jeudi 31 mars 2011

Flux et reflux


Depuis quelques semaines, la Tunisie est victime d'un flux continuel d'immigrés. Victime, parce que les hommes et les femmes de Tunisie, ressentent tous la nécessité d'aider ces nouveaux venus, oubliant volontairement les heures difficiles qui rythment leur propre quotidien.
Pourtant, ils ne se posent absolument pas de questions (comme dans d'autres lointaines démocraties) et nous répondent toujours quand on leur demande pourquoi, qu'ils ont simplement le devoir de secourir.
Les populations d'immigrés ont traversé les frontières de la Libye voisine mais, il serait faux de croire que tous sont de nationalité libyenne.Au contraire, les libyens ne sont qu'une minorité et trouvent aussitôt asile dans des familles tunisiennes qu'ils visitaient déjà, pour la plupart, avant la révolte contre Kadhafi. La famille s'élargit donc  une fois de plus avec une solidarité sans aucune limite.
Et puis, si  les égyptiens, les nord-coréens, et les chinois n'ont fait que "passer"; pour les autres, ceux qui restent, c'est malheureusement toujours le même refrain.  Les immigrés de "seconde zone" : somaliens, tchadiens ou bengladeshi, qui ne possédaient pas grand-chose en Libye, se retrouvent avec  moins que rien de l'autre côté de la frontière. Pour eux, il y a les camps de réfugiés ( leur statut a changé en cours de route), les organisations humanitaires, et une longue attente qui commence.
Mais, ces populations sont entraînées aux luttes contre les différentes brimades. Certains racontent l'enfer qu'ils vivaient de l'autre côté. La guerre et ses atrocités? Non,  même pas, juste la vie quotidienne et la difficulté d'être misérable, sans défense et d'une autre couleur de peau. D'autres encore ont étés dépouillés de leur maigre bagage sur la route de la liberté. Mais, ils sont encore en vie et remercient Allah.
De beaux villages de tentes (qui plairaient beaucoup à Berlusconi) ont donc poussés le long de cette frontière.
Nul doute que nos valeureux pilotes de Rafale, juste avant de larguer leur missile à 400.000 euros sur la tête des sbires de Kadhafi, peuvent apercevoir le petit point blanc, tout en bas  dans les dunes, s'ils prennent la peine d'ôter leur paire de Ray-ban évidemment.
Ce matin, en reluquant les différents étals du marché aux poissons, je constatais que la hiérarchie, ici aussi, était respectée. Tout au-dessus de l'étalage, il y a les crevettes royales à 30 dinars le kilo ( sachez que le salaire minimum en Tunisie est de 280 dinars environ) elles portent donc toujours bien leur nom et, de leur piédestal, observent la situation sans nervosité apparente en conservant leur jolie couleur . Et puis, viennent les Saint-Pierre, les dorades et autres loups. La "classe moyenne" des poissons a connu des temps agités mais, elle a su rester tête droite et oeil vif .
Pour la lotte, c'est une autre histoire car  la pauvre a vraiment une sale tête. De là à parler de délit de sale gueule, il n'y a qu'un pas! Un autre qui n'a pas une très belle tête non plus, c'est un poisson qui a traversé la Mer Rouge pour échouer dans notre mer. A cet intrus, on a donné le nom de "poisson-cochon" ce qui, avouons-le, ne facilite guère son intégration. Enfin, viennent les touts petits poissons, bourrés d'arêtes, qui finissent à la soupe populaire.
Ah! J'oubliais le fameux thon rouge, pêché au large des côtes libyennes . Par les temps qui courent, le pauvre se fait de plus en plus discret.
Mais, de toutes façons, les scientifiques nous prédisent une prochaine disparition des espèces, alors...
Julius Marx


mercredi 30 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (14)


Un homme en tablier blanc
Il dépose un gros poisson à l'oeil vif sur sa planche de travail . Il explique la signification du nom de ce poisson qu'il est maintenant occupé à découper.
Remarquez les deux taches rondes et symétriques de chaque côté de la tête de ce Saint-Pierre ...
Avance rapide / le film défile à grande vitesse
Davis respire bruyamment, passe la paume de sa main sur son front luisant de sueur.
Le gros doigt boudiné de Maître Richard enfonce le clic de la souris.
Le film stoppe net / l'image revient
L'homme au tablier blanc touille la sauce avec un fouet dans une petite casserole
La musique qui accompagne son geste est de type classique.
-Vous êtes un incapable, grogne Richard sans cesser de regarder le film.
Davis attrape la souris se penche sur l'ordinateur / il clique/ ouvre des fenêtres totalement inutiles
-C'est pas possible ! crie Davis
-J'ai bien peur que si, répond le notaire en s'extirpant difficilement de son fauteuil
-C'est pas possible, répète Davis sans cesser de cliquer
L'ordinateur bug/ Davis ôte la clé USB la regarde comme si elle allait parler.
D'un regard fou, il lui demande de s'expliquer, la serre dans sa main avec la volonté de lui faire mal, comme il a l'habitude de le faire avec les petits malfrats qu'il martyrise.
-On vous a berné, annonce Richard en se servant une grande rasade de Single Malt.
Davis ouvre la bouche mais ne peut prononcer le moindre mot.
Richard avale une grande lampée.
-Je... je vais le trouver, dit Davis
-Ah, oui ! Et comment ? Demande Richard avec un mince sourire sur ses lèvres lippues.
Davis frappe dans la paume de sa main avec son poing fermé
-Le type... Celui qui m'a refilé ce truc (il montre la clé USB) il doit savoir où se trouve le vrai film !
-Possible, admet Richard en referment la porte du petit meuble d'angle en acajou qui renfermait son bar personnel, vous avez probablement son adresse ?
Davis frappe une fois encore / un son guttural sort de sa gorge.
-J'en déduis que non, ironise Richard
Il allonge son gros museau et replonge dans le verre. Puis, fixe de nouveau son visiteur.
-Allons, fait-il en se dirigeant vers le petit guéridon supportant le téléphone, dans une situation comme celle-ci, la sagesse commande de s'adresser à la police.
Sans lâcher le verre, il empoigne le téléphone
Davis sent un courant d'air glacial remonter le long de son dos.
Pas de doute, le gros est devenu fou...

