réclama un officier supérieur, demanda qu'on montre plus d'égards
envers un homme de la "même maison".
Il criait si fort que les
agents le coiffèrent d'un sac prévu pour envelopper une machine à
écrire et le commissaire dit:
-Sans aucun doute, c'est
l'énergumène que nous cherchions. Entendez-vous ce langage, ces
gros mots ?
Alors, malgré le sac,
Denis demanda au commissaire ce que signifiait un traitement aussi
indigne.
Le commissaire lui
répondit qu'il était le dénommé Jim Carlock, 1,50 m, yeux noirs,
cheveux blonds et pas de vêtements sur lui. Qu'il était le
dangereux voleur et violeur recherché par ses services depuis trois
longues années. Le commissaire se montra fort satisfait d'avoir
enfin touché au but. Il ajouta que ses supérieurs lui en serait
reconnaissants.
Monsieur Denis donna de
longues explications ; mais plus il en donnait, moins le commissaire
le croyait.
Lorsque Denis mentionna
mon nom et mon grade à ce zélé fonctionnaire en lui demandant de
me contacter le plus rapidement possible, le commissaire lui répondit
qu'il n'était même pas imaginable de déranger un personnage aussi
important que moi à une heure avancée de la nuit et lui conseilla
de trouver une autre astuce pour sa défense.
Denis claquait des dents,
était fort mal à son aise. Les termes dont il se servit à partir
de ce moment-là ne peuvent en aucun cas figurer dans cette histoire.
Deux solides gardiens le
jetèrent dans une cellule, et il passa le reste de la nuit à les
injurier, puisant inlassablement dans son conséquent catalogue de
grossièretés.
Le lendemain, on fit de
lui un paquet bien ficelé qu'on déposa devant un juge.
Monsieur Denis se redressa
et tâcha de se tirer d'affaire en prenant un air supérieur. Il
n'avait guère l'air supérieur, avec ses menottes, quatre gardiens
derrière lui, et le sang de sa coupure qui s'était coagulé sur sa
joue gauche.
Denis alla jusqu'à ces
mots : "mon ami, c'est une affreuse méprise, je vous prie de
bien vouloir contacter le commissaire..."
Mais, arrivé là, un
gardien lui flanqua une bonne gifle en lui enjoignant de "fermer
ça".
Alors le magistrat, un
vieil homme usé très proche de l'heure de la retraite, se lança
dans une violente diatribe où il fut question de canailles (et il en
avait connu une pléthore !)
Le vieillard énuméra la
longue liste des individus qu'ils avait fait passer de vie à trépas
d'une voix si grave et solennelle qu'elle semblait sortir des
profondeurs de l'enfer.
A chaque fois que Denis
tentait de lui couper la parole, le gardien se rapprochait de
l'infortuné en levant la main bien haut au-dessus de sa tête. Après
plusieurs essais infructueux , monsieur Denis renonça.
Le vieux juge mit fin à
l'audience en déclarant que personne, jusqu'à ce jour ne l'avait
jamais appelé "mon ami".
Il décida que l'accusé
serait pendu.
On ramena Denis jusqu'à
sa prison et on lui recommanda de ne pas faire l'imbécile.
Dans son cachot humide, il
faillit devenir fou de rage, de froid, du malentendu, des menottes,
du mal de tête que lui causait sa coupure au
front et du coup asséné par ce sacré cyclope.
S'il avait conservé
quelque présence d'esprit, il se serait tenu tranquille jusqu'à
l'arrivée d'un haut-gradé, mais il tenta de s'enfuir en bousculant
le gardien chargé de lui porter sa pitance.
Il reçut un coup de
crosse à la chute des reins qui le fit hurler de douleur. Deux
autres gardiens vinrent à la rescousse et le secouèrent par le
collet. A terre, les trois hommes s'acharnèrent sur lui à coup de
pied.
Il se releva , éprouvant
grand mal au coeur et un fort vertige.
Debouts, faisant cercle autour de lui, les gardiens se tenaient
prêts à reprendre le traitement de faveur réservé aux seuls
grands criminels.
Alors, il voulut bien
avouer qu'il s'appelait Jim Carlock. Il confessa une impressionnante
série de cambriolages, une dizaine de meurtres et autant de viols.
Il donna tant de détails
que le greffier eût un mal fou à tout noter !
Lorsque le commissaire
Mangin du district numéro quatre, quartier nord, me raconta cette
pénible histoire quelques semaines plus tard, il se montra fort
navré de son erreur.
Je le rassurai en lui
certifiant qu'un frelon ne peut raisonnablement pas espérer une
durée de vie aussi longue que celle d'un être humain.
FIN
vendredi 19 juillet 2013
Le Frelon (2)
L'homme était énorme en
long comme en large.Il avança en direction de notre frelon, roulant
des épaules, balançant les bras : sa tignasse rousse ébouriffée,
les yeux flamboyants.
