"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
jeudi 29 novembre 2012
L'oiseau perdu
Cette nouvelle raconte la quête de Corliss, jeune indienne brillante universitaire et passionnée de livres, pour retrouver un homme de sa tribu auteur d'un recueil de poèmes. Sa quête la conduit à Seattle. L'homme qu'elle rencontre est vieux et lui confesse qu'il n'a plus écrit de poèmes depuis trente ans. Il raconte aussi son histoire qu'il revit plutôt comme une "imposture".
Il la conduisit vers un canapé rembourré au fond de la boutique. Ils s'assirent côte à côte. Les yeux rivés au sol, il commença :
"Je ne suis pas vraiment un Spokane."
Elle s'en doutait ! C'était un imposteur. Un Blanc bien bronzé !
"Enfin, biologiquement, je suis un Spokane, poursuivit-il. Mais je n'ai pas été élevé en Spokane. J'ai été adopté par une famille blanche de Seattle."
Ce qui expliquait pourquoi il en savait tant sur les Spokanes sans que ceux-ci aient entendu parler de lui.
"Vous êtes un "oiseau perdu", dit-elle.
-C'est comme ça qu'on nous appelle maintenant?
-Oui.
-N'est-ce pas poétique? Je présume que c'est toujours mieux que d'être appelés "marchandises volées" ou "bâtards paumés".
-Mais vos poèmes, ils sont tellement indiens.
-L'indien est facile à imiter. On l'imite depuis cinq cents ans. Mettons que j'aie été meilleur imitateur que la plupart."////
22 juillet 1973. Dix-neuf heures vingt-trois. Soirée de lectures libres au Boo's Books and Coffee sur University Way à Seattle. Harlan Atwater arriva avec vingt-cinq exemplaires de Dans la réserve de mon esprit . Il en avait fait imprimer trois cents et comptait les vendre cinq dollars pièce, un prix assez élevé pour de la poésie autoéditée, mais il estimait qu'elle le valait.
Il était le douzième sur la liste des vingt auteurs inscrits pour la soirée. C'était une bonne position. Avant, il n'y aurait pas grand monde, et après, les gens seraient pressés de rentrer chez eux et risqueraient de partir en plein milieu des péroraisons. Il y avait sept femmes parmi les intervenants. Il avait déjà couché avec trois d'entre elles, et trois autres avaient déjà refusé ses avances, ce qui lui laissait donc une inconnue présentant une possibilité d'union charnelle.
C'était une bonne poétesse, drôle et percutante, rien de comparable à la dévotion des amoureux de la terre ou au vues étroites des révolutionnaires. Elle lut des poèmes sur un père flic qui aimait sa fille hippie à peine davantage qu'il la détestait. Elle était mignonne, vêtue d'un pantalon rayé arc-en-ciel et d'une chemise en daim marron. Elle avait de longs cheveux, blonds naturellement, et portait du rouge à lèvres vermillon.
Harlan n'arrivait pas à se souvenir quand il avait vu pour la dernière fois une hippie avec la bouche de Marilyn Monroe. Bon sang, se dit-il, les hippies masculins réussissent mieux à ressembler à Marilyn Monroe, et c'est très bien ainsi, encore que...
Après qu'elle eut terminé, Harlan dut attendre qu'elle éconduise rapidement et poliment trois soupirants, puis il s'avança vers elle.
"Tes poèmes sont bons, dit-il.
-Merci, mec. Tu es Harlan Atwater, non?"
Elle l'avait reconnu. Excellent signe.
"Ouais. Et toi, comment tu t'appelles?
-Je me suis baptisée Star Girl, répondit-elle. Mais la vraie star, c'est toi mec. Tes poèmes sont bons. Non, ils ne sont pas bons, ce sont les meilleurs. Tu vas devenir célèbre, mec."
Une fan ! Les choses s'annonçaient de mieux en mieux.
"Hé! Si on allait prendre un verre?" proposa-t-il.
Deux heures plus tard, ils étaient chez elle, nus dans son lit. sans s'être ni caressés ni embrassés. Il s'étaient juste lu des poèmes. N'empêche qu'ils étaient nus.///
"Parle-moi de ta souffrance, dit-elle.