Vers minuit
Outis foule le carrelage du grand hall de l'hôtel de la Paix.
Le réceptionniste, un type trapu d'une cinquantaine d'années au menton lourd, est plongé dans le catalogue d'une grande surface spécialisée dans le bricolage.
Lorsque Outis arrive au comptoir, il lève la tête, pose à regret le catalogue.
-Oui, je peux vous être utile demande l'homme d'une voix sans timbre?
-Une chambre, répond Outis au message enregistré.
Plus tard / La chambre/ Pièce unique flanquée d'un embryon de salle de bains.
Meubles bleus et jaunes, microscopique poste de télévision et lampadaire tire-bouchonné. Au mur, un barbouillage prétentieux assure la notoriété culturel.
Allongé sur le lit, Outis fait son choix dans la frêle mosaïque de la journée.
Le visage tuméfié de Valence / celui du rouquin/ la trogne vinassée de Blanquart.
Blanquart... Outis se lève d'un bond . En deux enjambées, il est à la fenêtre, écarte doucement l'épais rideau.
Dans la rue, à cheval sur le trottoir opposé, il remarque une Renault 21. Il ne distingue qu'un homme, assis au volant. Le bout incandescent de sa cigarette trahit sa présence.
Retour sur le lit. Ses yeux se ferment doucement.
Rendre une petite visite aux amateurs de pigeons... Le film, récupérer le film... Sa seule chance de résoudre l'affaire... Quelle affaire?... Demain...Demain.


Le crayonnage se vante d'une parenté avec Scellen-Engel de Paul Klee
Richard repose le porte-mine sur le secrétaire
-C'est noté... Comment? Quel problème? Allons, vous connaissez ma réputation.
Dois-je vous rappelez nos arrangements? Non, ce n'est absolument pas un chantage..
C'est ça... Au revoir.
Le notaire repose le combine en traitant son interlocuteur d'imbécile.
Davis s'approche, craintif. Il tient toujours la clé dans sa main.
-Bon, c'est réglé, soupire Richard en admirant son chef d'œuvre griffonné.
Il déchire le feuillet et le tend à Davis.
-Maintenant, c'est à vous de jouer, lance Richard. J'ose espérer que cette manche sera la vôtre.
Davis prend la feuille avec une expression mêlée de crainte et d'étonnement.
- C'est votre dernière chance , ajoute Richard en le fixant droit dans les yeux.
Davis baisse la tête. Sous le dessin bizarre, il lit une adresse
Hôtel de la Paix / chambre 27
A suivre 

mardi 29 mars 2011

Intervention divine


Sous nos contrées, c'est généralement avec la locution "Inch'Allah" que s'achèvent les conversations.
Entretiens de travail, rendez-vous amoureux, discutions politiques ou simples propos de voisinage, la conclusion reste la même pour tous.
Inch'Allah veut dire si Dieu le veut. On peut donc affirmer que malgré la prise de décision, la volonté du tout-puissant demeure la plus forte. Il est bien le seul a pouvoir agir sur les évènements et de fait, modifier le destin des simples mortels.
Le mortel qui accepte donc, docile, de voir sa vie basculer sans cesse à droite ou à gauche. Il n'est pas le maître de sa propre destinée et c'est ainsi!
Est-ce pour cette seule raison élémentaire qu'un avocat, par exemple, acceptera de devenir épicier?
Non, bien entendu, mais il va en accepter le principe et c'est déjà un grand pas vers le renoncement.
Pendant ce temps, dans "l'autre-monde", des capitalistes adorateurs du Dieu Argent, regroupés en clans, alliés ou identiques à des gangsters, et qui ont à leur solde politiciens, journalistes et autres idéologues, luttent par tous les moyens pour s'emparer des marchés et des profits. L'organisation étudie la question, prend les dispositions qui s'imposent, dispose de ma main-d'oeuvre bon marché et parle de l'avenir avec des colonnes de chiffres alignés sur des écrans d'ordinateurs.
Certaines de ces organisations ont bien entendu mis la main depuis belle lurette  sur le marché du tourisme tunisien. La mer, le soleil et le sable chaud  font toujours rêver. Alors, quand on y ajoute le fameux "All inclusive" (boissons et bouffe à gogo), le rêve devient réalité.
C'est bien là le paradoxe "la volonté de vie" des uns  face à la "volonté de pouvoir" des autres.
Mais, la révolution est passée par là. Alors, les petits-capitaines de l'organisation se sont déplacés.
Mais, pas question pour eux d'aller admirer la mer. Ils sont venus parlementer avec le peuple d'en bas.
Ils ont expliqué la situation, montré des chiffres,des tableaux. Ils ont aussi déploré (en levant les yeux au ciel) que malheureusement, les temps changent.
Ensuite, ils ont rempoché leurs ordinateurs, fait repasser leurs costumes pour se rendre à l'aéroport où ils ont demandé si  la boutique tax-free était encore ouverte malgré les évènements.
Alors, des nouveaux contingents de touristes sont arrivés, plus gras, plus laids encore que les précédents.
Il faut dire qu'à ce prix là, on aurait bien tort de se priver!
Mais qu'en pense le personnel des hôtels : la situation va-t-elle s'améliorer ou au contraire se dégrader?
-Peut-être oui, peut-être non, inch'Allah .
Julius Marx

vendredi 25 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (13)




La lumière jaillit d'un fast-food
A une centaine de mètres, c'est un blockhaus orange et noir. Un bataillon de voitures tourne autour dans le sens des aiguilles d'une montre. Mamadou aime cet endroit, non pas pour le fast-food, mais pour l'ancien terrain de sport . Les herbes folles lui montent au mollet . La piste des 400 mètres est presque entièrement envahie de broussailles.
Mamadou se met à sautiller sur place / pousse de petites et profondes expirations.
Avec application, il introduit la pointe de ses chaussures dans les starting-blocks
(deux planches). Il penche la tête, écoute avec un petit sourire la voix nasillarde du commentateur, là-haut dans la tribune.