Denis recula. Un feu
ardent lui brûla le dos.
Le molosse avançait
toujours.
Denis put distinguer très
nettement son visage ; il le regretta aussitôt.
L'homme avait un oeil
unique, un nez écorché et les deux joues griffées ; un vrai masque
de gorgone sanglante aux mains d'airains et à la chevelure hérissée
de serpents.
Le cyclope plongea tout
d'un coup vers l'avant.
Denis tenta un bond de
côté mais la bête le rattrapa . Ils roulèrent sur le sol.
Courageusement, Denis martela son adversaire de coups de poing sur ses
flancs. Le molosse plissa juste légèrement le front et retourna Denis aussi facilement qu'une carte. Il enfourcha notre pauvre frelon et se mit à rugir. Son énorme main battoir frappa Denis sur la tempe.
-Assez, ça va comme ça!
fit une voix.
Une autre figure rouge
violacée se présenta au-dessus de celle du géant.
Denis eût tout juste le
temps de remarquer la trogne carrée comme une bûche de celui qui
venait de parler et le drôle de petit chapeau fripé qu'il portait,
avant de sombrer.
Les deux vagabonds
demeurèrent accroupis, dévisageant Denis avec intérêt, pendant
plusieurs minutes.
L'homme au drôle de
chapeau se redressa.
-Qu'est ce qu'on en fait ?
demanda le molosse.
L'autre tordit ses lèvres
puis, considéra le costume de bonne coupe que portait Denis, avec
une attention soutenue.
Il se déshabilla
rapidement , ne conservant qu'un tricot de corps troué et crasseux.
Le costume de Denis
n'était pas exactement à sa taille mais, il s'en contenta. Il
retroussa les manches et les bas de pantalon tandis que le molosse
enfilait sans grande difficulté le gilet rayé.
-Ben mon vieux, un vrai
milord, siffla le molosse qui voyait pour la première fois son
compagnon d'arme en costume.
-Ouais! ca va, grogna
l'autre. Garde tes remarques pour toi.
Il palpa la poche
intérieure du veston et trouva un épais portefeuille.
-Tu veux que je te dise,
c'est notre jour de chance, dit-il en montrant la liasse de billets.
Ce type, c'est le seigneur qui nous l'a envoyé !
Le molosse, qui
n'entendait rien aux choses de la spiritualité, grogna de
contentement et dodelina sa grosse tête comme un bon toutou.
-Allez, on fiche le camp,
décida l'homme au drôle de chapeau.
Ils récupérèrent le
grand sac contenant deux chandeliers, quelques pièces d'argenterie
et une demi douzaine de cadres guillochés et se glissèrent hors du
salon.
Dans le couloir, l'homme
au drôle de chapeau se débarrassa de son long paletot rapiécé et
enfila le manteau en poil de chameau de monsieur Denis.
-Un vrai miracle,
commenta-t-il encore en enfilant le manteau.
Il regarda le plafond du
couloir et lança : "merci mon Dieu" en joignant ses mains.
Le molosse leva lui aussi
la tête et ne distingua que des poutres recouvertes d'une épaisse
couche de peinture verte.
Les deux malfaiteurs
remontèrent la grande allée du parc sans échanger le moindre mot.
Ils escaladèrent le muret avec la grande expérience des gens de
leur caste et se retrouvèrent vite sur le trottoir. Alors qu'ils
passaient devant la grille d'entrée, l'homme au drôle de chapeau
s'arrêta. Il se gratta le menton et se fendit d'un léger sourire.
-Mais, qu'est-ce que tu
fabriques ? demanda le molosse totalement ahuri, en voyant son
compagnon agiter vigoureusement la sonnette.
-J'aide la police,
répondit l'autre, le visage hilare. Il y a un voleur dans cette
maison et j'ai horreur des voleurs. En deux mots, je fais une bonne
action.
Le duo se mit à rire.
Leur rire résonna pendant un très long moment tout au long de
l'avenue de l'Hippodrome.
A l'intérieur, monsieur
Denis émergea de son demi sommeil. Il ne mit que quelques secondes
pour apprécier la situation. Il se trouvait en caleçon dans le salon d'une maison
qui venait d'être cambriolée. Dans son crâne, bourdonnait une
musique très désagréable, un son très aigu, strident, qui le
faisait grimacer de douleur.
Chancelant, il rejoignit
le couloir. Son pardessus aussi avait disparu.
L'horrible musique
s'amplifia encore.
Désespéré, il ouvrit
grand la bouche pour lancer un juron mais aucun son ne sortit.
