(... Outre là-bas ces corbeaux noirs, hommes
Affrontés aux nuages qui s'agenouillent
"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
(... Outre là-bas ces corbeaux noirs, hommes
Affrontés aux nuages qui s'agenouillent
Longtemps je me suis couché de bonne heure- le matin. J'avais mes nuits; je les ai toujours, mais sans comparaison.
Presque chaque soir, vers neuf heures, je prends un bouquin et m'allonge sur mon lit. Souvent , j'abandonne vite ma lecture; commence alors l'étendue d'immobilité et de silence apparents où je découvre ma totale liberté. Nul guetteur sur les points culminants de la Ville noire et bleue ne se soucie du minuscule espace que j'occupe sous mon toit, rien ne me désigne à sa méfiance. Ils n'ont pas encore de machines à détecter les rêves subversifs, mais ça viendra: faisons leur, en ce domaine, le plus large crédit. Il me reste, je suppose, quelques bonnes années devant pour cet exercice de l'ombre et du secret.
Je me raconte des histoires, dont une quantité infime verra le jour sur du papier. Ecrire est un travail harassant; choisir, combiner les mots pour qu'ils ne s'éventent , ne pourrissent pas trop vite à la lecture! Tâche tellement disproportionnée à nos forces que l'on se demande comment des hommes lucide ont osé l'entreprendre. Sans doute -je parle en mon nom- finissent-ils par se convaincre qu'ils aident ainsi à produire une réalité qui leur dispensera un peu de sa force, en retour.
André Hardellet
Lourdes, lentes...
Toi, assis sur une petite chaise de fer dont l'émail blanc s'est écaillé un peu plus après les intempéries de l'hiver, dans la courette suspendue de votre appartement de Porta Capuana, sous les pampres de la tonnelle qui te protège du soleil de mai déjà brûlant, à deux pas de ton père qui somnole dans son fauteuil de toile, tu veux que les mots correspondent à des faits, et que les premières pages te parlent de ce qui a eu lieu d'abord. Je planterai devant toi, comme la forêt des druides au lever de rideau de la Norma , la ville et l'année de ma naissance. Tu apercevras tout de suite les rues, les maisons, le ciel de Bologne, pendant que ta mère, à peine essuyées les assiettes du repas de midi et le reste de la mozzarella mis à rafraichir dans une serviette humide, prend son arrosoir pour faire la tournée des plans de basilic et de menthe.
Dominique Fernandez
Dans la maison de l'ange
Pour la douce musique des mots,
pour l'Italie
et Pier Paolo Pasolini.
L'ancien F.T.P. s'assit sur le banc, devant la table énorme. Cash ouvrit un buffet sombre et en sortit trois verres et une bouteille aux trois quarts pleine, du Johnny Walker étiquette rouge avec un petit timbre de Prisunic collé sur le bouchon à vis en métal mou.
Jean-Patrick Manchette
Nada
(Série Noire n°1538)
La petite Fédora était assise sur le gravier chaud de soleil. Elle réfléchissait en passant sa main potelée dans ses anglaises blondes. Ses yeux verts déjà fascinants (les pauvres, ils ne savaient pas encore ce qu'ils allaient avoir à fasciner comme bonhommes! mais ils ne s'en fatigueraient jamais) ses yeux, émeraudes mobiles sous les sourcils un peu roux et le front légèrement bombé, se promenaient sur les quinze soldats de plomb alignés devant elle, sur le socle de la statue de Diane chasseresse.
Autour de la gamine et des figurines de plomb s'étendait presque à l'infini le parc majestueux du château. Dans une brume dorée lointaine, des cavaliers et des amazones rentraient d'une galopade en forêt. Le comte joua un air de cor de chasse pour annoncer son retour. Des oiseaux s'envolèrent en se bousculant, froissant un feuillage de chêne.
D'un seul coup, en riant aux éclats, la fillette balaya les quinze soldats de plomb. Une hécatombe. Puis elle se dit que ç'avait été trop rapide. Elle les remit en place et les fit chuter un à un, d'une pichenette. Ce n'était que des soldats de plomb.
Fédora était encore bien jeune.
Pierre Siniac
Les Congelés
Série Noire N° 1682
Tous les siciliens au fond sont tristes, tous ou presque ont un sens tragique de la vie. Ils constatent avec défiance le contraste qui existe entre leur âme fermée et la nature tout autour d'eux ouverte, illuminée de soleil ; et puis ils se replient sur eux-mêmes; car , de toutes parts, la mer les entoure; elle les isole de ces horizons largement ouverts; elle les retranche du monde et les voue à la solitude; aussi chacun d'eux est-il il une île ; (orgueilleusement replié sur lui-même) il se transforme en une île close de toutes parts. Il ne trouve qu'en lui seul sa jouissance, mais à peine est-il parvenu à cette pauvre joie née de lui-même qu'accablé et sans chercher de réconfort auprès de quiconque, il revient à sa souffrance et à son désespoir silencieux.
Luigi Pirandello
Quand j'étais Fou in "Nouvelles pour une année"