jeudi 31 mai 2012

Journal d'un idiot (2)




Vendredi
Salut petit journal. Alors, je t'ai manqué? Pas trop j'espère. LOL

Samedi
Avant l'émission de Sébastien j'ai regardé la fin du journal télévisé. Que de malheurs et de catastrophes dans le monde!  Et moi qui doit changer le GPS de ma Twingo.

Dimanche
Totalement par hasard, en surfant sur la toile, je suis tombé sur le blog d'un écrivain gauchiste.
C'est le risque d'Internet. J'espère que personne ne surveille mes visionnages sinon, je vais me retrouver au Goulag!
L'article parlait d'un groupe de chevelus hirsutes italiens qui combat le passage d'un TGV sur leur terre. Ceux qui sont contre le progrès m'exaspèrent. Ces irresponsables reprochent aux autorités d'avoir rasé une châtaigneraie , la belle affaire ! Qui mange encore des châtaignes de nos jours?
Vivez avec votre époque messieurs!

Lundi
Il ne faut pas que je parle avec des écolos. Mon psy pense que c'est à l'origine de ma psychose maniaco-dépressive.
Pendant la nuit, je rêve souvent que je suis cerné par des éoliennes géantes. Et puis, des petits hommes verts avec de grosses ventouses à la place des mains s'avancent vers moi pour  m'embrasser. Leurs  lèvres sont comme deux longues limaces visqueuses. J'ai tellement peur que les draps s'en souviennent.

Mardi
Les fruits et les légumes n'ont plus de goût.

Mercredi
Vu sur le journal une photo du président Syrien et son épouse. Ils ont l'air gentils et très bien élevés. C'est tellement rare de nos jours des gens corrects et bien éduqués.

Jeudi
J'en ai assez de leur tennis à la télé ! Je rate Plus belle la vie. Si ça continue, je vais plus rien comprendre à l'intrigue.

Vendredi
Pas le temps de te parler petit journal. Un ami vient de me téléphoner que la belle Eva Longoria montre son minou sur MSN. Je cours, je vole...


lundi 28 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (12)

Comment je suis devenu napolitain




 Août 2003.Castelbasso. Provincia di Terramo . Italia
 Castelbasso n'est qu'à une dizaine de kilomètres de notre plage et nous  avons pris l'habitude  de nous rendre quelques soirs dans ce village isolé dans la montagne. Dans ce lieu sinistré, des petits malins ont eu l'idée d'organiser chaque année une expo d'art contemporain. L'artiste invité dispose du village et expose ses principales compositions dans les nombreuses maisons abandonnées, croulantes. Accrochés ou simplement posées sur les pierres, les toiles, les sculptures ou les objets sont sous la haute surveillance des habitants. Ainsi, les visiteurs privilégiés peuvent entrevoir d'un seul coup d'oeil le présent et le passé de ce village.
Il faut bien admettre que autant que l'art contemporain, ce qui nous poussait à venir chaque année dans ce lieu si riche c'est le restaurant improvisé de la place où l'on pouvait déguster les fameuses petites saucisses grillées des Abruzzes, le fromage de brebis et le vin local.
Ensuite, libre à nous de digérer au calme, sous les grands mûriers; d'admirer le panorama en s'abandonnant à la brise providentielle.
Et puis, vers 22 heures (dans ce pays l'heure n'est gracieusement  livrée qu'à titre purement indicatif) venait le moment du concert.
Cette année-là, le programme annonçait les Tambours du Vésuve.
Dès les premiers accords, la place s'est miraculeusement couverte de spectateurs qui piaillaient comme des oiseaux. Le chanteur (Nando Citarella) annonça que le concert serait placé sous le signe des musiques de la Méditerranée. Notre voyage commença dans les faubourgs de Naples, frôla les côtes de Sardaigne et s'acheva dans les  pays du Maghreb.
Impossible de rester le derrière collé sur sa chaise. Peu à peu, des spectateurs possédés se levaient pour égrener  en choeur les refrains tant de fois chantés par leurs parents.
On poussa les chaises, on dansa, on s'embrassa!
Une fête débridée succéda au protocole strict du concert et ne s'éteignit que très tard dans la nuit.
Alors que le feu n'était plus que braises, je serrai la main de Nando en lui disant simplement que jusqu'ici, je ne connaissais Naples que par les écrits d'Anna-Maria Ortese ou Domenico Réa et que grâce à lui, ce soir béni des Dieux, j'avais  aussi découvert sa merveilleuse musique.
Il me remercia en prononçant ces mots simples et vrais que seuls les poètes ont le pouvoir de prononcer.
A l'aube, alors que nous redescendions vers l'implacable réalité, je me consolai en pensant que j'étais devenu napolitain, juste pour un soir.
Julius Marx




samedi 26 mai 2012

Les lectures aimées (Fin)



Il est probable que, le matin, un enfant ingénu, un écolier vagabond s'attardait devant ces magasins, émerveillé, méditant d'obtenir, contre le peu d'argent qu'il avait dans sa poche, certains de ces livres, d'où tant d'images merveilleuses et un peu tristes, sur les couvertures, l'avaient regardé.
Mais il finissait par partir et, durant toute la journée, il ne venait plus personne. Seuls la pluie  ou le vent, le soleil et les nuages dans le ciel turquoise consolaient ces vieilles paperasses, ces histoires anciennes, avec leur présence vague.
Un silence, une sorte de méditation sans fin stagnaient, tel un air oublié, sur ces pauvres trottoirs, devant ces seuils usés. Il était évident que le but que se proposaient le ou les propriétaires de ces magasins allaient au-delà d'un intérêt normal. On ouvre pas un magasin dans un désert, on ne monte pas des expositions là où il n'y a que nuages et cailloux. Et ces magasins ne pouvaient donc être, selon moi, que des compositions de la Mémoire; ils faisaient partie d'une série de Signes et de Symboles, grâce auxquels cette vieille Rue méditative se donnait à elle-même en spectacle la beauté absurde de la vie, les rêves des jeunes gens qui l'avaient fréquentée pendant la journée, et dont les pas légers n'étaient, hélas, les mêmes, que pour peu de temps.
Anna-Maria Orstese
(La grande Rue- in les Ombra)
( Nouvelles- Actes Sud)

vendredi 25 mai 2012

Les lectures aimées (suite)