Dans la chambre de son
petit chalet suisse, le gardien éprouvait les pires difficultés à
enfiler son pantalon. Il lui était impossible de rester plus d'une
seconde sur un pied. Il s'écroula sur le parquet et décida de
tenter une nouvelle fois l'opération en position allongée. Après
plusieurs essais, il enfila enfin les deux jambes et se releva. Il
boula hors de sa chambre.
Dans sa cuisine, il
attrapa le fusil Tarzan à canon scié suspendu au-dessus du
fourneau. Ah! ça! Bon Dieu, celui qui avait eu l'idée de le réveiller en pleine nuit
allait le payer cher, très cher.
Il déboula comme un fou
dans l'allée principale de la propriété.
Sur sa droite, un
bruissement le fit stopper. Il pointa son fusil en direction du
bruit.
-Hé la! cria le gardien
en voyant un tapis traverser le parc à toute vitesse.
(A suivre )
Image : Peter Lorre dans Casablanca, bien entendu.
lundi 15 juillet 2013
Le frelon
Il ne pouvait trouver que
la
mort dans la source qui
lui
avait donné la vie.
Pentadius
( IVe s.)
Monsieur Denis était un
Frelon.
C'est ainsi que dans nos
services nous nommons ceux qui exercent la respectable et
indispensable profession d'indicateur de police.
Ce sont tous des gens très
utiles pour notre confrérie et il y en a parmi eux de si bien
élevés qu'ils se contentent de beaucoup moins de ce qui leur
revient d'après nos tarifs.
Aux derniers jours de la
seconde guerre mondiale, Denis avait, en quelque sorte, hérité de
la profession de ses parents, tous deux décédés de mort violente
dès la fin des hostilités.
Il avait reprit le
flambeau familial comme on reprend le commerce de charbon ou la
boutique d'alimentation.
Il ne mesurait pas plus
d'un mètre cinquante et pesait un bon quintal.
Sa grosse tête, sa
tignasse blonde et ses éternels gilets rayés étaient la cause de
bien des railleries à son égard. Un tel mimétisme avec le
sobriquet connu de tous de sa profession rendait les imbéciles
hilares et les médecins de l'âme dubitatifs.
Les remarques
désobligeantes pleuvaient sur sa triste personne mais il s'en
moquait totalement, il était fait d'une argile bien supérieure.
Monsieur Denis se piquait
même d'être le meilleur dans sa discipline et croyez-moi, il avait
raison.
Je pourrais vous citer une
bonne douzaine d'homicides qui seraient aujourd'hui classés sans
suite si Denis n'était pas intervenu dans la résolution de ces
épineuses affaires.
Amoureux de son travail,
il connaissait toutes les entrées et les sorties des maisons,
pouvait deviner à coup sûr celles qui étaient ouvertes à un coup
de main .
Grâce à ses conseils
d'expert, que de cambriolages nous avons pu éviter et que de travail
épargné pour une simple petite dîme!
Seulement voilà, Denis
manquait singulièrement de toutes les formes de délicatesse. Il
traitait son entourage et ceux qui avaient l'impudence de l'approcher
avec grossièreté et se laissait aller à de lourdes plaisanteries.
C'était un barbare, un
véritable furor satiricus qui culbutait tout ce qui
s'opposait à sa fantaisie, tas de fumier ou ruines solennelles.
Je ne sais quelle
hypothèse les médecins auraient pu donner pour expliquer son infâme
conduite. Se laissait-il dominer par cette étrange et sauvage
sensation, ce retour inconscient vers son passé, ou l'enfant de dix
ans qu'il était voit sa propre mère ligotée sur une chaise, crâne
tondu, et son père le dos lacéré d' une volée de coups de fouet ?
Etait-il trop profondément marqué par la mort peu commune de ses
géniteurs ? Je ne puis le dire. Trop pénible en tout cas pour qu'on
s'arrête à l'approfondir. Il ne servirait à rien de le cacher
plus longtemps, il n'y avait rien de bon chez lui.
Tous le monde le haïssait
et n'avait qu'un rêve secret : le voir se balancer au bout d'une
corde.
Et cette triste chose
arriva.
Pour vous conter cette
histoire, il me faut retourner quatre années en arrière. C'était
une nuit de janvier, une nuit sombre et glacée, sans une giclure de
lune. Denis remontait la très respectable avenue de l'Hippodrome.
L'avenue qui traverse notre bonne ville de Veninsart d'est en ouest était
déserte. La neige, qui n'avait pas cessé de tomber régulièrement
depuis le matin avait finalement accéléré son rythme et s'était
muée en une vraie tempête.
Denis frissonna. Il
remonta le col de son épais manteau en poil de chameau et pressa le
pas.
Cachée entre deux
irréprochables allées de tilleuls dorés au garde-à-vous, il
trouva la maison qu'il était venu inspecter.