Mesdames, messieurs on peut l'affirmer, ce soir est un grand soir pour le grand Mamadou Ouédraogo . Le glorieux représentant du Burkina Faso à l'air concentré.
Il sait que cette course est LA course de sa jeune carrière.
Il n'a pas le droit à l'erreur, c'est certain. C'est un impitoyable quitte ou double !
Ses épaules vont-elles supporter l'enjeu ? Nous allons le savoir tout de suite.

Mamadou risque un regard furtif à droite puis à gauche/ ses adversaires n'ont aucune chance de rivaliser / c'est Dieu qui le fait courir !
Il baisse la tête, cherche sa concentration.
Tout d'un coup, la détonation libère les athlètes. Mamadou fait un bond en avant . Dès les premières foulées, il donne le maximum, ce n'est pas le genre à s'économiser.
Il bute sur un gros carton / se rétablit / poursuit vers l'avant / droit devant.
Il avale sans grandes difficultés les haies jalonnant le parcours . Gros buisson touffu/ poussette d'enfant délabrée/ pneu de camion.
Il allonge sa foulée pour les derniers mètres .C'est à ce moment là, généralement qu'il crée la différence sur ses adversaires. Il franchit la ligne le buste plié en avant , le visage déformé par l'effort. Il poursuit sa course sur quelques mètres encore, à petites foulées, histoire de retrouver une respiration normale.
Le chrono est magnifique! Mamadou lève les bras au ciel, salue son public.
Debout dans la tribune, le commentateur exulte, s'étrangle

Formidable, extraordinaire, c'est le nouveau record du monde !

Mamadou répond au journaliste puis embrasse sa jeune et belle fiancée. Il a une pensée pour ses parents, ses amis restés au pays.
Le bref aboiement d'un train de marchandise le sort subitement de son exploit.
Son visage devient rigide, froid.
Il retourne en direction de la voiture, ouvre le coffre.


Le rouquin est enveloppé dans une couverture
Mamadou enfonce un doigt dans le ballot qui encombre son coffre. Son geste ne provoque qu'un faible gémissement.
Le rouquin se retrouve à l'air libre, allongé sur un mince apis de broussailles, à côté d'un vieux sommier et de deux planches qui forment une croix.
Il redresse la tête avec difficulté / des feuilles lui chatouillent le nez.
Ses yeux s'enfoncent encore un peu plus dans leurs orbites/ une forme sombre, en demi-cercle s'abat sur lui / il lève le bras / n'empêche pas la pelle de lui fendre le crâne.
Mamadou laisse tomber la pelle. Il se penche pour apprécier son travail. Il remarque la montre très plate en or massif et très recherchée de forme qui entoure le poignet du mort. Lors de son apprentissage, les formateurs de l'association lui ont appris qu'il ne faut jamais conserver les objets personnels de l'homme que l'on a supprimé.
Mais, Mamadou trouve la montre assez grosse pour lui/ rien n'est trop beau pour le nouveau recordman du monde !
Un brouillard glacé s'élève, emplit bientôt le stade de ses exploits
A suivre 

jeudi 24 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (12)



You'd be so nice to come home to

Outis approche sa bouche du combiné, halète comme un jeune chiot.
-Allo ?
Les halètements redoublent
-Ah, c'est toi!
Outis soupire, dépité.
-Tu m'as reconnu...
-Oui, tu fais encore des erreurs mon ami...L'obsédé, c'est une plainte, un gémissement, tu comprends ?
-Bon, une autre fois, peut-être..
-C'est ça... Comment vas-tu?
-Je suis encore vivant... Quelles sont les nouvelles?
-Qu'est-ce que tu as fabriqué dans ton appartement?
-Pourquoi?
-Pourquoi? C'est un vrai désastre! Si tu as avais l'intention de refaire la déco, c'est parfait, tu vas pouvoir repartir sur des bases saines, il ne reste plus rien, tout est cassé!
Une vraie tornade qui...
-Et l'argent?
-Oh ! rassure-toi, je l'ai trouvé.. Pas très futés pour des cambrioleurs.
-Ils cherchaient probablement autre chose
-Tu as une idée?
-Oui
(soupirs)
-Ne t'inquiètes pas, je m'en occupe
-Merci.. La main qui, le samedi, manie le mieux son balai...
-Oui, je sais, est celle dont le dimanche les caresses sont les plus douces
-Je t'embrasse
-Moi aussi. Si tu as encore besoin de grogner au téléphone, rappelle-moi
Outis repose le combiné. Le silence, la solitude et la nuit deviennent d'un coup plus supportables.

Droit devant
Martial Davis remonte l'allée principale d'un grand parc. L'aménagement est aussi soigné et ridicule que celui d'un golf miniature.
Quatre lignes de platanes entourent la propriété du citoyen Kane.Le vent fait grogner les grands arbres aux squelette impressionnant. Un froid polaire lui donne des coups de sabre / Davis Frissonne.
Il parvient devant une bâtisse surannée en forme de pastille Vichy avec une ribambelle de hautes et grandes fenêtres et des tourelles d'angle incongrues.
Davis doit faire une petit saut pour escalader la première marche de l'imposant escalier qui mène au perron.
Devant la porte, il s'immobilise et lâche quelques pets puants. Son ventre se soulage en grondant/ une douce chaleur lui caresse le dos, remonte le long de son épine dorsale.
La sonnette produit un drôle de gargouillis qui éveille une présence dans les profondeurs de la demeure. Une lumière s'allume au rez-de-chaussée / rais de lumière sur le perron/ le visage poupin d'une jeune bonne.
Le fille avance dans la lumière . Davis ne voit que les deux obus qui gonflent sa blouse de soubrette. Elle glousse en découvrant la chevelure pittoresquement ébouriffée et saupoudrée de neige du visiteur.
-On m'attend, dt Davis sans desserrer les dents
Elle ouvre la bouche pour parler /Davis est plus prompt
-Je sais qu'il est tard, allez le chercher.
Barbie pince les lèvres, hausse les épaules, fait volte-face et plonge dans le corridor.
Davis jette un coup d'oeil sur son petit cul qui frétille / referme la porte derrière lui.
Il avance de quelques pas. Le long couloir est planté d'un tas de petits meubles aux pieds torsadés. Ce qui intéresse Davis, ce sont les tableaux accrochés aux murs. Comme à chacune de ses visites, il tente de déchiffrer ce que contiennent les cadres.
Le premier / quatre gros traits noirs/ une tâche de vomi en son centre.
Un autre / un morceau de viande de boeuf mâchouillé?