Comme ils étaient naïfs et saintement rhétoriques, les visages des héros, les sourires et les larmes des héroïnes! Et les paysages à l'intérieur desquels ils se déplaçaient étaient comme recouverts d'une beauté paisible et affligée : des lacs et des forêts, des montagnes et des mers au-dessus desquels s'étaient perdus les regards d'écoliers d'autrefois.
Les drapeaux de tous les pays du monde scintillaient au soleil sur les mâts des navires colorés, qui entraient ou sortaient majestueusement des ports les plus célèbres, sur les mers les plus lointaines.
De jeunes matelots bouclés comme des petites filles et des vieux pirates, effrayants et joyeux comme des aigles déplumés, chantaient et trinquaient assis autour de tables infâmes, à la lueur jaune d'une lampe à huile qui assombrissait, plus qu'elle n'éclairait, des voûtes fumeuses où nichaient des chauves-souris. Des rochers, couronnés de nuées d'orage et avivés par des éclairs un peu plus grandiose qu'au naturel, surplombaient des plages sombres et désertes, sur lesquelles roulaient continuellement de longues vagues d'acier, surmontées d'une écume livide.
Et ces bruits, ces voix confuses et alarmées des vagues, pleines d'un faible grondement, telles des foules épouvantées qui auraient fui, ou des trains roulant à toute vitesse, ou des troupeaux furieux qui se seraient avancés, ouvraient des clartés sauvages dans les yeux de Pierre, du Pêcheur d'Islande, assis face à cette mer, hébété et seul.


Des personnages plus naïfs se promenaient çà et là, à travers des papiers étranges, inquiets et délicieusement menaçants.Le colonel Cody, à cheval, entouré d'une nuée de coyotes rouges et soigneusement peints, et protégeant ses yeux d'une main, épiait avec attention, par la gorge d'un canyon flamboyant s'ouvrant sur des vallées aériennes dans lesquelles brillait le filet bleu d'un fleuve, ou se déployait en éventail le diadème scintillant d'une cascade, les mouvements imperceptibles  et insidieux de l'ennemi qui avançait.


Robinson Crusoé, vêtu de peaux, barbu,vieilli et pourtant magnifique de courage et d'espoir, sortait par une belle matinée , avec son fusil antédiluvien, chasser les chèvres sauvages dans les petites vallées paradisiaques de son île, et lorsqu'il regardait le beau ciel le regret de l'Angleterre et de sa chère maman voilaient son regard.
(A suivre)
Anna Maria Ortese
Les Ombra
Nouvelles (Actes-Sud)

jeudi 24 mai 2012

Les lectures aimées



Petite fille déjà, à l'époque où les doigts d'une main  me suffisaient pour compter mon âge, je fréquentais la grande via Foria avec une simplicité et un abandon qui, aujourd'hui encore, quand je m'en souviens , me rendent pensive. Je ne saurais comprendre avec précision quelle raison certaine, quel sentiment envahissant ou quelle inclinaison irrationnelle poussaient la jeune personne que j'étais à faire de cette rue, qui, tel un fleuve à sec, traversait la partie orientale de la ville, le but, le centre préféré de mes promenades quotidiennes.
Rue majestueuse, sauvage! Fleuve de pierre, navire colossal ancré entre les rives de silence!
Tableau, composition mélancolique et orgueilleuse dont le titre, tel celui d'une étoile mystérieusement vivante, aurait pu être "liberté et méditation".
Il n'existait à Naples aucun autre lieu qui, mieux que cette rue, si étrangement animée et inquiète, ouverte et mystérieuse-une des rues les plus solennelles de cette ville et trop injustement ignorée-,
puisse donner à l'âme une sensation de désordre et de fête, de désarroi et de joie, de liberté et de peur, gonfler votre poitrine d'aussi douces pensées et voiler votre esprit avec une musique aussi douloureuse et inquiète, puis, presque au vol, vous amener au bord d'une vallée non indiquée sur les cartes du monde où, dans un calme et une lucidité incomparables, on voit se promener les éternels symboles et les poignantes idées.
Il sortait, de certaines boutiques, une odeur putride et douce de papier moisi. Les journaux illustrés étaient entassés de chaque côté du seuil, et servaient de piédestal aux colonnes de livres, également illustrés, que des générations d'enfants s'étaient passés, brûlant d'une joie pure et trouble, d'une menotte à l'autre.
Plusieurs de ces enfants n'existaient plus à présent, ou étaient devenus des hommes corrompus, et de toute façon ne gardaient aucun souvenir de ces lectures aimées : mais ces livres et ces journaux survivaient. Comme elles brillaient sous la lumière blanche de la lune, leurs couvertures bariolées!
(A suivre )
Anna-Maria Ortese 
Les Ombra
(Nouvelles- Actes Sud)

mercredi 23 mai 2012

Journal d'un idiot (1)


Jeudi 17 mai
Excuse-moi petit journal, j'étais trop occupé pour penser à toi. Mais, rassure-toi, me voici de retour.
Aujourd'hui, c'est le jour où les usurpateurs vont annoncer la composition de leur gouvernement.
Ces gens me font peur.J'espère de tout mon coeur que cette grosse femme à l'accent germanique ne sera pas ministre. Et puis, Christine B a entièrement raison, pourquoi ont-ils l'audace de travailler le jour de l'Ascension? J'ai voulu téléphoner à Nadine M mais, évidemment, son portable était coupé, elle était à la messe! Ca, c'est tout moi ...Je fais passer les sentiments avant l'action.
Tout le contraire de notre valeureux Nicolas. Cet homme exceptionnel a sauvé notre pays de la faillite et nous le remercions en l'envoyant au Maroc!
Enfin. Il faut absolument que je me calme. Mon psy m'a conseillé d'éviter de parler politique. Il pense que le stress est à l'origine de ma psychose hallucinatoire chronique.

