samedi 30 mai 2015

Les lèvres d'Akhenaton



Pourquoi,
Pourquoi moi,
Pourquoi  m’imposer cette épreuve ?
Alors que je déambulai entre les sarcophages
dans la pâle lumière des salles de poussières
du grand musée du Caire.
Alors que je contemplai  le visage d’enfant
du pharaon roi d’or.
Pourquoi cette femme
et sa bande de malfrats ?
Un règlement de comptes,
une malédiction ?
Et puis, elle a disparu
et je me suis retrouvé seul avec Akhenaton
ses lèvres lippues,
son sourire malicieux.
Une  vraie consolation.
J’ai poussé un ouf de soulagement
assez fort pourtant, afin que tous l’entendent.
Dans cet après-midi immobile
seul avec Akhenaton
ses lèvres lippues,
son sourire malicieux.
 Alors, pourquoi faut-il que je me souvienne
encore de cette femme,
de ses lèvres molles
 et de son sourire forcé ?

Julius Marx

(Le Caire-Mai 2015- Entrevue « forcée » avec Marine Le Pen dans la salle Akhenaton.)

vendredi 22 mai 2015

Marseille




Maintenant, il entendait distinctement les rumeurs de la ville. Elles s’engouffraient par la fenêtre ouverte de la chambre. Coups de klaxon. Crissements de freins. Sirènes de police. Voix humaines. Battements d’ailes de pigeons, parfois. La même rumeur que dans tous les ports du monde, qui vous envahit après avoir couché avec une fille inconnue, qu’on ne reverra jamais. La rumeur de la nostalgie. Et qui rappelle que vous n’êtes pas d’ici. Seulement un étranger qui passe. Un marin perdu.
Stella s’était  tournée vers lui. Elle lui caressait la queue avec habilité plus qu’avec tendresse.
-Ca sert à rien de penser, elle dit. On est là, et le reste du monde n’existe pas. Tu crois pas ?
-Tu crois ça ?
Son sexe gonflait entre les doigts de Stella.
-Je crois qu’un est là pour oublier.
Il repensa à Diouf.
-Oublier, lui avait-il dit, je ne crois pas que ce soit nécessaire dans la vie. Je ne crois pas qu’on puisse, d’ailleurs.
-Quel conseil me donnez-vous  alors ?
-Je n’ai pas de conseil à vous donner. Ni de destin à prédire.
-Je vous paye pour rien ?
-Quand on paye, ce n’est jamais pour rien.
Comme avec Stella.
Oublier, oui, il savait qu’il ne pourrait pas. Mais il sentait qu’un certain nombre de choses, logées au tréfonds de lui, des choses qu’il n’avait jamais osé se formuler, qui lui collaient à la peau depuis des années, se détachaient peu à peu de lui, et s’en échappaient.
Il regarda Stella. Ses doigts s’activaient sur sa queue avec une lenteur excitante.
-Tu aimes ?
Il n’avait pas attendu que Stella se réveille. D’ailleurs, peut-être ne dormait-elle pas. Qu’importe. Il l’avait payé. Il l’avait écoutée. Il l’avait baisée. Il ne lui devait rien. Même pas un au revoir.
Il s’était habillé en silence. Il avait jeté un dernier regard sur son corps. Comme on regarde un mort avant que le cercueil ne se ferme. C’était ça. Il fermait le couvercle sur sa vie passée. Il laissait à côté de Stella, là, dans les plis des draps encore humides de sa transpiration, sa vieille peau, son cadavre.
Tout pouvait bien lui arriver maintenant, cela n’avait plus aucune importance. Il descendit le cours Julien jusqu’à la Canebière. « Il ne faut pas désespérer, lui avait encore dit Diouf. L’avenir est un monde qui contient tout. »
Jean-Claude Izzo
Les marins perdus
(Flammarion-2003)

Très joli livre d’Izzo. Magnifique et terrible histoire de ces marins échoués dans le port de Marseille. Marseille et ses rues épicées, ses femmes savoureuses, son odeur d’œillet poivré, ses chansons populaires et ses coups de savates dans la tronche.
ps: si vous pouvez trouver le livre dont la couverture illustre cet extrait, ne vous privez surtout pas. 

mardi 12 mai 2015

La rue des sourds-muets

                





