"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
mercredi 2 juillet 2014
Le Polar est Poétique
Avril arrivait, cette année-là, comme une jeune fille à son premier bal. Délicatement parfumée, en robe de brume légère et couronnée de fleurs. Un rayon de soleil caressait doucement la façade grise de l'immeuble de Grover Avenue, forçait les fenêtres à barreaux et transformait les inspecteurs du 87e District en poètes amoureux.
Steve Carella leva le nez de son fichier et se rappela ses treize ans et son premier baiser. Cela s'était passé par une nuit d'avril, il y avait longtemps.
Meyer Meyer jeta un coup d'oeil à travers les barreaux, contempla les jeunes pousses des arbres dans le parc d'en face, et s'efforça d'écouter patiemment l'homme assis devant lui sur une chaise dure. Le printemps gagna la partie et l'inspecteur Meyer soupira en se demandant ce qu'il ferait s'il avait dix-sept ans.
L'homme qui lui faisait face s'appelait Dave Raskin et dirigeait un commerce de confection pour dames. Il était également titulaire de quelque cent dix kilos de chair massive répartis sur une charpente d'un mètre quatre-vingt-onze et recouvert ce jour-là d'un costume poids plume bleu pâle. Il n'était pas vilain, dans le genre dur, avec un grand front couronné de cheveux gris, un nez coupant comme un rasoir, une voix d'orateur et un menton qui aurait été tout à fait à sa place sur un balcon de la Piazza Venetia en 1933. Il fumait un cigare infect et Meyer Meyer agitait la main de temps en temps, pour chasser la fumée nauséabonde qui l'empêchait de goûter l'avril et le souvenir de ses dix-sept ans.
Ed Mc Bain
The Heckler
1961
Image : Sterling Hayden The Killing (Stanley Kubrick-1956)
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