-Quelle souffrance?
-Tu sais bien, d'être indien. Ce doit être terrible. La manière dont nous vous avons traités, tout ça.
-C'est dur", répondit-il. Il poursuivit, gardant les yeux fixés sur ses mains." Tu comprends, nous étions si pauvres sur la réserve où j'ai grandi. On l'appelle la "rèz", tu sais? Et il n'y a rien de pire que la pauvreté indienne. La pauvreté indienne est le sous-sol du gratte-ciel appelé pauvreté.
-C'est beau et triste, dit-elle. Tu es beau et triste."
Elle écarta une mèche sur le front de Harlan. Un geste de tendresse.///
Elle le serra dans ses bras. Elle l'embrassa sur la joue. Elle l'embrassa sur la bouche. Il l'allongea et grimpa sur elle. Elle l'aida à introduire son sexe en elle. Il se sentit passif, distant.
"Donne-moi ta souffrance, dit-elle. Mets ta souffrance en moi. Je veux la prendre. J'en ai besoin. Je la mérite."
"Alors, quelles leçons tirer de cette aventure? demanda Corliss.
-Ne jamais coucher avec une femme portant un nom de corps céleste.
-Ne jamais autopublier sa poésie.
-Ne jamais participer à des soirées de lectures libres.
-Ne jamais prétendre être indien quand on ne l'est pas", dit Harlan.
Sherman Alexie
Moteur de recherche in Dix Petits Indiens
10/18
mardi 27 novembre 2012
Le fils de Pierrot
Jusqu'à quinze heures trente, je n'avais rien à faire. C'était bien la première fois que je me baladais dans l'hosto sans pousser un chariot. J'en ressentais presque un manque, une vague démangeaison aux creux des paumes.
J'ai erré dans les couloirs, en touriste. Etrange. Je ne l'avais jamais vu comme ça, l'hosto, avec ses interminables allées, désertes à l'heure de la sieste...Les mains dans les poches de ma blouse je vagabondais d'étage en étage, un coup chez les cancéreux, un coup chez les pattes folles, une virée chez les hypertendus, une apparition dans la salle des hépatiques. Ces diamants me perturbaient. Une richesse aussi grande dans un écrin aussi dégueulasse, c'était surnaturel, discordant, un non-sens...
Jamais comme ce jour-là je n'ai autant haï l'hosto, jamais autant je n'ai vomi son odeur. Pas une odeur d'hôpital, faite de remugles d'éther, de senteurs fugaces du parfum dont s'aspergent certaines infirmières bien roulées, à la blouse transparente, qui font bander les petits jeunots venus là pour se faire réparer un bras cassé. Oh, non, pas cette bonne et forte odeur de vie qu'on bricole avant de lui donner une claque affectueuse sur l'épaule en lui souhaitant : allez, bon vent, on espère bien ne plus te revoir ici !
Il traîne une sale odeur, mon hosto. Une odeur de pourriture, d'oubli, de boue, et de pisse. Une odeur de pus qui suinte des escarres en technicolor, à ciel ouvert, d'où pointe l'os à nu.
Une odeur de dégueulis, de peur, de foutez-moi la paix et de laissez-moi crever peinard! Une odeur de j'en peux plus, coupez-moi les jambes, coupez-moi les couilles mais laissez-moi croire à mes souvenirs.
Une odeur de bassin pas vidé depuis trois jours, de draps où j'ai renversé ma soupe, une odeur de pourquoi mon dentier traîne par terre?
Une odeur d'excusez-moi, j'ai encore chié au lit, mais pardon, mon cul ne veut plus m'obéir...
Et cette odeur-là, les murs de l'hosto en sont barbouillés, imprégnés, imbibés. On peut laver, javelliser, il n'y a rien à faire. Coucou me revoilà, c'est moi la puanteur, je reviens te chatouiller les narines, tu as essayé de me chasser, mais je te colle à la peau. L'odeur de l'hosto. Pas de l'hôpital, de l'hosto.