Dans cette longue allée, sous les piliers du pont d’une voie rapide parmi tant d’autres, nous attendons sagement notre bus. Nous sommes une petite dizaine, assis  sur le muret devant la mosquée.  Cette rue est la propriété  de quatre jeunes hommes sourds-muets. Ils réglementent  le stationnement pour une petite pièce. Ici, pas de cris, bien évidemment, mais de grands gestes bien appuyés, qui forcent les conducteurs à virer vers la droite ou la gauche pour finir par se ranger dans une des trois files. Ce spectacle de rue, qui s’achève probablement dès la nuit tombée, est une séquence unique dont les différents acteurs (rôles principaux ou simples figurants) mériteraient de figurer dans un slpastick américain du temps révolu du cinéma muet.
Il y a quelques semaines, j’ai assisté à une représentation extraordinaire. Les comédiens venaient remettre leur recette du jour à un homme adipeux couché sur des cartons, au pied d’un des piliers du pont. Les gestes sont devenus saccadés, les visages se sont transformés, les corps se sont torturés. Manifestement, une dispute venait de s’engager entre l’employeur et ses subalternes. Le plus grand des quatre sautait sur place en agitant ses longs bras démesurés au-dessus de sa tête, comme une grosse araignée. A ses côtés, un plus petit, à la peau sombre et aux cheveux crépus des hommes du sud, glissait sur l’asphalte tantôt à droite, tantôt à gauche, dans des mouvements langoureux. Quant aux deux derniers de la troupe, ils se tenaient sagement la main, en restant légèrement en retrait des contestataires, têtes baissées. Le gros homme s’est redressé péniblement, s’est planté devant son équipe et s’est lancé dans un discours. Je ne connais pas la langue des signes mais, il y a fort à parier que le contenu de son speech s’articulait autour du coût de la vie, des temps révolus du plein emploi et des difficultés liées à son poste de hautes responsabilités. L’affaire a été conclue en quelques minutes seulement. L’équipe est retournée au travail et le patron à ses cartons empilés.
Assis sur le trottoir, à deux pas de moi, le vieux mendiant  sans dent qui propose à la vente deux paquets de mouchoirs jetables, témoin lui aussi de la scène,  m’a souri. Il  s’est lancé dans une imitation exagérée du langage des signes en agitant ses deux pauvres bras noueux  comme des branches de mûrier devant lui.

Et puis, notre bus est arrivé.
Julius Marx
(Le Caire-Mai 2015)

lundi 11 mai 2015

Des jeux insensés

                                                        




Le jour décline et la lumière est d’or.
On se retrouve,
juste histoire de voir comment,
de quelle façon,
à l’aide de quels stratagèmes,
chacun  de nous est parvenu
à supporter la chaleur.
Seuls les enfants jouent toujours
sur la plage.
Ils ne pensent pas encore  en chiffres
et inventent des jeux insensés.
Celui-là vient de fabriquer sa chicha avec une vieille bouteille
et propose à ses copains  d’essayer la fumette.
Un autre  se lance dans le négoce
de petits  tas de sable,
pendant qu’un sportif tente de faire grimper son chien sur sa planche de surf.
Lorsque les mamans arrivent en poussant de petits cris pointus
la lumière vient de s'éteindre. 
(Dahab-Mer Rouge-Mai 2015)
Julius Marx
Image: Paul Klee ( Le poisson doré-1925)

jeudi 7 mai 2015

Pom-Pom girl


A mon réveil, je souffrais beaucoup, mais à cause du coma les médecins avaient des réticences à me mettre sous médicaments. Comme je ne leur lâchais pas la grappe, ils ont fini par me mettre sous morphine. Et j’étais complètement défoncée lorsque ce type s’est pointé. Il était noir, avec un visage rond. Assis sur un fauteuil, près de la fenêtre, il me regardait.

-Qu’est-ce qui vous a laissé croire qu’il n’existait pas pour de vrai ?

La façon dont il était vêtu. Il portait un uniforme de pom-pom girl : une jupe à carreaux roses, un pull rose sur lequel était inscrit au niveau de la poitrine OMF, des pompons roses, ainsi qu’une espèce de perruque-une perruque en nylon, pareille à un balai à franges roses avec des nattes.

-Effectivement, ça semble quelque peu étrange. Quoique à San-Francisco…
…..///….