Samedi 19 mai
Je suis allé au cinéma revoir  LeTitanic en 3D. Je suis ressorti très déçu. Les nouvelles technologies n'apportent rien de nouveau au film initial. Et puis, la fin reste inchangée.
J'attend avec impatience de voir bientôt les beaux films sélectionnés au festival de Cannes dans les salles parisiennes. J'admire surtout les hommes intègres qui sélectionnent ces films en toute objectivité. Ils font un travail remarquable qu'on ne souligne pas assez.

Dimanche 20 mai
Un ami m'appelle pour me demander ce que je compte faire pour les vacances. Il m'apprend qu'il a choisit Myconos. D'après lui, il faut profiter de la situation grecque pendant qu'il est temps.
Je lui répond que je ne mange pas de ce pain là !
Je crois que je vais réserver en Espagne, sur la Costa Brava.

Lundi 21 mai
Encore déprimé.
En plus, à la cantine, cet imbécile de cuisinier me propose du fromage de Hollande, un comble!
Le soir, à la télé, ce ne sont que bavardages intellectuels et idéologie déviantes , je renonce.
Je visionne la vidéo d'un petit chat sur internet, une belle chanson de Dalida et le jouet extraordinaire de Clo-clo avec son merveilleux texte qui me fait encore pleurer après toutes ces années.
Je m'endors heureux.

Mardi 22 mai
Chic! Les beaux jours reviennent. Je me suis acheté une paire de lunettes de soleil de la marque
"Police". Un peu chère mais, je sens que ça me sécurise.
A bientôt petit journal.


mardi 22 mai 2012

Un temps pour tuer



Pourquoi le roman Tempo di Uccidere ( Un temps pour tuer) de Ennio Flaiano a-t-il cette réputation de roman envoûtant, déroutant, voire quasiment mystique?
Oui, Julius, pourquoi? C'est une très bonne question que tu poses là, mais, d'abord, parle-nous de l'auteur, du sujet, du roman... Bref, fais-nous entrer dans la confidence, s'il te plaît.
Il faut tout d'abord que je vous dise que c'est un roman particulier pour moi, un roman qui a une histoire. C'est mon frère de lecture qui m'en parle le premier il y a une quinzaine d'années. Nous allons ensemble à la librairie La Tour de Babel à Paris pour tenter de dénicher le fameux roman. Mais, nous apprenons qu'il n'a jamais été ré-édité en français depuis 1951, date de sa sortie chez Gallimard.
Même si l'endroit est très sympathique ( le propriétaire parle à merveille de la Sicile et d'huile d'olive) je reviens fort déçu de ma visite. Depuis ce jour, je n'ai  jamais cessé de le chercher. Ensuite, mon frère est parti  en me laissant simplement une adresse au Paradis, son édition italienne et de beaux souvenirs de jours heureux.
Je le trouve enfin l'année dernière ré-édité aux éditions Le Promeneur, abandonné dans un bac "occasions" de la librairie Gibert Jeune ou Joseph Gibert, qu'importe, je les confonds toujours ces deux-là.
Flaiano, c'est le scénariste de plusieurs chef-d'oeuvres du cinéma italien comme La Strada, les Nuits de Cabiria, la Dolce Vita, les Vitelloni.. Vous en voulez plus?
Son premier et unique roman est publié en 1947. Il raconte l'errance d'un officier italien lors de la campagne d'Ethiopie et sa rencontre avec une femme mystérieuse.
Mais, la principale rencontre du livre c'est celle d'un continent ou l'irrationnel, l'intemporel et le sacré l'emportent toujours sur la logique de l'homme blanc. Le temps, lui aussi, a une importance considérable dans la progression de l'intrigue. On a souvent l'impression que le personnage se retrouve prisonnier du temps, des éléments ou des autochtones qui apparaissent ou disparaissent comme des images floues d'une lanterne magique.
Dès les premières lignes, l'auteur veut poser  ces trois pôles : temps, végétation et esprit.
"J'étais étonné d'être encore vivant, mais fatigué d'attendre du secours. Surtout fatigué de voir tous ces arbres qui se dressaient le long du ravin, car partout où une graine trouvait la moindre place elle y finissait ses jours. La chaleur, cette atmosphère malsaine, que même la brise du matin ne parvenait pas à adoucir, donnaient aux plantes l'aspect d'animaux empaillés."
C'est donc Le continent africain, bien loin des poncifs et des représentations occidentales, qui enveloppe et accompagne le personnage. Rares sont les auteurs qui sont parvenus, comme Flaiano a traverser le miroir opaque  qui voile toutes aventures africaines.
"Dès que l'ouvrier m'eut jeté son souhait comme on jette un défi, je fus tenté de revenir en arrière. Rien qu'un instant. Par superstition je touchai un de ces arbrisseaux, mais leur bois était du vrai carton pâte, on eût dit le fonds de magasin de l'univers."Seul un brocanteur sans scrupule a pu les mettre dans cette terre à l'abri de la main de l'homme", pensai-je. Et d'un pas décidé je m'engageai dans le raccourci."
Alors, êtes-vous prêts pour le grand voyage?
Julius Marx
Vous pouvez lire un autre extrait sur ce blog en recherchant le texte "Femme de Gondar".

jeudi 17 mai 2012

On est heureux !