Maître Richard se montre
Enveloppé dans une grosse robe de chambre en laine, il a un peu de difficulté à avancer / sa panse l'entraîne vers l'avant/ il doit freiner sur ses talons, rejeter sa tête vers l'arrière. Il stoppe sa course tout près du morceau de boeuf . Ses petits yeux d'un bleu vif s'agitent sous d'épais sourcils hérissés comme des pointes.
-Vous l'avez ? dit-il en retroussant ses babines
Pour toute réponse, Davis tapote la poche de son manteau
-Bien, dit-encore Richard en amorçant la périlleuse manoeuvre qui doit le faire pivoter de 180°.


Mamadou Ouédraogo est né à Ouagadougou
Ouagadougou est la capitale du Burkina Faso , un pays d'Afrique dont le nom signifie quelque chose comme le pays des hommes intègres. Ceci explique peut-être l'extrême pauvreté qui règne dans ce pays.
Mamadou a débarqué dans la patrie des droits de l'homme et de la liberté depuis 4 ans. Quatre années qu'il a principalement occupé à travailler dur pour rembourser le réseau des "petits-frères" qui l'a libéré. Encore 18 mois et Mamadou sera quitte.
Son visage poupin inspire la bienveillance même si les trois traits verticaux qui balafrent sa joue effraient quelquefois l'homme blanc.
Bien calé au fond du siège en cuir de la voiture de l'association, il se sent bien. Il sourit, pense à son avenir.
Ce qu'il préfère, ce sont les nombreuses options du modèle luxe qu'il a la chance de piloter. Chauffage ventilé poussé à son maximum / dégivrage automatique de la lunette arrière/ phares multi-directionnels / navigateur de bord avec cette voix si drôle. Mais surtout , il ne peut se passer du lecteur CD qui diffuse en ce moment un standard du Seigneur Rochereau, le chanteur préféré de Mamadou.
Il martèle le tempo en frappant sur le volant et en dodelinant de la tête.
Un grand panneau annonce la proximité de l'autoroute. Mamadou ralentit son allure.
Puis, il bifurque et engage la voiture dans une zone de lumière orangée. Il stoppe au beau milieu d'un terrain vague délimité par des palissades pourrissantes à demi renversées. Le Seigneur Rochereau se languit
Je t'aime oh mon amour, je t'aime toi mon coeur
Je t'attend nuit et jour pour mon seul bonheur
Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige,
devant ta photo je me recueille.
Mamadou coupe le contact à regret. Mais, le travail, c'est le travail.
A suivre 

mercredi 23 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (11)


Outis en-trouve lentement les paupières
Une image / la télévision/ Bla-bla
Le sommier métallique grince. La pièce est brune : cloisons, meubles enduits d'un verni craquelé par endroit. Au centre de la pièce exigüe, un petit radiateur électrique bourdonne.
Les crampes nouent les muscles de ses jambes/ il replonge..

-Alors, on se réveille quand même ?
La bouche pleine de nourriture, le flic surveillant le dévisage/ petit bonhomme rond et mou comme de la pâte à modeler/ moustache grise à la Vercingétorix.
Outis ouvre la bouche... Impossible de répondre.
Le flic a la tête plongé dans une barquette en alu / plat préparé / spécialité italienne fabriquée en France par des robots japonais. Il lèche le fond en insistant sur les angles. Il lâche la barquette / totalement nettoyée de son contenu.
-Vous voulez quelque chose à manger?
Outis fait non de la tête. Le flic se cure maintenant les dents avec une allumette.
Il porte des yeux ternis par l'effort sur son prisonnier.
-Z'êtes pas bavard vous..
Outis roule, s'assied sur le bord du lit. Il soupire, se masse les tempes. Dans sa tête, un tempo infernal.
-Y'en a qui peuvent pas s'arrêter de causer, dit le surveillant. Mais vous, peau de balle, rien ! Remarquez, j'men fous... Chacun son truc..
Outis replonge dans un demi-sommeil