De l'hosto à vieux. De la décharge à vieux.
Thierry Jonquet
(Le bal des débris)
Jonquet, j'ai toujours pensé qu'il était le fils de Siniac, le Pierre... né en 28. En lisant ce bouquin là, j'en suis encore plus persuadé. D'abord, y'a les personnages ; des égarés, des gens d'un autre monde. Le monde des petits épiciers, des apéros, des putes du Sébasto, des zouaves, des teigneux revanchards.
Un peuple avec des blases adaptés à leur fonction . Les Rouvère, Morançon, Grelèche, Lecointre et autre Picasseau, vous saluent bien !
C'est vrai que la paternité, après tout, on s'en tamponne. Mais, je ne classe pas pour mieux consommer, comme dans les rayons des épiceries-bouquineries (le vu-à-la-télé devant, le pittoresque derrière) mais seulement pour tenter de comprendre. C'est pas grand-chose, non? La recherche d'ADN pour coincer le coupable, c'est pas nouveau et c'est pas contre-indiqué pour le lecteur couché.
Bref, Pierre et son fiston, y boivent pas de visky mais du blanc-cass ou du Guignolet-kirsh, confortablement attablés à la terrasse de leur rade préféré. Ensuite, le garçon frappe les trois coups et le spectacle débute.
Beaucoup plus tard, lorsqu'ils regagnent leurs homes complètement torchés, ils n'embrassent pas leurs greluches , celle du Thierry est parti avec un syndicaliste CGT et le Pierrot ne se rappelle même plus le prénom de la dernière.
Mais, à ce qu'on raconte, y parait qu'il y a des vierges au Paradis.
Julius Marx
vendredi 23 novembre 2012
Le polar a la Rage !
Juger les gens? Avec toute l'objectivité dont j'étais susceptible ?
Et pis quoi, encore ? Ca va, la tête?
Bien sûr que je les juge. Et même, pour être franc, je les juge tous coupables et les condamne à être pendus par les couilles jusqu'à virer au rouge vif (ou toute autre chaleureuse couleur) . Bien sûr qu'ils sont coupables. Nous le sommes tous. Nous naissons bourrés jusqu'à la gueule de merdeuse culpabilité et, avant de marcher vers la gloire, il nous faut d'abord la dégueuler toute, c'est écrit noir sur blanc dans les Evangiles.
Le seigneur est un vieil homme las, oui m'sieur, avec toutes les misères du monde sur son dos, et il ne peut pas hisser jusqu'à lui à la fois les pécheurs et la merde qu'ils contiennent . Non m'sieur, patron!
Leur fils-de-putasserie est intéressée, ce qui est une autre manière de dire qu'elle peut être excusable, ou explicable. Et d'accoler au sigle F.D.P. une explication ou une excuse est pure trahison sémantique.
Si l'on doit en croire Freud, les seules motivations de la fils-de-putasserie sont liées au sexe, et relèvent entièrement de la psychose ou de la névrose. Et Freud est OK, même pour le jobard que je suis.
Cependant, le fils-de-pute de race blanche (ou prétendu FDP) a autant de raisons de l'être que la totalité de l'humanité, toutes races confondues, parce qu'il leur a baisé la gueule à toutes.
Où que nous portions notre regard, il rencontre inéluctablement les résultats du bordel semé par l'homme blanc : forêts et prés anéantis par ses pesants batifolages, nature entière polluée par son souffle nauséabond , mers, lacs, rivières souillés par son foutre chiasseux. Ce coït ininterrompu lui a tellement évasé le chibre qu'il ne peut même plus le mettre au cul de sa propre planète et qu'il lui faut s'envoyer en l'air dans la lune.
Jim Thompson
Child of Rage (Rage noire)
Rivages
Personne d'autre que Thompson ne peut vous refiler la rage à ce point!
Si après ça il vous vient une soudaine envie de coller des bourre-pifs, n'hésitez surtout pas..
La photo est extraite de Moontide d'Archie Mayo (1942) jolie , non?
mercredi 21 novembre 2012
Style pugilistique (2)
Oui : excédé de veilles !
