vendredi 1 décembre 2023

La route (extrait)

 



Et puis réveillé par la pluie frappant la vitre.

Des fleurs dans un vase près de la fenêtre.

L'odeur du café, et toi qui te touches les cheveux

avec le geste de quelqu'un qui serait parti depuis 

des années.

Mais il y a un bout de pain sous  la table

près de tes pieds. Et le va-et-vient d'une colonne

de fourmis

sortant d'une fente du plancher.

Tu as cessé de sourire.

Fais ça pour moi ce matin. Tire le rideau et reviens

te coucher.

Laisse tomber le café. On va faire semblant

d'être à l'étranger, et amoureux.

Raymond Carver

Où l'eau s'unit avec l'eau

dimanche 26 novembre 2023

Ce moment ordinaire




Je m'éloigne vers des régions plus calmes de l'appartement, qui est très grand.. Les plafonds se font silencieux, les voix s'estompent. J'ai l'impression de pénétrer dans une maison plus ancienne, plus conventionnelle. La salle à manger est vide et plongée dans le noir. La table est restée telle quelle, pas débarrassée. La nappe est encore là, les chaises en désordre. Des assiettes en verre portent encore des restes de brie et des moitiés de poire qui brunissent déjà. En face des fenêtres se trouve une zone de haute plantes, une serre à travers laquelle le bruit ne pénètre pas, à travers laquelle, dans la journée, la lumière diffracte. dans cette pièce je peux presque entendre des silences de grasse matinée, les page du Figaro qui tournent doucement pendant que Maria Beneduce les parcourt du regard, les pages du Herald Tribune. Elle est en peignoir court, un imprimé à fleurs. Elle boit du café noir remué avec une cuillère minuscule. Son visage est naturel et sans fard. Ses jambes sont nues. Elle est comme une artiste dans sa loge. On aime ce moment ordinaire, cette pause entre les actes brillants de sa vie.


James Salter

A Sport and a Pastime

Un Sport et un passe-temps

lundi 30 octobre 2023

Ross





 La rue s'appelait College Circle. Leur demeure faisait partie d'un ensemble de constructions flambant neuves, des bâtisses à portique, de deux étages, soutenus par de gros piliers de bois. Seule leur couleur les différenciait. Celle des Broadhurst était bleu foncé avec une colonnade bleu clair.

Jean entra par la grande porte. Je suivis l'allée qui contournait l'immeuble et constatai que, derrière sa façade imposante, ce n'était qu'une de ces maisons pour dépliants publicitaires, à croire que l'architecte s'était efforcé de combiner la résidence d'un planteur du Sud avec le quartier aux esclaves.

Ross Mac Donald

The Underground Man

(L'homme clandestin)


L'éternel débat : cet homme est-il, oui ou non, le successeur de Chandler? Qu'importe. Je pense néanmoins qu'il manquait  cruellement d'humour et surtout d'une pointe de cynisme.

jeudi 12 octobre 2023

De retour sur l'île-fiction

 




Porto Empédocle.
C'est une ville que l'on a voulu musée, à la mémoire de Camilleri. Un escalier, des bancs publics, et des devantures de restaurants où jamais au grand jamais notre Montalbano n'aurait mis les pieds. 13h
Nous sommes assis à la terrasse d'un café, face à la cathédrale. L'endroit est pratiquement désert à cette heure. Puis, tout d'un coup, nous voyons arriver une longue voiture. Une de ces voitures comme on pouvait en voir dans les feuilletons américains des années 70, d'une longueur impensable. Elle n'en finit pas d'arriver. Elle est si longue qu'on pourrait penser que son pare-chocs arrière est encore au coin de la rue alors que l'avant vient tout juste de s'arrêter devant la cathédrale. C'est un corbillard d'un noir luisant. Elle me fait penser à un bloc de marbre sur des roues. Quelques personnes (surtout des femmes) viennent l'entourer puis, tous ce joli monde glisse dans l'église, sans bruit.
Comme une bourrasque soudaine, notre terrasse se remplit aussitôt d'hommes de tous les âges. Il est bien loin le temps et le cliché du sicilien habillé de noir avec son chapeau vissé sur la tête. Aujourd'hui, la plupart portent des jeans, des baskets colorées et une casquette.
Alors, entourés comme nous sommes, débute inévitablement ce petit jeu du "qui est qui?" que l'on pratique forcément sur cette île.
Qui est celui qui fait le tour des tables et à qui personne n'accorde la plus petite attention?
Et cet autre totalement immobile sur sa chaise qu'aucun quidam n'ose déranger. Celui qui parle plus fort, celui qui ne prononce pas un mot Qui sait ?
Nous partons sans avoir les réponses mais, après tout, nous sommes en Sicile, non?
Julius Marx