Claaaac ! La porte s'ouvre à la volée
Elle vient cogner contre le mur. Le surveillant sursaute/ Ils sont déjà dans la pièce.
Il y a l'inspecteur Blanquart et un autre, plus petit, qui porte un imper de nylon beige et un chapeau assorti. A lui seul, il incarne la lassitude du fonctionnaire.
Le surveillant se met au garde-à-vous /tête droite, doigts plaqués contre la couture du pantalon.
-Voila, c'est lui, dit Blanquart en désignant Outis du doigt.
Il s'avance, secoue le prisonnier / Outis se rassied.
Le supérieur de Blanquart s'avance à son tour, s'arrête net, comme s'il regrettait d'avoir été trop loin. Il fixe Outis avec ses yeux secs.
-Vous êtes libre cher monsieur
Outis lève la tête. La voix du supérieur est aigre, aussi désagréable et métallique que le bourdonnement qui reprend dans sa tête.
-Aucune charge n'ayant été retenue contre vous, poursuit le bourdonnement chapeauté. Toutefois,vous devez rester à notre disposition pendant toute la durée de l'enquête..
-C'est à dire ? demande Outis
Le chef, brutalement stoppé dans ses propos de chef, accuse le coup. Il pince les lèvres, joint ses mains devant sa bouche. Sa pose soudaine et sa mince silhouette se découpant dans le verni brun des cloisons, le projetèrent par une intervention divine dans un polyptyque de Piero Della Francesca.
Blanquart (et sa grande gueule) vient rompre le charme.
-Ca veux dire, tu te casses et tu fermes ta gueule !
-Tss.. Tss.. Allons, restons calmes, rectifie le chef
Il s'approche d'Outis, pose une petite main fragile sur son épaule.
-Allons , sortez d'ici sans faire d'histoires... Ca vaudra mieux pour tout le monde.
(Regard oblique en direction de la grande gueule)
L'inspecteur Blanquart a un tempérament un peu volcanique, je l'admet. Mais il connait bien son travail, croyez-moi. Et puis, trois morts dans une citée si tranquille comme la nôtre, n'est-ce pas, enfin...
Outis se lève, le chef recule d'un pas.
Blanquart s'écarte / la colère contenue le rend rouge pivoine, fait ressortir encore les veines de son nez.
Outis fait un vague salut en direction du surveillant et sort.
-Et c'est rien à côté de ce qu'on va te faire si tu nous emmerdes ! crie Blanquart à la porte qui se referme.
Le chef secoue la tête, irrité.
-Qu'est-ce que j'ai fait encore? demande Blanquart
-Je vous avais demandé de l'effrayer un peu, pas de le passer à la torture ! C'est terminé l'Algérie Blanquart, vous êtes au courant ?
-J'ai fais que mon boulot, c'est tout.
-Non, dit le chef en marchant vers la porte. On a pas besoin d'un fouille-merde comme lui dans notre ville... (soupir) On a bien assez des nôtres.
Sur le pas de la porte, il ajoute
-Assurez-vous qu'il quitte bien la ville.
-Je connais ce genre de type, répond Blanquart.. C'est le genre à faire dans son froc.. Il va s'en aller , faites moi confiance.
Resté seul, il s'aperçoit de la présence du surveillant. Il pêche un cigarillos dans sa poche et demande
-T'as du feu Raymond?



It was night in the lonesome december
Juste quelques nuages tremblants qui s'effilochent. Une lune pleine et brillante qui déchire les plus minces.
A l'intérieur de leurs forteresses imprenables, les bourgeois dorment. Ils rêvent d'argent, de sexe, de pouvoir dans un ordre indéfini.
Outis fixe le poilu, là-haut, sur sa stèle. Il voudrait bien récupérer sa grenade et la balancer illico dans les fenêtres du commissariat.
Et puis, son regard monte jusqu'aux étoiles scintillantes qui palpitent déjà, fébriles, et redescend , bute sur une cabine téléphonique.
A suivre 

mardi 22 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (10)



Blanquart tape du poing sur le bureau
-Et tu crois vraiment me faire avaler ces conneries !
Le présentoir surchargé de tampon tombe sur le côté.
-Pourquoi me tutoyez vous?
Blanquart se redresse, ouvre de grands yeux
-Qu'est-ce que tu racontes?
-Je dis, pourquoi me tutoyez vous? On a jamais matraqué d'arabes ensemble non?
Blanquart s'approche d'Outis/ deux mains sur les hanches/ ses yeux disent : je vais te mettre en bouillie.
Mais, il ne passe pas à l'acte, se contente de ricaner.
Il tord le cou, sans quitter Outis des yeux, et gueule par-dessus son épaule
-Chanal !

La copie-conforme de Blanquart
avec dix bonnes années de moins, entre dans la pièce /très grand, des joues bien rouges, des yeux pâles et le menton agressif.
-Monsieur le détective de Paris était à la poste par hasard, commence Blanquart sans regarder son subalterne.
-Sans blague ? demande l'autre avec un caricatural accent du sud-ouest.
-Oui, continue Blanquart. En clair, ça veut dire que Monsieur le détective de Paris nous prend pour des ploucs..
Le sous-fifre s'avance.
-En deux mots, il se fiche de notre gueule.
-C'est pas gentil ça, dit Chanal en fixant méchamment Outis.
-Tu l'as dit, renchérit Blanquart en tournant autour des deux hommes.
Il fait un léger signe de tête/ le coup part à une vitesse foudroyante/ le coup d'un tennisman, beau geste du revers de la main. Outis dégringole, entrainant la chaise dans sa chute.
Sur le sol / en position fœtale/ le dossier de la chaise lui martyrise le dos/ des gouttelettes de sang perlent de son nez / Le sang est chaud / la tête de Chanal / sa voix lui parvient de loin, très loin / ses oreilles bourdonnent.
-Alors, maintenant, t'es décidé à répondre au chef ?
Outis grimace, chuchote
-Je t'emmerde, plouc...
Chanal est piqué au vif, il grogne. Après le revers, le coup droit, il est prêt !
Blanquart plaque sa main sur le bras puissant du tennisman.
-Ca va aller, décide-t-il.
Il congédie le subalterne avec un geste de la tête. Le toutou quitte le bureau.
Outis distingue très mal Blanquart /comme dans un bain de vapeur / il lui jette un paquet de mouchoirs en papier / allume un cigarillos / s'accroupit à côté de lui / odeur âcre de cuir brûlé.
-Bon, maintenant, écoute moi bien, commence Blanquart. Ici, c'est une ville tranquille, les citoyens paient leurs impôts, les ordures sont ramassées en temps et en heure et on a planté des fleurs à chaque rond-point. Nous aimons les gens propres : ceux qui vont à la messe et qui donnent des fringues pour les pauvres niakoués, tu me suis?
Outis grimace / crache du sang
-Alors, trois macchabées en une seule après-midi, ça, on peut pas le supporter.
Son visage est maintenant à quelques centimètres de celui d'Outis. Il souffle la fumée de son cigare dans les yeux de son prisonnier. Outis tient le coup.
-Alors, reprend Blanquart, j'écoute..