Dans la bouche creuse de la maison
pendaient des grappes de femelles grises ;
se tordaient aux croisées ; l'une monta,
franchit toutes les marches d'un pas frétillé.
Continuer de travailler. La lucarne;
le matin terne ridé ; ensuite le soleil
se répandit des ravines grises de nuages,
flottard filtré au plomb.
Savez-vous: ce livre est pour
Werner Murawski;
né le 29.11.1924
à Wiesa près de Greiffenberg à la montagne ;
tombé le 17.11.43 devant Smolensk;
calculez, ce n'est pas difficile,
il n'avait pas encore 19 ans. Et lui,
l'unique frère de ma femme,
le dernier
avec lequel je fus jeune: Oh :
sur le miroir de la rivière naissaient
causettes et éclats de rires; un ciel griffonné de nuages;
dans le canot au fil de l'eau des airs à la vogue fanfaronnaient doucement.
Retour : Senor Vent du Soir ; derrière la lune pointue,
et nous 3 les uns autour des autres : Toi hélas, Alice et moi -
il aurait vingt-sept-ans aujourd'hui .-
Et déjà tous les partis en sont à reparler de conscription obligatoire : Quoi ?? !!- Valets
des chambres des finances ; kobold et chouette ; que ne vous débarrassez-vous d'un coup de griffe
de ces arrogants;
Werner dort.
Arno Schmidt
préface de Miroirs noirs (1951)
Cinquante années plus tard le style de Schmidt dépoli (ou repoli?) ressuscite.
C'est l'ellipse qui frappe la première. Puis, vient l'action uppercut. Les règles sont toutes balancées au tapis: ponctuation , majuscules et autres typos ; jugez plutôt :
Poussière, moisissures, toiles d'araignées, souris. Bidons d'huile, batteries hors d'usage, un carter de moteur fêlé. Quarante contre-façons d'une batte de base-ball signée par Sandy Koufax.
Le garage d'Arnie Moffett, dans le quartier de Mar Vista.
Des ordonnances vierges volées. La collection complète du mensuel Food service. Une photo de Marlon Brando avec une bite dans la bouche. Quatre carabines à air comprimé, deux tondeuses à gazon hors d'usage, un squelette de chat.
Crutch se mit au travail. Il déblaya une couche de crottes de rat pour accéder à une pile de cartons. Il parvint à la première rangée.
Le C.V d'Arnie s'enrichit de plusieurs lignes.
Il vendait des capotes qui titillent, des chapelets, le Rallongeur de Bite Bob le Bourricot. Il vendait des faux billets pour les matchs de football. Il était président du Debra Paget Fan Club. Il vendait par correspondance des poupée à l'effigie de JFK et de Jackie. Il livrait en personne des poppers de nitrite d'amyle dans les bars homos. Il dirigeait une agence d'intérim pour les immigrés sans papiers qu'il plaçait en tant que commis de cuisine.///
///Crutch parcourut la liste par ordre alphabétique. Les noms et les adresses n'évoquaient rien pour lui. Il parvint à la dernière page : de "T" à "Z". Il tomba en arrêt devant : "Weiss, Charles. 1482 North Roxbury, Beverley Hills."
Chick : avocat spécialisé dans les divorces. Chick : acoquiné avec les chauffeurs. Chick le meilleur pote de Phil Irwin. Phil : embauché et viré par le Dr Fred Hiltz- trouvez-moi Gretchen Farr.
Chick : drogué notoire et amateur de bois d'ébène.
Et...
Voici...
Le...
DECLIC
Le bureau de Chick. Une conférence pour piéger une épouse volage. La statue aux trois phallus. La déesse noire qui écarte les cuisses. Bibelots importés- tous salement vaudou.
James Ellroy
Blood's A rover
7...8...9..10... OUT !
Julius Marx
mardi 20 novembre 2012
Journal d'un idiot (8)
Mardi
Insupportable ! Je n'ai pas dormi de la nuit... quel suspens!