Comment trouver mieux que cette chanson avec ces magnifiques et prophétiques paroles du grand Francis Blanche pour exprimer ce que nous ressentons.

mercredi 16 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (11)




Comment j'ai rencontré le chien de Fellini 

Août 2003. Rosetto Degli Abruzzi. Italie.
Incontestablement, le ciel est de couleur bleu azur.
Après un bon café au bar Delle Rose, une visite au marché, je rejoins notre place réservée sur cette longue plage de sable fin de l'Adriatique.
Rangée numéro trois : deux parasols et quatre transats.
Ce village et ses habitants vous donne une petite idée du Paradis. Au Bar de plage de l'hôtel voisin, on vous sert le Campari avec des olives, du fromage et une assiette de friture, sans aucun supplément de prix, même le sourire est toujours compris.
J'ai emporté  Nouvelles pour une année de Pirandello. Les 247 nouvelles qui composent le bouquin naissent dans les 3600 pages du livre et s'achèvent devant mes yeux, sur le sable, parmi les familiers de la chaise-longue.
Pour que débute cette histoire, il faut attendre 17 heures. Laissons donc le temps s'étirer lentement entre les rires lointains des enfants, la musique au tempo saccadé venant de la piscine de l'hôtel poussée sans ménagement par la brise marine entre les branches des palmiers, le cri du marchand ambulant de noix de coco et la voix sourde, noyée dans le grésillement familier du haut-parleur fixé sur le toit d'une voiture, qui annonce le spectacle de cirque de la soirée, l'élection d'une Miss ou le grand film projeté dans les jardins de la Mairie.
Juste le temps d'achever la nouvelle intitulée Rien et voici qu'arrive le héros de cette fin d'après-midi.
Comme chaque jour à la même heure, il redescend tranquillement l'allée centrale de notre plage.
 A son passage, les occupants de la rangée quatre se relèvent. Un papy de la rangée deux réveille sa compagne qui dormait avec un journal sur le visage. Quelques enfants courent derrière lui en chantant ses louanges. Et puis, les baigneurs l'accueillent chaleureusement comme l'un des leurs. Il plonge dans l'eau claire et batifole sous les acclamations, les applaudissements, les rires. Notre héros n'est pas un héros comme les autres. Court sur pattes, le noir et le blanc se disputent la suprématie de son pelage. On retrouve également cette pacifique bataille autour de ses yeux : le gauche est entouré de noir et le droit de poils blancs. Personne ne prend le risque d'annoncer son appartenance à une race quelconque, mais à quoi bon? Cette singularité le classe illico dans la grande famille des chiens de cirque ou de cinéma.
Son bain quotidien achevé, il s'ébroue au milieu d'un cercle d'enfants qui piaillent de joie.
Maintenant, il a quelque chose de très important à faire, le temps du jeux et du divertissement est terminé. Là-haut, sur la longue route droite qui souligne la plage, quelqu'un l'attend.
Sur les conseils de notre maître-nageur je décide de le suivre.
Comme le ferait un promeneur nonchalant, il remonte la route en accordant, çà et là, ses faveurs à quelques jolis troncs de palmiers.
Celle qui l'attend est une femme. Elle est vêtue d'une large blouse fleurie. Cette blouse, c'est le véritable uniforme des femmes des Abruzzes d'un certain âge. Le touriste égaré la pendrait par mégarde pour la femme de ménage de l'hôtel mais, il devrait très vite réviser son jugement hâtif car c'est en fait la patronne très autoritaire de l'hôtel Bella Vista.
Les deux mains posées sur ses hanches généreuses, le regard droit, fixé sur l'interminable rangée de palmiers, elle attend son intrus, son malotru de 17 heures.
L'indésirable, c'est bien entendu notre héros. Pour l'instant, il se fait oublier, caché derrière le tronc imposant d'un arbre.
La matrone jette un regard circulaire, frappe du pied sur le trottoir et décide de retourner à ses affaires. Aussitôt, le chien sort de sa cachette et trottine jusqu'à l'endroit précis où se trouvait la femme quelques secondes auparavant.
Tranquillement, il dépose un joli colombin, devant la belle entrée de ce prestigieux hôtel.
Il décide de ne pas rester plus longtemps sur les lieux de son forfait. Et il a bien raison. La femme resurgit telle une furie, en criant. Mais, notre héros a déjà disparu.
La patronne de l'hôtel Bella Vista jette sa savate en direction du fugitif et lève les yeux en implorant le ciel.
Cette singulière histoire a débuté avec Pirandello et s'achève donc avec Fellini.
Pendant que la patronne de l'hôtel s'occupe de la pièce à conviction abandonnée par ce sacripant de la gente canine, la voiture de l'animation revient à notre hauteur. Elle annonce un magnifique et impressionnant défilé de mode pour le soir-même suivi d'un concert de l'harmonie Municipale.
Ah ! Bien, encore du spectacle.
Julius Marx

lundi 14 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (10)