Malgré son poids et sa
taille, il escalada facilement le petit muret de pierre et retomba à
l'intérieur du parc.Il s'enfonça jusqu'aux chevilles dans une
congère de neige fraîche.
Le vent réveilla les
grands arbres qui grognaient.
Dans le parc, un grand
drap blanc immaculé recouvrait la rotonde, le court de tennis et la
piscine, comme si les propriétaires des lieux avaient pris soin
d'envelopper leurs biens avant un départ imminent.
La cabane du gardien
n'était qu'un assemblage imprécis de rondins voulant se donner des
allures de chalet, avec de petits balcons ajourés, et des rideaux
brodés aux fenêtres d'où aucune lumière ne filtrait .
Quant à la demeure
principale, c'était une bâtisse surannée en forme de pastille
Vichy avec une ribambelle de hautes et grandes fenêtres et des
tourelles d'angles incongrues.
Denis savait que les
propriétaires n'occupaient pas leur maison pendant l'hiver. Il eût
un rictus de haine en pensant au gardien dans son chalet,
probablement saoul, comme tous les soirs de la semaine.
La neige redoubla de
vigueur. Les flocons tourbillonnaient devant ses yeux. Denis baissa
la tête et regretta d'avoir laissé son parka avec capuchon de
fourrure chez lui. Pourtant, malgré le froid, il suait abondamment.
Avec sa main, il chassait
les flocons de neige qui s'agitaient comme des moustiques devant lui
tout en poursuivant sa route pénible.
Enfin, lorsqu'il pénétra
dans la maison grâce à son passe-partout, ses chaussures étaient
gorgées d'eau et son grand manteau dégoulinait.
Une grande flaque se forma
tout de suite à ses pieds, sur le carrelage de mosaïque éclatée
du grand hall.
Il souffla et se
débarrassa de son manteau, devenu beaucoup trop lourd, en
l'accrochant au porte-manteau du vestibule.
Comme à chaque fois qu'il
officiait sur le terrain, l'importance de sa mission le rasséréna,
lui donnât un véritable coup de fouet. Il décida de débuter son
inspection par le salon.
Lorsqu'il poussa la lourde
porte, le grincement qu'elle produisit ressembla à une plainte. Il
entra dans la pièce.
Immédiatement, il vit le
feu. Des flammes hautes et vigoureuses léchaient la voûte d'une
cheminée capable d'engloutir une flambée d'une demi douzaine de
bûches. L'âtre gigantesque quadrillait la pièce de rouge,
tapissait d'une doublure de flammes les meubles ventrus. Le parquet,
étang pourpre et agité, craqua soudainement.
Denis sursauta. Un des rideaux festonnés
et brodés comme des rideaux de théâtre venait de s'entrouvrir. Un colosse
déguisé en flamme se présenta.
(A suivre )
Image : James Cagney (White Heat) Raoul Walsh 1949
jeudi 11 juillet 2013
Edith
"Nous vivons dans un monde politique, déclara Edith. Vous jouez tous le jeu d'une politique pourrie: prendre un air embarrassé, temporiser, n'importe quoi pour éviter d'énoncer la vérité toute nue!
-Edith...Il ne s'agit pas de politique, mais de la vie quotidienne. C'est du b-a-ba de la vie que nous parlons tous.
-Non! Vous vous attendez à ce que je me contente d'une maison chaude en hiver, d'une nourriture suffisante, et de la télévision! Vous pouvez tous aller au diable! Il y a encore des gens qui ont de la cervelle. Même mon chat a plus de cervelle, plus de jugement et un meilleur sens des proportions."
Dans le désormais cultissime Journal d'Edith de Patricia Highsmith, point de violence, de meurtre ni de policier. Non, Edith sombre à petit feu, victime de l'absurdité du monde qui l'entoure ( les réjouissances débutent par la douce période du maccarthysme pour s'achever par la débâcle vietnamienne en passant par le règne pestilentiel de Dick le félon) mais aussi de son courageux mari qui file vers des cieux plus cléments aux premières difficultés, de l'oncle impotent dont elle doit s'occuper chaque jour, sans oublier le fiston qui, entre deux masturbations frénétiques dans une chaussette, a une fâcheuse tendance à biberonner.
Heureusement, Edith écrit. Dans son journal idéal (parce que fiction) elle transforme au fil des années et des chapitres, la triste réalité en banalité magique.
Impossible de ne pas penser à la nouvelle de Flaubert Un coeur simple , ce récit , comme l'a écrit l'auteur "de la vie obscure d'une fille de ferme dévouée sans exaltation et tendre comme du pain frais. Elle aime successivement un homme, les enfants de sa maîtresse, un neveu, un vieillard qu'elle soigne puis son perroquet. Quand le perroquet meurt, elle le fait empailler et en mourant à son tour finit par confondre le perroquet avec le Saint-Esprit."