Il a secoué son pompon d’un air accusateur.
-Vous aviez une vie. Nous espérions que vous en feriez quelque chose.
-Génial, ai-je dit. Vous venez donc pour m’apprendre que vous n’êtes qu’un prix de consolation ?
Il rit de nouveau.
-Décidément, cet esprit me plaît. Je…nous aurions grand besoin de cet esprit. Donc, en fait, la question c’est : Auriez-vous envie de nous en faire profiter ? Etes-vous prête à faire partie des rares ?
-Vous savez pertinemment que oui.
-Dans ce cas, très bien… Demain soir, entre 19 heures et 19h15, vous vous rendrez au dernier étage de ce bâtiment. Vous prendrez à gauche en sortant de l’ascenseur, et rechercherez une porte où figure l’inscription Salle d’examen n°1. Si vous venez en avance ou débarquez trop tard, la pièce sera vide. Mais si vous êtes à l’heure, vous y rencontrerez un homme qui s’appelle Robert True, il vous indiquera la marche à suivre.
C’était tout ce qu’il avait à me dire, mais il restait là, à m’observer en souriant.
-Allez-y, a-t-il fini par dire. Posez-moi la question.
-D’accord. Pourquoi êtes-vous déguisé en pom-pom girl ?
-Savez-vous ce qu’est une clause de confidentialité, Jane ?  Cette tenue a la même fonction. Que croiriez-vous qu’il se passerait si vous racontiez notre conversation au personnel hospitalier ?
-Il me sucrerait la morphine.
-Vous avez tout compris, dit-il, en me faisant un clin d’œil.

Matt Ruff
(Bad Monkeys)

10/18

dimanche 3 mai 2015

Diego



Déjà plus d’une heure que le guide nous parle des Nabatéens,
de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui,
et de la sédentarisation.
C’est merveilleux.
Sans blague, je suis conscient du moment unique
que je suis en train de vivre.
Non, mon petit, je ne veux pas faire une promenade à cheval,
non, je n'ai pas besoin d’un bracelet à un euro,
Ce qu'il me faut, c'est juste un peu d’ombre.
L’ombre…Une sacré bonne idée.
Là. Planqué sous un rocher du canyon,
personne ne m’empêchera de rêver
des Nabatéens,
de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui,
et de la sédentarisation.
Et puis, Dieu m’est apparu.
Un Dieu à la peau sombre, à la bedaine bien calée
dans une drôle de voiturette de golf.
Hé ! Diego. Qu’est-ce que tu fabriques dans cette foutue voiture de golf ?
Qu’est-ce que peut bien te raconter le fils du Roi, assis à côté de toi ?
Pourquoi viens-tu  me narguer Diego ?
Pourquoi  vouloir m’empêcher de rêver seul des Nabatéens,
de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui,
et de la sédentarisation.
Et puis, ces putains de gardes du corps, Diego,
Pourquoi me poussent-ils contre les pierres ?
Alors, l'hélico blanc, c'était toi.
Moi, je suis arrivé ici par la route,
une sacrée route qui n’en finissait pas de s’entortiller autour des rochers
comme un serpent.
Tu peux me croire Diego,
J’ai bien mérité de rêver, peinard,
 des Nabatéens,
de la péninsule arabique, des 2200 ans depuis je ne sais qui,
et de la sédentarisation.
Tu as vu le désert, Diego,
ces tentes de nomades, ces chiens galeux  et
ces rapaces, très haut dans le ciel pur,
dédaigneux des petits bonhommes trimballés dans un bus,
où alors, le fils du Roi te faisait-il chier avec
ces problèmes de fils du Roi ?
Hé, toi !
Oui, toi, El Pibe del oro,
qu’est-ce que tu fabriques dans cette ridicule bagnole blanche 
Avec tous ces types en noir qui bourdonnent autour de toi
comme des mouches affolées par le sucre?
Par ta faute Dieguito,
j’ai laissé tomber les Nabatéens,
 la péninsule arabique, les 2200 ans depuis je ne sais qui,
et la sédentarisation.
C’est  bien à cause de toi, Diego,
que je me suis subitement retrouvé dans les rues de Naples, 
avec des gamins d'une autre péninsule.
Et puis, tu as disparu.
On n’entendait plus que le bourdonnement
de tes mouches, derrière toi.
Dommage… tu aurais pu me prêter ta voiture
pour remonter le canyon,
retrouver mon bus, mes touristes.
Mais, comment leur dire que Dieu venait d'atterrir en hélico blanc
ici, dans le désert des Nabatéens ?

Julius Marx

Petra. Jordanie. Premier mai 2015)