Comment je suis devenu dresseur de fauves

Korba. Tunisie. 1976
Je viens de décrocher un sacré boulot : pâtissier dans un village du Club M.
Moi qui pensais passer quelques mois de semi-vacances plutôt tranquille à laisser le vent marin caresser ma peau devenue mate en sirotant des martinis au bord de la piscine, je travaille de l'aube à l'aurore dans un réduit surchauffé pour un salaire de misère. En plus de la période du Ramadan, je découvre l' étymologie de l'expression "tourisme de masse" très en vogue à l'époque.
1600 touristes en short et maillot entassés quatre par quatre dans de magnifiques petites paillotes avec sol en ciment, armature en bois et toiture de paille. La grouillante population de ce camping des temps modernes se réveille très tôt et exige de manger des croissants chauds, puis, elle ne se résigne à dormir qu'après le traditionnel gâteau à la crème bien de chez nous.
La situation déjà difficile va le devenir encore un peu plus avec l'arrivée d'un nouveau chef de restaurant. Dès sa première causerie, nous comprenons que Dieu nous réserve encore une épreuve à surmonter.
Ce petit chef est un être sans qualité. Rigide, il  fait passer la discipline avant la convivialité, le strict  respect des horaires de travail avant  l'indispensable compréhension inhérente à la période complexe du Ramadan. L'ensemble du personnel doit travailler du lever au coucher du soleil, sans boire ni manger, en plein mois d'août. Le sagouin n'en a cure!
Nous décidons, mes compères de la cuisine et moi, de lui donner une petite leçon de "savoir-vivre".
A la fin du service du soir, dès que l'opportun file exhiber son corps sur la piste de danse, nous nous retrouvons à l'entrée du village réservé aux enfants. Notre plan est très simple : capturer l'âne qui amuse tant les tout-petits pour lui faire visiter la paillote de notre Cerbère.
L'affaire est rondement menée. Une belle carotte suffit à  décider  l'animal d'aller faire une petite promenade.
Nous traversons le village sans croiser beaucoup de monde et nous ricanons déjà en imaginant la rencontre de ces deux êtres si proches.
Le bourricot entre sans se faire prier dans la paillote. Nous refermons la porte. Les ricanements sont devenus des rires francs.
Puis, vient la longue période d'attente jusqu'à ce que notre danseur se décide enfin à rejoindre ses pénates. Nous sommes cachés dans une paillote voisine, tapis dans l'ombre, attentifs au moindre bruit.
Enfin, notre homme s'annonce. Nous l'entendons sur le chemin qui mène à sa cabane.
- Hé, il est avec une nana, me chuchote mon voisin.
-C'est la coiffeuse, dit l'un des nôtres, l'oeil collé à une petite ouverture creusée dans la paille.
-T'as raison, je la reconnais.
-Ah! Ben, comme çà, on fera d'une pierre deux coups, j'peux pas la voir, elle non plus, ajoute le guetteur.
 Nous entendons tous rire la coiffeuse; un rire franc qui meurt dans de longs trémolos.
Au lieu de savourer ses dernières minutes de quiétude, son chevalier servant lui demande de baisser un peu le ton. Il lui ordonne même de penser un peu à ceux qui dorment.
Il ouvre lui-même la porte de la paillote.
-Passe-moi la lampe, demande-t-il sèchement à la fille.
Pendant les secondes qui suivent nous n'entendons que des frottements, des bruits de pas, des paroles étouffées et puis, vient le cri.
-Hiiiiiiiiiiiiiiiiii!!!
Un grand cri qui retentit dans la nuit étoilée, immédiatement suivi par une plainte, un déchirement:
-Y'a une bête, là, sur le lit !
-Attends, attends, laisse-moi passer, répond l'homme.
Nous comprenons qu'il tente d'attraper l'intrus par la corde qui nous a servi à l'amener jusqu'à la case.
L'animal n'aime pas qu'on le brusque et il le fait savoir.
-Hi-han !
-Hiiiiiiiii !! répond la fille.
-Tais-toi, bon sang, aide-moi !
Dans la confusion générale qui règne, personne n'entend nos rires.
Le couple est maintenant uni dans l'effort.
-Allez, tire avec moi.
-Hi, han!
-Saleté de bestiole !
Tout d'un coup, nous entendons un bruit de chute. Nous comprenons tout de suite que la corde vient de céder.
-Aïe, aïe, aïe !
-Qu'est-ce qui t'arrive encore?
-Le clou ! Le clou !
-Quoi, le clou?
-Là, dans mes fesses!
-Ah, merde !
-Hi- han !
-Ha! Toi, ta gueule !
Juliette et son Roméo ne sont pas retournés danser pendant plusieurs jours.
La semaine suivante, le petit chef est reparti vers d'autres contrées.
Voyez comme les choses s'arrangent avec un soupçon de diplomatie.
Julius Marx


vendredi 11 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (9)

