samedi 29 août 2020

Le Polar Est Amour (37)




Il dut l'aider à monter les marches.
Chez lui: "Emmène-moi dans ton lit", dit-elle. Dans les vapeurs de l'alcool, elle se rendit compte du quiproquo, éclata de rire et s'efforça d'expliquer que c'était pour dormir. Elle fut prise de fou rire. puis s'allongea sur le canapé et parut s'endormir. Brusquement, elle se redressa :"La nuit est encore jeune, donne-moi un truc à boire", demanda-t-elle d'une voix traînante. Elle s'assit ,et, posant les pieds sur le bord du canapé, entoura ses jambes de ses bras. Elle peignit un petit sourire malicieux sur ses lèvres et se mit à la considérer d'un air coquin.
Il lui fit signe que non de l'index.
"Allez Alberto, sinon je vais pleurer, je vais inonder ta maison. Une petite grappa, ça va me mettre de bonne humeur",insista-t-elle  en balançant de-ci de-là ses jambes nues.
A ce moment-là , Gregory Peck l'aurait caressé  d'une petite tape affectueuse, prise dans ses bras, posée sur le lit, déshabillée en la laissant en soutien-gorge et petite culotte, et glissée entre les draps. Avant de déposer un baiser de bonne nuit sur son front et, sans tenir compte des caprices de l'ivresse, de pousser un soupir de regret et d'aller dormir sur le canapé du salon.
Mais lui n'était pas Gregory Peck, et on était pas dans un film. Il aurait bien aimé le voir, Gregory Peck, dans la vraie vie, avec une femme pareille demandant de l'amour.
Il ne lui servit pas de grappa. Il l'allongea sur le lit et lui ôta ses vêtements.

Mimmo Gangemi
Il Giudice meschino
(La Revanche du petit juge)

mardi 18 août 2020

Les balcons au regard ingénu



L'événement est extraordinaire. Les expériences de ce jeune docteur font croire à une science nouvelle et bienfaisante. 
Le docteur Bivar, nom bien castillan, qui s'oppose au nom étranger de vigueur chez tout innovateur, habite à côté de vous, porte à porte, cette rue pacifique et claire. Il y vit isolé, inconnu, dans une maison modeste, mais égayée par des balcons aux regards ingénu.
Il n'y a pas de grande enseigne attachée à la balustrade. On ne s'aperçoit du voisinage du docteur que lorsqu'on a affaire à lui.
Toute la maison veut être très près de la vie; mais pour l'observer plus librement, elle veut passer inaperçue.
Elle influe  sur l'état d'esprit des malades qui la regardent. Elle les calme, et leur produit indubitablement bonne impression. Ils vont déjà mieux en entrant chez le docteur; la maison et ses alentours, ce certain aspect limité, de point final, qu'il lui a consciemment donné, apaisent ceux qui viennent à lui.
Je vois le docteur tous les soirs. Nous aimons à nous promener ensemble, recherchant les rues dans lesquelles le mouvement de la ville ne nous incommode pas. Souvent nous entrons au café; ce n'est que là que l'on échappe un instant à la Destinée injuste et précaire qui nous poursuit chez nous et dans la rue. Si un café discret et dissimulé comme ceux que nous choisissons avait existé du temps de Caïn, il aurait pu se cacher au regard implacable de l'Œil.

Ramon Gomez De La Serna 
Le docteur invraisemblable

Une perle des éditions Champ-Libre de 1984 !
Illustration : Portrait de l'auteur par Diego Rivera (1910)