Ainsi, Edith glisse lentement et discrètement dans la folie mais on peut se demander ( lecteur tu as tous les droits) où se situe vraiment le rationnel ?
Ceci me fait penser à une blague que je racontais gamin. Il s'agit d'un fou qui passe la tête au-dessus du mur d'enceinte de l'asile où il est enfermé. La première question de l'interné à l'homme qui passe est:
-Vous êtes nombreux là-dedans?
Julius Marx
Vous pouvez aussi visionner ce reportage où l'auteur parle de la solitude, de la vie etc..
Amusez-vous.
http://www.ina.fr/video/CPF86642006/patricia-highsmith-video.html
mardi 9 juillet 2013
Version originale
Ce dimanche matin, la visite des ruines d'un ancien village berbère sonnait comme un de ces vieux films en noir et blanc en version originale sous-titrée. Au fur et à mesure de la visite, une drôle de petite voix aigrelette résonnait dans mon oreille.
Pour arriver au village, nous avons emprunté une belle route qui serpentait à travers une végétation sauvage.
La petite voix disait : "regarde tous ces sacs plastiques accrochés dans les figuiers de barbarie. Si c'est pas malheureux ! tout de même."
Puis, la route a subitement plongé au milieu de deux collines majestueuses .
" Je suis sûre que tu as remarqué l'ancienne usine de produits chimiques abandonnée, là, sur ta gauche, tourne un peu la tête, avec ce sol pollué et les bidons rouillés, c'est d'un chic! "
Si le village était en ruine, les témoignages d'un autre mode de vie restaient bel et bien présents.
" Oui, des cailloux, toujours des cailloux. pourquoi tu ne prends pas en photos les sacs de ciment et les toits en tôle ondulée? Pas assez typique pour toi, peut-être ?
Des enfants souriants nous ont suivis pendant toute notre visite. Pas besoin de parler, leurs grands yeux ébahis disaient tant de choses.
" Le gamin ne cesse de se gratter les roubignolles et la fillette, avec ses beaux cheveux blonds, est manifestement carencée en vitamines".
A la fin de la visite, nous avons acheté le pain traditionnel cuit dans un antique four à bois.
"Du pain immangeable, probablement acheté dans le gros bourg voisin et cuit dans un four électrique.
Qu'importe les trois touristes qui ont visité le village en même temps que nous l'ont trouvé délicieux.
Eux, se sont montrés plus malins que vous, ils ne sont restés qu'une dizaine de minutes."
Juste avant de quitter le village, j'ai pris cette photo d'une villageoise qui scrute l'horizon.Pour une fois, la chance était au rendez-vous.
"Ah, oui . Et combien pour la pose?"
-Rien du tout. Fermes-la tu veux! Laisse moi rêver.
Julius Marx
Pour arriver au village, nous avons emprunté une belle route qui serpentait à travers une végétation sauvage.
La petite voix disait : "regarde tous ces sacs plastiques accrochés dans les figuiers de barbarie. Si c'est pas malheureux ! tout de même."
Puis, la route a subitement plongé au milieu de deux collines majestueuses .
" Je suis sûre que tu as remarqué l'ancienne usine de produits chimiques abandonnée, là, sur ta gauche, tourne un peu la tête, avec ce sol pollué et les bidons rouillés, c'est d'un chic! "
Si le village était en ruine, les témoignages d'un autre mode de vie restaient bel et bien présents.
" Oui, des cailloux, toujours des cailloux. pourquoi tu ne prends pas en photos les sacs de ciment et les toits en tôle ondulée? Pas assez typique pour toi, peut-être ?
Des enfants souriants nous ont suivis pendant toute notre visite. Pas besoin de parler, leurs grands yeux ébahis disaient tant de choses.
" Le gamin ne cesse de se gratter les roubignolles et la fillette, avec ses beaux cheveux blonds, est manifestement carencée en vitamines".
A la fin de la visite, nous avons acheté le pain traditionnel cuit dans un antique four à bois.
"Du pain immangeable, probablement acheté dans le gros bourg voisin et cuit dans un four électrique.
Qu'importe les trois touristes qui ont visité le village en même temps que nous l'ont trouvé délicieux.
Eux, se sont montrés plus malins que vous, ils ne sont restés qu'une dizaine de minutes."
Juste avant de quitter le village, j'ai pris cette photo d'une villageoise qui scrute l'horizon.Pour une fois, la chance était au rendez-vous.
"Ah, oui . Et combien pour la pose?"
-Rien du tout. Fermes-la tu veux! Laisse moi rêver.