Comment je suis devenu un Monstre.
Paris. 1988.
J'achète le pastiche du journal Libération et je le trouve plutôt bien fait. Aussitôt, c'est une manie chez moi, je rédige quelques articles de la même teneur. Je m'attaque à la rubrique cinéma en critiquant des films de Godard et Rohmer. Dans ma version, je les trouve beaucoup plus attrayants  et surtout plus vivants ( l'acteur principal Sylvester Stallone luttant contre une invasion de fourmis géantes aérophagiques  donnant beaucoup plus d'action au contenu.)
J'expédie le tout au journal.
Quelques jours plus tard, je suis très étonné de recevoir une réponse de l'équipe de rédaction qui me convoque au siège du journal.
Je m'étonne un peu de constater que ces joyeux lurons irrévérencieux crèchent Avenue Henri-Martin, mais, je ne suis pas un type snob, s'ils travaillent dans une chambre de bonne d'un immeuble très cossu, après tout, qu'importe, l'art n'a rien à voir avec la lutte des classes.
Je me rends au rendez-vous en espérant que cette après-midi d'été serait partagée entre franche rigolade et nombreuses pauses au bistrot voisin. La suite m'a montré que je me fourrais complètement le doigt dans l'oeil.
Troisième étage : le tapis du couloir est tellement épais que je n'entends pas le bruit de mes pas. Je songe à un guet-apens, une bonne blague. La secrétaire septuagénaire bcbg , rang de perles sur cardigan, qui m'ouvre la porte me conforte dans mes pensées : je me suis fait rouler, bien joué les gars!
Après un petit sourire complice, elle m'invite à entrer.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire?
J'échoue dans un salon cossu et je m'enfonce dans un Chesterfied  qui sent le vrai cuir.
-Voulez-vous un café, autre chose?
-Non, rien, merci.
Pendant les quelques minutes où je reste seul, abandonné de tous, plusieurs théories se bousculent dans ma petite tête de méchant pasticheur.
Ce sont des admirateurs de Rohmer et Godard, je me suis trompé d'étage, la vieille ressemble à Agatha Christie, c'est une caméra invisible, le propriétaire de l'appartement travaille pour les RG.
Enfin, la porte s'ouvre. Un homme d'une quarantaine d'années entre. Il est habillé d'un costume trois pièces sur mesure et chaussé de mocassins brillants. Il vient vers moi en souriant, en me présentant sa petite main  soigneusement manucurée. J'ai beaucoup de mal à m'extirper du fauteuil.
-Bravo pour vos textes,annonce-t-il, en me faisant signe de me rasseoir. Pouvez-vous en écrire d'autres comme ceux-là?
Après mon "oui" étouffé, Agatha revient dans le salon avec un plateau d'argent et deux tasses en porcelaine fine.
Le café à peine servi, le patron m'explique l'affaire. Il me montre la parodie du Wall Street Journal qu'il a ramené de New-York. C'est simple, il veut faire exactement la même chose avec une des institutions de notre presse française : Le Monde.
Libération était un premier essai commandé à une autre équipe. Aujourd'hui, il veut sa propre équipe de journalistes capables de faire mieux.
A l'évidence, j'étais bien loin de me douter que nous n' arrêterions notre collaboration qu'après plusieurs années, une dizaine de titres parus parmi lesquels : Le Monstre 1 et 2, le Clébard Déchaîné, Ou-est-ce France ?, L'Almanach du Monstre, Le Monstre Mensuel et même le très sérieux Journal Officiel. Je ne pouvais même pas envisager que notre petite équipe allait pondre des titres comme : "L'échec de la politique néo-libérale, une certitude en cas de non-réussite", ou oser des gags comme imprimer un poster central dans le Journal Officiel avec une pin-up à lécher au goût vanille !
Quel bonne blague !
Depuis cette époque, lorsque je joue au Monopoly, j'achète toujours l'Avenue Henri-Martin, elle m'a vraiment porté chance.
Julius Marx



jeudi 10 mai 2012

Le collectionneur




Le poète est collectionneur. Il ne collectionne ni les porcelaines, ni les bronzes, ni les tableaux, ni les médailles, ni les timbres, ni rien de ce qui pourrait être dispersé à profit sous le marteau d'un commissaire-priseur. C'est néanmoins ce qu'il est par tempérament. Il collectionne les relations. Travail délicat, auquel il applique la patience, la passion, la résolution d'un véritable collectionneur de curiosités. Pas de personne de sang royal dans sa collection: je pense qu'il  trouve qu'elles ne sont ni assez rares ni assez intéressantes; mais, cette réserve faite, il a rencontré et conversé avec quiconque vaut la peine d'être connu dans tous les domaines imaginaires.
Il observe, il écoute, il pénètre, il mesure et il range le souvenir dans les galeries de son esprit.
C'est le plus grand rebelle des temps modernes. Le monde le connait comme un écrivain-cinéaste révolutionnaire  dont la vision cruelle a mis à nu le pourrissement des institutions les plus respectables.
Il a scalpé toutes les têtes les plus vénérées et a supplicié au poteau de son esprit  toutes les opinions reçues et tous les principes de conduite et de politique admis.
Ecrits, lus, filmés ou criés, ses pamphlets sont d'un rouge flamboyant . Lorsqu'ils essaiment soudain, toutes les forces de police ou de religion en sont accablés comme par une attaque de taons cramoisis.
Son sourire, ses yeux d'enfants, ne mentent pas.
Il donne et ne reçoit jamais.
Il aime, c'est tout.

Julius Marx
(D'après le texte The Informer, de Joseph Conrad)

mardi 8 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (8)



Comment je suis monté au Paradis 

Maison d'Arrêt de Bois-d'Arcy (Yvelines). 1990.
J'anime un stage d'écriture de scénario pour le ministère de la Santé.
Chaque session est sensé durer quatre heures. Mais, la fouille minutieuse de mon cartable, les différents contrôles  et les surveillants qui se font un peu tirer l'oreille pour prévenir les détenus de mon arrivée et les accompagner jusqu'à la salle prévue, réduisent mon intervention à un peu moins de deux heures.
Si parmi mes fidèles les marchands de rêve son majoritaires, je compte aussi  un spécialiste des oeuvres d'art, un  sympathique papy qui a plongé sa main dans la caisse de son administration, deux frères monte en l'air et des casseurs en phase d'apprentissage.
Après les premières sessions, j'ai modifié mon programme en m'apercevant que certains ne savaient pas écrire. Face à cette réalité, j'ai décidé de passer un peu plus de temps sur l'analyse filmique.
Ce jour-là, les surveillants étant de bonne humeur, j'ouvre la session avec une quinzaine de participants. Je leur propose un exercice simple pour leur montrer qu'un scénariste apporte toujours beaucoup d'attention à la construction d'un personnage. Nous allons regarder ensemble "Les Enfants du Paradis" de Marcel Carné, scénario de Jacques Prévert.
Dans l'assemblée, seuls le spécialiste des oeuvres d'art et le papy ont déjà entendu parler du film.
Les autres demandent pourquoi ils sont obligés de regarder un film en noir et blanc.
Je perd pas mal de temps à ramener le calme et puis je me lance.
-Bon, c'est assez simple. Vous choisissez  un personnage précis parmi tous les personnages du film et  vous notez au fur et à mesure que l'action se déroule les renseignements que l'auteur donne sur ce personnage. Son nom, sa fonction, son passé, son physique, son langage etc..
L'expérience, comme le film, se déroule en deux parties sur deux journées.
Le lendemain, les mêmes sont présents et je projette la seconde partie.
Dès le mot fin affiché sur l'écran, je demande à chacun le nom du personnage choisi.
A ma grande surprise, je constate qu'ils ont tous sélectionné Garance (Arletty) qui symbolise la liberté dans le film.
Pour moi, cette merveilleuse révélation semble venir du ciel !
Pendant que le débat s'engage sur les différents détails notés par certains et pas par d'autres, je ne tente plus de ramener le calme. Je voudrais que ce moment magique dure une éternité.
Julius Marx