Putain de film, il est à moi !
Davis est satisfait de son après-midi. Il pense au genre de petit commerce qu'il va pouvoir ouvrir avec la somme d'argent qu'il aura bientôt. Un bar, une discothèque ou un hôtel ?
La voiture stoppe devant un bâtiment de briques rouges et poutrelles au toit plat.
Sur la façade, une planche trop vite clouée fait office d'enseigne.
"Garage Jacky Delplanques-pièces détachés d'origine ou d'ocasion"
Le garagiste s'est même trompé dans l'orthographe de son nom qui ne prend pas de S.
Il coupe le contact, se tourne vers Davis. Il se demande si son chef (les yeux dans le vague, un drôle de rictus installé sur ses lèvres) n' est pas en train de tourner de l'oeil.
Il pose sa main crasseuse sur le bras de Davis
-Hé, m'sieur Davis vous dormez?
Davis sursaute / voit le visage du rouquin penché au-dessus de lui qui demande
-Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Il se dégage et grogne
-On entre, imbécile ! t'attends quoi les poulets?



Echouées sur une impressionnante mare d'huile
d'outils, de pièces détachées, trois carcasses de voitures finissent de rouiller.
Les murs croulent d'étagères ou s'entassent: bidons d'huile, pare-chocs, optiques de phares désossés, pièces de ferraille à l'utilité indéfinie.
Le rouquin coince la voiture sous le squelette d'une Motobécane 125 cm2 suspendue à une chaine.
Dans le bureau, sur le mur, une affiche avec une pin-up dénudée, en tenue de cow-boy et à cheval sur un bidon d'huile, promet aux utilisateurs de l'huile Yacco, un record d'endurance.
Dans les cinq mètres carrées surchauffés, le rouquin avait coincé un grand bureau métallique . Sur la moquette maculée de tâches de graisse, un carton d'emballage éventré attendait son berger allemand.
Le rouquin se laisse tomber dans un fauteuil dont le crin sort par gros paquet.
Davis reste debout, face à lui.
-J'aime pas ça..fait le rouquin en pinçant les lèvres et en fronçant le museau.
-On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs, dit Davis.
L'autre ouvre de grands yeux
-J'comprend pas
-Ca signifie qu'une affaire comme la nôtre comportait des risques, explique Davis.
Les types qui sont entrés dans le coup avec nous le savaient, non?
Le rouquin reste un instant pensif. Puis, il se lève subitement.
En deux enjambées, il rejoint le bureau, ouvre les tiroirs.
Davis le suit des yeux.
-Bon, pour les morts, c'est dommage, concède Davis. Mais, maintenant, on partage plus en quatre mais en deux, t'as réfléchi à ça?
Le rouquin est stoppé net dans son élan. Il laisse tomber la carte d'identité, rafistolée de plusieurs morceaux d'adhésif jaunis, qu'il tenait en main / se masse le menton.
Ses yeux sont élargis, sa bouche pendante.
Le sifflet d'une sirène d'usine, au loin, l'expulse brutalement de sa torpeur.
-Mais... Les flics... Bredouille-t-il.
Il reprend sa carte, fait le tour du bureau.
Au passage, Davis lui saisit le bras.
-Réflechis bien Jacky, conseille Davis, très calmement.
Le rouquin se dégage
-C'est tout réfléchi... Vous me donnez mon fric et je me tire.
Les deux hommes se toisent un moment. Le rouquin soutient difficilement le regard de son vis à vis.
-D'accord, c'est ton choix, annonce enfin Davis en plongeant sa main à l'intérieur de son gros manteau avec une expression placide.
La main ressort du manteau. Elle tient le Glock.
Jacky Delplanque sans S, ouvre la bouche pour crier.
Davis tire dans la bouche grande ouverte / deux giclées de sang suivent ; une sur le bureau, l'autre sur le mur.
Jacky bascule dans le carton du chien/ ses jambes s'étendent convulsivement /se replient/ sa tête tombe à l'extérieur du carton/ un filet de sang, noirâtre comme de l'huile sale, coule de sa bouche, de son nez.
Davis rempoche l'arme.
-Sale petit con, murmure-t-il avant de sortir du bureau.
La sirène de l'usine cesse son chant.
A suivre 

lundi 21 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (9)