Julius Marx
jeudi 4 juillet 2013
Mes aventures de sieste (4)
Les chiens ne se lassent jamais d'aboyer. Les oiseaux, passe encore, mais ces chiens! Je me souviens d'une nouvelle de Pirandello où un paysan s'estimant floué par un promoteur immobilier décide d'attacher son chien devant l'immeuble récemment construit. Mourant de faim et de soif, la bête va transformer la vie jusque-là paisible des locataires en un enfer et l'affaire se conclura bien par un drame.
Les histoires qui se trament derrière le rideau, de l'autre côté de ma rue, ne sont pas si différentes du quotidien des siciliens, à Regalpetra ,ou ailleurs.
"Il y a des gens qui aiment "mettre un drapeau rouge au rez-de-chaussée, et puis monter à l'étage pour voir l'effet que cela produit" : c'est ce que disait de lui-même Edward Carpenter. Carpenter mettait le drapeau rouge au rez-de-chaussée , puis il prenait l'ascenseur pour s'en aller sur la terrasse regarder les étoiles, l'harmonie, l'esprit, et je ne crois pas que le drapeau rouge lui faisait tellement d'effet.
Dans ces pages, je ne mets pas un drapeau rouge au rez-de-chaussée, je ne saurais pas en apprécier l'effet du haut de la terrasse, et, demeurant au rez-de-chaussée, je ne pourrais le saluer avec foi. Je crois à la raison humaine, et à la liberté et à la justice qui en découlent, mais il semble qu'en Italie il suffise de se mettre à parler le langage de la raison pour être accusé de mettre un drapeau rouge à la fenêtre.
J'ai essayé de raconter quelque chose de la vie d'un village que j'aime, et j'espère avoir donné le sentiment de la distance qu'il y a entre cette vie et la liberté et la justice, c'est à dire la raison.
Dans toute la Sicile, il y a des braccianti qui vivent 365 jours, une longue année de pluie et de soleil, avec 60.000 lires ; il y a des enfants que l'on met en service, des vieillards qui meurent de faim, et des personnes qui, comme disait Brancati, laissent pour unique trace de leur passage sur terre une empreinte dans le fauteuil d'un cercle.
L'orgueil, voilà ce qu'il y a de nouveau: et l'orgueil masque la misère, les filles des branccanti et des sauniers se promènent le dimanche, habillées de façon à ne pas faire trop piètre figure à côté des filles des galantuomini, et les galantuomini commentent : "regardez-moi comment elles s'habillent : elles se retirent le pain de la bouche pour s'habiller comme ça"- et je pense "bien, peut-être que c'est un début ; peu importe la façon dont on commence, l'important, c'est de commencer. Mais c'est un commencement difficile. C'est comme si le cadran solaire de la cathédrale marquait une heure du 13 juillet 1789; demain, l'ombre de la Révolution Française passera sur la cadran, puis Napoléon, le Risorgimento, le Révolution russe, la Résistance, et qui sait quand le cadran marquera l'heure d'aujourd'hui, l'heure qui, pour tant d'autres hommes dans le monde, est l'heure juste."
Je l'aperçois, il est attaché sur le toit de cette maison en construction. Combien de temps vont mettre ses propriétaires pour achever cette fichue maison... un mois, deux, peut-être?
Julius Marx
Texte : Leonardo Sciascia (introduction aux Paroisses de Regalpetra (Folio)
Photo : Julius
Les histoires qui se trament derrière le rideau, de l'autre côté de ma rue, ne sont pas si différentes du quotidien des siciliens, à Regalpetra ,ou ailleurs.
"Il y a des gens qui aiment "mettre un drapeau rouge au rez-de-chaussée, et puis monter à l'étage pour voir l'effet que cela produit" : c'est ce que disait de lui-même Edward Carpenter. Carpenter mettait le drapeau rouge au rez-de-chaussée , puis il prenait l'ascenseur pour s'en aller sur la terrasse regarder les étoiles, l'harmonie, l'esprit, et je ne crois pas que le drapeau rouge lui faisait tellement d'effet.
Dans ces pages, je ne mets pas un drapeau rouge au rez-de-chaussée, je ne saurais pas en apprécier l'effet du haut de la terrasse, et, demeurant au rez-de-chaussée, je ne pourrais le saluer avec foi. Je crois à la raison humaine, et à la liberté et à la justice qui en découlent, mais il semble qu'en Italie il suffise de se mettre à parler le langage de la raison pour être accusé de mettre un drapeau rouge à la fenêtre.
J'ai essayé de raconter quelque chose de la vie d'un village que j'aime, et j'espère avoir donné le sentiment de la distance qu'il y a entre cette vie et la liberté et la justice, c'est à dire la raison.
Dans toute la Sicile, il y a des braccianti qui vivent 365 jours, une longue année de pluie et de soleil, avec 60.000 lires ; il y a des enfants que l'on met en service, des vieillards qui meurent de faim, et des personnes qui, comme disait Brancati, laissent pour unique trace de leur passage sur terre une empreinte dans le fauteuil d'un cercle.