lundi 21 août 2023

Adjectif baudelairien

 



En m'éloignant de chez Franck, je découvris par hasard un petit jardin public près du fleuve. J'y dénichai un banc sous un saule pleureur. Je m'y assis un moment, le cahier à la main, pour réfléchir à ce que j'avais appris jusqu'à maintenant sur Dora et sur cette fleur obscure qu'était son existence passée.

Robin Cook

J'étais Dora Suarez

La petite fille de Dalva

 




Ce qui se passe, quand on arrive à la fin du voyage, c'est qu'on se prend à espérer que notre vie (et on a beau regarder, ça, on peut pas le voir), ben, on espère qu'elle a ressemblé à quelque chose. Pas qu'elle a eu un sens ou un but, ce genre de connerie. Non, juste qu'elle a eu une forme, que c'était pas comme une espèce de bouillie flanquée sur une assiette.

James Sallis 

Sarah Jane

Biographie de la "petite fille de Dalva" à lire en quatrième vitesse, histoire de voir si les mots peuvent vraiment nous aider.  

mercredi 28 juin 2023

L'espace est un doute

 




J'aimerais qu'il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources:

Mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l'arbre que j'aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance) , le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts...

De tels lieux n'existent pas, et c'est parce qu'ils n'existent pas que l'espace devient question, cesse d'être évidence, cesse d'être incorporé, cesse d'être approprié. L'espace est un doute: il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n'est jamais à moi, il ne m'est jamais donné, il faut que j'en fasse la conquête.

Mes espaces sont fragiles: le temps va les user, va les détruire: rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l'oubli s'infiltrera dans me mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. Il n'y aura plus écrit en lettre de porcelaines blanche collées en arc de cercle sur la glace du petit café de la rue Coquillière :"Ici on consulte le Bottin" et "Casse-croute à toute heure".

L'espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l'emporte et ne m'en laisse que des lambeaux informes:

Ecrire: essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose: arracher quelques bribes précise au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une marque ou quelques signes.

Paris 1973/1974

Georges Perec

L'espace (suite et fin)

in Espèces d'espaces

Galilée

(Photo Brassaï)

jeudi 15 juin 2023

Mise au point

 




Tous les personnages, sociétés, religions, nations, philosophies, point de vue politiques, événements et situations de ce roman sont pure fiction et ne sont pas destinés à dépeindre quoi que ce soit dans le monde tel que nous le connaissons. Aucun des personnages ne représente les opinions personnelles de l'auteur, opinions qui, de toute façon, ne sont pas encore tout à fait élaborées sous forme publiable.

Donald Westlake

Good Behavior

(Le Ciel t'aidera?)

dimanche 11 juin 2023

Soixante-dix ans !