Et puis, ce matin lorsque j'apprend enfin les résultats... c'est la délivrance! Je hurle...Je saute de joie (je crois même que j'ai la cheville foulée, mais enfin, bon.)
Dans la rue, j'ai envie d'embrasser tout le monde... Jean-François... mon Jean-François à moi, est élu !!!!
Je tente d'expliquer à ma boulangère, au concierge de l'école et à Nadine la C.P.E combien ce jour est historique. En ouvrant de grands yeux étonnés, ils osent me demander pourquoi ? Les gueux! Je les méprise tous!
Encore sous le choc, pendant la récré de 10 heures, j'évacue le stress en fondant en larmes. C'est plus fort que moi. Profitant de la situation, le prof de gym me montre son tee-shirt de Ché Guévara.
Et puis, plus tard, à l'étude, le prof de français qui me demande avec un petit sourire si j'aime les pains au chocolat..
Heureusement Jean-François, mon Jean-François, va remettre tout ces gauchistes dégénérés au pas.
Mais, pour une fois, petit journal, j'ai commencé ma semaine par la fin. J'espère que tu ne m'en veux pas trop. Les circonstances en valaient bien la peine , non? LOL. Alors, revenons en arrière.
Jeudi
J'apprends par la télé et la radio que la journaliste Audrey De Pulvar des Inrocks se sépare de son chéri Arnaud De Montebourg. Le torchon brûle dans la Noblesse Rouge ! Mais, après tout, elle a bien le droit de changer de monture !
Vendredi
En plein conseil de classe , le professeur de SVT s'est permis de lâcher un pet. Devant mon regard plutôt méchant, il m'a juste lancé : "Bah quoi, t'es pour l'exploitation du gaz de schiste, ou non ?"
Samedi
Encouragés par le moustachu broyeur de mac-Do Bové, des manifestants crasseux (hippies, beatniks et autres racailles sans foi ni loi) s'opposent à la construction d'une basilique qui doit s'appeler Notre-Dame des Landes. Cette bande d' incultes devrait savoir qu'une société sans religion ne peut que sombrer dans le chaos. Ce ne sont pas les exemples qui manquent, hélas !
Dimanche
Après la grand messe de 10 heures, je suis allé à la manifestation contre le mariage des homosexuels.
Un type du service d'ordre ( le genre primate avec des muscles à la place du cerveau) m'a chopé par le col de mon pardessus en hurlant dans mes oreilles. "T'es une grosse tapette, toi "
Au moment même au j'allais répondre, la bombe lacrymogène est venue rouler juste à mes pieds...
Ensuite, je ne me souviens plus de rien.
Lundi
Le concierge de l'école m'a demandé si j'avais la myxomatose.
PS : Vas-y Jean-François ! Sus à l'horrible traître Fillon !
mardi 13 novembre 2012
La république des femmes
J'ai souvent eu l'occasion de vous parler de nos taxis collectifs, ces camionnettes où neuf passagers (parfois un ou deux de plus au mépris de la loi) s'entassent pour parcourir la dizaine de kilomètres qui nous sépare de la grande ville. N'y voyez aucune obsession de ma part mais, notre histoire débute une fois de plus dans un de ces taxis.
Lorsque nous pénétrons à l'intérieur de l'habitacle ce matin-là, nous comprenons immédiatement que l'ambiance est chaude , pour ne pas dire brûlante. Le verbe est haut; il atteint même des sommets! Entre deux cris, nous comprenons que les deux seules femmes s'opposent au cinq hommes. Je tente de me glisser entre une des ces femmes, ses deux paniers remplis de légumes et un homme plaqué contre la vitre, un sourire sarcastique accroché sur ses lèvres.
Ma voisine argumente... Les postillons sont éjectés de sa bouche aussi vite que ses idées. Le petit vieux assis devant nous tente une réponse... Elle l'envoie au tapis en grimpant de trois octaves.. le vieux bredouille, baisse la tête. Un autre, à peine plus jeune, s'interpose... Il est liquidé en deux temps, trois mouvements.
C'est au tour du chauffeur, souriant, de lancer une bonne blague. Les deux mégères rugissent... le taxi fait une embardée.