L'orgueil, voilà ce qu'il y a de nouveau: et l'orgueil masque la misère, les filles des branccanti et des sauniers se promènent le dimanche, habillées de façon à ne pas faire trop piètre figure à côté des filles des galantuomini, et les galantuomini commentent : "regardez-moi comment elles s'habillent : elles se retirent le pain de la bouche pour s'habiller comme ça"- et je pense "bien, peut-être que c'est un début ; peu importe la façon dont on commence, l'important, c'est de commencer. Mais c'est un commencement difficile. C'est comme si le cadran solaire de la cathédrale marquait une heure du 13 juillet 1789; demain, l'ombre de la Révolution Française passera sur la cadran, puis Napoléon, le Risorgimento, le Révolution russe, la Résistance, et qui sait quand le cadran marquera l'heure d'aujourd'hui, l'heure qui, pour tant d'autres hommes dans le monde, est l'heure juste."
Je l'aperçois, il est attaché sur le toit de cette maison en construction. Combien de temps vont mettre ses propriétaires pour achever cette fichue maison... un mois, deux, peut-être?
Julius Marx
Texte : Leonardo Sciascia (introduction aux Paroisses de Regalpetra (Folio)
Photo : Julius
mercredi 3 juillet 2013
Mes aventures de sieste (3)
Imaginez un peu la situation. Me voici au fin fond du grand désert blanc avec Mason, sa femme Ruth (une jeune indienne) et le grand Malemute Kid. Les chiens de notre attelage n'ont pas mangé depuis deux longs jours et deviennent dangereux. Et encore, s'il n'y avait que ça!
Déjà regrettant sa colère, mais trop entêté pour s'en excuser, Mason se mit à la tête de la cavalcade sans soupçonner qu'un grand danger planait dans l'air. Dans le terrain bas et abrité qu'ils traversaient, il y avait beaucoup de grands arbres au milieu desquels il se frayaient un chemin, non sans peine. Un immense pin s'élevait à cinquante pieds de la route qu'il dominait; depuis des générations, il était ; et pendant ces longues années le destin l'avait gardé pour un but déterminé; peut-être avait-il décidé du sort de Mason...
Celui-ci se baissa afin de serrer la courroie d'un de ses mocassins qui allait se défaire; les traîneaux marquèrent un temps d'arrêt et les chiens se couchèrent dans la neige sans un murmure. Le calme était impressionnant. Pas un souffle ne glissait à travers la forêt durcie par la gelée; le froid et le silence de l'immensité avaient glacé le coeur de la nature et arrêté ses lèvres tremblantes. Un soupir passa dans l'espace; ils le sentirent plutôt qu'ils ne l'entendirent ; c'était comme l'annonce d'un mouvement au milieu de cette immobilité et de ce vide. Alors le grand arbre, lourd du poids des années et de la neige, joua son rôle dans le drame de la vie. En entendant le craquement sinistre et significatif, Mason voulut bondir; il était trop tard !... Et il reçut presque debout le coup formidable qui s'abattit sur son épaule...
C'est bien un vent glacial qui s'engouffre maintenant dans la pièce , où alors , suis-je déjà dans le rêve?
Julius Marx
Texte : Jack London ( Le silence blanc)
Image : Clark Gable et Loretta Young in The call of the wild (William.A. Wellman 1935)
Déjà regrettant sa colère, mais trop entêté pour s'en excuser, Mason se mit à la tête de la cavalcade sans soupçonner qu'un grand danger planait dans l'air. Dans le terrain bas et abrité qu'ils traversaient, il y avait beaucoup de grands arbres au milieu desquels il se frayaient un chemin, non sans peine. Un immense pin s'élevait à cinquante pieds de la route qu'il dominait; depuis des générations, il était ; et pendant ces longues années le destin l'avait gardé pour un but déterminé; peut-être avait-il décidé du sort de Mason...
Celui-ci se baissa afin de serrer la courroie d'un de ses mocassins qui allait se défaire; les traîneaux marquèrent un temps d'arrêt et les chiens se couchèrent dans la neige sans un murmure. Le calme était impressionnant. Pas un souffle ne glissait à travers la forêt durcie par la gelée; le froid et le silence de l'immensité avaient glacé le coeur de la nature et arrêté ses lèvres tremblantes. Un soupir passa dans l'espace; ils le sentirent plutôt qu'ils ne l'entendirent ; c'était comme l'annonce d'un mouvement au milieu de cette immobilité et de ce vide. Alors le grand arbre, lourd du poids des années et de la neige, joua son rôle dans le drame de la vie. En entendant le craquement sinistre et significatif, Mason voulut bondir; il était trop tard !... Et il reçut presque debout le coup formidable qui s'abattit sur son épaule...
