mardi 18 août 2020

Les balcons au regard ingénu



L'événement est extraordinaire. Les expériences de ce jeune docteur font croire à une science nouvelle et bienfaisante. 
Le docteur Bivar, nom bien castillan, qui s'oppose au nom étranger de vigueur chez tout innovateur, habite à côté de vous, porte à porte, cette rue pacifique et claire. Il y vit isolé, inconnu, dans une maison modeste, mais égayée par des balcons aux regards ingénu.
Il n'y a pas de grande enseigne attachée à la balustrade. On ne s'aperçoit du voisinage du docteur que lorsqu'on a affaire à lui.
Toute la maison veut être très près de la vie; mais pour l'observer plus librement, elle veut passer inaperçue.
Elle influe  sur l'état d'esprit des malades qui la regardent. Elle les calme, et leur produit indubitablement bonne impression. Ils vont déjà mieux en entrant chez le docteur; la maison et ses alentours, ce certain aspect limité, de point final, qu'il lui a consciemment donné, apaisent ceux qui viennent à lui.
Je vois le docteur tous les soirs. Nous aimons à nous promener ensemble, recherchant les rues dans lesquelles le mouvement de la ville ne nous incommode pas. Souvent nous entrons au café; ce n'est que là que l'on échappe un instant à la Destinée injuste et précaire qui nous poursuit chez nous et dans la rue. Si un café discret et dissimulé comme ceux que nous choisissons avait existé du temps de Caïn, il aurait pu se cacher au regard implacable de l'Œil.

Ramon Gomez De La Serna 
Le docteur invraisemblable

Une perle des éditions Champ-Libre de 1984 !
Illustration : Portrait de l'auteur par Diego Rivera (1910)

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