                                           





                                                 

dimanche 6 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (7)






Comment j'ai rencontré le Capitan 

Val d'Oise, 1963.
Ma grand-mère travaille  dans un château de la région parisienne.
Cette agréable demeure d'une cinquantaine de chambres avec parc ombragé et courts de tennis est située en lisière de forêt.
Le gamin que je suis préfère courir dans les bois, construire des cabanes au pied des arbres. Notre journée du jeudi s'étire mollement, enveloppée de la  fumée des lianes ou des P4  à l'abri des regards indiscrets. Ce jour-là j'avais décidé d'abandonner mes camarades pour rejoindre le château.
Dans le grand parc, une équipe de cinéma au grand complet tournait  l'adaptation de"Patate", la pièce de Marcel Achard, au cinéma.
Si j'avais fait ce choix, c'est essentiellement parce qu'on m'avait dit que la belle Sylvie Vartan, la femme du grand Johnny, faisait partie de la distribution. Si je réussissais à l'apercevoir, ou même à lui soutirer un petit autographe, j'allais devenir le phénix de ma cour d'école primaire.
En découvrant l'équipe au travail, tout ce matériel, ces gens qui courraient dans tous les sens comme des hannetons affolés, je pensais que l'affaire s'annonçait beaucoup plus compliquée que prévue. Comment se faufiler dans cette jungle humaine? Des types en salopette, clope au bec poussaient d'énormes caméras sur des rails qui ressemblaient à des voies de chemin de fer. Le réalisateur, un chapeau de paille sur la tête,était assis sur une chaise pliante. C'était à peu près le seul type silencieux et calme de ce sacré chantier. Les deux filles assises à côté de lui sur de petits tabourets feuilletaient de gros dossiers.
Tout d'un coup, quelqu'un cria "Silence!"
Un autre répéta la même chose, puis un troisième, un quatrième et l'on n'entendit plus rien.
Tous regardaient  le petit escalier en marches de pierres blanches comme si leur vie ne dépendait que de ce qui allait se passer sur cet escalier.
D'une voix grave, le réalisateur cria "Moteur!"
Le clap-man se présenta devant l'escalier, agita son engin et cria à son tour:
-Patate, scène 56, troisième.
Le réalisateur leva la main droite en disant :
-Vas-y, Jean !
Alors, un homme sortit de la maison et descendit les petites marches une à une, tranquillement, en sifflotant, comme un homme qui avait descendu des petites marches pendant toute sa vie.
Mais, cet homme n'était pas le commun des mortels, c'était le Capitan !
J'étais tétanisé.  Même s'il avait remplacé sa tenue par un petit costume clair, un de mes héros préférés se tenait à quelques pas seulement de moi. Je revis en un éclair la scène des poignards, les combats à l'épée et les chevauchées fantastiques.
Quelqu'un avait crié "coupez!" Je redescendis sur terre, parmi les humbles vivants.
Le Capitan s'approcha du réalisateur en souriant. Son sourire me fit comprendre que l'ambiance était plutôt au beau fixe. Le réalisateur lui donna une accolade.
Puis, les hannetons se mirent à courir de nouveau dans tous les sens.
Un quart-d'heure plus tard, le même cérémonial se déroula. Le Capitan descendit les marches de nouveau. Mais, cette fois-ci, il le fit en sautillant légèrement. Puis, encore une fois, mais, plié en deux, le buste penché vers l'avant. Cette version déclencha les rires dans l'équipe. Tout le monde avait reconnu l'imitation de son personnage du Bossu.
Les versions s'enchaînèrent à un rythme fou. Des applaudissements chaleureux saluèrent la fin de la représentation, le réalisateur attrapa mon héros par le bras et le Capitan disparut à jamais.
Le soir, dans ma chambre, sur le mur au-dessus de mon lit, je décollais la photo de la belle Sylvie et la remplaçais par celle du Capitan sautant de la fenêtre du château sur le dos de son fidèle  destrier.
La nuit fût très courte et agitée.
 Elle l'est toujours pour ceux qui aiment à rêver.
Julius Marx




jeudi 3 mai 2012

Histoires comme-ci, comme çà (6)

