mardi 19 novembre 2024

Une fenêtre qui se brise




Plusieurs fois, Zia Bachisia avait essayé de lire le même livre dans des endroits différents, et à chaque fois, elle l'interprétait d'une autre manière. Un livre est un être vivant qui réagit aux espaces, aux saisons, aux amours et même aux chaises sur lesquelles on s'assoit pour le lire. Il est une fenêtre ou un soupirail qui invente sa maison et sa cave, un couloir que les lieux se choisissent pour entrer en eux-mêmes. Entendez: quand on ferme un livre, il claque, car il est une porte ou une fenêtre qui se brise. 
Serge Pey
 Histoires sardes d'assassinats, d'espérance et d'animaux particuliers

Lorsqu'on a la chance de dénicher une perle de livre comme celui-ci, on se dit que tout de même, tout de même, la vie vaut bien la peine d'être vécue.
Des intrigues, je ne révélerai rien, même si l'envie me titille.
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Julius Marx

vendredi 18 octobre 2024

Symphonie

 



Oui, c'est vrai qu'Ellroy nous joue de sacrées symphonies quand d'autres nous beuglent encore des chansonnettes populaires . Et pourtant, pourtant ; son dernier mouvement "Les Enchanteurs" manque singulièrement de cuivres, de timbales et autres coups de gong. Si le Maestro reste toujours bien présent, le fait d'avoir confié le récit à ce gros fils de radasse de Freddy Otash  a quelque peu entravé sa folie ordinaire. Comprenons nous bien, il a existé et il existera encore dans la fiction bon nombre de héros "négatifs" parfaitement capables de mener a bien les intrigues mais Otash n'est pas assez mauvais ou alors pas assez bon, allez savoir.

Au fil du récit, c'est bien quand Ellroy reprend le dessus sur son personnage que le texte devient (ou redevient) "une folie illuminée " comme l'écrit Stephen King sur la jaquette du bouquin.

Et puis, d'où vient cette fâcheuse impression de Déjà vu  au fil des chapitres?  La faute aux lecteurs assidus entrés dans cette jungle  peuplées de sauvages criminels il y a tant d'années?

Ceci n'est pas une critique mais une succession de pensées, d'instantanés scintillant, en vrac.

J'attends avec grande impatience, la prochaine symphonie.

Julius Marx






mardi 20 août 2024

Voie de Fuite

 



Qui de nous, en regardant la mer encore un peu azurée, n'a pensé qu'elle est un refuge plus sûr que les immeubles de tuf? Des myriades d'entre nous ont confié à la mer leur voie de fuite.

Erri De Luca

Le Contraire de Un.

samedi 17 août 2024

Le Monde d'Isaac




 Le gouverneur était un fantôme dans la ville de New-York. Il avait ses services dans le World Trade Center mais on aurait qu'il était constamment exilé dès qu'il quittait sa résidence d'Albany. Il ne portait pas la marque d'Isaac. C'était une créature des banlieues huppées, un homme du nord de l'Etat. "Il fera très bien dans le Kansas et le Mississipi ", se vantaient souvent ses conseillers. Ils le préparaient à briguer la Maison Blanche. Un Démocrate à garniture conservatrice. Jamais il ne gaspillerait son blé pour des indésirables. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il ferait des sans-abri. Sur la plupart des sujets, il demeurait muet. Pour lui , le navire de l'Etat, c'était un chariot bâché bricolé avec des bouts de platitudes. Billy The Kid , avec ses yeux bleus, avait la belle apparence d'un joueur de Colt narcoleptique.

Jerome Charyn

Rue du Petit-Ange

(2003)

Un bref aperçu de "l'écriture Noir" de Charyn. N'hésitez surtout pas à plonger dans le monde d'Isaac Sidel. L'oeuvre est considérable.

vendredi 14 juin 2024

Notes

 



Trois frêles réverbères sur le quai scintillaient faiblement au-dessus des innombrables bateaux de pêche entassés comme des coquillages le long de la plage. Plus loin sur la mer, il y avait d'autres lumières, celles d'une flotte de yachts élégants qui accompagnaient la marée avec une lente dignité, et plus loin encore une lune bien pleine qui transformait  le sein de la mer en un parquet de danse ciré.