C'est bien un vent glacial qui s'engouffre maintenant dans la pièce , où alors , suis-je déjà dans le rêve?
Julius Marx
Texte : Jack London ( Le silence blanc)
Image : Clark Gable et Loretta Young in The call of the wild (William.A. Wellman 1935)
lundi 1 juillet 2013
Mes aventures de sieste (2)
Cet après-midi là, au comble de la chaleur, je me rappelle bien cette promenade dans les rues de Paris.
Là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. Les chemins qui conduisent de l'Ecole Militaire aux Invalides semblent s'ouvrir pour des funérailles nationales.
Un trottoir à l'ombre, l'autre au soleil, ils s'en vont entre leurs platanes pétrifiés, devant deux rangées de façades contenues, sans une boutique, sans un cri. Mais une anxiété frémissante peuple l'air.
C'est l'appréhension du son des cloches. Le ciel vole bas sur mon quartier prématurément vieilli. Tant il est vrai que l'on a l'âge de ses artères.
Ma maison s'élève au carrefour de deux silences. L'absence de sergent de ville ajoute à la distinction du lieu. Donc, cette ancienne bâtisse neuve achève là de noircir avec élégance et modestie.
Quelques moulures en forme de corne d'abondance et une manière de clocheton pointu sont les seuls ornements consentis à sa frivolité. pour le reste, on dirait d'un thermomètre. Elle est haute et étroite, tout en fenêtres pour prendre le jour. Elle ne le renvoie pas. Je me demande ce qu'elle en fait. C'est d'ailleurs un des principes qui dominent la vie de la maison- ce peu de vie que nous avons en commun- de ne jamais rien renvoyer: ni le jour,ni l'ascenseur, ni les bonnes.
Aujourd'hui, je l'ai regardé dans les yeux avec mes yeux d'étranger, pour voir de loin. Il n'est pas donné à tout le monde d'en pouvoir agir ainsi avec sa propre maison et il est plutôt triste que cela soit possible.
Mais elle n'a rien fait pour me reconnaître. Pour comble, elle se donnait l'air d'être ailleurs.
Lire Blondin, c'est l'assurance du sourire. Du petit sourire qui vient sournoisement se poser sur vos lèvres et qui ne s'efface que lorsque le livre se referme. Cet après-midi là, je ne saurais dire s'il s'est envolé par la fenêtre entrouverte en frôlant les rideaux où s'il a préféré se cacher sous le matelas dès que mes yeux se sont fermés.
Julius Marx
Texte : Antoine Blondin ( Morte avenue de Ségur) Folio
Image : Henri-Cartier-Bresson (Rue de Cléry- Paris 1952)
Là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. Les chemins qui conduisent de l'Ecole Militaire aux Invalides semblent s'ouvrir pour des funérailles nationales.
Un trottoir à l'ombre, l'autre au soleil, ils s'en vont entre leurs platanes pétrifiés, devant deux rangées de façades contenues, sans une boutique, sans un cri. Mais une anxiété frémissante peuple l'air.
C'est l'appréhension du son des cloches. Le ciel vole bas sur mon quartier prématurément vieilli. Tant il est vrai que l'on a l'âge de ses artères.
Ma maison s'élève au carrefour de deux silences. L'absence de sergent de ville ajoute à la distinction du lieu. Donc, cette ancienne bâtisse neuve achève là de noircir avec élégance et modestie.
Quelques moulures en forme de corne d'abondance et une manière de clocheton pointu sont les seuls ornements consentis à sa frivolité. pour le reste, on dirait d'un thermomètre. Elle est haute et étroite, tout en fenêtres pour prendre le jour. Elle ne le renvoie pas. Je me demande ce qu'elle en fait. C'est d'ailleurs un des principes qui dominent la vie de la maison- ce peu de vie que nous avons en commun- de ne jamais rien renvoyer: ni le jour,ni l'ascenseur, ni les bonnes.
Aujourd'hui, je l'ai regardé dans les yeux avec mes yeux d'étranger, pour voir de loin. Il n'est pas donné à tout le monde d'en pouvoir agir ainsi avec sa propre maison et il est plutôt triste que cela soit possible.
Mais elle n'a rien fait pour me reconnaître. Pour comble, elle se donnait l'air d'être ailleurs.
Lire Blondin, c'est l'assurance du sourire. Du petit sourire qui vient sournoisement se poser sur vos lèvres et qui ne s'efface que lorsque le livre se referme. Cet après-midi là, je ne saurais dire s'il s'est envolé par la fenêtre entrouverte en frôlant les rideaux où s'il a préféré se cacher sous le matelas dès que mes yeux se sont fermés.
Julius Marx
Texte : Antoine Blondin ( Morte avenue de Ségur) Folio
Image : Henri-Cartier-Bresson (Rue de Cléry- Paris 1952)
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