Nous tentons de comprendre l'ordre du jour de cette assemblée du peuple. Mais, je dois d'abord résoudre un autre problème ; ma voisine m'écrase de tout son poids et puis, mon oreille gauche donne quelques des signes de faiblesse. Un bourdonnement sourd couvre celui du moteur. Je ressens aussi des fourmillements dans mon bras gauche, celui qui s'est retrouvé sous les paniers de légumes.
Il est question de religion, bien entendu. Manifestement, nos oratrices, totalement opposées aux préceptes de Marx, réfutent en bloc les arguments du penseur. Et puis, nous avons droit à un tour d'horizon de politique internationale, comme on dit dans le journal télévisé. L'Amérique du grand Satan, les étrangers responsables de l'écroulement des valeurs enseignées par le prophète....
Courageusement, et sans se départir de son sourire, mon voisin balance :
-Vive la révolution et le Ché !
C'est la pagaille générale, et pas de président pour balancer des coups de marteau sur son pupitre.
Lorsque nous sortons du taxi, nous sommes groggy. Mon bras gauche est mort au combat.
L'après-midi, nous avons droit à une deuxième séance à la chambre. Dans l'unique laverie automatique qui fonctionne encore dans la ville, la patronne nous parle de cette jeune tunisoise violée par les flics. De son point de vue, une fille qui se livre au regard des hommes ne peut être qu'une traînée qui ne vaut pas plus qu'une chienne. Nous tentons de fourrer le linge dans le sac le plus vite possible pour ne pas entendre la fin du discours mais, peine perdue. Le fameux "elle l'a bien cherché" , si courant dans nos contrées, vient parachever le sermon. A côté d'elle, Marine c'est Gandhi !
Sur le chemin du retour (nous avons décidé de rentrer à pied) ma compagne me parle de Georges Sand, dans un premier temps opposée au droit de vote des femmes, estimant qu'elles étaient trop ignorantes...
Que penserai la fille de mon propriétaire (qui vient de se voiler totalement) d'une femme se faisant appeler Georges?
Je ne sais pas... je ne sais plus.
Julius Marx
jeudi 8 novembre 2012
Une voix furtive
Bientôt huit ans que je vis ici, au bord de la mer.
Dans les premiers mois, il fallait que je la contemple, quelques minutes seulement par jour.
Aujourd'hui, je l'entends, je la sens et c'est bien suffisant.
Le vent (fidèle lieutenant) m'enveloppe, me pousse, et me répète sans cesse :
elle est là, vieux, pourquoi s'en faire?
Cesenatico vecchio
Dans une terre marine
la mer est partout.
Partout on entend le flot
qui nous fait avancer.
On l'entend au cimetière
comme sur la rive.
C'est une voix furtive,
une sorte de louange.
Aux vivants ne déplaît pas
le cimetière marin.
Ils viendront y reposer
jouissant de la paix du rivage.
Les vivants aiment le vin,
ils aiment les cris et les fureurs.
Mais, sous terre, il leur plaît
d'entendre la mer tout près d'eux.
Les morts sont contents
si la mer les protège.
Quelques lumignons brillent encore,
deux ou trois sont déjà éteints.
Marino Moretti Diario senza le date Mondadori, 1974
Traduction De l'auteur du beau blog Fine Stagione
J'ajoute seulement ceci ...
"Et, seul enfin avec son coeur , le voyageur trouve-t-il /
Dans la caresse plus furtive du vent et l'éclair inconstant de la mer/
Des preuves qu'il existe vraiment quelque part un Paradis Terrestre/
Aussi certains que ceux que les enfants dénichent dans les pierres et les trous?"
W.H.Auden
mardi 6 novembre 2012
Histoires comme-ci, comme-çà (18)
Comment j'ai entendu l'appel de la foi
Bethel. Comté de Sullivan.