 Et voilà ! 70 ans sur cette terre, et toujours aucun exploit .




dimanche 23 avril 2023

Les Dents de la mer à Venise

 





Voilà comment ils réfléchissent, ces gens-là. On a gagné cent millions de dollars avec ce requin, il nous faut un autre requin. Il nous faut plus de requins, il nous faut des requins plus gros, il nous faut des requins plus dangereux. Mon idée, c'était un film qui s'intitulerait Les Dents de la mer à Venise. Vous voyez, vous avez toutes ces gondoles qui sillonnent le Grand Canal, tous les touristes japonais , et puis voilà une centaine de requins qui remontent le canal et qui se mettent à les attaquer. J'ai soumis l'idée à un type de chez Universal, pour la blague. Il a cru que j'étais sérieux. Il a adoré. N'importe quel film que vous pouvez leur décrire en trois mots, vous savez, ils adorent. Ils adorent ces histoires toutes simples, et il a trouvé que Les Dents de la mer à Venise, c'était parfait. Alors j'ai dit, d'accord, très bien, je vous fait cadeau de l'idée, mais ce n'est pas moi qui ferai ce film pour vous. Je ne suis pas très à l'aise avec les poissons, vous voyez? Regardez tous mes films, et vous verrez qu'on y trouve aucun gros poisson. Je suis plutôt le genre de réalisateur qui fait dans l'être humain.

Jonathan Coe

Mr Wilder et Moi

lundi 27 mars 2023

Saint-Tropez

 




Toujours elle a aimé

Saint-Tropez à l'envers

Quand c'était l'été

Elle espérait son hiver

Quand c'était l'hiver

Elle espérait son été

Quand on aime Saint-Tropez

On l'aime hiver comme été

Quand c'était l'été

Elle espérait son hiver

Quand on aime Saint-Tropez

On aime son endroit

Comme on aime son envers.

Serge Rezvani

(Saint-Tropez à l'envers)

vendredi 3 mars 2023

Ivresse




 


Du couloir, il déboula dans le hall des billets de "Strasbourg Saint-Denis" ,s'engagea  dans les paquets de foule. Les habitués de la station se tenaient collés à leur place coutumière. Du matin au soir , l'énorme dégagement souterrain joue à bureaux fermés. Tous les sans-famille du quartier, tous les sans-parole, tous les mille-soucis, tous ceux qui cherchent un mot à dire, une information sur le pays lointain, un ami et un ennemi, se retrouvent là, dans le dernier salon parisien où l'on cause.

Joseph Bialot

Le Manteau de Saint-Martin

Série Noire n°1994

"Le texte est ivresse ou il n'est rien !" JPM

lundi 30 janvier 2023

Tempête

 


Zig avait lu que cet écrivain américain, Scott Fitzgerald, remplissait des baignoires de gin pour sa femme Zelda. La vraie vie, la belle vie, la grande vie, au Ritz, pour commencer, et puis Venise, le Danieli, tous les palaces, et ils prendraient bien soin d'allumer une fois, une seule fois, cette putain de ville avant de partir. Ils feraient tout sauter, les belles maquettes des architectes, les grands projets, les beffrois et les arcades de Versailles, le verre fumé allait exploser, les courbures métalliques allaient se tordre, tortillonner, craquer. Rayman allait griller dans ce brasier. Pire: Pelo allait le déshonorer, le soumettre, ce gros phoque, son gros fion à la broche. Pelo, la baby-sitter, l'homme nounou , Soeur Douceur, le bourreau au bout rose! Zig éclata de rire. Le gazon allait brûler jusqu'au dernier poil. Rayman pourrait toujours appeler son père. Papa, papa! Pourquoi m'as-tu abandonné? A la casserole, soirée rock'n'roll, son et lumière, parole. Nous sommes les loups, Nina, et ils sont les moutons. Il éclata de rire.

-Qu'est-ce qui te fait rire, champion? demanda Rayman en tirant une chaise.

Hervé Prudon

La revanche de la Colline

(Série Noire n°2411)

Ouvrage écrit lors de la résidence d'Hervé Prudon au Prisme (centre de développement artistique et culturel de Saint-Quentin-en Yvelines) dans le cadre de l'opération "Polar sur la ville".

Prudon, c'est un océan furieux qui ne cesse de frapper les côtes. Un océan  qui détruit tout ce qu'il inonde; le dérèglement climatique avant l'heure, sans doute. Le lecteur isolé  n'a plus rien pour se protéger, il divague, cherche à reprendre son souffle. Mais, l'océan n'abdique jamais.

Julius