L'association colombophile du Nord, Boulevard Brandebourg
L'ancienne demeure bourgeoise a perdu de sa superbe depuis longtemps.
Au rez-de-chaussée, on a construit en toute hâte, un grand hall pour recevoir les visiteurs en balayant les cloisons gênantes. Dans les étages, pas de bureaux luxueux, juste des petites pièces sans fenêtre et des vieux meubles croulant sous les dossiers.
Le système de vidéo-surveillance est flambant neuf. Il y a des petites caméras dans chaque pièce , dans chaque recoin.
L'espace réservé au chef est plus grand, plus luxueux. Il y a un bureau, un coin salon avec des fauteuils de cuir, un canapé et un bar.
Le chef s'appelle Paul Lecoeur, mais personne ne l'appelle par son nom.
Tous le monde dit simplement Monsieur.
Monsieur se tient toujours droit, comme si une perche invisible, derrière la nuque l'empêchait de bouger la tête correctement. Il est vêtu d'un costume sombre de bonne coupe.
A l'instant présent, Monsieur pose la clé USB dérobé à Valence, sur le sous-main en cuir de son bureau.
Le blondinet et le malabar encadrent leur chef. Ils fixent tout les deux le rouquin en pariant mentalement sur ses chances de survie.
Monsieur soupire. Il saisit de nouveau la clé, la repose sur le sous-main. Puis, il fixe le rouquin
-Alors, mon petit Félix, tu vas maintenant me dire pourquoi tu as tué cet homme ?
Le rouquin ne répond pas, il baisse la tête, renifle. Monsieur demande encore
-Et cet homme qui l'accompagnait, où est-il maintenant?
Le rouquin se redresse / il veut dire quelque chose / renonce/ secoue la tête
Monsieur hausse le ton
-Vraiment pas? Fais un effort, bon Dieu !
Le rouquin pose ses mains sur son visage / il geint
Le costaud fait un clin d'oeil en direction du blondinet / l'autre pince les lèvres.
Monsieur se lève en soupirant /se dirige vers le bar /se sert une bonne rasade de gin, dans un grand verre. Il parle maintenant sans regarder le rouquin.
-Je t'ai chargé de le suivre, pas de lui faire la peau (glaçons) non?
Le rouquin renifle un oui à peine audible.
-Dans notre organisation, dois-ton, oui ou non, interpréter mes ordres ? (tonic)
Le rouquin renifle un non à peine audible. Monsieur boit . Les glaçons tintent contre la paroi du verre.
Monsieur s'avance, pose sa main sur l'épaule du rouquin / le rouquin sursaute.
Un léger sourire s'installe sur les lèvres du blondinet
-Alors, reprend Monsieur, si je te demande de suivre un homme, et uniquement de le suivre, c'est que j'ai mes raisons.
Le costaud se frotte la joue / un tic nerveux traverse son visage buriné en un éclair.
La main de Monsieur se pose sur la tête du rouquin, exerce une légère pression.
-Je n'ai donc pas envie que l'un des mes hommes s'amuse à jouer les Don Quichotte.
La pression se fait plus forte/ la tête du rouquin s'enfonce entre ses épaules.
-Hiiiii, fait le rouquin
Monsieur ôte sa main. Il grimace. Elle est souillée de brillantine.
Nez de boxeur se précipite / sort un mouchoir de sa poche
Monsieur regarde le rouquin avec une expression de profond dégoût.
Il s'essuie méticuleusement les mains
-Sais-tu qui était Don Quichotte?
Le rouquin fait non de la tête.
Monsieur lève les yeux au ciel.
-Aucune importance... ( il porte son regard sur le blondinet) Dis à Mamadou de l'emmener manger un hamburger.
Le rouquin agrippe les bords de son fauteuil / nez de boxeur fait deux pas dans sa direction / Ses grosses pognes le saisissent comme un paquet de linge sale.
Le rouquin se met à beugler.
Le blondinet frappe le rouquin du tranchant de la main.
Le rouquin s'affaisse / Il pisse sur le parquet
Blondinet détourne la tête.
-Aujourd'hui, les gens n'aiment plus manger, rigole nez de boxeur.
-Oui, c'est triste, approuve blondinet, en desserrant à peine ses lèvres minces.
-Débarrassez-moi de ça ! ordonne Monsieur en portant son verre à ses lèvres.

Autour de la place du monuments aux morts
Les maisons consternées se serrent les unes contre les autres. La neige tourbillonne, le vent gémit. Ils réveillent le fier combattant, là-haut, sur sa stèle.
Emporté dans sa fougue créatrice, le sculpteur patriote a doté le héros d'une grenade en main gauche sans s'apercevoir que son modèle, revanchard, la balance droit sur le commissariat de police.
La façade du commissariat fait des efforts désespérés pour paraître accueillante.
Devant les fenêtres, on a posé de grands bacs à fleurs, planté un drapeau neuf au-dessus de l'entrée et enveloppé le tout d'un long ruban bleu pour lui donner l'aspect d'un paquet cadeau.



L'inspecteur principal Blanquart est mal rasé 
Si son pantalon de toile beige, sa chemise de nylon à rayures jaunes et sa cravate tachée peuvent faire sourire, son anatomie inspire plus la crainte. Ses bras, ses mains, sont énormes, disproportionnés. Planté dans une boule de rides méchantes, son nez violacé peut faire sourire mais, ses yeux noirs transpercent le malheureux visiteur.
Il rote, ramène son menton vers Outis et dit
-Alors?
-Alors rien, répond Outis
Il tente de se redresser / les menottes qui le plaque à la chaise l'en empêchent.
-J'aime pas ça, dit Blanquart... Pas du tout.
A suivre

dimanche 20 mars 2011

Et les étoiles ne regardent jamais en bas (8)



-C'est toi Davis ?
Le jeune homme sursaute et fait une affreuse grimace, comme si Outis venait de lui enfoncer la pointe d'un couteau dans le ventre.
-Hein, quoi? bredouille-t-il
Outis se penche, lui parle à l'oreille
-Je te demande si t'appelles Davis, c'est clair non?
Le jeune s'écarte subitement, vacille. Outis l'attrape par le col en fourrure de son blouson, lui montre le Sauer.
Le jeune n'a manifestement jamais vu une arme de si près. Il écarquille les yeux.
-Tsss.. Tsss.. Reste calme, fait Outis . Tout va bien se passer.

-Putain, qu'est-ce qu'on se pèle ..
L'homme de la cabine téléphonique pense. Il se voit attrapant un petit verre de rhum, au comptoir de chez Gros Louis dit le vérolé. Et pis, tiens, pourquoi un petit verre, la bouteille oui ! Quel délice, le petit Jésus en culotte qui te descend dans la gorge...
Il redresse la tête / qui c'est celui-là?
Denis, le jeunot pistonné chargé par Monsieur Davis de rester à l'intérieur de la poste, qui sort avec un autre. C'est le type qui m'a donné du feu.
Qu'est-ce que c'est que....
Il sort de la cabine, fait face aux deux autres et pose ses grosses pattes sur ses hanches. Il veut avoir l'air menaçant.
-Qu'est-ce qui se passe Denis?
La réponse vient de Outis. Il se positionne sur le côté, fait admirer une nouvelle fois le Sauer.
L'homme n'a pas l'air surpris. Il fronce ses gros sourcils.
-Je veux Davis, annonce Outis.
D'un simple coup d'oeil, en direction de la voiture de son chef, l'homme trahit toute la bande de malfrats. Outis regarde à son tour l'auto garée face à la poste de Veninsart.
Il pousse alors le jeune dans le dos.
-Allons-y
Le gros fait un pas en avant.
-Non, tu vas nulle part.
Le gros voit le pied d'Outis se projeter subitement en direction des ses parties génitales. Son esquisse est maladroite, ridicule. Il pousse un cri perçant et rauque, boule sur le trottoir. D'une main ferme plaquée dans le dos, Outis pousse encore le jeune. Denis regarde à peine son complice qui se roule par terre en pleurant comme une femme. Le duo marche droit vers la voiture de Davis.