A pied, nous remontons la rue principale de ce village de ploucs. Il est clair que la plupart des habitants de ce bled perdu dans le trou du cul du monde ( même s'il est situé dans l'état de New-York) n'aime pas nos cheveux longs et nos jeans troués. Un vieux, avec plus beaucoup de chicots dans la bouche, grimace en découvrant nos sacs à dos... les autocollants Peace and Love... sans doute. Il lâche un gros glaviot sur le trottoir devant l'entrée du super-marché sans lâcher sa bouteille de gnôle bien planquée dans un sac de papier.
Qu'importe! Nous y sommes enfin !
La route a été longue depuis Albany et son motel crasseux de troisième zone. Pour venir dans ce village, pas question de lever le pouce sur le bas-côté de l'autoroute. Il n'y a qu'un seul moyen : la nationale. Même si la route sinueuse traverse de magnifiques forêts, le chemin nous a semblé vraiment interminable. Après six heures occupées à remercier les paysans de nous avoir promené pendant trois ou quatre kilomètres seulement, ou passées à l'arrière de camionnettes a se cramponner comme des cow-boy de rodéo pour ne pas être éjectés, la délivrance est totale. C'était probablement le prix à payer.
Voilà enfin la récompense ; un grand champ clôturé, à la sortie du village des hérétiques.
Sans hésiter, nous lâchons nos sacs à dos et nous nous glissons sous les barbelés.
Au milieu de cette prairie envahie d'herbes folles, dans ce qui est devenu notre sanctuaire, nous levons les yeux vers le ciel.
Et puis, répondant à un appel de nos divinités, nous nous mettons à crier :
-No rain ! No rain!
Immédiatement nous nous sentons entourés, accueillis chaleureusement par un demi-million de chevelus barbus hirsutes. Nous lorgnons sans aucun complexe les seins offerts et peinturlurés de filles avenantes.
On se met à danser avec des mouvements désordonnés, comme deux types qui auraient reçus des décharges électriques dans le postérieur.
Après la phase hystérique, nous passons à la méditation. Assis dans l'herbe, on se partage le pain et le fromage en écoutant l'hymne américain joué par Jimmy.
Impossible de se rappeler le temps que l'on a passé à faire les imbéciles dans ce champ paumé à la sortie de Bethel. Qu'est-ce que ça peut bien faire?
Nous ramassons les restes de notre repas et nos sacs, têtes basses, comme les types qui cherchent leurs godasses, dans le film.
Puis, sans échanger le moindre mot, nous fuyons ce bled à la recherche d'une belle et longue autoroute.
Voila, c'est comme çà que j'ai découvert Woodstock , sept années après le premier festival pop de l'histoire.
Aujourd'hui, j'ai transformé ce moment magique en une bonne blague. Je n'hésite pas à affirmer :
- Oui, je suis allé à Woodstock ..
Devant l'expression pour le moins ébahie puis admirative de mes interlocuteurs, j'ajoute aussitôt:
-7 ans après!
La blague fonctionne encore, et c'est bien le principal, non?
Julius Marx
Bethel. Comté de Sullivan.
A pied, nous remontons la rue principale de ce village de ploucs. Il est clair que la plupart des habitants de ce bled perdu dans le trou du cul du monde ( même s'il est situé dans l'état de New-York) n'aime pas nos cheveux longs et nos jeans troués. Un vieux, avec plus beaucoup de chicots dans la bouche, grimace en découvrant nos sacs à dos... les autocollants Peace and Love... sans doute. Il lâche un gros glaviot sur le trottoir devant l'entrée du super-marché sans lâcher sa bouteille de gnôle bien planquée dans un sac de papier.
Qu'importe! Nous y sommes enfin !
La route a été longue depuis Albany et son motel crasseux de troisième zone. Pour venir dans ce village, pas question de lever le pouce sur le bas-côté de l'autoroute. Il n'y a qu'un seul moyen : la nationale. Même si la route sinueuse traverse de magnifiques forêts, le chemin nous a semblé vraiment interminable. Après six heures occupées à remercier les paysans de nous avoir promené pendant trois ou quatre kilomètres seulement, ou passées à l'arrière de camionnettes a se cramponner comme des cow-boy de rodéo pour ne pas être éjectés, la délivrance est totale. C'était probablement le prix à payer.
