lundi 1 novembre 2021

Le jour des morts

 




"C'est étrange comme on se sent bestialement vivant en remontant les allées d'un cimetière"

Léonardo Sciascia 


En Sicile, pénétrer dans une ville de moyenne importance comme Enna et surtout, en sortir sans encombre, relève de l'exploit. Les panneaux indicateurs (si vous avez la chance de les dénicher) sont quelquefois pointés vers le ciel, d'autres fois vers le sol, et même quelquefois dans les deux directions à la fois. Cette curieuse géométrie  peut laisser perplexe mais, grâce à ce coup de pouce involontaire des services municipaux, la chance nous a sourit ce jour-là. En remontant une belle route rectiligne bordée d'arbres, que nous espérons être la nationale menant à Grammichele, nous nous retrouvons subitement sur le parking du cimetière de la ville. Nous sommes le jour de la fête des morts et les marchands de fleurs ambulants ont poussés plus vite que les géraniums. Vaincus, nous décidons  de visiter ce fameux cimetière. C'est une véritable petite ville que nous devons visiter. Dans les allées larges et rectilignes, hommes, femmes et enfants, sont occupés au nettoyage des caveaux familiaux (il faut préciser que la veille, l'Etna a décidé de fêter lui aussi les défunts à sa façon en recouvrant toute l'île d'une fine suie noirâtre.) Ces caveaux sont tous d'une beauté solennelle et même si certains affichent clairement leur rang social en poussant fièrement leur flèche bien au-dessus des autres, les familles chargées du nettoyage ont bien toutes le même balai en main. Tout est si calme, apaisé, que c'est à peine si l'on perçoit la plainte du vent entre les tombes et les stèles. Ici, on frotte la photo émaillée du grand-père, là, on en profite pour prendre un petit "en cas", assis sur des chaises pliantes. Les enfants sont résignés. Les parents racontent une fois encore la vie magnifique de leurs oncles, les voyages de leur aïeuls, le destin brisé d'une cousine. Ce dialogue si particulier d'un peuple avec ses morts orchestré  par le volcan nous plonge dans la mélancolie.

Enna / Sicile/ 1 novembre 2013.

(Extrait du livre "Ecrits de voyage" toujours disponible sur demande)

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