Comment je suis devenu nègre




Paris, 1990.
Las d'écrire pour d'éventuels projets, de rédiger des épisodes entiers de série pompées sur les séries américaines. Fatigué  de hocher bêtement la tête face à un producteur, un publicitaire ou à un "auteur", bref, dégoûté du métier de scénariste, je décide de me lancer dans l'écriture, la vraie, la seule qui vaille vraiment la peine de sacrifier ses meilleures années.
Dans les premiers mois de ma recherche, la seule offre vient d'un magazine pour cuisines d'entreprises qui me propose de rédiger un long texte sur les fonds de sauce. Devant ma mine défaite, le rédacteur en chef ajoute même :
-Vous verrez, c'est pas trop difficile. Il suffit de reprendre l'article de l'année dernière... On va téléphoner aux archives.
Je suis déjà sur le palier avant qu'il ne repose le combiné.
Et puis, quelques semaines plus tard, une voix de femme me demande :
-Ca vous dirais de devenir nègre?
Je frissonne, je me vois déjà dans la peau d'un Mandela, d'un sans-grade, d'un opprimé.
Le lendemain matin, dans l'ascenseur des Editions X, coincé entre une blondinette qui sent le Chanel n°5 et un papy qui bave comme un bulldog, je suis déjà écrivain. Pour l'occasion, je porte ma veste de tweed avec des pièces aux coudes.
Un couple de  mamies (une vieille et une moins vieille) me reçoit dans un petit bureau. Sur les étagères, je repère surtout des livres de poches; science-fiction, héroïc-fantasy, charme et heureusement, romans policiers. Pendant qu'elles papotent entre elles, je deviens Chester Himes remontant les rues de Harlem à la recherche de Fossoyeur Jones et Ed Cercueil.
Enfin, la plus âgée des deux, ôte sa paire de lunettes demi-lune et me fixe droit dans les yeux.
 Elle va droit au but. Manifestement elle n'a pas de temps à perdre, même avec le grand Himes.
-Bon, voilà le deal. Il s'agit d'une série américaine achetée par Mr V , un écrivain que la critique se refuse toujours à considérer comme un écrivain, mais, passons, on s'en moque.(Oui, moi aussi. J'opine du chef)
Il y a deux auteurs qui travaillent là-dessus en permanence, six titres par an.
-Un des deux nous lâche, précise son acolyte, avec une grimace.
-C'est çà. Il faut faire vite, ajoute l'autre.
-Mais, je ne suis pas traducteur..
Ma réponse décrispe un peu l'atmosphère. Elle se marrent franchement.
-Pas besoin, s'étouffe la plus jeune.Toute la série est écrite en français. Sur la page de garde, il y aura votre nom en qualité d'adaptateur, c'est tout. Voilà le cahier des charges.
Elle me passe un gros dossier et quatre romans.
-On attend votre réponse, disons, demain matin.
L'entretien est terminé. Demi-lune attrape son téléphone et sa collègue s'aperçoit qu'il est l'heure d'aller manger.
Dans l'ascenseur, je croise une autre blondinette. Je tente de prendre l'air sérieux d'un auteur de polar consensuels. Elle me demande à quel étage je descend. Je voudrais répondre quelque chose de spirituel comme un dialogue de Chandler, mais j'articule péniblement "rez-de-chaussée, merci."
Je passe l'après-midi et une partie de la nuit plongé dans le gros dossier. Le héros est un type aux énormes biceps sans peur et sans reproche, agent secret spécial de la C.I.A. C'est un de ces durs que l'on appelle uniquement quand la situation est désespérée. Après la lecture des quatre bouquins, je rêve déjà d'en faire un homosexuel refoulé qui a des problèmes avec ses parents et qui pleure au cinéma lorsqu'il va voir Dumbo de Walt Disney.
Mais, pas question de renoncer. C'est çà, ou les fonds de sauce !
Les histoires se déroulent dans différents pays et sont toujours plus ou moins en relation avec l'actualité. Ca commence mal, moi qui ne lit jamais les journaux, ou alors la page spectacle et les programmes télé!
Et puis, il y a le sexe. L'animal est une vraie machine, un sex-toy infernal!
Le lendemain, j'affirme pourtant à demi-lune que ce type me plait, qu'il a un bon potentiel et que j'ai déjà quelques idées.
Elle me présente à J.G,  l'auteur référence, un papy qui fume des Gitanes maïs avec une tête de violeur récidiviste. Le type est déjà responsable d'une quinzaine d'opus. Il ouvre la bouche et articule entre ses chicots pourris :
-C'est pas compliqué, t'as qu'à respecter les règles, c'est tout. Et surtout,  pas d'improvisation.. N'oublie pas qu'on est deux à écrire.
Je me demande ce qu'il entend par improvisation. Il a peut-être peur que je le transforme en lopette son putain d'agent secret.
-Il nous faudrait une histoire qui se passe aux Indes, lance demi-lune.
Quelques semaines de dur labeur plus tard, on pouvait lire ceci :
"La jeune femme chercha le filet d'air providentiel du petit ventilateur et passa sa main dans ses  longs cheveux roux. Grâce à la clarté bénéfique de la lune, l'homme put apprécier en fin connaisseur les courbes de son anatomie en transparence. Il fut bientôt si près d'elle qu'il ressentit sur son cou le souffle chaud de son haleine. Il glissa lentement sa main sous la fine étoffe de soie. Les seins de la jeune femme, rendu légèrement moites par la chaleur,se laissèrent caresser docilement. Sous sa paume, il sentit les mamelons se redresser fièrement. Il suivit les hanches et s'arrêta sur le triangle de Vénus. Le corps tout entier de Faye brûlait littéralement de désir. Elle laissa échapper un petit "ho" étouffé. Elle se lova contre cet homme viril et animal  qui, en la prenant simplement dans ses bras puissants venait de lui donner une si brusque et soudaine poussée de fièvre."
J'avais suivi les conseils de mon aîné, surtout pas d'improvisation.  Mais, je pensai qu'un jour, les nègres auraient enfin les mêmes droits que les autres.
Julius Marx




mardi 1 mai 2012

Piétinons le muguet



Aujourd'hui, chacun est contraint, sous peine d'être condamné par contumace pour lèse-respectabilité, d'exercer une profession lucrative, et d'y faire preuve d'un zèle proche de l'enthousiasme.
La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail.
Robert Louis Stevenson

En cette période de forte augmentation du chaos où nous risquons de perdre les jumeaux Bogdanoff  les auto-collants Panini et le double concentré de tomate, nous devons revenir à la parole du poète.
Ne célébrons pas la fête du travail de ce trio d'agités notoires qui, on le sait, n'a jamais vraiment connu les petits matins blêmes des banlieues ouvrières et les cadences infernales.
Mais, rien ne nous empêche de lire (ou de relire) La Jungle de Upton Sinclair  Le Talon de fer de Jack London ou Haut et bas entre Londres et Paris de Georges Orwell.
Piétinons le muguet Pétainiste et allons plutôt découvrir les champs de coquelicots.
Julius Marx