Voilà enfin la récompense ; un grand champ clôturé, à la sortie du village des hérétiques.
Sans hésiter, nous lâchons nos sacs à dos et nous nous glissons sous les barbelés.
Au milieu de cette prairie envahie d'herbes folles, dans ce qui est devenu notre sanctuaire, nous levons les yeux vers le ciel.
Et puis, répondant à un appel de nos divinités, nous nous mettons à crier :
-No rain ! No rain!
Immédiatement nous nous sentons entourés, accueillis chaleureusement par un demi-million de chevelus barbus hirsutes. Nous lorgnons sans aucun complexe les seins offerts et peinturlurés de filles avenantes.
On se met à danser avec des mouvements désordonnés, comme deux types qui auraient reçus des décharges électriques dans le postérieur.
Après la phase hystérique, nous passons à la méditation. Assis dans l'herbe, on se partage le pain et le fromage en écoutant l'hymne américain joué par Jimmy.
Impossible de se rappeler le temps que l'on a passé à faire les imbéciles dans ce champ paumé à la sortie de Bethel. Qu'est-ce que ça peut bien faire?
Nous ramassons les restes de notre repas et nos sacs, têtes basses, comme les types qui cherchent leurs godasses, dans le film.
Puis, sans échanger le moindre mot, nous fuyons ce bled à la recherche d'une belle et longue autoroute.
Voila, c'est comme çà que j'ai découvert Woodstock , sept années après le premier festival pop de l'histoire.
Aujourd'hui, j'ai transformé ce moment magique en une bonne blague. Je n'hésite pas à affirmer :
- Oui, je suis allé à Woodstock ..
Devant l'expression pour le moins ébahie puis admirative de mes interlocuteurs, j'ajoute aussitôt:
-7 ans après!
La blague fonctionne encore, et c'est bien le principal, non?
Julius Marx
samedi 3 novembre 2012
Le poète du malheur
Le hasard n'existe pas. Ce matin, la Crevaison , l'indispensable blog pense-pas bête de Joël H nous rappelle la mort de Pasolini. J'écoute une chanson, je lis une strophe du poète.
Chez Fine stagione, Emmanuel F nous parle d'Alda Merini . Je relève le fragment de cette strophe tout de suite.
"Je ne prie pas parce que je suis un poète du malheur "
Je sais que beaucoup rechignent à considérer les anniversaires comme un moment de joie, de partage : surtout pas moi. A mon sens, cela reste l'unique fête sacrée ayant un vrai sens.
Alors, pour participer à ce moment, j'écris ci-dessous la dernière strophe d'un poème composé par Andrea Zanzotto pour son ami Pasolini.
Je t'attendais ici, en haut(1), où, encore,
avec leurs scintillements soupirent les alba pratalia(2)
mais toujours plus pourris par en dessous et par en dessus;
toi tu t'es porté avec courage
là ou l'Italie délire davantage.
Ah, pardonne-moi, si maintenant je ne sais te donner
autre chose sinon ce marmottement, d'un vieil homme désormais...
C'est seulement un pauvre effort, un tremblement,
pour recoudre, et d'une certaine façon relier
-un moment seulement, pour te saluer-
ce qu'ils ont fait de tes os, de ton coeur.(3)
Andrea Zanzotto
à Pier Paolo Pasolini
Traduit du vénitien ( et expliqué) par Philippe Di Meo.
(1) Ici, en haut: autrement dit en Haute Italie
(2) Alba Pratalia : d'un vers célèbre de la Cantilène véronese, attestant du passage du latin à l'italien , cité par Pasolini comme par Zanzotto dans leur oeuvre. Ces près blancs sont une image, mieux, une allégorie de la page blanche.
(3) Evocation de la mort de Pasolini : ses os avaient été brisés, et son coeur avait éclaté sous les coups reçus, attesta l'autopsie pratiquée par les médecins légistes.
Non, décidemment le hasard n'existe pas. Il est des anniversaires qui nous laissent toujours songeurs.
Julius Marx
jeudi 1 novembre 2012
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