Cette trainée argentée qui ondulait comme une grande mèche de cheveux bouclés en direction de la lune.

Francis Scott Fitzgerald

Notes 167 /168 in Carnets

vendredi 7 juin 2024

Visite chez le prince Fabrizio Mazzarola




 Il m'invita à prendre la chaise placée à sa gauche, et repoussa derrière lui celle où j'avais voulu m'asseoir.

-Elle est destinée au releveur du compteur d'électricité, me dit-il goguenard. Et l'autre, à côté de la vôtre, à mes fournisseurs.

-Qu'ont-elles donc de spécial?

-Je ne vous demanderais pas de les essayer, non, votre amitié m'est trop précieuse, egregio pittore . A chacune des deux chaises en question j'ai fait subir un petit traitement de ma façon. On leur a scié un pied, en sort qu'elles tiennent debout si personne ne s'y assied. Sous le moindre poids, elles s'effondrent. La chaise où vous vouliez vous asseoir ôtera à l'agent de la compagnie d'électricité l'envie de revenir avant longtemps. Il se retrouvera les quatre fers en l'air et n'aura plus qu'à déguerpir tout honteux. Ha! Ha! il ira truquer ses comptes pour cacher qu'il n'a pas rempli sa mission, et j'aurai payé ma dette sans avoir déboursé un sous. L'autre chaise est sciée de manière plus habile: un craquement horrible précède l'effondrement. Nunzio a été si effrayé de ce bruit qu'il n'ose plus s'y asseoir. C'est le diable, pense-t-il , qui veut le punir pour l'audace d'être venu réclamer son dû à une Excellence. N'est-ce pas impayable? Comme je lui dis que ne ne négocierai  pas avec lui et ne regarderai même pas mon ardoise tant qu'il ne m'aura pas fait l'honneur de prendre place à côté de moi, il balbutie quelques compliments sur ma santé et se sauve bredouille.

-Vous connaissez sûrement, lui dis-je, amusé par cette histoire, le prince de Palagonia à qui Goethe  rendait visite dans sa ville près de Palerme?

-Si je le connais! Il avait les moyens, lui ! Il possédait un mobilier superbe, des sièges recouverts de velours, des canapés, où il invitait ses visiteurs à s'enfoncer...

-Après avoir fait dissimuler sous l'étoffe des épingles et des clous, la pointe tournée vers le haut, pour les voir sursauter comme des jouets à ressort.

-Quel type ! Je ne suis que son modeste élève! dit le prince en riant. Je mords, mais je ne pique pas...

Dominique Fernandez

(Où les eaux se partagent)

Suivre les lignes de Dominique Fernandez en cherchant à le précéder sans jamais y parvenir, c'est déjà  un jeu si délicieux mais, lorsqu'il s'aventure en Sicile tout devient merveilles.

(En photo, la célèbre villa du Prince de Palagonia )

lundi 13 mai 2024

Le Grand Homme




Chaque année l'usine engraissait, avalant les terrains.(...) Et l'usine gonflait toujours.

Et lui, fiévreux, admirait la vie de son usine qui sifflait, aboyait, s'étirait,  crachait et vomissait. Derrière une des fenêtres de son bureau, il aimait à regarder la foule des ouvriers se hâter vers le travail.(...) Pour lui, les hommes valaient à peu près autant que les machines, les rouages, les briques qui servaient à construire les hangars le plus rapidement et le plus économiquement possible. Il avait la fièvre de la vitesse, il voulait voir grandir à vue d'oeil cette grande étendue rouge qui brillait et fumait sous le soleil comme une flaque de sang. Il fallait que s'étendît cette masse de pierre et de fer, de toits et de cheminées où grouillaient  des hommes... Ces grands murs faits pour enfermer les hommes, ces fumées épaisses, les fracas des ateliers, les moteurs: son horizon, sa vie.(...)

L'usine gémissait sous l'effort.

Philippe Soupault

Le Grand Homme


Extraordinaire destin de ce roman qui parut en 1929 et disparut aussitôt (tous les exemplaires ayant été, dit-on, rachetés sur l'ordre d'un grand industriel qui aurait craint d'être reconnu ou confondu avec l'un des personnages.)

"Mon seul gros succès de librairie" a pu dire Soupault.