Qu'est-ce que c'est que ce con ?
-J'sais pas, m'sieur Davis
Davis est dressé sur son siège. Ses yeux sont ceux d'un dément?
-Vas voir imbécile !
Il vient à peine de refermer la portière que les deux types sont déjà sur lui.
Le plus grand lui montre un pétard / il n'aime pas la tournure que prennent les évènements / pendant une seconde, il pense à s'enfuir en courant.
-Remonte, lui dit Outis.
Il baisse la tête, fait ce que lui dit le type au pétard.
Outis pousse le jeune à l'intérieur de la voiture.
Les deux s'installent sur les sièges arrière/ Outis lève le Sauer bien haut devant lui.
-Qu'est-ce que vous voulez ? demande Davis
-C'est toi Davis?
-Qu'est-ce que ça peut vous faire?
-Contente toi de me répondre, dit Outis.
-Et pourquoi?
-Parce que c'est moi qui tient l'arme. Ca te va comme réponse?
Très court instant de silence/ le jeune va se mettre à pleurer / le mécano fixe ses chaussures.
-Oui, c'est moi, lâche enfin Davis sans se retourner. Qu'est-ce que vous me voulez?
-J'ai rendez-vous avec toi.
-Négatif, grogne Davis. J'ai étudié la tête de mon contact. Vous n'êtes pas mon contact.
Autre instant de silence/ les larmes coulent des yeux du jeunot/ le mécano fixe maintenant la poignée de la porte.
-Finement raisonné, reprend Outis. Mais, ton contact a eut un petit problème.
-Quel genre de problème?
-Le genre irréversible... Il est mort.
Autre moment de silence/ le mécano s'est décidé. Il avance lentement la main et s'apprête à saisir la poignée.
-Fais pas de conneries, lance Outis.
Le mécano retire sa main à la vitesse de l'éclair / le jeune s'essuie les yeux d'un revers de manche/ renifle.
Davis est rassuré . Il se permet même un léger sourire. L'étranger est de son monde. Il passe au tutoiement
-Tu peux négocier à sa place,?
-C'est pour ça que je suis là
-D'accord, envoie le film
-Non, l'argent d'abord.
Davis se retourne. Il adopte l'expression satisfaite du type sûr de maitriser tous les éléments. Outis supporte difficilement la grimace.
-Tu gagnes, dit Davis en plongeant sa main dans sa poche intérieure.
Lorsque la main ressort, elle vole en avant, se démultiplie, comme prolongée par un bras articulé.
Outis sent qu'une pointe de fer entre dans sa joue. Il se crispe, un long cri reste bloqué au niveau de sa pomme d'Adam. Au même instant, un coup sec lui meurtrit le poignet. Il lâche le Sauer.
Le jeune se met à hurler.

Arrêtes ! Ca suffit!
A cheval sur le siège, matraque de caoutchouc en main, le mécano frappe.
Ses coups sont désordonnés.
Davis le saisit au col et le balance sur le côté. Sa tête vient frapper contre la vitre de la portière. Il halète comme s'il venait de courir un marathon.
Davis sort de la voiture. Il ouvre la portière arrière, fait basculer le corps d'Outis.
Le jeune en profite pour filer. Le terrain est glissant. Sa course est maladroite, ses gestes désordonnés. Davis relève la tête. Le coureur glisse et va percuter une poubelle municipale. D'un geste rapide, Davis sort son Glock et ajuste le jeune qui se relève. Les deux détonations vont se perdre dans le brouillard. Le jeune retombe. Sa tête heurte le trottoir.
Un retraité qui pelletait la neige devant l'entrée de son garage, voit le jeune tomber.
Il lâche sa pelle.
Davis fouille Outis avec la précision d'un professionnel. Il trouve la clé USB dans la poche du pantalon d'Outis. Il retrousse ses babines, pousse un soupir, presque un râle.
Le mécano rejoint son chef.
La clé USB a disparu dans la poche de Davis.
-Met le moteur en route, crie Davis avant de pivoter à 360°.
Le mécano jette un oeil vers le corps du jeune, voit le retraité qui vient vers lui et pivote à son tour.
Davis se dirige maintenant vers la cabine téléphonique.
Il trouve le gros, haletant, assis dans la neige, adossé à la cabine.
Le gros ouvre la bouche en apercevant enfin un visage ami.
Davis lève son arme et tire dans la tête du gros.
Son sang se répand dans la neige, sa cervelle sur la vitre de la cabine.

Hé! Vous, là-bas!
Le retraité se tient au milieu de la chaussée, les jambes écartées, le bras levé.
Il interpelle Davis.
Le moteur rugit. Les roues patinent, la voiture chasse de l'arrière puis redevient stable. Le retraité voit arriver la voiture. Il pense qu'elle ne va pas l'écraser, que le chauffeur va parvenir à l'éviter. Il a tort.
L'aile droite le happe et le fait tournoyer sur lui-même.
Au volant, le mécano, soufflant, suant, pousse un cri . Il lève le poing en signe de victoire. La voiture fait une embardée. Elle percute un petit muret de briques rouges délimitant un jardin.
Le mécano décapite deux nains de jardin et ressort en laissant derrière lui une large ornière dans la terre molle.
Davis grimpe dans la voiture /elle rugit de nouveau/ disparaît.

Ben, ça alors!
Le facteur observe la scène. Un homme couché sur la route. Un autre, là-bas, sur le trottoir, près de la poubelle et puis, encore un, sur le trottoir d'en face.
-Y'en a un autre collé sur la cabine téléphonique , crie la préposée aux télégrammes avant de s'évanouir.
Le facteur se frappe le front/ il laisse tomber son vélo/ les lettres s'éparpillent dans la neige.
Outis voit des lumières clignotantes qui ne brillent nulle part dans le ciel, des points tourbillonnants, des images étranges. Il ferme les yeux.
A suivre